L’amour du maillot est-il voué à disparaître ?

Faire toute sa carrière dans le même club ou suivre ses envies et ses ambitions au fil du temps ? Difficile de trancher.

Le foot c’était mieux avant. Plus précisément à l’époque où les joueurs passaient toute leur carrière dans le même club. Maldini, Totti, Ettori, Yachine… C’était quand même bien mieux, quand l’amour du maillot primait sur le salaire des joueurs. Oh, certes, il reste quelques rares footballeurs qui ne changent jamais de maillot pendant leur carrière, mais ils semblent moins nombreux chaque année. À qui la faute ?

Tout d’abord, il est important de prendre en compte l’explosion du marché des transferts dans le football. L’arrêt Bosman a servi de catalyseur pour multiplier les échanges de joueurs contre des sommes en constante augmentation. Plus il y a de mouvements entre les clubs, moins les footballeurs conservent leur place.

Ces transferts plus nombreux permettent aux clubs de renouveler leurs effectifs selon leurs besoins, mais aussi aux joueurs d’avoir des opportunités de carrière dont leurs aînés ont à peine rêvé. Pelé n’a jamais pu évoluer en Europe (combien de Coupes d’Europe des clubs champions aurait-il pu remporter ?) et que dire des joueurs de l’ancien bloc communiste, qui devaient attendre au minimum la trentaine avant de pouvoir découvrir un autre pays ? Qui sait quelle carrière aurait eu Josef Masopust s’il avait pu quitter le Dukla Prague plus tôt ? Ou encore Joachim Streich, terreur des défenses de RDA mais qui n’a pas pu jouer une minute hors d’Allemagne de l’Est ?

Oui à l’ambition

Les joueurs ont plus d’opportunités qu’avant et de loin. Faut-il pour autant les blâmer pour leurs ambitions ? Doit-on automatiquement adorer Totti et détester Vieri, qui a en plus commis l’outrage de passer d’un rival à un autre (transfert de l’Inter Milan vers le Milan AC en 2005) ? Ce serait trop facile.

Car la multiplication des mouvements ne bénéficie pas qu’aux clubs. Elle permet aussi aux joueurs de décider de leur carrière et de suivre leurs propres objectifs. Tout le monde ne peut pas, tel Busquets au Barça, connaître la meilleure forme de sa vie au moment où le club est au top. Nous ne comptons plus le nombre de footballeurs ayant indiqué vouloir « franchir un cap » en signant un contrat dans un club plus huppé. Et qui pourrait leur en vouloir ? Quand Zidane passe de Cannes à Bordeaux, puis de Bordeaux à la Juve, il ne fait que gravir les échelons pour faire avancer sa carrière. C’est à peu de choses près ce que fait Jean-Jacques de la compta, à quelques zéros près sur la fiche de paie. Là aussi, qui sait ce que serait devenu Zidane s’il avait été contraint de rester à Cannes pendant une dizaine d’années ?

Chacun ses choix

Le cas contraire existe aussi. Certains joueurs n’ont parfois plus le niveau pour jouer comme titulaires dans leur club de toujours. Un cruel dilemme s’installe alors : rester et jouer une poignée de minutes pendant la saison, ou partir pour continuer à jouer au football ? Romain Danzé a failli ne pas prolonger à Rennes en 2012. Le club ne lui a proposé un nouveau contrat qu’après une forte pression des supporters. Jordan Ferri, plus récemment, a quitté l’Olympique lyonnais la mort dans l’âme, ne rentrant plus dans les petits papiers du coach.

Vient alors une question importante : un club de football est-il un employeur comme un autre ? Certes, il a une histoire particulière, un stade et des supporters uniques. Mais ce lien qu’il a avec les fans, un joueur ne peut-il pas le recréer ailleurs ? Fabrice Fiorèse a testé l’expérience à l’extrême, sans réussite. Mais Sol Campbell est également passé d’un rival à l’autre, avec succès cette fois.

Le « club de cœur », une notion galvaudée ?

Après tout, ce que l’on reproche aux joueurs, c’est de ne pas être comme nous, les supporters. Pour un fan de football, changer de club préféré est inimaginable. Alors les joueurs, qui nous permettent de vivre notre carrière professionnelle par procuration, n’ont pas le droit de jouer avec nos sentiments. Un joueur comme Bafétimbi Gomis, qui a déclaré avoir pour « club de cœur » tour à tour l’AS Saint-Etienne, l’Olympique lyonnais, l’Olympique de Marseille et Galatasaray, a tout à fait le profil de l’opportuniste qui se moque des supporters.

Mais qui peut réellement lui en vouloir, à une époque qui exige qu’un joueur ait un amour inconditionnel pour le maillot qu’il revêt ? Le cas Guendouzi, formé au PSG mais insistant sur le fait qu’il a toujours supporté l’OM, est un bon exemple. Le passé d’un joueur (et son enfance encore plus) ne devrait pas avoir d’incidence sur la façon dont les supporters le soutiennent, contrairement à ses performances. Après tout, les joueurs sont les composants les plus éphémères d’un club (après les entraîneurs).

Si l’amour du maillot est galvaudé, il ne reste peut-être qu’à ressasser le même mantra affirmant que le foot était mieux avant. Il convient toutefois de ne pas oublier l’histoire de John Burridge. Ce gardien anglais, dont la carrière a débuté en 1969, a connu 29 clubs différents au cours d’une carrière longue de presque 30 ans. Il a grandement fait progresser son record dans les années 1990 en signant comme joker médical un peu partout (il a figuré dans l’effectif de huit clubs différents pendant la seule année 1994 !). Mais il a tout de même joué pour cinq équipes différentes dans les années 1970, bien avant que l’arrêt Bosman ne donne le coup d’envoi de la dérégulation du marché des transferts.

25 réflexions sur « L’amour du maillot est-il voué à disparaître ? »

  1. « changer de club préféré est inimaginable »

    Pourquoi l’amour ne devrait-il se conjuguer qu’au singulier ? Ne peut-on, dans sa vie, n’aimer qu’un seul être, qu’une seule chose ? Cette fidélité n’est-elle pas excessive (et sclérosante) ? Et l’amour et la fidélité supposent-ils l’exclusivité ? Ne peut-on aimer plusieurs êtres, plusieurs choses à la fois ?

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  2. Si l’argument est « heureusement que les grands joueurs peuvent rejoindre de grands clubs pour se constituer un palmarès « , on peut également regretter que des brêles puissent quitter leur « petit » club pour se constituer un palmarès. Je n’arrive pas à me réjouir du parcours de Christian Karembeu, par exemple, dont le talent de coureur à pied est une insulte au football 😉

    PS : Pelé n’a nul besoin d’avoir des C1 à son palmarès, il a des Libertadores qui valent sans doute plus que les Coupe d’Europe des 60es.

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    1. Y a toujours eu des sans-grades dans les clubs à palmarès. Sauf qu’avant 95 ils étaient issus du vivier national. C’étaient des Espagnols ou des Italiens miteux qui gagnaient avec le Real ou le Milan, maintenant ce sont des Norvégiens, des Ghanéens ou des Français miteux.
      Et que dire des sélections ? Karembeu est champion du monde et d’Europe !

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      1. C’est bien ça le problème. Un obscur Tagnin qui étouffe Di Stéfano en 1964 au Prater, ça n’existe plus. Il faut un type venu d’ailleurs, même pour les basses besognes.

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      2. Mais Tagnin venait déjà d’ailleurs. Il est né dans le Piémont et a débuté au Torino, avant de rejoindre la Lombardie et l’Internazionale. C’est déjà de la mobilité géographique professionnelle. Simplement limitée à l’échelon national. Aujourd’hui, elle s’étend à l’international.

        Autoriser la mobilité géographique nationale, les transferts de joueurs dans n’importe quel club du pays, c’est déjà libéraliser, c’est déjà libérer la main-d’oeuvre, c’est déjà une marche vers la mobilité géographique internationale. Ce n’est pas encore la mondialisation, mais c’est déjà la nationalisation.

        Au XIXe siècle, alors que le professionnalisme a été officialisé en Angleterre, la mobilité géographique des joueurs est contrainte. Les Anglais ne peuvent pas rejoindre n’importe quel club anglais ! Dans les années 20, à l’époque de l’amateurisme marron en France, le principe des licences A et B contraint aussi la mobilité géographique des joueurs au sein même de l’Hexagone.

        Dès lors, quel échelon territorial choisir pour contraindre la mobilité géographique des footballeurs ? Mondial, international, national, régional, local ? National est un moyen terme, mais je ne vois pas en quoi il est plus légitime que l’échelon régional ou international. C’est aussi affaire d’idéologie : valoriser l’échelon international, national ou régional n’est pas neutre.

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      3. Je ne dis pas qu’il faut contraindre (quoi que…mais le modèle économique européen rend toute régulation renforcée inenvisageable). Je regrette cette évolution et notamment l’acquisition de joueurs de second plan qu’on nous exhorte de considérer comme des cracks au prétexte qu’ils jouent dans de grands clubs !

        Si on prend le cas de l’Italie, la mobilité géographique professionnelle s’exprime dès le début du 20ème siècle, s’accélère dans les années 20 avec le développement des clubs des grandes villes (je ne parle même pas des recrues étrangères à ce stade). Dans les 50es, quelques présidents et managers créent le trading de joueurs, comme par exemple, le président de la SPAL, Paolo Mazza. Cela se généralise et concerne essentiellement des joueurs italiens jusqu’à l’ouverture des frontières de l’UE sans restrictions dans les années 1990. Et cela change tout : la fonction « productrice » des petits clubs demeure liée au trading mais passe d’un modèle basé sur la formation à un modèle assis sur la valorisation de jeunes étrangers. Et ça, ça me gêne, je ne peux me réjouir de voir des gamins ou apprentis footballeurs déracinés pour qu’ils soient formés (ou abimés pour certains) et commercialisés (ou jetés). On retrouve des clubs modestes avec des effectifs aux 3/4, voire plus, composés de joueurs étrangers. Comment supporter de tels clubs ? Il n’y a ni enracinement, ni perspective de résultats puisque tout joueur émergent est vendu au plus offrant. En suivant le Genoa, c’est ce que j’observe depuis des années. Piontek fait 6 bons mois ? Il est vendu au Milan. Pellegri se révèle à 16 ans ? Il est vendu à Monaco à 17 ans. Rovella tripote bien la balle ? Direction la Juve pour 40 Millions d’Euros (la bonne blague). J’aime pas ce modèle.

        Tagnin, c’est encore autre chose : le type a toujours joué en Serie A, il incarne le calcio (moche, certes, mais constitutif d’une culture foot italienne) et vient d’être suspendu pour avoir participé au trucage d’un match. Il est en fin de carrière et Herrera le sort du caniveau pour en faire un champion d’Europe. C’est beau !

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      4. Nous sommes d’accord, mais cela n’est pas l’effet de la libéralisation du marché des footballeurs. La surmédiatisation des joueurs de moindre calibre, c’est plutôt la presse qu’il faut blâmer. Pour le trading, c’est le fait que les clubs sont devenus des entreprises et qu’une hiérarchie, une véritable DIT s’est mise en place. La libéralisation du marché des footballeurs n’est qu’un élément, et à mon sens pas le plus important (en tout cas le seul qui a quelques mérites), de la transformation des clubs à partir des années 80.

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      1. Oui mais Burridge, c’est toujours dans son pays !

        Leur particularité, c’est d’être gardien de but, c’est peut-être plus facile de durer…

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  3. L’arrêt Bosman a changé les choses au niveau des transferts extraterritoriaux car, intra muros, c’était déjà un monde de maquignons dans le football professionnel. Et chaque pays avait ses propres lois avec les étrangers: interdiction ici (Italie), transfert autorisé si le joueur a au minimum tel âge et x sélections (Yougoslavie, Pologne…), s’il y a des rapports coloniaux ou ex-coloniaux (la France qui peut donner une double nationalité à des joueurs de ses ex-colonies), etc. On peut aussi ajouter les clubs anglais qui jouaient sans Anglais mais avec des Celtes. Néanmoins, c’était déjà l’argent roi et plus le club était riche, plus il pouvait avoir de joueurs de grande classe. Et certains clubs avaient un bon sponsor pour recruter et former comme le PSV. Tiens à quand un article sur les clubs d’entreprise pro ou amateurs déguisés (PSV, Sochaux, Bayer Leverkusen et Uerdingen ou l’US Quevilly)?

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  4. Un Burridge est assez banal dans le fait footballistique anglais-vintage, un journeyman parmi des centaines d’autres.. et comment leur donner tort??

    Si l’on procède par élimination : les agents sont des parasites.. les dirigeants sont des parasites.. la tv est parasitaire.. et même les supporters sont des parasites (car, oui : que d’effets délétères le supportériat-lambda aura contribué à alimenter!).. La seule chose dont ne peut se passer le football : un ballon (ou une chaussette roulée en boule, ou une canette, ou..) et 22, 10 ou 4 joueurs!

    Le reste : de la littérature. D’ailleurs j’observe que plus l’on ringardise les notions de patrie, « église » (au sens large quoique premier d' »assemblée »), de communauté supérieure de valeurs et/ou d’intérêts, disons…………et plus le même discours dominant incitera le vulgus pecum à retrouver ce simulacre de sentiment de communauté parmi, notamment, des clubs de football – la société du spectacle, en somme. L’humain est un animal social, hanté quoiqu’il puisse s’illusionner parfois par la territorialité, l’appartenance à un groupe – pour plupart, nous requérons cela. Si l’on décrédibilise ces champs communautaires fondamentaux, il faut alors fournir des succédanés – ce qu’est parmi d’autres (mais l’un des plus puissants désormais) le club de football.

    Le rapport du supporter de naguère à quelque club que ce soit n’avait rien de tant radical. Jusqu’aux 60’s il était tout-à-fait commun, dans des agglomérations le permettant, d’aller voir un club le midi, puis un autre en fin de journée..puis encore un troisième le dimanche (parmi des millions de son acabit, mon père ne faisait absolument rien d’autre).. Pour l’essentiel un loisir, puis le grand mouvement de bascule s’opéra à mesure que l’on marchandisa et radicalisa le fait-culturel-football.. Qu’un joueur quitta son club pour rejoindre son grand rival? Nonobstant de rares exceptions, c’était loin s’en faut si « dramatique » (lol) que certaine presse sensationnaliste ne voudrait le faire croire aujourd’hui.

    Si le footballeur était moins volage, ce n’était guère que parce que les règles le permettaient moins voire pas. Si les supporters crurent ou gardent besoin de croire en quelque fidélité de « leurs » (rien que cet accent possessif mérite ma foi d’être interrogé..) joueurs, c’est parce qu’ils ont mordicus besoin de croire en quelque vecteur « coagulant » de valeurs (plupart seraient surpris s’ils connaissaient vraiment l’Histoire de leur club..) mais ont perdu de croire en autre d’autres choses que le football.

    Pour ma part, je connais par centaines des vies d’individus-footballeurs brisés, par des dirigeants de clubs mafieux et avec le concours inconscient de masses panurgiques de supporters aliénés, auxquels l’on avait fait croire que ces joueurs trahissaient leur club (ce qui plupart du temps était faux : ces joueurs subissaient!). Je dois dire que ça m’a assez rapidement gardé de ces illusions/projections sur l’amour du maillot.

    Et que désormais, la chose la plus professionnelle (ce qu’ils sont!) voire la plus saine que j’attendrais d’eux (mais je n’en attends rien) me paraît qu’ils soient respectueux de l’institution et des consommateurs qu’ils servent – le reste, ben..??

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    1. Je souscris volontiers à ce commentaire, quoique je nuancerais le fait que le besoin de communauté soit (semble-t-il) nécessairement lié à un sentiment de territorialité. Le fait que la montée de l’individualisme et l’accélération du processus de mondialisation fut, paradoxalement, accompagné de la montée de revendications identitaires et locales a été suffisamment constaté et étudié.

      Néanmoins, cela se fait largement sur des bases déterritorialisées. Les communautés, les identités (y compris religieuses), peuvent s’ancrer dans le numérique et se diffuser via celui-ci. Elles s’inscrivent aussi dans un marché mondialisé et cherchent bien souvent à s’exporter. Sans compter que ce besoin communautaire est largement rongé par le kitsch, rattrapé par un marketing qu’on appellera « glocal », manque d’une culture profonde et nourrie, et, de ce fait, aboutit trop souvent à des formes de fanatisme (supportériat complètement barré, intégrismes religieux, etc.). Ainsi me revient en mémoire un excellent, quoiqu’un peu ancien (2008), livre d’Olivier Roy : « La sainte ignorance ».

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