Horst-Dieter Höttges, le pied de fer du Werder

Il est parti un 22 juin, à 79 ans, sans tapage ni effet d’annonce, à l’image d’une carrière exemplaire et d’une vie loin des feux de la rampe. C’était l’anniversaire de sa dernière sélection en équipe de RFA, en 1974, à l’occasion d’un duel historique perdu contre la RDA. Entré en jeu quelques minutes auparavant, il avait eu sa part de responsabilité sur le but de Sparwasser, mis dans le vent d’une habile touche de balle par le numéro 14 du FC Magdebourg. Ç’aura été l’une des rares taches dans un parcours de 18 ans qui l’a élevé de l’ère héroïque des amateurs jusqu’au sommet du football mondial. Avant Berti Vogts, avant “Katsche” Schwarzenbeck, défenseurs taillés dans le granit et emblématiques de leurs clubs, il y a eu Horst-Dieter Höttges, le “pied de fer” (Eisenfuß), attaché à son Werder Brême comme un chevalier à sa promise.

L’histoire commence sous les bombes alliées, en décembre 1943, dans une ville industrielle entre Düsseldorf et la frontière néerlandaise qui s’appelle encore München Gladbach(1). Rien à voir avec l’autre Munich, celui de BMW ou du Bayern : le nom n’est qu’une référence du patois local aux moines (Mönchen, en Hochdeutsch) établis là depuis l’an 974. On va se battre durement dans la région en 1945, comme en témoignent entre autres Chuck Yeager(2) et Pierre Clostermann(3), et l’après-guerre sera difficile. La famille s’établit un peu plus loin, à Hagen, dans la Ruhr laborieuse du miracle économique qui s’amorce. C’est là que le jeune Horst-Dieter prend sa première licence, au Blau-Weiß Dahl, avant que le hasard de la vie ne ramène les Höttges dans leur ville d’origine. Voilà le jeune homme calé à droite de la défense du Rheydter SV où il attire l’attention des recruteurs du grand club local, le Borussia München Gladbach. Nous sommes en 1960 ; ni le professionnalisme, ni la Bundesliga n’existent encore en RFA et il n’est pas question de vivre du football. Le haut niveau en Oberliga West, d’accord, mais il faut quand même apprendre un métier. Horst-Dieter passe donc son CAP de libraire, tout comme un Vogts ou un Schumacher deviennent à la même époque outilleur ou chaudronnier.

8 mai 1965 : Champion ? JAAAAAA ! (tout à g.)

Au moment où Höttges s’impose en équipe première au Borussia, en 1963, le professionnalisme vient de naître et le club vient d’être reversé en Regionalliga (D2) après avoir manqué la qualification pour la toute nouvelle Bundesliga. Höttges dispute une saison à ce niveau et passe pro à l’été 1964 en signant au Werder Brême. Ce sera un mariage pour la vie. L’année suivante, le Werder est sacré champion à la surprise générale avec une équipe d’anonymes, mélange de vieux routiers comme Sepp Piontek (futur entraîneur de la Danish Dynamite de l’Euro 84) ou le superbement nommé Wolfgang Bordel, de jeunes pousses comme Höttges, et d’un seul international, Heinz Steinmann. Le feu de paille ne durera pas mais le nouveau sélectionneur nationnal, Helmut Schön, est venu voir quelques matchs au Weserstadion et repart avec un nom dans son carnet. Un match en équipe de RFA B pour voir et voilà Höttges lancé dans le grand bain des A en mars 1965 contre l’Italie (1-1). Jusqu’à l’émergence de Berti Vogts au début des années 1970, il va faire du maillot numéro 2 de la Mannschaft son domaine réservé, comme il l’a déjà fait avec celui du Werder. Tout comme avec Vogts, on est loin avec Höttges du profil moderne du latéral offensif, joueur de couloir aussi apte à tacler qu’à centrer, à la manière d’un Breitner ou d’un Kaltz un peu plus tard. Malheur en revanche à l’attaquant qui vient tenter sa chance face à lui. Höttges a beau ne mesurer qu’1,76 m, il se révèle impitoyable en marquage individuel, limité techniquement mais toujours prêt à aller au duel et viril à la limite de la dureté – sans trop dépasser les bornes cependant : 13 cartons jaunes et un rouge seulement en 420 matchs de Bundesliga. Son surnom d’Eisenfuß ne doit rien au hasard.

À la lutte avec Gustav Jung, du Bayern, pendant la saison 1967-1968. Pas vraiment volé, ce surnom de « pied de fer »…

Avec la RFA (66 sélections, un but), il est de toutes les grandes batailles de sa génération. À la World Cup 1966 en Angleterre, il dispute tous les matchs sauf la demi-finale contre l’URSS après un mauvais coup reçu contre l’Uruguay dans un quart de finale façon Rollerball. En finale, il tient son vis-à-vis Martin Peters bien en main sauf en une occasion, sur un corner à la 77e minute où l’Anglais lui échappe pour inscrire le but du 2-1. Après un Euro 68 manqué suite à un invraisemblable match nul en Albanie, il est de la grande fête du football en 1970 au Mexique. Il dispute les trois matchs du premier tour et une mi-temps du célèbre quart de finale contre l’Angleterre avant de sortir sur blessure. Il ne sera sur la pelouse du stade Aztèque ni pour le “match du siècle” contre l’Italie, ni pour prendre la troisième place face à l’Uruguay. À l’Euro 72, c’est enfin la consécration : il est de toute la campagne de la RFA la plus joueuse de tous les temps, y compris l’extraordinaire victoire à Wembley en quart de finale aller (3-1) et la démonstration de force en finale face à l’URSS à Bruxelles (3-0). Deux ans plus tard, quand débute la Coupe du monde sur ses terres, il n’est plus que le remplaçant de Schwarzenbeck. On ne le verra sur le terrain que 22 minutes contre la RDA, y compris cette fatidique 77e (encore !) où Sparwasser lui brûle la politesse et entre dans l’éternité : suffisant toutefois pour ajouter la couronne mondiale à son tableau de chasse.

Aux premières loges, au centre, pour sentir passer le vent de l’histoire.

En club, sa fidélité de toujours au Werder le privera d’un palmarès conséquent. Il n’y aura guère qu’une deuxième place en 1968 et le curieux épisode de l’effondrement de la cage de but brêmoise au Bökelberg de Mönchengladbach, en avril 1971, pour trancher avec la grisaille du milieu de tableau dans laquelle le Werder reste englué. L’âge venant, et le poste d’arrière droit prenant un tour de plus en plus offensif, Höttges passe au début des années 1970 en défense centrale où sa rigueur sur l’homme continue de faire merveille. L’équipe flirte avec la relégation plus souvent qu’à son tour mais Höttges, chef de vestiaire incontesté, tient le mental de ses coéquipiers à bout de bras. “Tant que je jouerai, le Werder ne descendra pas !”, déclare-t-il un jour à la presse. La prophétie se révélera cruellement exacte : après la retraite professionnelle de Höttges en 1978 et 14 matchs avec la réserve amateur pour finir, le Werder descendra pour la première fois de son histoire en 1980. Avant cela, il y aura eu 420 matchs de Bundesliga (et 55 buts, dont 39 penalties) avec les Grün-Weißen, record du club pour un joueur de champ. Seule une autre légende du Werder, le gardien Dieter Burdenski, fera mieux avec 444 matchs. 

L’après-football ne sera pas rose pour cet homme taiseux, bourru, de plus en plus fermé sur lui-même à mesure que l’alcoolisme le ronge. La bataille sera finalement gagnée en 2017, en grande partie grâce au soutien de sa femme Inga et d’autres anciens du club, mais il sera trop tard : Alzheimer a déjà commencé ses ravages. Victime d’une grave chute à son domicile cette même année, Höttges n’a d’autre choix que le départ pour une maison de retraite médicalisée à Verden, non loin de Brême, où il s’éteint le 22 juin 2023. À la demande de sa famille, c’est son cher Werder qui annonce la nouvelle au public, le 3 juillet.

  1. Le changement officiel de nom en Mönchengladbach n’aura lieu qu’en 1975.
  2. Yeager: An Autobiography, par Chuck Yeager et Leo Janos, 1986 (non traduit en français).
  3. Pierre Clostermann, Le Grand Cirque, 1948.

23 réflexions sur « Horst-Dieter Höttges, le pied de fer du Werder »

      1. Ce sont aussi des incontournables, mais j’ai l’impression qu’un Schaaf a largement sa place sur le podium, figure complètement iconique.

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    1. Les légendes du club sont plutôt à trouver dans les grandes périodes, celles où le Werder a gagné des titres : Burdenski, Pezzey, Schaaf, Völler dans les années 80, Ailton, Pizarro, Fritz, Bordeaux dans les années 2000. Votava est arrivé vers la fin de sa carrière, si je me souviens bien, même s’il a laissé un bon souvenir. Il y a aussi Benno Möhlmann, jamais capé en A mais capitaine emblématique des années 1980 et icône du club à la Schaaf.

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  1. Je viens de voir que Sepp Piontek avait entraîné Haiti avant le Danemark. J’imagine que Jean-Claude Duvalier devait lui mettre une certaine pression, puisqu’il prend le relais d’Antoine Tassy qui avait qualifié le pays pour le Mondial 74. Baby Doc n’hésitait pas à intervenir.

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      1. J’hésitais à réagir à ta question, Khiadia, et pour cause : pas sûr de mon coup, ça date..et je n’ai rien retrouvé en attestant!

        Mais à l’époque, publication française datée de l’été 86, je me rappelle avoir lu que ce 2-0 (pas si souverain que ça, dans mes souvenirs) avait été présenté en substance comme « la revanche de Piontek », au fil d’une rétrospective de la WC mexicaine…………..or je n’ai jamais rien lu ensuite qui appuya/justifia cela… ==> Regard trop francocentré, genre « cet obscur ouest-allemand dame le pion à la nation qui ne lui donna pas sa chance »? Aucune idée.

        Pour le reste, « son » Danemark m’agace sur certains points. Style flamboyant, offensif.. : il y eut des moments d’anthologie, c’est vrai! Mais alors il y a toute une narrative autour de cette équipe………. Lors de ce 2-0 par exemple, la RFA (pourtant pas tout-à-fait dans son assiette) domine, et pas stérilement!, les plus larges séquences de la rencontre.

        Et puis le Danemark n’était pas avare de violence non plus : geste vicelard de Arnesen lors de cette rencontre (qui lui coûte de participer au 1/8èmes).. à l’Euro84, revoir aussi le geste de Jesper Olsen qui suscite le coup de boule d’Amoros (je donne pour ma part raison à Amoros!), et qui ne peut avoir d’autre but que de faire mal, blesser.. Même timing, mais ç’avait été donnant-donnant (avec côté belge un VanderEycken pas triste, lol..) : pas mal de vice aussi face aux Belges donc……… Ce n’était pas les anges que beaucoup en firent!!!

        Mais alors le pompon pour moi : tout le tralalas fait autour de Piontek.. Au Danemark cela fait volontiers autorité : le « danish-dynamite » (dit aussi « champagne-fodbold » – de quoi mettre la puce à l’oreille) ne devait rien à Piontek (son apport consista à professionnaliser le bazar – ce qui n’est déjà pas si mal), mais tout au libéro Morten Olsen, qui servit de pont culturel entre ce qu’il pratiquait en club avec Anderlecht..et ce qu’il adviendrait donc de son équipe nationale, à son instigation! : ce fut un copié-collé du jeu pratiqué par Anderlecht!

        Piontek en convint d’ailleurs (ou même son successeur Möller-Nielsen..selon qui le plus grand stratège de l’histoire du foot danois est..Morten Olsen), et au fond toute cette danish-mania tenait surtout des grandes sphères médiatiques classiques, genre mettre en avant une sensation du moment.. Dans les 70’s ç’avait été les Ajacides, à compter de mid-2010’s « la génération dorée blablabla »……… Dans les 80’s ce furent les Danois.

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      2. Alex. Oui, je posais la question parce qu’il me semble que la presse française présentait la victoire danoise comme une revanche pour Pontiek. Ce Danemark aurait mérité une finale à l’Euro 84. Arconada à été très grand sur cette partie…

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      3. Ah ben on en est au même stade là-dessus donc. A mon niveau et décidément : qu’est-ce que ça vaut? Il l’a peut-être exprimé d’une manière ou d’une autre, mais moi je n’ai jamais lu l’intéressé avancer cela.

        Certes il a fini par épouser une danoise, s’y installer, en a appris la langue, mais.. mais il y a plein de bonnes raisons pour faire cela, n’étaient la bouffe et la météo c’est un pays formidable, rétrospectivement c’est sans doute là aussi que je vivrais.

        Ce Danemark était une superbe équipe qui parmi d’autres eût çà et là mérité d’aller plus loin, c’est indéniable. Mais la narrative dominante qui en fut faite, hum.. Dans cette même publication (une rétrospective de « L’Equipe »?) où me semble avoir été question du désamour allemand de Piontek, le portrait fait d’un Jesper Olsen était par exemple d’un angélisme……… Ce n’étaient pas des anges pourtant, un Elkjaer-Larsen par exemple (que j’adorais!) usait et abusait régulièrement de la simulation pour gratter des penalties, bref : l’habituelle tambouille « romantique ».

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      4. Je l’ai revu il y a un mois 😉 , match du plus haut niveau en effet!

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      1. Ah oui, effectivement, un 2-0 bien propre pour le Danemark au premier tour qui reflétait bien la différence de niveau entre les deux équipes. (La peste soit de Butragueño qui nous a privés d’un possible Argentine-Danemark en demie qui aurait été grandiose !)

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      2. Ça lui réussissait bien le Mexique au Buitre. Il a quand même amené l’Atletico Celaya, qui est un club modeste, en finale du championnat.

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    1. J’étais déjà fort content que, euh, toi et/ou Lindo?? ayez pu me confirmer cette idylle contrainte par les contingences Est-Ouest, et que je ne connaissais guère que par un très succinct extrait de la presse sportive belge daté de 84, lequel s’attardait sans vraiment de détails chronologiques sur les tentatives désespérées (via un club finlandais appelé à jouer en Albanie, au sein duquel il essaya donc soudain de s’affilier) de Müller pour revoir sa belle, bref : jamais vraiment pu situer avec certitude les débuts de cette histoire (c’est que, de tête, il y eut plus d’un Albanie-RFA à l’époque).

      Peut-être qu’en fouillant dans mes lointaines notes sur le sujet??? Je peux regarder si je les retrouve, mais comme ça ça ne me dit (plus?) rien……….. Lindo sait peut-être, lui?

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