Au-delà de la carte postale…

Vous avez peut-être encore en mémoire le parcours de Madagascar à la CAN 2019. Les Baréa, les Zébus, avaient réalisé cette année là d’authentiques prouesses aux dépens du Nigeria et de la République démocratique du Congo pour accéder aux quarts de finale. Lors de leur participation inaugurale, s’il vous plaît ! Un résultat aussi étonnant qu’inespéré. Ils ne sont pourtant pas les premiers insulaires de l’Océan Indien à participer à la compétition. Cet honneur revient à un petit pays, disparu aussi brutalement des radars continentaux que son animal totem, le dodo : l’Île Maurice…

Maîtres de l’Océan

Introduit par les colons britanniques, au début du XXe siècle, le football à Maurice est une histoire d’appartenance culturelle. Ainsi, chaque communauté a, dès les prémices, « son » club attitré. Les Blancs fondent le Dodô Club en 1928, qui sera dominant jusqu’à l’indépendance 40 ans plus tard. Les Créoles se retrouvent sous la bannière de la Fire Brigade, les Indo-Mauriciens musulmans sous celle des Muslim Scouts tandis que les Hindous supportent le Hindu Cadets. Le championnat national débute officiellement en 1935 et le Club M, un des surnoms de sa sélection, dispute son premier match en 1947, face à la Réunion voisine. Entre 1947 et 1963, l’Île Maurice remporte à 10 reprises la Triangulaire des Jeux de l’Océan Indien, l’opposant à la Réunion et Madagascar, preuve d’une réelle mainmise sur le foot régional.

Muslim Scouts contre Police en 1950

Le pays, tout juste sorti du joug britannique, s’incline sans démériter en qualifications pour la CAN, face à la Tanzanie en 1968 et à la Zambie en 1970, malgré un nul encourageant à Lusaka à l’aller. Belles performances pour une population dépassant à peine les 800 000 membres à l’époque ! Lors des qualifications suivantes en 1972, l’île Maurice remporte enfin sa première rencontre en match officiel face à Madagascar, avant de déposer les armes au tour suivant face au Kenya. Un Kenya qui lui barrera également la route du Mondial allemand. A défaut de grandes phases finales, les Mauriciens s’entichent de ces jeunes hommes venus de tous horizons, se laissant doucement bercer par la virtuosité nonchalante d’un certain José Desvaux dont la légende raconte qu’il refusa des offres de Southampton et Lille pour ne pas avoir à changer de mode de vie.

Un technicien va permettre à la sélection de changer de dimension, Mohammed Anwar Elahee. L’ancien défenseur international, surnommé affectueusement Mamade, homme attentif et rassembleur, prend en main le groupe dès 1970 et réussit à construire un groupe soudé malgré ses nombreuses différences. Mamade, c’est la force du geste, la puissance des mots, une attitude rayonnante sur et en dehors du terrain qui impressionna si considérablement un observateur anglais qu’il n’hésita pas à qualifier la parole donnée par Elahee « d’aussi fiable que la Banque d’Angleterre ! » La sélection mauricienne débute les phases de qualification pour la CAN 1974 sur une immense victoire 5 à 1 à domicile sur le Lesotho, avant de faire tomber le mastodonte tanzanien lors d’une séance homérique de tirs aux buts. Mohammed Anwar Elahee est porté en triomphe par ses joueurs, naissent les Elahee Boys, l’Île Maurice verra les Pyramides…

Mohammed Anwar Elahee après le match face à la Tanzanie

Dépasser les Quatre-Bornes…

Un gabarit frêle et minuscule attend impatiemment l’exposition continentale, il s’agit de Daniel Imbert, dit Dany ou Ti Loto. Né en 1952 dans la commune des Quatre-Bornes, Imbert, alors étudiant au collège du St Esprit, est repéré par le Racing Club de Maurice, rival local du puissant Hindu Cadets. Homme petit, 1,60 m, mais excessivement rapide, il est remarqué jeune pour des démarrages fulgurants qui font sa renommée, comme le soulignera plus tard Michaël Glover, futur ministre de la Jeunesse et des Sports dans les années 1980. « À l’époque, il faisait de l’athlétisme. Il accumulait les victoires. En tant que professeur d’éducation physique, je l’ai beaucoup côtoyé avant même qu’il intègre l’équipe de foot du collège. Par la suite, je l’ai aidé à rejoindre l’équipe du Racing Club de Maurice. C’était un garçon exceptionnel, il était très doué et avait cette capacité d’exceller dans toutes les disciplines. »

Dany est l’attraction du championnat dans les années 1970, bien que le Racing Club de Maurice ne fasse pas réellement parti des ténors. Appelé en selection à 18 ans, Imbert compense son petit format par sa technicité, ses dribbles déroutants et une pointe de vitesse qui laisse la plupart du temps ses adversaires sans réaction. Adulé des foules, Ti Loto l’est tout autant pour la finesse de son jeu que pour son comportement exemplaire. « C’était un modèle pour les jeunes à l’époque. Il suscitait l’admiration et le respect. C’était un gentleman, tant sur le terrain qu’en dehors, quelqu’un de généreux et qui n’hésitait pas à nous conseiller. Dany fait partie de ces rares joueurs qui ne s’énervent jamais et ne disent même pas un gros mot sur le terrain », aime à raconter Christian Hitilambeau qui partagea le front de l’attaque du Racing avec Dany pendant de longues années.

Imbert à droite, pendant la CAN 1974

Couvé patiemment par Mamade Elahee, qui voyait en lui « un footballeur discipliné au talent incroyable », Imbert touche du doigt le rêve du professionnalisme lors d’un périple paternel. En 1969, à 17 ans, il accompagne son père infirmier lors d’un voyage d’étude de quelques mois en Angleterre, à Londres plus précisément. Ayant intégré rapidement l’équipe de son collège dans le quartier de Tottenham, il impressionne tellement son coach anglais que celui-ci obtient un essai avec les juniors de Chelsea ! Voilà donc notre Mauricien inconnu qui s’entraîne plusieurs fois à Stamford Bridge, pour le plus grand bonheur d’un staff Blues semble-t-il convaincu. Malheureusement pour lui, ses parents refuseront qu’il reste seul à l’étranger, il lui faudra attendre cinq ans pour retrouver un terrain d’expression digne de son talent…

Le phare d’Alexandrie

L’arrivée en Egypte

Placé dans un groupe B dense, le Club M dispute son premier match le 3 mars 1974 à Alexandrie devant des tribunes clairsemées, 5 000 spectateurs tout au plus. Une marche trop haute puisqu’ils s’inclinent deux buts à zéro face aux tenants du titre congolais du futur Ballon d’Or, Paul Moukila. Deux jours plus tard, l’équipe rencontre la Guinée, menée par la grande génération du Hafia Conakry. Nouvel échec, fêté cependant comme une victoire du côté de Port Louis grâce au but d’Imbert en fin de match, le premier du pays dans une grande compétition ! Le dernier match de phase est néanmoins douloureux, un 4-1 sec face aux futurs vainqueurs Zaïrois, Imbert profitant d’une défense apathique pour tromper le portier Kazadi. Malgré cette découverte du haut niveau compliquée, le sélectionneur Elahee se souvient « d’une expérience inoubliable » pour les Robert Espitalier-Noël, Raoul Maurel ou Reshad Mungly. Quant à Ti Loto, il a prouvé au continent son indéniable talent, il est le nouveau héros de la nation…

La sélection mauricienne, dépourvue du caractère d’Alain Perdreau, jeune retraité, tente en vain de se qualifier pour les Jeux olympiques de Montréal, elle ratera également le couronnement marocain de 1976. Le Racing Club de Maurice vit sa plus belle époque. Le trio Imbert, Christian Hitilambeau et la jeune promesse Ned Charles fait tourner en bourrique les défenses adverses, le Racing obtient son dernier titre en date en 1978. Les échecs s’accumulent pourtant en qualifications, Éthiopie, Maroc… Des foots africains qui tendent vers plus d’expertise, qui s’appuient de plus en plus sur l’expérience des quelques expatriés. Un rêve d’Europe qu’épousera finalement en premier Ned Charles plutôt que le vieux Dany, au Cercle de Bruges pour quelques apparitions. Mais ce dernier l’a-t-il véritablement désiré ?

On peut supposer que le monde de Dany se voulait sans contrainte ni révolution intérieure. A affronter les néophytes de Mayotte, des Seychelles ou des Comores dans ces frais Jeux des Îles de l’Océan Indien dont nous ignorons l’existence pour la plupart. A faire vaciller un temps l’Ethiopie en 1983, pour ses dernières capes, devant un stade George-V conquis d’avance. A se défaire des jalousies, des tacles assassins autant que des tapes amicales dans cette atmosphère insulaire cosy qui rassure autant qu’elle étouffe souvent… Les derniers tours de passe-passe d’Imbert coïncident avec la disparition des références communautaires pour les clubs, désormais proscrites sur l’Île afin d’apaiser les rancœurs. Une solution comme une autre… Seul demeure le mythe que je choisis de croire sur parole, sans image ni relève depuis 50 ans. Un doux souvenir qui n’appartient qu’aux vieux du coin. Et c’est très bien ainsi…

La dernière saison de Dany, debout, à gauche toute…
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30 réflexions sur « Au-delà de la carte postale… »

  1. Gracias amigo. Pas facile de commenter sans prononcer des banalités tant le sujet m’est inconnu (je suis allé en vacances à Maurice mais suis pas sûr que ça me donne quelque crédit, au contraire eh eh).
    Quelques mots sur l’extrait du match de la CAN 1974 :
    – alors que le match est une bouillie, une succession de pertes de balles et d’erreursn le commentateur, pudique, prononce ces mots « on n’est pas très technique en ce moment »
    – sympa d’entendre parler de Jonas Bahamboula dit Tostão !
    – aucun doute, Imbert avait de l’allure et une technique au dessus de la moyenne.

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  2. Merci les gars. Ça a l’air magnifique l’Ile Maurice. Je ne connais que la Réunion de ce côté. D’ailleurs mon seul passage en hémisphère sud. J’espère que Dip passera. Je sais qu’il a vecu dans le coin. A Madagascar, c’est certain mais je ne crois pas qu’il soit malgache.

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  3. Salut Khia,

    Comme le disait Bobby: sujet improbable! Autant te dire que j’y connais absolument rien en foot mauricien (et presque rien en foot malgache),en revanche je connais un peu les 2 pays.

    Mada pour y être né et y avoir habité 19 ans et Maurice pour l’avoir visité il y a 1 an et demi et bosser avec des mauriciens au quotidien. 2 coins de paradis en ce qui concerne la nature mais à mon sens Mada est encore plus beau (que ce soit la mer ou le reste, allez donc visiter Nosy Bé et ses petites îles environnantes un de ces 4).

    Les 2 pays sont peuplés de gens très accueillants et chaleureux qui ont le coeur sur la main, il s’agit de 2 îles géographiquement très proches mais un gouffre économique les sépare: Maurice (malgré les 30% d’inflation qu’ils ont pris dans la gueule depuis le Covid) n’a quasiment rien a nous envier en terme de confort de vie, on y trouve tout ce qu’on trouve ici avec le soleil et la mer en plus. De l’autre côté Mada c’est le tiers-monde, pauvreté (extrême), analphabétisme, insécurité, corruption…un PIB par habitant à 500$, tout est dit. Ce n’est certes pas la même taille et les mêmes difficultés de gouvernance: l’île Maurice, on y fait le tour des 4 coins de l’île en une journée, Mada est un pays continent à la taille de la France et du Benelux réunis mais ça n’explique pas tout. Le pays est gouverné par une classe politique des plus corrompues qui pense plus volontiers à la taille de son compte en Suisse qu’au bien être de son peuple…

    Merci pour l’article Khia.

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  4. « pour les malgaches, le stéréotype des mauriciens est qu’ils sont un peu prétentieux »
    Possible, néanmoins je suspecte un peu de jalousie derrière ce stéréotype. Je connais des malgaches bien prétentieux aussi et quasi tous sont très fiers.
    Dans ma boîte, on bosse également avec des malgaches depuis bientôt 2 ans (en délégation d’activité sous le management direct de… mauriciens :D), ce que je peux affirmer c’est que le mauricien est généralement plus nonchalant au boulot que le malgache (si on devait tomber dans un cliché).

    « les noms malgaches peuvent être très longs »
    Ce n’est pas une généralité, les merina de Tana et de ses environnants ont souvent des noms très longs, sur les côtes (dans le nord d’où je viens ou dans le sud) c’est moins le cas. Effectivement, Tamatave ou Majunga qui sont des villes côtières qui restent sous « influence » des hauts plateaux ont également une population avec des gens qui ont des noms « très longs »

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  5. « Club M », pour désigner la sélection mauricienne, sonne « bon » (jamais été tenté par le Club Med) les Bronzés. Un surnom involontairement idoine, vu l’image de carte postale que traîne le pays.

    Concernant Desvaux, cet article lui prête aussi l’intérêt de Tottenham : https://lexpress.mu/article/jos%C3%A9-desvaux-sen-est-all%C3%A9

    Je n’ai aucune raison d’en douter, or ça vaut le coup de préciser que c’était un super Tottenham à l’époque. Et je crois deviner à quoi pouvait ressembler cet « hélicoptère », mais..??

    Vu des photos de cet âge d’or, les 20.000 supporters sont manifestes, stades pleins.. On peut comprendre l’amertume de cet article que j’évoquais, 187 spectateurs à peine pour un match au sommet, il y a 20 ans..

    Le reste de ton article : je ne sais si c’est là le fruit de quelque tempérament local dominant, ou celui de ton style, mais tout cela est empreint d’une infinie douceur.

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      1. Première fois que j’en entends parler, encore un truc donc que tu me fais découvrir!

        Je lis ici qu’Anderlecht le testa mais trop frêle, qu’il poursuivit ses études durant son contrat au Cercle, et que finalement il resta en Belgique : https://lexpress.mu/article/323898/ned-charles-sinspirer-lajax-amsterdam-pour-relancer-football-mauricien

        Apparemment le foot mauricien ne s’est en rien redressé depuis 20 ans ; ces années que tu as abordées auront été un one-shot on dirait.. De-ci de-là, on pressent certain douceur de vivre peu compatible avec les exigences technocratiques du football contemporain..et je ne leur souhaite pas de se faire violence, parfois il n’est pas plus mal que cela reste un jeu, à dimension humaine.

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      2. Ah oui, il est bon cet article. Quand c’est bon il faut le dire, dommage que cet auteur (et l’un ou l’autre) n’en aient écrits davantage sur ce site. Eclairant.

        Foot hautement communautarisé, bbrrrr…. Pas vraiment ma came, c’est tendre le bâton aux pires instrumentalisations, ça.

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      3. Chouette article. J’apprends que Charles a joué au Puy également.

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      4. « Ned Charles: « S’inspirer de l’Ajax Amsterdam pour relancer le football mauricien» »
        Il veut institutionnaliser le dopage, c’est ça ?

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      5. Le dopage, tout de suite, comme tu y vas……. On dirait l’autre con, là, le Bota-machin.. 😉

        Le système-Ajax, derrière les jolis slogans que ce gentleman certainement bien intentionné reprend à son compte (et, l’espère-t-il, pour l’ensemble du foot mauricien), c’est au fond un truc extrêmement utilitariste, fondé sur la science (dont une dimension transhumaniste ==> ..doping) et des méthodes tirées de la gestion d’entreprise. Et le reste est du story-telling, de la com’.

        Ca me rappelle quand le Bayern (je crois que c’était le Bayern) se proposait d’investir dans le foot éthiopien, de sorte de l’enrichir avec son know-how………… Le truc qui m’avait fait bondir!, d’autant que plupart des « suiveurs » qui en disaient « oui-oui, formidable-gnagnagna » trouvaient le mariage d’autant plus logique que, tout le monde le sait et ça va sans dire, l’Ethiopien est évidemment un type qui adore courir, je rêve……..

        Moi, à chaque fois que j’ai vu du football éthiopien : c’était des grands échalas qui pratiquaient un football très suave et très..lent, marqué par un goût prononcé du beau geste, de l’esquive…….. L’impression d’avoir 11 Didi sur pelouse!

        Autant dire que « enrichir » ce football n’était probablement pas le mot le plus opportun ; plutôt « trahir », « rationnaliser », « éradiquer »??

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      6. Et je ne suis pas certain qu’Ajax soit le meilleur modèle qui soit, pour un football déjà aux prises avec de sacrées tensions communautaires, dirait-on bien.. Car derrière le vernis, Ajax, en l’espèce, euh..??

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      7. Il parle aussi d’un Willy Vincent qui etait du groupe d’Antwerp en 93, lors de leur finale face à Parme.

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      8. Ah, lui le nom me disait bien quelque chose, ça oui.

        Je lis qu’il s’est marié et installé en Belgique, deux enfants.. Pour moi qui eus l’occasion de vivre sur l’île Maurice, et qui regrette aujourd’hui encore de ne pas l’avoir fait : le choix de vie de ces types est incompréhensible 🙂

        Bon.. Faut voir ce qu’ils y ont connu, aussi..??

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      9. Lol, en parlant des projets bavarois en Afrique.. : c’est quoi, ce « Afrikanische Qualität »……….??? 🙂 (entraperçu en essayant, désespérément, de travailler ma note SEO)

        Ne me dis rien, je veux garder la surprise intacte..mais quel titre!

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