A la rencontre de Gérard, l’homme qui crie « assis ! » en tribunes

C’est l’un des plus grands phénomènes dans les tribunes de France et de Navarre : l’homme qui crie « assis ! » dès que quelqu’un se lève en tribune latérale. Qui est-il ? Quels sont ses réseaux ? La France doit-elle avoir peur ? La cellule investigation de P2F a rencontré Gérard, le cerveau d’un mouvement de très grande ampleur. 

C’est dans le bar PMU d’une sous-préfecture du Nord de la France qu’il nous a donné rendez-vous. Bob Cochonou sur la tête et demi de bière sur le zinc, Gérard est prêt à nous recevoir « à domicile », comme il nous l’indique avec un clin d’œil malicieux. « C’est ici que je prépare les matchs », explique-t-il. A domicile ou à l’extérieur, sa soirée commence par un verre dans son établissement favori en compagnie de ses plus anciens compagnons de tribune. « Mais la plupart d’entre eux ne vont plus au stade », explique-t-il. Pour lui, un tel abandon est inimaginable. « J’ai passé toute ma vie dans cette tribune. Je suis abonné depuis mes 15 ans. Rang 8, siège 17. C’est ma place. Je ne la quitterai pour rien au monde. »

La soixantaine bien tassée, Gérard ne se rappelle pas avoir raté un match. Quelle que soit la météo ou quels que soient les résultats de son club favori (que nous ne révélerons pas ici pour garantir son anonymat), notre supporter est à sa place. Et il compte bien profiter de la rencontre dans son intégralité, quitte à rappeler à l’ordre les trouble-fête des rangs alentours. 

« J’ai payé ma place, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas voir le match en entier », insiste-t-il. C’est pourquoi il lance ce cri qui l’a rendu célèbre. « Assis ! » hurle Gérard à pleins poumons dans le bar où nous discutons. « Je le fais bien, hein ? C’est des années de répétition qui m’ont permis de trouver le ton juste pour être efficace. » Car il s’agit d’être entendu du premier coup afin de ne pas s’égosiller inutilement. « Et puis, il faut qu’ils comprennent tout de suite qui est le patron, sinon je suis obligé de gueuler pendant tout le match. »

Nostalgie et inertie

Et quand on lui demande s’il ne pourrait pas se lever à son tour, comme ses voisins de tribune, Gérard est à deux doigts de recracher sa bière. Le sang lui monte à la tête et c’est avec force qu’il nous répond. « Les gens devraient avant tout avoir du respect pour leurs aînés. A mon âge, ce n’est pas à moi de m’adapter pour quelques énergumènes qui n’ont même pas vu Platoche sur les terrains ! »

L’ancien maître à jouer des Bleus est l’idole de Gérard, qui nous raconte son amour pour le football. « L’équipe de France c’était quelque chose dans les années 80. Le carré magique, tout ça… Maintenant le foot c’est du pognon et rien d’autre, avec des joueurs pourris-gâtés qui se roulent toujours par terre. A mon époque les footballeurs c’étaient des vrais bonhommes, pas comme maintenant. » Et quand on lui parle des équipes de France de 1998 et 2018, à peine grommelle-t-il sa satisfaction d’avoir deux étoiles sur le maillot « et d’avoir bien niqué ces couillons d’Anglais à la dernière Coupe du monde. »

Un réseau bien organisé

Retour aux tribunes. Lorsque nous faisons part à Gérard de notre stupéfaction de trouver un homme comme lui dans chacune des tribunes latérales de France, tous niveaux confondus, il retrouve son sourire malicieux. « On est bien organisés, hein ? » interroge-t-il en souriant à pleines dents. 

« On a des types dans chaque ville », explique-t-il. « Au fil des années, on a monté un réseau de types comme moi qui ne supportent pas de devoir se lever sans arrêt. » L’homme dont la fierté est d’avoir un jour arrêté une ola à lui tout seul va plus loin : « avec les matches de coupe d’Europe on s’est aperçus que d’autres gars étaient du même avis que nous à l’étranger. On n’a pas pu vérifier en détail parce que les clubs français ne jouent pas assez de matches de coupe d’Europe, mais le peu qu’on a vu nous a suffi. »

Avec l’aide de son gendre ingénieur en informatique, Gérard crée un forum international pour rassembler les hommes qui partagent sa passion pour le football et sa volonté de garder les fesses vissées sur son siège jusqu’au coup de sifflet final. « Enfin, faut pas croire, on se lève à la mi-temps pour aller pisser. Faut pas déconner non plus. » Grâce à ce forum, Gérard et ses camarades peuvent coordonner leurs actions. « Des fois on se retrouve à trois ou quatre dans le même secteur. Dans ce cas c’est du gâchis, ça veut dire qu’il y a au moins un ou deux secteurs qui bougent et ce n’est pas bon du tout. » D’où l’intérêt de bien organiser la répartition des hommes dans le stade.

« Nous ce qu’on veut, c’est assurer un contrôle complet des tribunes latérales pour pouvoir voir le match pépère. Rien de moins, rien de plus. » Selon celui qui reconnaît que son stade préféré est Louis-II (« pour l’ambiance, évidemment »), faire asseoir les autres personnes dans la tribune est son droit légitime. « Et puis ça fait moins de travail pour les stadiers, qui savent qu’ils auront moins de travail dans les secteurs qu’on contrôle. »

Et lorsque nous demandons à Gérard, qui arbore fièrement un badge « voisin vigilant » sur sa veste, s’il a encore des rêves dans le football, il nous répond : « faire taire les clappings et toutes ces conneries. Ça, ce serait le bonheur. »

13 réflexions sur « A la rencontre de Gérard, l’homme qui crie « assis ! » en tribunes »

    1. J’ai une vuvuzela depuis la CM 2010 et elle fait toujours son effet de temps en temps. Pour sonner l’heure du dîner à mes filles dans leurs chambres, portes closes, c’est absolument parfait.

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  1. Il y aurait de quoi si l’on évoquait les irréductibles de nos stades. J’en ai « connu » quelques uns ici, ils sont rentrés dans la légende.
    En tout cas, pas vu un seul Gérard ici, mais vu le spectacle proposé sur l’ensemble de la saison, il n’aurait pas eu crier beaucoup le bougre.

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      1. J’en ai quelques uns mais vraiment peu en 20 ans de « supporterisme », compte-tenu du faible palmarès du club et de ses maigres performances en saison ou en coupe.

        – Le titre de champion de D2 à l’issue de la saison 2002, où Courbis a embrassé la pelouse (son premier titre en tant qu’entraîneur il me semble !). C’était d’ailleurs la dernière saison avant le passage en en Ligue 1/Ligue 2.
        – Le fameux coup-franc de Juninho de +40m depuis le rond-central ou presque.
        – Il y avait eu cette 1/2 finale de CdF GFCA-OL en 2012, logiquement perdue par les gaziers mais où le stade était archi-comble (c’est assez rare pour le souligner).
        – Bien entendu, les performances acrobatiques de Mémo Ochoa sur sa ligne (avec notamment un 0-0 contre le PSG d’Ibra, Cavani et consorts). Le 1-1 au Parc où il avait sorti je-ne-sais-combien d’arrêts était la saison suivante de mémoire.
        – L’accession l’an dernier, fêtée avec le kop toulousain qui s’était déplacé.

        Il y en aurait d’autres mais voilà pour les principaux, c’est peu il faut bien l’avouer !

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      2. Ah, c’est le lot des clubs comme Ajaccio. Beaucoup de frustrations et d’un coup, un peu de magie.
        Ecoute, j’ai mis 35 ans à voir mon club gagner un trophée, mais quelle finale!
        Faut pas désespérer! Hehe
        Ochoa, c’était quand même un sacré coup. Vous en gardez quoi du passage de Mutu?

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      3. Mutu avait fait une saison plus que correcte compte tenue de son arrivée tardive (fin août, sans vraiment pas de préparation physique), mais même en mauvaise condition il était de loin le joueur le plus fin techniquement que j’ai pu voir jouer.

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      4. Mutu, il a envoyé quelques brillantes saisons à la Fiorentina. Le dernier gros talent roumain avec Chivu.

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    1. Je serais curieux de savoir à quel genre d’irréductibles tu penses.
      Ce qui m’a amusé avec cette histoire fictive, c’est que des types qui demandent aux gens de s’asseoir, il y en a vraiment partout, y compris à l’étranger.

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      1. Et oui, partout!

        Je me demande s’il ce profil est générationnellement fort marqué, à travers les pays?

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