Et au fait, on aime la vidéo ?

Tout supporter s’est un jour senti floué, désavantagé, voire même volé à la fin d’un match de son équipe favorite. Et bien souvent, le coupable est tout trouvé : l’arbitre, et ses décisions unilatérales. Avec 68,3% de décisions clairement erronées corrigées par le VAR (Video Assistant Referee) en 2018/12019 selon la DTA (direction technique de l’arbitrage), puis 74 et 75% lors des deux saisons suivantes, nombre d’erreurs manifestes ont été corrigées et l’équité sportive a été sauvée à maintes reprises. Avec le VAR, Lyon se serait qualifié en demi-finale de la ligue des champions 2004-2005 sur un penalty de Nilmar, et Harald Schumacher n’aurait pas terminé France-Allemagne 1982 ! Pour le bien du beau football, probablement…

Tout d’abord, penchons-nous sur les termes de la question. Mis en place en Ligue 1 lors de la saison 2018/2019, le VAR a pour mission de permettre de corriger les erreurs manifestes lors de quatre situations prédéfinies : validation d’un but, décision de siffler un penalty, sanction d’un carton rouge, ainsi que pour vérifier l’identité d’un joueur. Les autres faits de jeu : sorties en touches, crocs en jambes ou tirages de maillots en tout endroit du terrain à l’exception de la surface de réparation, en sont donc exclus, relégués au rang de décisions secondaires.

Sauf, bien entendu, s’ils se déroulent lors d’une APP (Attacking Potentiel Phase) : soit le temps de jeu se déroulant avant un but potentiel. Cet espace-temps prend alors une valeur inouïe et va être revu, épluché, décortiqué et analysé par l’équipe d’arbitres présents dans le car. L’ensemble de la phase de jeu est alors étudié, et les arbitres vidéos ont le devoir d’appeler l’arbitre central si un fait de jeu litigieux est survenu. Or il doit s’agir d’une erreur manifeste, c’est-à-dire que l’équipe dans le car juge que cela ne peut être une interprétation de l’arbitre : il n’a probablement pas vu ou pas bien.

Et c’est là, justement, que le piège se referme. C’est précisément dans cet espace-temps que se cache le diable et ses détails… la faiblesse de l’avis humain enraye la belle machine « VAR ». Comprenons-nous bien : s’il s’agit du pied d’un gardien de but qui ne se situe pas parfaitement sur la ligne de but lors d’un coup de pied de réparation (penalty), alors pas d’interprétation possible et le tir au but est à tirer une nouvelle fois en cas d’arrêt du gardien. Mais lorsqu’il s’agit d’un bras posé sur l’épaule d’un adversaire lors d’un duel, avant que ce dernier ne chute ? Les ennuis commencent…

Si le re-visionnage permet d’éliminer certaines erreurs (souvent grâce à tel ou tel angle de caméra qui permet de juger du mieux possible), certaines situations se refusent toujours à l’unanimité tant recherchée. En tant qu’arbitre, je me souviens encore du flou créé par l’analyse rigoureuse, avec d’autres confrères arbitres, des critères qui permettent de faire la différence entre un tacle à jaune et un tacle à rouge. Le formateur avait clos la discussion en nous transmettant son astuce : si tu as le cœur qui se soulève sur un contact : c’est rouge direct ! Pas de « sur-analyse » ! Pour le reste, c’est carton jaune.

Mais comment transposer ce conseil pour l’analyse vidéo ? Lors de celle-ci, l’action se déroule au ralenti, plusieurs fois, selon différents angles… L’analyse rigoureuse des critères imposés par la DTA a-t-elle forcément plus de valeur que le ressenti immédiat d’un homme placé au cœur de l’action ? Exemple avec la situation du hors-jeu. L’irruption de la technologie dans le football ne permet plus de laisser partir l’attaquant lorsque l’étroitesse de la marge (quelques centimètres à la vidéo en général) instille le doute. Le révélateur de hors-jeu permis par les lignes tracées à l’écran, mais surtout par l’analyse zélée de celles-ci, signe peu à peu le glas de cette race de buteur à part : celle qui est « née hors-jeu ». Cet apport de la technologie aurait probablement envoyé Filippo Inzaghi faire carrière en Série B. Fort heureusement, au nom de la fluidité et de la spontanéité du jeu le VAR reste pour l’heure cantonné aux faits de jeu dits essentiels.

Mais pourra-t-on tolérer qu’une finale de ligue des champions soit entachée de nombreux faits de jeu discutables alors que le VAR est là, si proche, prêt à rendre la justice ? Dès lors, est-il possible d’imaginer à terme des limites à l’utilisation du VAR et de la technologie ? Ce pourrait être plus de caméras pour de meilleurs angles ? Un drone pour une analyse plus fine du hors-jeu et des sorties du terrain de la sphère ? Pourra-t-on résister longtemps à la tentation de vérifier les corners et les coups francs qui aboutissent parfois à un but (modifiant par là-même la règle actuelle qui empêche de revenir plus loin que le dernier arrêt de jeu ? L’utilisation du VAR reste pour l’heure limitée aux actions dites décisives, mais il est probable que le champ d’application soit rediscuté dans un futur proche, probablement vers l’élargissement de celui-ci.

Etrangement en revanche, pas de retour de la DTA concernant la diminution du nombre de polémiques, de cartons pour contestations, ou d’attitudes irrespectueuses observées sur les terrains de Ligue 1. Le VAR a pourtant été instauré suite à une demande grandissante du milieu du football en faveur de plus de justice sportive…

Nombre d’acteurs du football tiennent pourtant un bouc émissaire idéal avec l’arrivée du VAR. Ce dernier a même parfois remplacé l’arbitre au cœur de la polémique. Pêle-mêle : le VAR aurait dû intervenir, le VAR aurait dû remonter plus loin sur l’action, le VAR aurait dû avoir un meilleur angle de vue… Délectons-nous donc de cette saillie de Jean Michel Aulas après Lyon-Montpellier : « Je m’interdis de commenter directement les consignes données par la DTA mais comment ne pas siffler penalty sur Maxence, et plus grave encore le rouge sur Sinaly qu’il faudra analyser en commission ! Il semble que les arbitres soient bons et que ce soit le VAR qui ne corrige pas quand il le devrait. Pourquoi ? » Situation résumée d’une autre manière par Romain Thomas en interview d’après match : « mettre des millions dans un truc qu’on ne sait même pas utiliser… »

Et quand l’utilisation de l’objet ne laisse pas à désirer, c’est l’homme derrière l’écran qui est directement mis en cause. Exemple flagrant avec le match Chelsea-Tottenham du 20 août 2022, à la fin duquel Mike Dean reconnait son erreur… derrière l’écran. Maudit humain…

Voilà ce qui arrive quand le devoir de certitude lié à l’image de la technologie se heurte à l’ambivalence et à la non binarité des actions d’un match de football. Malgré la diminution indiscutable du nombre d’erreurs manifestes, il ne semble pas que le nombre de contestations durant les matchs ou les remises en cause après les matchs diminuent. Ce qui était pourtant l’objectif affiché. Trop de cartons rouges, trop de fautes sifflées, des mains non sifflées, des mains sifflées… les griefs contre les hommes en noir ne manquent pas. La dernière tendance serait même d’équiper l’arbitre d’un micro pour diffuser au grand public les échanges du corps arbitral durant le match.

Mais ne se tromperait-on pas de problème ? Pourquoi, au juste, faudrait-il plus de justice et d’équité dans le football ? Le sport serait-il un espace dont la frustration doit être bannie ? Est-il indispensable que le résultat du match soit toujours fidèle au sens du match, aux analyses statistiques ? Surtout, que serait le football sans ses erreurs d’arbitrage ? Qui se souvient de l’autre demi-finale de la ligue des champions 2009, celle qui n’est pas « a f… disgrace » ? Qui garde en mémoire autre chose que la main de Thierry Henry lors du barrage qualificatif pour la Coupe du monde 2010 ? Quel supporter monégasque n’a pas un petit sourire en coin lorsqu’il repense à la main d’Ibarra en 2004 ? Et oui, il y avait penalty sur Ravanelli ! Tout supporter marseillais qui se respecte en est probablement convaincu. Et le penalty sur Nilmar… Et Mr Foot… Et la main de Vata. Et l’attentat sur Battiston. Et la main de Dieu ! Sans parler d’Inzaghi à nouveau, qui n’aurait peut-être jamais été professionnel, au temps de l’analyse millimétrée des hors-jeu.

Ces erreurs manifestes d’arbitrage, ne laissant que peu place à l’interprétation, sont restés dans les mémoires, parfois plus que le vainqueur de la compétition. Et la raison est simple : c’est parce qu’elles nous ont procuré des émotions. Et finalement ne serait pas cela que l’on cherche, de l’émotion ? Davantage que la justice absolue et la chimère du zéro-erreur ? L’émotion brute, immédiate, spontanée passe maintenant au second plan, lorsqu’il faut se retenir de célébrer un but trop rapidement, contenir son plaisir encore quelques instants en regardant fébrilement l’homme au doigt sur l’oreille qui attend que le but passe à la moulinette de la techno-justice…

Plaçons-nous enfin du côté de l’esprit de la loi. La loi 11 par exemple, celle du hors-jeu, a-t-elle été mise en place pour que l’on vérifie au scanner et à la règle millimétrique la position du genou de l’ailier sur la remise ou pour éviter qu’un attaquant campe dans le camp adverse et ne joue à la « carotte » ? La formule « dans le doute je m’abstiens » n’a-t-elle pas plus de sens sur un terrain de sport que la nécessité de l’indiscutable vérité millimétrique ? L’obsession médiatique et financière de l’industrie du football ne semble plus supporter le moindre aléa lié au jugement humain, car ce dernier vient gêner la bonne marche du spectacle et menacer la certitude du résultat, rendue nécessaire par les investissements réalisés.

Le problème ne se situe-t-il pas plutôt dans la remise en cause permanente du jugement humain, qui se diffuse dans tous les milieux de suiveurs du ballon rond ? Du supporter rouge de colère au joueur qui vient contester tête contre tête avec l’arbitre, jusqu’au commentateur qui passe son match à remettre en cause de manière insidieuse la décision prise : « Ouuuuhhh je ne suis pas certain qu’il soit hors-jeu, on va vite revoir tout ça ! » 


Pour moi, la question est vite répondue : aux chiottes le VAR !

Vicdel’abbédeschamps pour Pinte de Foot

23 réflexions sur « Et au fait, on aime la vidéo ? »

  1. Je n’ai, pour le moment, lu que le titre. Mais le débat ne me semble pas de savoir si on aime ou pas l’assistance vidéo. Il n’y a pas vraiment le choix : à partir du moment où tu offres moult ralentis, « palettes » et autres « révélateurs » aux téléspectateurs, voire aux spectateurs dans le stade, tu ne peux pas laisser les arbitres ne pas s’en servir. Sinon, c’est les exposer à toujours plus de mépris et d’insultes.

    Le ver était dans le fruit lorsque la télé a commencé à imposer ses outils technologiques.

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  2. Pendant de longues années, j’ai été pro-vidéo, même si j’aimais lire les avis des anti, comme les Cahiers du foot par exemple. Je me disais « quelle bande de vieux schnoks, ils n’ont rien compris » etc…

    Puis j’ai vite déchanté, à la vue d’une recherche chimérique d’un football pur, immaculé de toute erreur, faute ou interprétation. On a voulu nous faire croire (ou on a voulu croire) qu’avec la VAR, il n’y aurait plus aucune contestation, que les choix arbitraux ne seraient plus contestés ni contestables. L’apogée d’une sorte de football robotisé, joué par des cyborgs et arbitré par des androïdes exempts du doute et de reproches.

    Y-avait-il pénalty pour l’Argentine et le Portugal lors de cette coupe du monde ? Est-ce que telle faute a commencé en dehors ou dans la surface ? Quel mouvement du théorème de Pythagore le bras à demi-décollé dans un angle de 34° a-t-il fait pour siffler ou non pénalty ?

    Je suis extrêmement déçu de la VAR.

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  3. J’étais résolument contre le VAR. N’étant que rarement dans le camp des vainqueurs, considérant que la victoire ne donne pas raison (au contraire, ça rend con eh eh), ça ne me gênait pas d’être lésé par des erreurs d’arbitrage profitant aux puissants, malins, pervers ou que sais-je. Bref, je pensais que cela allait tuer le jeu.

    En fait, ça ne le dénature pas. Bien sûr, cela change quelques petites choses comme l’attitude des arbitres, qui se sentent protégés par cette « bouée », ou le rythme des matchs en créant des arrêts de jeu. Mais l’essentiel est sauf : il existe encore suffisamment de faits soumis à interprétation pour que le sentiment d’injustice perdure (dernier Real -PSG par exemple, la Roma de l’an dernier systématiquement baisée par la VAR mais qui a trouvé le truc cette année pour totalement inverser la tendance…), éléments essentiels à la dramaturgie d’un match.

    Bref, je m’en branle de la VAR.

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    1. Moi j’étais résolument pour le VAR, et il ne m’a fallu qu’un maréchal (le premier, juste avant le coupé du monde 2018 de l’équipe de France, pour le rendre compte de l’absurdité d’un tel processus… ce n’est pas parce qu’il y a la vidéo que pour autant les arbitres ont uniformisé leurs décisions, et ça ce n’est pas négociable si on veut un arbitrage plus « juste ». Mais je ne pense vraiment pas que ce soit le but des instances…

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  4. Merci Vic!
    Plus que la VAR, qui finalement a juste déplacé les polémiques, c’est l’instauration des 5 changements que je trouve dégueulasse. Dans un foot de plus en plus déséquilibré, surtout au niveau club, c’est encore un avantage donné aux plus puissants. Comment lutter avec les effectifs de City ou du Bayern.

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      1. Sur ça, pas besoin de se voiler la face, à Séville Schumacher a clairement vu rouge…

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