Trofeo Colombino, un été andalou

Colomb n’a décidément plus à la cote dans les rues de Huelva. Déjà plusieurs étés sans sa fameuse caravelle, objet d’art magnifique, Niña ou Pinta selon l’humeur, que le capitaine victorieux du Trofeo Colombino soulevait fièrement dans le ciel andalou. Pendant des décennies, l’Espagne accueillit avec faste les grands escadrons de ce monde, de La Corogne à Cadix, du Gamper au Bernabéu. C’était le moment idéal pour renouveler ses connaissances sur le foot hispanique et ses nouvelles recrues, pour voir en direct, et souvent la première fois, les légendes sud-américaines. Un rendez-vous indémodable, tradition familiale ancrée au retour de la plage, entre deux tranches de lomo grillé, juste avant la virée nocturne…

Et parmi ce défilé de festivités sportives, celles de Huelva occupaient une place à part, derrière les fameux Teresa Herrera ou Carranza. Le troisième grand d’Espagne, sans l’ombre d’un doute. Et toujours cette question lancinante. Qui s’adjugerait le précieux trophée ? 48 heures d’exposition médiatique sous un soleil de plomb, un retour à la lumière du Decano discret du foot espagnol…

Inviter les grands à souper…

En 1965, le Recreativo, doyen du foot espagnol, créé en 1889, n’a encore jamais connu l’élite. Il évolue depuis quelques saisons en deuxième division, son président, José Luis Martín Berrocal, organise un tournoi coïncidant avec les Fiestas Colombinas, célébrations annuelles commémorant la Gesta Decubridora de Colomb et son départ pour les Amériques. Soucieux de rassembler les pionniers latins, le Genoa est invité. Tandis que le Racing de Paris est présenté précipitamment comme le jumeau hexagonal du Recreativo. L’amical des glorieux anciens, tous descendus au second échelon, s’offre une virée océanique bienvenue, Huelva remporte l’édition inaugurale de son tournoi sur une grande victoire 5 à 1 face aux Racingmen.

Recreativo-Racing. A noter la présence d’Ahmed Oudjani chez les Parisiens

La popularité du Colombino ne cesse de croître d’année en année. On s’ouvre au monde, le FAR marocain de Driss Bamous et le Portuguesa brésilien sont conviés. La France n’est nullement négligée dans les sixties. Pourtant à la suite de pésimas actuaciones de Reims et de l’Olympique Lyonnais de Di Nallo, les organisateurs égareront malencontreusement les adresses françaises… La tour de Babel Huelva ne cesse de s’élever haut dans le ciel mais au niveau de l’océan, la caravelle casanière refuse de s’éloigner du port. Dans les lignes du palmarès, Collar le Colchonero ou Rogelio le Betico encerclent désormais chaleureusement le second trophée des anfitriónes

Vitoria Setubal 1967, avec Jacinto Joao

Et laisser les convives danser sur la table

A partir de l’année érotique de 1969, la mairie de Huelva, qui n’ose inscrire un Recreativo désormais en troisième division, ne jure plus que par le strass et ses paillettes. Pendant sept ans, le Decano est cruellement snobé dans sa propre maison mais que dire de la valeur des invités… Le São Paulo du bien nommé Picasso se joue de l’Anderlecht de Van Himst et Mulder et du Real d’Amancio, tandis que los Merengues inaugurent la décennie 1970 sur une brillante victoire face au Spartak Moscou. Le Colombino invitera d’ailleurs régulièrement des combinés soviétiques, preuve d’un réchauffement relatif des relations entre l’URSS et un pouvoir franquiste agonisant.

Les stars se succèdent du côté du quartier d’Isla Chica. Qu’elles viennent d’un Est triomphant comme Ferenc Bene, Petar Borota ou d’un David Kipiani qui éblouit le tournoi de son talent. Ou de l’autre rive de l’Atlantique comme les malheureux Fillol de River Plate ou Artime et Gerson de Fluminense. Le peuple onubense, sevré de ses héros et écarté des tables du buffet, se rabat bon gré mal gré sur les formations andalouses. On salue généreusement la victoire du Sevilla FC de Biri Biri en 1975, on se moque bruyamment d’un champion d’Europe bavarois humilié par le Betis 5 à 0 l’année précédente. Il se dit que les légendes du Bayern auraient sciemment saboté le match pour une histoire de primes…

La victoire du Dinamo Tbilisi en 1973

Retour en grâce

L’edition 1977 marque une époque. Le Recreativo retrouve enfin son tournoi ! Il ne disparaîtra plus de la programmation. Le groupe d’Eusebio Ríos se défait des Hongrois de l’Ujpest et du Honved. Une troisième caravelle, comme un avant-goût à la si ardemment désirée promotion dans l’élite quelques mois plus tard… La liste de talentueux ayant participé à l’événement serait longue et fastidieuse. Célébrons pour le plaisir la brillante prestation de Szarmarch avec le Stal Mielec, celle de Roberto Dinamite avec le Vasco da Gama. Sans oublier le but victorieux dans les arrêts de jeu de Bebeto en 1989 avec ce même Vasco.

Néanmoins, malgré les cucuruchos et l’atmosphère de farniente, le tournoi n’est pas exempt de polémiques. Clemente et Udo Lattek s’insulteront gaiement lors d’un Athletic-Barça annonciateur de retrouvailles musclées, le Forest de Nigel Clough distribuera quelques tacles bien sentis tandis que Rafa Gordillo poursuivra sur le terrain des Cariocas moqueurs pour les frapper avec des piquets de corner ! Dans cette effervescente décennie 1980, le Recreativo se souviendra longtemps de ces finales victorieuses face à City ou Benfica, il oubliera bien vite le revirement du gardien de Beveren, Jean-Marie Pfaff. Ce dernier, certainement redescendu des vapeurs des fêtes locales, considérant tout compte fait que le Decano n’était pas un club de son standing…

Flamengo en 1988

Une lente agonie

Les années 90 sont le chant du cygne des tournois estivaux espagnols, sans que l’on n’en mesure réellement le tournant à l’époque. Le Colombino attire toujours le public, quelques grandes écuries mais les étrangers se font plus rares, les formules plus radines. Par manque de moyens, les triangulaires sont désormais à la mode. On se délecte malgré tout des arabesques du vieux Schuster et de Futre, du duel entre Roberto Mancini et Cafu. On se demande comment l’organisation a réussi à unir les sélections meurtries chilienne et uruguayenne lors de l’édition 1992… Et dans le brouhaha des bodegas, on ne promet pas un grand avenir à la nonchalance d’un certain Van Nistelrooy après la piteuse prestation du PSV face aux locaux. La magie survit difficilement et n’opère désormais que chez les plus nostalgiques.

L’Athletic, sacré en 1999

Le nouveau millénaire ne fait qu’accentuer le phénomène. Les clubs étrangers se comptent sur le doigt d’une main et n’ont plus le brio de naguère. Les caisses sont vides, les géants de ce monde lorgnent désormais sur l’argenterie de l’Asie… Triste constat au moment précis où le Recreativo, équipe modeste par définition, vit sa plus belle génération. Nés trop tard, les Santí Cazorla ou Simana-Pongolle ne connaîtront pas ou si peu les grandes joutes du mois d’août. Abandonné aux mains d’un promoteur événementiel peu scrupuleux, repoussé à cause du covid, ni le club ni la mairie n’ont de nos jours le contrôle d’un tournoi qui n’a plus connu d’édition depuis 2019…

Pour les curieux, je mets un lien génial de Cuadernos de Fútbol sur le trophée Teresa Herrera. Bonne lecture !

16 réflexions sur « Trofeo Colombino, un été andalou »

    1. Merci Calcio. Je ne sais pas si c’était également le cas en Italie mais la plupart des villes de football espagnoles avaient leurs trophées. Trofeo Naranja de Valence par exemple, le Gamper ou le Bernabeu. Mais aussi les petits bleds comme la Linea de la Concepcion, dont le palmarès est vraiment intéressant.
      Une orgie de foot chaque soir dans un pays qui consacrait autant de temps sur la pretemporada du Real que pour les news sur l’International dans ces JT.

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  1. Merci Khia ! Le seul match que j’ai vu dans un stade en Espagne, c’était à l’occasion d’un tournoi d’été, le Trofeo festa d’Elx (Elche) dans les 80es. Le Barça de Lineker avait perdu contre les locaux dans une belle ambiance mélangeant vacanciers et supporters d’Elche.

    Preuve de l’importance de ces tournois dans les années 1970 où 1980, les compétitions sud américaines s’interrompaient certaines années durant le mois d’août, pour permettre aux clubs de faire des tournées en Europe et participer aux tournois d’été, notamment en Espagne. Avant la création de tous ces tournois, les Argentins, Uruguayens ou Brésiliens faisaient leurs tournées en décembre – janvier, à la fin de leur compétitions locales.

    Pour les Sudams, c’était l’occasion de remplir les caisses avec ces matchs, mais aussi de vendre quelques joueurs à des clubs européens en retard dans leur recrutement. Comme tu le mentionnes, les tournées estivales ont désormais lieu au Moyen-Orient, en Chine, ou aux États-Unis…

    PS : c’est quoi l’histoire de Pfaff ?

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    1. C’est juste une rumeur qui disait que Pfaff, alors joueur de Beveren, aurait été un temps sensible aux avances du Recre. En 79 lors de l’édition gagnée par le Stal Mielec de Szarmach. Un amour d’été quoi!

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      1. En 81 aussi, Huelva encore sur le coup, de tête il fut alors question qu’il y gagne plus de..100 (cent!) fois plus qu’en Belgique!!! (Beveren était/restait, à l’instar alors de 99% du spectre footballistique belge, fondamentalement amateuriste et désargenté ; sinon surtout à Anderlecht, à Bruges ou à moins d’être une vedette étrangère bénéficiant courant 70’s d’un régime fiscal privilégié : ça payait terriblement mal!)

        En 81 tout le monde voulut s’offrir le sous-payé Pfaff, ponts d’or à gogo : les millionnaires d’AZ et d’Anderlecht, Hambourg, le Bayern bien sûr, l’Espanyol il me semble, Feyenoord………. J’ai aussi Barca et Real en tête, à vérifier.. La liste des prétendants était complètement folle.

        Pas mal pour un type en qui à peu près personne en Belgique n’avait cru, qui sinon à l’Euro 80 n’avait guère eu l’occasion de crever l’écran à l’international.. ==> Je développerai quand ça ira mieux.

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      2. L’Espanyol avait préféré prendre Custers 😉
        Plus chevelu, moins bon et sans doute moins cher eh eh

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    2. Oui, les sud-américains célèbrent clairement leurs victoires dans leq différents trophées espagnols. Preuve de leurs importances.
      Je crois avoir deja vu un petit article concernant la victoire de l’AS Monaco, époque Hidalgo, au Teresa Herrera.
      D’ailleurs, je ne connais pas le lien entre Hidalgo et l’Espagne. Si vous avez des infos…

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      1. Père espagnol immigré en France. Son père travaillait dans les hauts fourneaux de Caen.

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  2. Tout relu, très cool, merci.

    Toujours étonné du nombre d’occurrences Espagne-Belgique par le passé, deux nations qui goûtaient à voir s’inviter leurs clubs.

    Le Bayern en..74, si je lis bien? 5-0 face au Betis? Ca me ramène à Pfaff : dès sa première saison au Bayern il rapporta ce genre d’histoires, l’obsession (de la majoration) des primes, tout était bon pour les obtenir, équipiers obsédés par le fric……et lui qui, au milieu de ces germaniques curées et magouilles, était constamment moqué pour sa naïveté, ses scrupules..

    Venant de Pfaff, lequel à l’époque monnayait le moindre centimètre carré de son équipement : je vous prie de croire que ça veut dire beaucoup!

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    1. Oui, c’était pour la 3ème place. Le Bayern avait perdu en demi-finale face à l’Ujpest et le vainqueur sera Feyenoord.
      Third place match [Aug 18]
      Real Betis 5-0 Bayern München
      [1-0 Anzarda 3´, 2-0 Anzarda 36´, 3-0 Anzarda 30´, 4-0 Alanbanda 44´,
      5-0 Anzarda 73´]
      Real Betis: Esnaola (Gª Fernández 45´); Cobo, Iglesias, Biosca, Telechía, López, Benítez,
      Alabanda, Rogelio (Olmedo 78´), Cardeñosa, Anzarda.
      B. München: Robl; Hansen, Beckenbaüer, Rohr, Schwarzenbeck (Jensen 25´), Roth
      (Dürnbenger 57´), Tortenson, Zober; Muller, Hoenness, Wunder.

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  3. Jeté un oeil sur les équipes alignées, d’édition en édition.. Anderlecht une équipe A’-B ; Standard et Beveren par contre c’est (quasi) l’équipe-type.

    Curieux car Anderlecht prenait normalement très à coeur ces tournois.

    Jamais la moindre équipe NL??? J’ai dû mal voir, ou bien..?

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