L’homme aux cinq Coupes du Monde

Parler d’Antonio Carbajal, c’est me replonger dans mes plus anciens souvenirs de lecture sportive. La découverte de Planicka, des Allemands défaits par la Suisse d’Alfred Bickel, Justo et ses 13 pralines… Et ce gardien mexicain moustachu aux cinq Coupes du Monde, Carbajal. Un record dont je ne saisis absolument pas la portée ni la difficulté du haut de mes neuf ans mais ayant la même nationalité que mon héros du moment, Hugo Sánchez, Carbajal attire forcément mon attention.

C’est le dentiste Sánchez qui me donnera envie de suivre la vie du Tricolor, qui me fera l’aimer malgré leur absence lors de la Coupe du monde 1990 pour avoir falsifié l’âge de ses juniors. Viendront les tenues colorées de Campos, le saut du crapaud de Blanco, la tête retournée sublime de Borgetti, laissant un Gigi Buffon sans réaction… Vibrer, les soutenir chaque quatre ans, y croire par moment et sombrer comme de coutume face à la malédiction des Octavos.

Foot de rue

Antonio Carbajal est né en 1929 à Mexico. A 14 ans à peine, il décide de quitter l’école, ce qui rend furieux son père qui le jette définitivement dehors ! Commence alors une vie de gamin des rues, entre petits boulots et parties improvisées sur la terre battue. Débutant en amateur au Club Oviedo, où ses coéquipiers lui prêtent régulièrement des chaussures pour jouer, Antonio oublie lors de ses rencontres un quotidien pénible, avant de courageusement repartir chercher de quoi survivre. Repéré par Julio César Maniche, l’entraîneur du Real Club España, Antonio rachète sa liberté au Club Oviedo et débute sa carrière dans l’élite. Nous sommes en 1948.

Ses débuts au Parque Asturias contre Marte sont laborieux. Lors de la première offensive adversaire, il relâche maladroitement le ballon dans son propre but. Son capitaine Laviada est sans concession. « Gamin, si tu ne te relèves pas de ça, tu ne seras jamais gardien de but. » Carbajal se ressaisit et réalise des prouesses en deuxième mi-temps. La Tota ne porte pas de gants de gardien. Ses mains, durcies par les balles épaisses et lourdes de l’époque, lui assurent un contact plus tranchant avec le ballon, malgré le fait d’avoir joué la majorité de sa carrière avec un annulaire cassé. Carbajal, qui côtoie un temps l’immense buteur Isidro Langara, participe aux Jeux Olympiques de Londres en 1948 et demeure au Real España jusqu’au moment où Franco exige la dislocation des équipes d’origine ibérique évoluant au Mexique.

Face au Brésil en 1950

Quand Carbajal débarque au Bresil en 1950, le Mexique n’a plus participé à la grande messe depuis 20 ans et l’édition inaugurale en Uruguay. Ah, Lucien Laurent qui se joue du portier Óscar Bonfiglio… Profitant de la mauvaise forme en matchs de préparation de Raúl Córdoba, Antonio débute en sélection sur la scène du tout jeune Maracanã. Et en prend quatre… Un résultat qui sera identique face à la Yougoslavie de Bobek, avant de perdre le tirage au sort des maillots rouges avec la Suisse de Jacques Fatton et devoir porter à la place le maillot rayé du modeste Cruzeiro de Porto Alegre ! Un épisode qui inspira les Français quelques décennies plus tard… 10 buts dans l’escarcelle, un baptême de l’air sans parachute pour le pauvre Antonio. Demeurera néanmoins le plaisir de partager les jeux de carte avec le Chamaco Casarin, l’incontestable star aztèque de l’époque.

Le Mexique sous la tunique du Cruzeiro de Porto Alegre

Entre temps, sous les couleurs des Esmeraldas de León et après avoir pris le relais d’Adalberto López, quintuple meilleur buteur du championnat, Carbajal remporte son premier titre de champion lors de la saison 1951-1952, aux côtés d’autres joueurs historiques tels que Battaglia et Saturnino Martínez, profitant d’un penalty raté par Chivas lors de la dernière journée. La Tota est à nouveau convoquée pour le Mondial 1954 mais une blessure lui fait rater le match face au Bresil. Son remplaçant Salvador Mota en prend cinq… Dans le deuxième match, contre la France, les Mexicains font une démonstration de solidarité. Menés au score, ils reviennent dans la partie grâce à Lamadrid, avant d’égaliser grâce au grand-père de Chicharito, Tomás Balcázar. Joie de courte durée malheureusement, Kopa inscrit un penalty en fin de match… Enorme frustration pour Carbajal qu’une énième supposée invitation de Bernabeú à rejoindre son club atténuera à peine.

France-Mexique 1954

Deux ans plus tard, Carbajal gagne son deuxième championnat local. C’est un gardien moderne qui n’hésite pas à sortir de sa surface pour secourir sa defense ou à plonger tête baissée dans les crampons adverses ! La Suède sera sa troisième convocation mondiale consécutive. Antonio est serein, son entraîneur à León, l’espagnol Antonio López Herranz, est devenu le sélectionneur. Il est en retour nommé capitaine. Le capitaine d’un rafiot puisque le Mexique s’incline 3 à 0 face à la bande de Kurt Hamrin ! Mais toutes les mauvaises choses ayant heureusement une fin, les Aztèques obtiennent leur premier nul de l’histoire dans la compétition face aux Gallois d’Ivor Allchurch, grâce à l’égalisation de Jaime Belmonte ! Naissent ainsi les Héros de Solna… La dernière défaite face à des Hongrois décimés par les événements de 1956 est anecdotique, le Mexique ne veut plus de son rôle d’éternel figurant…

Le gentil géant Charles de dos

Enfin récompensés…

Quatre en plus tard au Chili, le Mexique ajoute quelques grands joueurs à son bataillon. El Tigre Sepúlveda, Chava Reyes le buteur et Tubo Gómez, principalement venus du Chivas Campeonisimo qui domine la scène nationale. Carbajal réalise des arrêts solides qui frustrent la bande de Garrincha en première mi-temps, avant de céder devant la virtuosité d’O Rei. « Je suis toujours en colère quand des buts sont marqués contre moi, mais ça me réconforte de savoir que c’est Pelé, le plus grand, qui m’a eu » , aimait-il à raconter. Au match suivant, le Tricolor tient le nul jusqu’aux derniers instants et un poteau rentrant de Peiró qui fit quitter en pleurs Carbajal du stade. Leur revanche, ils l’auront face aux Tchécoslovaques, futur finalistes. Cueillis à froid dès la 13e seconde, les Mexicains se rebiffent et, sous l’impulsion de son grand défenseur Sepúlveda, obtiennent ce succès si longtemps désiré… Carbajal gagne enfin son premier match dans un Mondial à sa dixième tentative. Ce sera son unique triomphe…

León ne fait plus parti des cadors dans les années 1960 et Carbajal prévoit une retraite bien méritée, passé l’été 1966. Lors de son dernier match avec son club de toujours, la Tota réalise un match fantastique face à Toluca. Son entraîneur vient le congratuler. « J’ai toujours su que tu étais le meilleur. » Réponse élégante de Carbajal. « Et moi, j’ai toujours su que tu étais un fils de pute. » Il aura joué 16 ans avec les Esmeraldas.

Carbajal n’est plus le titulaire en sélection, El Cuate Calderón de Chivas étant devenu une évidence. Sa convocation ressemble plus à un hommage pour son immense carrière qu’autre chose, il est sur le banc face aux Anglais et lorsque Enrique Borja rendit fou la défense française. Pourtant, alors que la qualification est encore possible face à l’Uruguay, c’est son nom qui est coché par le sélectionneur. Il est donc le premier à fouler la pelouse d’un Mondial en cinq occasions. C’est également la seule fois où Carbajal tentera de porter des gants, sur les chaudes recommandations du gardien remplaçant de l’Angleterre. Sa première prise de balle est mauvaise à l’échauffement. « Reprends ta merde » lui ordonnera-t-il poliment. Sans gants mais pas sans aplomb, Carbajal ne cédera pas aux avancées timides des Charrúas, levant les bras au ciel au coup de sifflet final comme pour remercier Wembley de lui avoir offert une si belle porte de sortie…

Le dernier bal…

Carbajal décédé, c’est un bout de ma tendresse pour le foot mexicain qui disparaît. Le plaisir d’avoir partagé le Mexique-France 2010 avec un ami, fan de l’UNAM. Lui qui me disait avoir appris à faire du catch avec le curé de sa paroisse, du côté de Nezahualcóyotl. Un monde que j’espère découvrir un jour. A la santé de Jesús, Daniel et Miguelito. D’Hugo Sánchez et Antonio Carbajal évidemment…

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Avec León

20 réflexions sur « L’homme aux cinq Coupes du Monde »

  1. Superbe hommage, merci Khia.
    Dans les années 1950, il existe un Panamericano opposant les équipes d’Amsud à celles de la Concacaf. En 1956, le Mexique gagne le titre à domicile en devançant notamment une sélection argentine où évoluent Sívori, Maschio, Corbatta… Mais Carbajal est absent (le titulaire est Jaime Gómez), sais tu pourquoi ?

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  2. sympa ce petit article en voyant la news sur so foot je me suis dis qu’un article de ta part allez arriver rapidement ici j’avais pas tort^^, j’ai du découvrir Carbajal comme toi dans un bouquin retraçant les coupes du mondes avant celle de 86! l’image illustrative pour parler de lui et de ses 5 coupes du monde est contrairement à la tienne une sortie dans les pieds à terre^^
    il va rester longtemps le seul recordman avant qu’un allemand un peut tête de mule vienne le rejoindre sur la 1ere marche en 98.
    c’est quand même étonnant le nombre de fois où la France et le Mexique se sont croisés en coupe du monde (et toujours en poule) on doit pas être loin d’un record

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    1. Yep, merci. Sanchez aurait pu égaler ce record mais Hugo et le Mondial, c’est un rendez-vous manqué.
      Il est de la catastrophique Coupe du Monde en 78. Si Claudio Gentile passe par là, il nous parlera avec plaisir de la première victoire africaine de la Tunisie.
      Il rate le mondial espagnol. J’avais parlé dans mon texte sur les ratones verdes de l’echec en qualif 74 face à Haïti. Celui de 82 est encore pire puisqu’il y avait 2 qualifiés pour la confédération. Honduras et le Salvador de Magico passe devant le Mexique.
      En 86, le Mexique fait un beau tournoi mais Sanchez est décevant, ratant même un peno face au Gato Fernandez. Negrete, le défenseur de Chivas, Quiratre ou meme Luis Flores feront un bien meilleur tournoi que lui.
      L’expulsion des qualifs 90 alors que Sanchez est à son pic avec le record de 38 buts en Liga.
      Et un unique match en 94…

      Il a pour lui la finale de la Copa America en 1993

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      1. Y a des très bons joueurs qui ont une histoire tourmentée avec la coupe du monde. Je pense aussi à Ibrahimovic, Papin, Lewandowski, Etcheverry, Rooney…

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    2. Le Mexique n’a d’ailleurs pas beaucoup réussi aux Bleus. Passe encore pour la CM 1930 et un 4-1 sans problèmes. En 1954, les Bleus se voyaient plus beaux qu’ils ne l’étaient (comme quoi ça ne date pas d’hier…) et ont été éliminés malgré la difficile victoire 3-2 dont parle l’article. En 1966, rebelote et grosse déception en ouverture du premier tour (1-1). En 2010 (1-2), euh… Knysna, c’est à côté d’Alésia, n’est-ce pas ?

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  3. Racheter un contrat à 18-19 ans, sorti du bercail à 15.. Un autre monde, une adolescence réduite à l’essentiel.

    Ça me fait penser à Scifo.. Eut-il pu atteindre, lui aussi, la passe de 5? En 2000 son niveau en soi était encore supérieur à celui du capital-joueurs belge alors déliquescent, et il avait déjà entrepris à Anderlecht de redescendre dans le jeu, le rôle de 10 étant désormais dévolu au formidable mais contrarié Suédois Zetterberg.

    S’il n’y avait eu l’humiliation communautaire subie live en prélude et cours de wc98, ni surtout ses problèmes physiques rédhibitoires.. Je me rappelle qu’il était question de le faire jouer comme libero, la fenêtre était ouverte pour Scifo en 2002.

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      1. Je crois même que ce fut déjà envisagé dès mid-90’s en Belgique. Et c’était loin d’être idiot : relance, conservation du cuir, lecture du jeu..et l’un de ses (insoupçonnés) points forts, le jeu de tête!

        Dans un registre tout en anticipation et finesse, genre Belodedici peut-être, c’eût pu être remarquable.

        Matthaus eût-il glané une 5eme WC sans recyclage un cran plus bas? Bof..

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      2. Ah de la tête, je me souviens très bien de son but avec Auxerre où il vole au dessus d’Olmeta pour une victoire 4 à 0 face à Marseille!

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  4. Une autre époque, où le Mexique servait de punching ball lors de ses participations en coupe du monde. C’est pour cela qu’il détient le « record » du plus grand nombre de buts encaissés en coupe du monde : 25 en 11 matchs, à égalité avec le Saoudien Mohammed Al-Deayea.

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  5. « Carbajal décédé, c’est un bout de ma tendresse pour le foot mexicain qui disparaît. Le plaisir d’avoir partagé le Mexique-France 2010 avec un ami, fan de l’UNAM. Lui qui me disait avoir appris à faire du catch avec le curé de sa paroisse, du côté de Nezahualcóyotl. Un monde que j’espère découvrir un jour. A la santé de Jesús, Daniel et Miguelito. D’Hugo Sánchez et Antonio Carbajal évidemment… »

    C’est beau qu’est-ce tu dis

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  6. Magnifique Khia, merci!
    Cauthemoc Blanco acheté dans toutes mes parties de « Master League » sur PES, Jorge Campos aussi, que je repositionnait immédiatement attaquant… Les deux joueurs en version « réalité » bien sûr, le « coup du crapaud » et les crampons blancs du premier… les maillots multicolores du second, évidemment…
    La chevelerure blonde d’Hernandez (qui m’a toujours fait pensé à Caniggia (physiquement)), le maillot collector customisé aux symboles Maya et la Coupe du Monde 98…
    Le stress de voir l’Italie sortir après l’ouverture du score sur une tête de Borgetti, lors du troisième match de la phase de poule au mondial 2002…
    La « marque de fabrique » Rafa Márquez, véritable « monument maison » et même, maintenant: la deuxième carrière de Gignac…
    C’était « mon Mexique à moi »!

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    1. Hehe
      Comme Italie-Mexique, je pense au quart de 1970 qui redonna un peu d’entrain à la bande de Riva après un premier tour poussif.
      Et celui de 94. Aussi disputé que celui de 2002 avec un but de Bernal au physique à jouer les bandidos dans un western!
      D’ailleurs, ce groupe, les organisateurs pouvaient pas rêver mieux. Italie, Irlande, Mexique dans le meme groupe. Difficile de trouver communauté au USA plus emblématique que celles-ci!

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      1. Le classement de ce groupe en 1994 était vraiment improbable : les 4 équipes à égalité de points et une différence de but identique, départagées seulement par le nombre de buts inscrits.

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