Série sur la Coupe du monde 1982 (8/8) – Claudio Gentile, Maciste dans les mines du roi Salomon

Quel est le vrai héros de l’Italie 1982 ? Paolo Rossi, ressuscité d’entre les morts ? Le farfadet Bruno Conti ? Marco Schizzo Tardelli, Super Dino Zoff ou encore Il Vecchio Enzo Bearzot ? Et pourquoi ne serait-ce pas Claudio Gentile ?

Gentile, c’est  « Maciste dans les mines du roi Salomon »[1], un héros sacrificiel revenu d’Afrique pour triompher sur la terre de ses ancêtres. Fils d’un maçon sicilien exilé en Libye dans les années 1920, sa famille rentre en Italie quelques années après l’indépendance. Kadhafi est encore un étudiant influencé par l’Egypte de Nasser mais déjà la monarchie libyenne vacille, bientôt plus rien ne sera comme avant sur cette terre qui l’a vu naître.

Claudio inscrit à jamais dans sa mémoire l’image de ses parents en pleurs sur le pont de ce bateau qui les mène à Syracuse, parcours multiséculaire des migrants. En Sicile, rien n’est simple, le travail est rare, alors sa famille part encore, toujours plus au Nord comme tant de terroni, direction Como, son lac, ses hivers.

Les féroces parties de football dans les rues de Tripoli contre les enfants libyens l’ont rompu aux vices du calcio. Sa soif de réussite en Lombardie puis dans le Piémont, lui l’Africain, finit de forger un caractère unique auquel Enzo Bearzot ne peut être insensible.

Le jeune Gentile à Varese en 1972.

Déjà remarquable en Argentine 1978, c’est lors du Mundial 1982 qu’il devient un héros, adoré de tous en Italie, même des patriciens qui raillaient ses origines modestes et lointaines. Sans Gentile, l’Italie se serait-elle extraite du Groupe C en Espagne ? Rien ne le garantit tant les succès face à l’Argentine et au Brésil portent son empreinte, en dépit du miracle Rossi, quand ce dernier valide enfin les immuables présages de renaissance d’Il Vecchio dont on se demande jusqu’alors s’il n’est pas gâteux. Les faussaires et les hypocrites préfèrent retenir le triplé de Pablito contre la Seleção, feignant d’oublier les sales besognes de Gentile, des chefs d’œuvre de dévotion et d’indélicatesse mêlées.

Avec Bearzot à la fin d’Italie – Brésil.

Avant d’affronter l’Albiceleste, Bearzot se remémore les matches de 1979, Italie – Argentine puis Argentine-Reste du monde dont il est le sélectionneur. Par deux fois, Schizzo Tardelli montre son incapacité à contrôler Maradona. Alors, pour neutraliser le génie argentin, Bearzot choisit son inamovible terzino-stopper depuis cinq ans. Entre le vieux Frioulan et l’Africain existe une connexion quasi ancillaire, une relation de maître à serviteur d’un autre âge, reliquat de l’Italie archaïque qui vient à peine d’abroger le délit d’honneur et le mariage réparateur.

Confronté à Maradona, Claudio Gentile se donne corps et âme, sans se laisser envahir par ses émotions à l’inverse de Tardelli trois ans plus tôt. C’est un cerbère dévoué, à la voix rauque de buveur de grappa, dont les seules concessions à la fantaisie sont une épaisse moustache et une chaîne en or. Avec la bienveillance complice de l’arbitre roumain Nicolae Rainea, son marquage est un modèle d’antijeu, une succession de gestes interdits extraits d’une palette dont les nuances semblent infinies. Maciste devient un monstre, un monstre de dévotion et de sacrifice mais un monstre. Il martyrise Maradona, Ganymède naïf ne comprenant pas ce qu’il lui arrive. Le contraste entre l’extravagance des fautes commises non sanctionnées et le calme absolu de Gentile finit par éteindre El Pibe[2].

Maciste fait un break.

Maciste remet cela face au Brésil, poursuivant un travail de titan aux basques de Zico. Mâchoires serrées et regard fixe, il défend durement, parfois salement, mais sans ostentation, éliminant le superfétatoire comme s’il s’agissait d’un traitement cathartique destiné à prouver sa pureté aux yeux de la mère patrie[3].

Suspendu pour la demi-finale face à la Pologne, son absence est un non-événement puisque Boniek subit la même pénitence. Bearzot le rappelle évidemment pour l’apothéose à Madrid. Est-ce pour adoucir son image qu’il renonce à sa moustache noire ? Visage glabre, il participe discrètement au triomphe italien, conscient d’avoir apporté son écot, fût-il à l’origine d’une détestation éternelle de la part des adversaires de la Nazionale.

Après une victoire en finale de Coupe du monde, on se détend entre amis sur l’herbe fraîche.

[1] Péplum de 1964 réalisé par Piero Regnoli et mettant en scène Maciste, héros imaginaire et bienfaiteur, créé en 1913 par Gabriele D’Annunzio.

[2] L’Italie s’impose 2-1 contre l’Argentine

[3] L’Italie s’impose 3-2 contre le Brésil

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46 réflexions sur « Série sur la Coupe du monde 1982 (8/8) – Claudio Gentile, Maciste dans les mines du roi Salomon »

  1. Aujourd’hui, Fred est heureux : la série sur la CdM 82 prend fin !

    Blague à part, très joli texte avec plein de belles métaphores.
    Les parents de Gentile sont évidemment nés en Italie, non ? Pour quelle(s) raison(s) un maçon va-t-il tenter sa chance aux colonies ? Un marchand, un paysan, je vois bien… Mais un maçon ? Et pourquoi revint-il ?

    En finale, quel joueur allemand eut droit au traitement de choc de Gentile ?

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    1. La Sicile de cette époque n’accorde hélas pas ses différentes crises aux divers corps de métier. Le manque de travail touche tout le monde et l’insécurité croissante couvre le bleu clair du ciel sicilien comme une immense chape de plomb, pire: celle-ci emprunte tout aussi bien les traits d’une sorte de sentence inéluctable et fait alors parfaitement fonction d’épée de Damocles, suspendue au-dessus des têtes du bas peuple !
      Ils reviennent « à la maison » pour les mêmes raisons qui les ont amené à quitter leur île, une touche de déséquilibre politique en plus (quoique ce point pourrait absolument être aussi prêté à la Sicile).

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      1. Allons, c’est peine perdue que d’expliquer la triste réalité du travail à un prof.

        D’ailleurs, c’était mercredi hier et il était évidemment en congé du site.

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    2. Hello Bobby, Calcio a magnifiquement répondu à propos de l’immigration sicilienne. Dans une interview, Gentile explique que sa famille rentre en Italie dès que le rapport de force entre colons et autochtones s’inverse, bien avant l’arrivée au pouvoir de Kadhafi et l’humiliante expulsion des Italiens de Libye.
      D’ailleurs, je me demande comment Gentile a vécu le soutien financier de Kadhafi à Agnelli et la FIAT quand il jouait à la Juve à la fin des 70es. Il devait connaître des personnes victimes de Mouammar. La presse de gauche avait fait ses gros titres de cette affaire de financement alors que sept ou huit ans plus tôt, Kadhafi venait de confisquer les biens des derniers Italiens de Libye.

      En finale, Gentile s’occupe de Kalle Rummenigge.

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  2. Pas tellement à décharge le portrait de ce boucher.
    A une certaine époque je voyais tous les Hercule, Maciste et autres peplums (comme on ignorait ce terme on disait films mythologiques, films d’Antiquité ou films de Romains), avec les body buildés Steve Reeves, Gordon Scott, Mark Forest et Reg Park (par ordre décroissanrt de talent). Reg Park dont le faciès bovin ne fut égalé puis dépassé que par Kevin Sorbo. Puis une certaine lassitude me gagna quand sorti « Maciste contre Zorro » (titre authentique), « Hercule en ski » et « Samson chez les nazis ».

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    1. Que les aficionados me pardonnent mais j’ai oublié de citer: Kirk Morris, Alan Steel, Mickey Hargitay (juste 2 peplums) qui fut « Monsieur Jayne Mansfield » et un certain Peter Lupus (Willy dans Mission impossible) sous le nom de Rock Stevens. Il y en eut bien d’autres mais je ne les connais point.

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    2. Samson chez les nazis, lol…….. Ca donne envie de voir ce (manifeste!) chef-d’oeuvre 🙂

      J’aime beaucoup cet article, Verano, pas du tout ma came mais Gentile 82 mérite bien une réhabilitation, oui.

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  3. J’ai lu récemment le So foot spécial Maradona, qui contient notamment une interview de Gentile. Celui-ci dit que malgré sa réputation de boucher, il n’a jamais blessé un joueur. Et Diego lui-même avait déclaré « si tous les défenseurs défendaient comme Gentile, je n’aurais jamais été blessé de ma vie ».

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  4. muchas gracias verano pour cette série qui finis en beauté et réhabilite quelque peu LE « méchant » de ce 82 (en tous cas dans mon esprit c’était un méchant dans le storytelling des matchs contre les Argentins et un peu moins contre les bresiliens)
    en même temps trop petit à cette époque pour me faire une vraie idée mais cette série est superbe, superbement écrit avec des photos magnifiques… merci encore

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    1. Gentile n’aurait jamais dû jouer plus d’une demi-heure contre l’Argentine, une télé italienne en avait fait la démonstration. Contre le Brésil et Zico, les fautes étaient un peu moins grossières. Sangsue, truqueur, ce sont les qualificatifs qui me viennent à l’esprit le concernant, et pas forcément boucher. Il y avait bien plus méchant à l’époque, Migueli par exemple.

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  5. Le maillot de la Squadra de 1982 était tellement stylé. Les Italiens ont toujours eu du goût concernant les maillots de l’équipe nationale. Et puis cette époque où les numéros des joueurs italiens étaient donnés par ordre alphabétique dans leurs positions respectives (défenseurs, milieux, ailiers puis attaquants) : https://en.wikipedia.org/wiki/1982_FIFA_World_Cup_squads#Italy

    Verano, si tu veux continuer ce genre de série sur d’autres coupes du monde, je suis preneur 😉

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      1. Uruguay 30, Brésil belote et rebelote, Mexique 2x.. Du latino, et rien que pour Fred Astaire.

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  6. Bota semble oublier que Fred Astaire aka Alfredo Puskás a vu les Brésiliens bien avant que les pintes de footix ne fussent nés: Santos 61 et Brésil 62.
    Qu’il a dans son ordinateur plus de 1200 titres soit 60 heures de chansons latino-américaines: Carlos Gardel, Jorge Negrete, Pedro Infante, Lucho Gatica, etc…

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    1. Tout fan de comédies musicales que tu sois, je suis archi-convaincu que tu es le plus sévèrement burné d’entre tous ici, bref : tu me dirais même que tu as trois millions d’années-lumières de chansons de GI Joe et de Goldorak chez toi, qu’éh bien je ne discuterais pas!

      Sinon, conseil ès comédies musicales? Pour moi c’est contre-nature mais j’essaie d’en voir une par an..et jamais déçu!

      A ce stade de mon très perfectible développement personnel, « Tous en scène » reste probablement mon préféré – certes ce n’est pas original mais, voilà : j’ai pas vu mieux je crois, suggestion bienvenue (NB : l’humour parfois bien trash des 50’s m’avait bluffé).

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  7. Je n’ai jamais vraiment aimé le style italien. En 1982, devant ma TV, je détestais tellement cette équipe pour avoir matraqué ainsi l’Argentine (laquelle, soit dite en passant, rendait généreusement les coups à défait de briller dans le jeu) et flingué le Brésil magique de Socrates et Falcão que j’étais pour la RFA en finale, trois jours après Séville. C’est tout dire.

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    1. 40 ans après la défaite, j’espère encore que le Brésil va l’emporter sur l’Italie, cf article sur Sarrià !
      Gentile ne correspond pas à mes goûts footballistiques mais c’est parce qu’il a le mauvais rôle qu’il m’intéresse. Les gentils, les types sans aspérités, que dire à leur propos ?

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      1. @verano donc Messi t’es indifférent merci merci et merci à toi? ha ha je plaisante et surtout je ne vais pas entrer dans le jeu des comparaisons avec Diego mais tu as tendu la perche^^

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      2. Autant j’admire le joueur, autant je n’ai rien à dire de lui. La seule fois où j’ai écrit le concernant, c’est quand il était en plein désarroi avec le Barça après les roustes subies contre le Bayern. Je l’avais comparé à Xerxès eh eh

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      3. Messi – Xerxès?

        Lol.. Faut le faire! 🙂

        Rien à voir avec Maradona (cette comparaison à la con / aux forceps), dont je n’ai jamais été fan quoiqu’évidemment estomaqué par son daimon (« talent » serait trop faible concernant le Diego), pour ma part jamais vu ni revu.. mais Messi je n’accrocherai jamais, c’est d’un plat………..

        Bref : pourquoi/comment Xerxès?

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      4. J’ai retrouvé, c’était en septembre 2020 quand Koeman tentait de relancer un Barça usé et que Messi trainait son spleen après le départ de Suárez.

        Il y a dans les débâcles récentes du Barça quelque chose des drames de la Grèce antique, une analogie avec les Guerres Médiques évoquées dans les récits d’Eschyle, notamment dans sa plus célèbre tragédie, « Les Perses ».

        Les échecs du FC Barcelone du monarque absolu Messi sont ceux de l’Empire de Xerxès face aux Grecs, la raclée subie face au Bayern étant un désastre historique, une version actuelle de la bataille de Salamine pour le tout puissant club catalan.

        Dans ce combat dantesque, le Barça a perdu bien plus qu’une Champion’s League. Le stratège Setién a été répudié, des officiers prestigieux sont tombés ou sont portés disparus comme El Guerrero Vidal et El Pistolero Suárez. D’autres vont devoir se soigner sans certitude de guérison totale à l’image des demi-dieux des grandes conquêtes d’autrefois, Busquets et Piqué. Et puis il y a ceux qui ont failli, ceux destinés à devenir les nouveaux héros et qui sont synonymes de désolation, Dembélé, Griezmann et quelques autres.

        Tel le roi Xerxès, Lionel Messi a survécu. Anéanti par sa dernière défaite et la perte de ses généraux les plus proches, souverain accablé, il est revenu dans son palais par obligation, dans une ambiance de fin de règne malgré l’affection de ses sujets qui refusent de le voir abdiquer.

        Dans le rôle du fantôme de Darius, sorte de père la rigueur, Koeman a tenté de lui faire comprendre que les excès de confiance du passé et les abus de pouvoir sont des poisons bien plus puissants que les ennemis traditionnels. Considéré comme un dieu alors qu’il n’en est que l’envoyé, son nom l’atteste, Messi a fini par se comporter comme tel, au risque de s’attirer les foudres célestes.

        Dans la tragédie d’Eschyle, le funeste présage de Darius annonce un nouveau malheur, et après Salamine, il faut craindre pour Xerxès-Messi qu’il ait à vivre une douloureuse réécriture de la défaite de Platées, ultime désillusion d’un empire devant panser ses plaies et ses bleus à l’âme dans son Camp Nou avant d’envisager de nouvelles conquêtes lointaines avec un nouveau roi, Fati ou un autre.

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      5. Darius avait raison, la défaite de Platées a bien eu lieu : 1-4 contre le PSG au Camp Nou en février 2021 😉

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      6. Bon.. Je t’ai déjà imaginé en Bryan Ferry, c’était trop flatteur disais-tu, je veux bien le croire..

        Mais ce que je viens de lire m’inspire une ultime question sur ton physique : t’es barbu?

        (je ne puis plus que t’imaginer avec une tête d’aède d’Epinal)

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      7. J’aurai bientôt un exemple de premier choix de gentil sans aspérités à vous proposer… patience, patience…

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      1. Merci ! Il y a très peu de photos de ce match en ligne, comme d’ailleurs de cette période des Bleus en général. J’aimerais bien en voir une du Baratelli de cette époque-là, après qu’il ait pris le numéro 1 dans la cage des Bleus suite à l’accident de Carnus et avant son passage à vide de 1978-81. Il y en a une de toute l’équipe lors d’un RFA-France amical de 1973 qui n’est pas trop mal. Pour le reste, comme c’est une uchronie, difficile de penser à une bonne illustration. Peut-être une de l’Argentine-France du 6 juin 1978 avec une légende uchronique ?

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