Moteur… Action !

Moteur !

Les images sont entrées depuis longtemps dans la légende du football. Un joueur au physique de décathlonien, moulé dans un maillot bleu marine frappé d’un numéro 14 au graphisme inhabituel, s’offre une cabriole de victoire après avoir foudroyé le gardien adverse d’une mine sous la barre. “14 Sparwasser”, affiche sobrement la TV ouest-allemande. Nous sommes à Hambourg, le 22 juin 1974. RFA et RDA sont déjà qualifiées avant le coup d’envoi mais c’est le prestige national qui est en jeu pour les frères ennemis au moment de leur toute première rencontre, à la dernière journée du premier tour de la Coupe du Monde – un match que les péripéties de l’Histoire rendront unique pour l’éternité. On revoit tout ça, curseur calé à 0-0 et 77 minutes de jeu.

Action !

Au commencement est le regard. Jürgen Croy vient de capter avec autorité dans ses six mètres un coup de tête mollasson, devant Gerd Müller toujours à l’affût. Il fait quelques pas, ballon en main, pendant que son œil de premier attaquant cherche une ouverture sur sa droite, à l’opposé de là où est venue l’action. La relance du bras droit, à la manière d’une passe de handball, atterrit comme une fleur dans la course d’Erich Hamann 20 mètres plus loin. Ni vrai 8, ni vrai 10, celui-ci est un pur produit de ce football est-allemand où l’animation offensive repose sur le collectif plutôt qu’un véritable meneur de jeu. Entré en jeu quelques minutes plus tôt en remplacement de Harald Irmscher, il est à son poste sur le côté droit du 4-4-2 à plat que Georg Buschner a choisi pour contrer la RFA.

Le dernier quart d’heure a commencé, les organismes accusent le coup des deux côtés et des espaces se sont ouverts. Personne côté ouest-allemand ne vient attaquer Hamann qui remonte le terrain et franchit la ligne médiane pendant que les défenseurs de la Mannschaft se replacent. Beckenbauer est tout de même venu fermer la ligne d’une éventuelle balle vers l’une des deux pointes est-allemandes, Jürgen Sparwasser ou Martin Hoffmann. Hamann, de son côté, a laissé quelques mètres entre lui et la ligne de touche pour que le latéral droit Gerd Kische vienne prendre le couloir. C’est le seul rôle offensif assigné à la légende du Hansa Rostock (563 matchs en 18 saisons, excusez du peu) dans le système de Buschner, et Kische le remplit parfaitement cette fois aussi. D’un solide sprint de 40 mètres, il rejoint puis dépasse Hamann 10 mètres à l’intérieur du camp ouest-allemand. Voilà Beckenbauer avec deux voies d’attaque à couvrir seul ; il recule vers sa ligne de but pour gêner Kische tout en signalant du bras à Paul Breitner, pas revenu assez vite, de venir le prendre en charge. L’espace d’un instant, le Kaiser a laissé Hamann libre de passer en profondeur. Celui-ci a vu l’ouverture, Sparwasser aussi. Dynamo Dresde excepté, ce genre de situation est le pain quotidien de toutes les équipes d’Oberliga. Le milieu du Vorwärts Francfort-sur-l’Oder et l’attaquant du FC Magdebourg, tout récent vainqueur de la C2, ont à peine eu besoin de répéter à l’entraînement avant de se trouver les yeux fermés.

Dans l’axe, Sparwasser place une de ses accélérations de MiG-21 et vient prendre l’espace entre Berti Vogts et Horst-Dieter Höttges, le remplaçant de Schwarzenbeck blessé, à la limite de la surface. Quand la passe de Hamann, impeccable, arrive après un rebond, il la reçoit d’un contrôle de la poitrine dans la course qui dirige la balle en diagonale sur sa droite. Il suit celle-ci, semant ainsi Vogts et Höttges, et la prolonge d’une touche du pied droit au point de penalty pour mettre dans le vent Bernd Cullmann qui s’est imprudemment lancé pour soutenir ses coéquipiers. À moins de 10 mètres du but, on pourrait croire venu le moment de tirer. Pas pour ce numéro 14-là qui feinte la frappe et force Vogts, revenu à la désespérée, à s’engager, de même que Maier sorti au devant du danger. Le gardien à terre, le dernier défenseur fixé, il n’y a plus personne pour protéger le but. Au pas suivant, excentré aux six mètres, Sparwasser arme enfin et met toute sa force dans une sacoche du droit à laquelle mille photos confèrent instantanément l’immortalité. Aucun Allemand de l’Ouest n’a touché la balle entre les mains de Croy devant ses filets et celles de Maier au fond des siens.

15 secondes, quatre hommes, deux passes, un but. Toutes les courses, tous les gestes effectués sans défaut et synchronisés au millipoil. La même impression de perfection huilée qu’un pied à la planche en Mercedes à l’entrée sur l’autobahn. 250 km/h dans un cas, l’unique but d’une victoire historique dans l’autre, choisissez le flacon de votre ivresse. Côté ouest-allemand, beaucoup à redire entre l’absence complète de gegenpressing au départ de l’action, le replacement bizarre d’une défense qui avait largement le temps de le faire, et la naïveté de Cullmann sur la dernière touche de Sparwasser. Au moins cette humiliante défaite aura-t-elle provoqué une révolution interne – la fameuse “nuit de Malente” et la destitution effective d’Helmut Schön par Beckenbauer – grâce à laquelle la RFA trouvera le chemin de son deuxième titre mondial deux semaines plus tard.

24 réflexions sur « Moteur… Action ! »

  1. Merci Triple G. Les années 70 correspondent de Magdebourg correspondent également à leur première c1 en hand! Avec le fameux gardien Wieland Schmidt. J’ai vu hier qu’ils étaient bien partis pour atteindre le final four de la Champions League.

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    1. Curieusement, la génération du premier titre du Werder en 1965 dont fait partie Höttges a moins les faveurs des fans que celle des années 80. Peut-être est-ce dû au fait que 1965 a été sans lendemain alors que la génération 1982-90, celle de Burdenski, Völler et Reinders, a durablement installé le club au sommet. Du coup, les noms qui reviennent le plus souvent en défense sont Bruno Pezzey (coucou Guybrush), le Norvégien Rune Bratseth auquel il ne valait pas trop venir se frotter en défense centrale, et Thomas Schaaf qui, s’il n’a jamais connu l’équipe nationale, est l’incarnation absolue de l’ADN du Werder avec 17 saisons en pro et une carrière d’entraîneur très réussie.

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    1. Beckenbauer supplante Schöne..avant d’être bientôt poussé vers la sortie au Bayern, et par la petite porte encore bien, par les petites mains opportunistes des Hoeness & Co.

      Celui qui tue par le glaive..

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  2. RFA et Pays-Bas, même combat : des querelles intestines, des clans explicites, des histoires de primes qui polluèrent l’avant-tournoi, des entraîneurs çà et là déclassés (Schöne ne serait que le premier d’une série de sélectionneurs dépassés par les événements), des égos stimulés par le star-system et le merchandising galopants..

    Bref, des climats en rien sereins, et cependant : des sacres et/ou accessits à gogo.

    Bon.. Il est vrai que c’était aussi le must rayon doping, ça aide.

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    1. Je ne connaissais pas et les quelques planches vues en ligne me paraissent éminemment dignes d’intérêt – commande passée aujourd’hui. C’est ça aussi, la richesse des échanges sur P2F !

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