« C’était pas le titre du fric, c’était le titre de l’intelligence »

Il y a 44 ans, le RC Strasbourg devenait champion de France de première division. Une performance jamais rééditée que les Alsaciens doivent en grande partie à leur entraîneur de l’époque, Gilbert Gress.

Le 1er juin 1979, le RC Strasbourg a besoin d’un point sur la pelouse de l’Olympique Lyonnais pour devenir champion de France. Le FC Nantes et l’AS Saint-Etienne, respectivement deuxième et troisième au classement, maintiennent les Alsaciens sous pression jusqu’au dénouement de la saison. Mais le Racing l’emporte facilement à Gerland (3-0) et peut fêter son titre.

C’est une double victoire pour le club, relégué de première division trois ans plus tôt et revenu aussitôt dans l’élite du football français. A l’été 1977, les dirigeants strasbourgeois installent Gilbert Gress sur le banc de touche. Le jeune entraîneur, qui sort d’une expérience de deux ans à Neuchâtel, est bien connu du club. Surnommé l’Ange de la Meinau, il a été décisif lors de l’obtention des Coupes de France des Alsaciens, en 1964 et en 1966.

Mais s’il a été performant sur le terrain, c’est depuis le banc qu’il révolutionne le Racing. L’équipe de « Giless » développe un jeu presque inédit pour l’époque, en se basant sur le football total. Attaque ou défense, tous les joueurs participent aux actions de jeu. Et en phase offensive, les Alsaciens innovent un peu. « Ma consigne était de jouer sur la largeur du terrain, de faire des passes latérales et en retrait, expliquera Gress quelques années plus tard. Les joueurs avaient peur que l’on se fasse siffler avec ce jeu. Mais je m’y suis tenu et on a gagné. » Le RC Strasbourg monte sur le podium dès son retour en première division (troisième, tandis que l’AS Monaco, autre promu, est champion).

Un effectif stable et déjà performant

Pour la saison suivante, le président du club Alain Léopold, optimiste mais raisonnable, fixe le premier tiers du championnat comme objectif. Les Alsaciens se donnent toutefois les moyens de bien figurer et recrutent plusieurs joueurs importants. Parmi eux se trouve le milieu offensif international Roger Jouve, qui évolue à l’OGC Nice depuis 13 saisons et est passé tout près de garnir son armoire à trophée (vice-champion de France en 1968, 1973 et 1976, finaliste de la Coupe de France en 1978).

D’autres recrues signent cet été-là : Patrice Ottmann en qualité de deuxième gardien, l’attaquant tchadien Nabatingue Toko, le jeune défenseur Jacques Glassmann ainsi que le milieu de terrain Arsène Wenger. Mais l’ossature de l’effectif est déjà là depuis au moins une saison. Le rugueux défenseur Raymond Domenech et le milieu offensif Francis Piasecki sont venus renforcer les rangs alsaciens dès la remontée du club en D1. Le gardien Dominique Dropsy, le défenseur Léonard Specht ou encore l’attaquant Albert Gemmrich, qui figureront parmi les joueurs les plus utilisés de la saison, sont là depuis de nombreuses années. A ces titulaires s’ajoutent des joueurs de l’ombre comme Jacky Duguépéroux. Ils ont vécu la relégation en D2 et la remontée.

Et plus que la remontée, ils ont déjà joué ensemble lors de la saison 1977-1978, qu’ils ont finie en trombe : 11 matches sans défaite (sept victoires, quatre nuls) entre la mi-février et début mai 1978.

Un début de saison presque parfait

Si cette dynamique semble rompue lors de la préparation, les choses changent lorsque la compétition reprend ses droits. Avec sept victoires et trois matches nuls lors des 10 premières journées, les choses s’annoncent plutôt bien. 20 buts marqués, seulement cinq concédés… la stratégie de Gilbert Gress fonctionne à merveille.

Et le Racing poursuit sur sa lancée. Il porte sa série d’invincibilité à 28 rencontres consécutives (à cheval avec la saison précédente), ne perdant que lors de la 19e journée sur la pelouse du PSG (2-1). Entre-temps, le match contre Sochaux a été reporté pour cause de brouillard. Les Strasbourgeois sont leaders à mi-parcours, trois points devant l’AS Monaco et cinq devant l’AS Saint-Etienne. Le tout avec un match en moins. Deuxième attaque, meilleure défense, une seule défaite… tous les voyants sont au vert. La fin de l’année reste bonne et, après 24 journées, les Alsaciens peuvent être confiants à l’aube de l’année 1979.

Le titre de l’intelligence

La trêve hivernale n’a en rien entamé la forme du Racing. Toujours aussi impressionnants, les Strasbourgeois enchaînent cinq victoires et un match nul, avec en prime 11 buts marqués et seulement deux encaissés (parmi ces victoires se trouve le match en retard contre Sochaux) et ils ne flanchent à nouveau que lors de la 30e journée, sur la pelouse de Saint-Etienne.

Le sprint final est à l’image du reste de la saison. Malgré la forte pression du FC Nantes et de l’AS Saint-Etienne, qui revienne respectivement à un et deux points après la 34e journée, le Racing ne tremble pas au moment de conclure, finissant par deux larges victoires 3-0 (contre le PSG et donc à Lyon pour la dernière journée). Invaincu à domicile, meilleure équipe à l’extérieur, leader pendant 34 journées sur 38… Le titre est tout à fait mérité.

Les titulaires à Lyon pour décrocher le titre.

« C’était pas le titre du fric, c’était le titre de l’intelligence », affirmera Gilbert Gress des années plus tard. L’Ange de la Meinau ne se trompe pas lorsqu’il évoque « le plus beau jour de [sa] vie de sportif. » Tactiquement, le Racing est au point. Son football total lui permet de dominer physiquement ses adversaires, notamment grâce à une intense préparation en été et en hiver.

L’entraîneur force ses joueurs à travailler dur. Il est l’un des premiers à s’occuper de leur hygiène de vie et les responsabilise une fois sur le pré. « Chaque fois qu’un joueur touche le ballon, il doit devenir le patron. Il est d’ailleurs payé comme un PDG », explique-t-il. Le football total prôné par l’entraîneur se traduit par une statistique étonnante : le latéral droit Jean-Jacques Marx inscrit cinq buts en championnat, tandis que l’avant-centre Joël Tanter n’en plante que trois…

La saison est sublime sur presque tous les plans. Le stade de la Meinau enregistre la meilleure affluence du championnat et le Racing atteint les demi-finales de la Coupe de France (élimination contre l’AJ Auxerre, alors en D2, 0-0 et 2-2). Le club évolue aussi en Coupe de l’UEFA grâce à sa troisième place de la saison précédente. Il élimine les Suédois d’Elfsborg puis les Ecossais d’Hibernian, avant d’échouer contre les Allemands de Duisbourg (0-0 puis 0-4).

Des lendemains qui déchantent

La saison d’après est plus compliquée. Le Racing réalise une saison honnête en championnat (cinquième) mais loin des places européennes, malgré la présence en attaque de Carlos Bianchi, transfuge du PSG. Mais il découvre cette saison-là la Coupe d’Europe des clubs champions, où il atteint les quarts de finale. Mais il s’incline face à l’Ajax Amsterdam sur les mêmes scores qu’en C3 l’année précédente (0-0 puis 0-4).

En coulisses, les désaccords entre le nouveau président André Bord et Gilbert Gress sont tels que l’entraîneur est démis de ses fonctions à la fin de la saison. Les deux hommes se disputent la popularité des supporters et le dirigeant croit bien faire en démontrant son autorité. Le soir de la dernière journée, l’information du limogeage de « Giless » a filtré. Le public de la Meinau acclame son Ange et appelle Bord à la démission. Des échauffourées ont lieu, un incendie se déclare dans la tribune d’honneur. 5000 personnes s’inscrivent au comité de soutien de Gilbert Gress dès le lendemain.

« Un jour, je reviendrai », assène-t-il. Il le fait en 1991 et ramène le club en D1, mais la recette ne prend plus aussi bien et ses relations avec les joueurs sont tendues. Il repart en 1994 et revient en 2009, perd les deux premiers matches de la saison de Ligue 2 et quitte le Racing de manière définitive. Entre-temps, en 2000, les supporters alsaciens l’ont désigné entraîneur du siècle.

11

23 réflexions sur « « C’était pas le titre du fric, c’était le titre de l’intelligence » »

  1. J’aimais bien Joël Tanter dans cette équipe, un barbu. J’ai un vague souvenir de Racing Ajax en 1980. Il me semble que le commentateur (Cangioni ?) avait critiqué ses frappes lointaines et que juste après, une de ses pralines s’était écrasée sur la transversale.

    0
    0
      1. Ce n’était pas un avant-centre, il décrochait ou s’excentrait trop. Et quand Gress a un vrai 9, il essaye d’en faire ce qu’il n’est pas. Bianchi, c’était pas un as techniquement, un pur goleador !

        0
        0
  2. il était vraiment jeune Glassman,17 ans, c’était une allusion, une pique aux marseillais je présume ha ha
    ce titre du racing on peut le comparer un peu a celui de Montpellier en 2012 non? surtout qu’a l’époque ils finissent devant les 2 grosses armadas du championnat (on est dans la période des 5 ans sans défaites de Nantes à Saupin il me semble) de vraies machines de guerre en particulier a domicile!
    nous on jette nos derniers feux avant l’ instinction des lumières de l’hibernation et des fautes a répétitions

    2
    0
  3. Et Wenger en milieu…ça donnait quoi ? J ai le plus grand à me l imaginer…il y a des vidéos du rcs de l epoque ? Je pense ne jamais en avoir vu bien que ne en 80…suis plus un jeunot…

    2
    0
    1. De ce que j’ai lu, il n’a pas fait grand-chose cette saison-là (3 apparitions si ma mémoire est bonne). D’une manière générale il a peu joué à Strasbourg, donc je ne sais pas si on peut tirer des conclusions.

      0
      0
    2. Très juste sur Peretz. Kostedde aurait peut-être fait l’aller-retour tous les jours à Strasbourg, l’important était pour lui qu’il soit en Allemagne avec ses jeunes enfants qu’il ne voulait pas sortir du système scolaire allemand. Il serait venu se poser à Karlsruhe ou à Fribourg-en-Breisgau, c’était bon avec à peine une heure d’autobahn dans chaque sens. Je ne vais toutefois pas me plaindre de la tournure des événements : après Laval, il est venu au Werder où il a marqué 38 buts en 75 matchs, un digne prédécesseur de Rudi Völler.

      0
      0
  4. Déjà lu qu’on lui prêtait un logiciel-jeu qui, dans mes souvenirs, suggérait quelque « tiki-taka du pauvre » (ceci dit sans mépris aucun hein!!!, juste que les joueurs certainement, et vraisemblement aussi le degré de « perfection mécanique », n’étaient pas les mêmes), que ça ressemblait à du handball, vous voyez l’idée?…… Quelqu’un confirme (ou infirme, ou complète ou nuance, ou..)?? Lu aussi qu’il était un grand admirateur du Barca – de surcroît sous Guardiola..??

    Je ne le connais guère que pour son passage compliqué au FC Bruges, à certains égards annonciatrice de leur pire saison de ces 60 dernières années. Je n’en connais pas le moindre détail d’alcôve, mais l’impression qu’il n’y était pas forcément pour grand-chose. Et s’il y a du vrai (?) dans mon premier paragraphe : alors l’erreur de casting était évidente, Bruges est un club qui a la fougue et la recherche de la profondeur dans le sang! S’il voulut y imposer de cela : ça n’a pas dû plaire des masses aux supporters du coin..

    1
    0
      1. Je ne me souviens plus…quand il les remonte en d1, c est fin 80s ? Avec ce maillot blanc et bleu layette avec un mammouth dessus ? 😀 il me semble que l equipe tournait plutôt bien, un peu l epoque où certaines équipes de D2 paraissaient bien supérieures à celles de l echelon Supérieur (comme le sochaux de 88) et qui éclataient assez facile des équipes de D1 en coupe de france (j ai un vieux souvenir de matchs en aller retour)

        0
        0
  5. @khidia…

    Je me demande d ailleurs s ils ne font pas l ascenseur ou s ils n échouent en effet pas quelques fois en barrages, soit contre le 18ème de D1 ou entre les deux groupes de D2 de l epoque…

    L ol avait patienté aussi avant de remonter il me semble…

    0
    0
  6. Le Ray, sacré stade, et les palmiers tout proches :-)…dommage que je n y ai vu qu un match amical l ete…mais c était le grand milan qui était venu !!! Au moins rijkaard voire gullit de mémoire…

    0
    0

Laisser un commentaire