La 33ème saison de la Première Ligue Russe se terminera cet après-midi et le Dynamo Moscou ne sera pas champion, une douloureuse routine qui dure depuis bientôt un demi-siècle pour tous les fans du club qui fut longtemps le plus titré de l’histoire soviétique. Si les plus terre à terre expliqueront cela par des équipes trop faibles ou une opposition mieux armée pour la lutte au titre, les plus mystiques rappelleront que les bleus et blancs sont maudits depuis 1979, quand Lidiya Sevidova prédit que le club de la police politique ne gagnerait plus jamais le championnat.
Lorsqu’on évoque les malédictions dans le sport, de nombreuses choses viennent en tête. Dans l’univers du football, c’est celle que Béla Guttmann aurait infligé au Benfica, à la suite de son départ en 1962, pour les cent années à venir qui reste la plus célèbre. Si cette malédiction semble être avant tout une création de journalistes, le club lisboète a néanmoins bien perdu huit finales de Coupe d’Europe depuis le départ du Hongrois…
Notre malédiction à nous est bien moins célèbre et débute avec un joueur, devenu entraîneur, finalement assez méconnu en dehors de l’Union soviétique.
Alexander Sevidov et le Dynamo Moscou
Alexander Sevidov n’est effectivement ni le joueur, ni le coach le plus célèbre de l’histoire soviétique. Né le 5 septembre 1921, le prometteur attaquant voit sa carrière s’achever brutalement en 1946 quand il se blesse gravement à la jambe. Incapable de reprendre sa carrière, il prend officiellement sa retraite en 1950.
Après avoir commencé sa seconde carrière dans des clubs de divisions inférieures, Sevidov prend la tête d’un club de l’élite, le Moldova Kichinev, aujourd’hui Zimbru Chișinău, qui se bat pour le maintien. Sous Sevidov, le Moldova réussit à se maintenir deux années de suite, le fils du coach, Youri, y faisant même ses débuts.
C’est en 1962, après une année à entraîner des jeunes, qu’il réussit enfin à s’insérer dans un projet à long terme en première division soviétique, en prenant la tête du Belarus, devenu Dinamo, Minsk. Malgré des bons résultats, il lui est reproché de trop s’appuyer sur des joueurs non-locaux, ce que les dirigeants biélorusses n’apprécient guère.
Viré en 1969 pour “approche fondamentalement erronée de la construction de l’équipe”, il fait une saison avec le Kaïrat Alma-Ata, faisant immédiatement remonter le club kazakh, avant de bénéficier d’une offre au Dynamo Kiev en 1971, qui commence à s’imposer comme un mastodonte national. En trois saisons, le Dynamo ne termine jamais en dessous de la deuxième place. Hélas, une défaite en finale de Coupe et de potentielles intrigues politiques mettent fin à son passage en Ukraine.

Après une année chez les jeunes, Alexander Sevidov est invité à rejoindre le Dynamo Moscou durant l’automne 1974.
Le Dynamo est alors le club soviétique le plus titré du pays, avec dix titres. Cependant, l’âge d’or est loin, la majorité des titres ayant été glanée durant l’époque stalinienne alors que le dernier championnat remporté date de 1963. Malgré deux places de dauphin, deux Coupes d’URSS et une finale de Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe en 1972, depuis le titre de 1963, le Dynamo Moscou n’est plus le club tout-puissant qu’il a été auparavant, la pression sur les épaules de Sevidov est donc grande.
Si la première saison du coach moscovite est déjà une réussite avec une troisième place en championnat, le onzième titre remporté l’année suivante le fait entrer dans la grande histoire des bleus et blancs. 1977 voit le Dynamo de Sevidov gagner une nouvelle Coupe d’URSS ainsi que la toute première Supercoupe. Si aucun trophée n’est rajouté à l’armoire en 1978, le parcours en Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe, où les Moscovites ne sont sortis en demi-finale qu’aux tirs aux buts par l’Austria Vienne, est vu comme un excellent résultat.
La mauvaise rencontre
La présaison 1979, qui se déroule aux Etats-Unis, est cruciale pour notre histoire.
Alors à Los Angeles, Sevidov croise une connaissance kiévienne, Semyon Katz, qui avait émigré d’URSS. Parti dîner avec lui, l’absence de l’entraîneur interpelle Anatoly Rodionov, manager du Dynamo, qui rédige un rapport à ce sujet aux autorités. Lors du retour en Union soviétique de l’équipe, le comportement de Sevidov crispe les dirigeants du Dynamo. Bien qu’il n’ait enfreint aucune loi, ce type de rencontres servait parfois de préambule à un départ définitif du pays. Par conséquent, Sevidov est démis de ses fonctions d’entraîneur principal avec comme justification « infraction au régime ».

Si un grand nombre de joueurs estime que cette sanction est injuste, c’est la femme d’Alexander Sevidov, Lidiya, qui prend ce renvoi le moins bien.
Lidiya Sevidova est connue pour être une femme à poigne, ne se privant pas de critiquer les joueurs de son mari ou de refuser d’inviter son fils à manger après que ce dernier ait marqué lors d’un match entre le Spartak, son club, et le Dinamo Minsk, entraîné par Alexander. C’est après avoir appris le renvoi de son mari que les mots les plus importants de l’histoire du Dynamo Moscou furent prononcés : “Que le Dynamo soit maudit, il ne sera plus jamais champion, puisqu’il a traité l’entraîneur principal de la sorte. »
La malédiction est née, Youri Sevidov confirmant plus tard que la phrase était véridique.
Alors, 49 ans après l’ultime titre de champion remporté par ce qui fut autrefois le plus grand club du plus grand pays du monde, cette malédiction est-elle sérieuse ? Le Dynamo a t-il perdu des titres qu’il aurait dû gagner, ou bien ceci n’est que foutaises et mysticismes d’un autre temps ?
Pour répondre à cette question, nous allons devoir avancer dans le temps et nous intéresser aux conclusions des saisons 1986 et 2024, cruelles pour les amoureux des Dinamiki.
1986, 2024, des malédictions autoréalisatrices ?
Après avoir à nouveau viré Alexander Sevidov, à la suite d’une défaite contre le modeste SKA Rostov, en début de saison 1985, le Dynamo abordait la saison 1986 avec peu d’espoirs. Les deux saisons précédentes furent catastrophiques, le club évitant de peu la relégation. L’arrivée d’Eduard Malofeev, alors sélectionneur de la Sbornaia, permit au club de jouer le titre à la surprise générale en 1986. Bien qu’à cinq points des Kiéviens à mi-saison, les Moscovites avaient réussis à revenir sur les hommes de Valeriy Lobanovskiy pour terminer six points devant eux. Enfin presque.

En effet, la finale de Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe et la Coupe du monde 1986, où les joueurs du Dynamo Kiev représentaient plus de la moitié de la sélection, firent reporter quatre rencontres après la fin du championnat. Parmi ses quatre matchs, les deux contre le Dynamo Moscou.
Les Kiéviens assurèrent logiquement à Leningrad et face au Shakhtar, le Dynamo Moscou avait donc toujours deux points d’avance sur leurs adversaires avant une double-confrontation décisive. Le 29 novembre 1986, le Dynamo Kiev prenait un point à Moscou. Quelle importance pouvait avoir un match nul dans cette configuration ?
Le championnat soviétique d’alors limitait le nombre de matchs nuls à dix par saison, dans le double objectif d’augmenter le nombre de buts et de limiter les matchs nuls truqués. A partir du onzième match nul, le point ne serait pas accordé. C’était précisément le onzième match nul des deux équipes mais les Ukrainiens bénéficièrent pourtant d’un point. Ce point de règlement précis n’affectait pas les équipes ayant au moins deux joueurs avec la sélection afin de compenser la perte d’éléments importants durant la Coupe du monde, ce qui ne s’appliqua qu’au Dynamo Kiev et Dnipro Dniepropetrovsk.
Cette étrange réglementation rendit ironiquement les calculs pour le dernier match de la saison très simple : Kiev devait l’emporter, tout autre résultat offrant le titre aux Moscovites. Menant 2-0 chez eux à la mi-temps, la réduction du score des visiteurs n’y changea rien et le sort en fut jeté, le Dynamo Kiev était champion, alors que Moscou échouait à remporter le titre, comme Lidiya Sevidova l’avait annoncé.

Avançons de 38 ans maintenant.
Nous sommes le 25 mai 2024, cela fait bien longtemps que l’URSS s’est effondrée et dans la Russie de l’inoxydable Vladimir Poutine, le Dynamo Moscou n’est qu’à 90 minutes d’un titre historique, son premier en 48 longues années.
Il est 16h30, heure de Moscou, et les Dinamiki jouent à Krasnodar quand, dans le même temps, le Zenit St Pétersbourg, quintuple champion en titre, reçoit Rostov. Le Dynamo possède 56 points, le Zenit 54 et Krasnodar 53. Un match nul suffit aux hommes du Tchèque Marcel Lička pour briser la malédiction.
17h30, le score est nul et vierge sur les deux pelouses, il ne reste que 45 minutes à tenir. Hélas, le Colombien Jhon Córdoba ouvre le score pour les Gorojanié à la 52ème minute, alors que quasiment en même temps dans l’ancienne capitale tsariste, Rostov joue un bien mauvais tour au Zenit en marquant également. Le Zenit égalise dix minutes plus tard mais pour l’instant, c’est Krasnodar qui remporte son premier titre.
Les bleus et blancs ne lâchent pas et Krasnodar est sauvé par deux fois par son montant à la 80ème et 82ème minute. Le coup de grâce arrive trois minutes plus tard, quand le brésilien Artur offre un sixième titre consécutif au Zenit en marquant.

2-1 à St Pétersbourg et 1-0 à Krasnodar, la malédiction tient toujours, le Dynamo finit troisième, à un point d’un titre qui lui tendait les bras. 2025 ne change rien à cette malédiction, au moment où cet article sort, le Dynamo est quatrième, à huit points de Krasnodar, alors qu’il ne reste plus qu’une journée à jouer.
S’il est facile de croire à de simples coïncidences, cela n’a pas empêché de nombreux supporters de faire un geste pour essayer de faire cesser ce demi-siècle sans championnat. Alexander Chpriguine, célèbre chef des supporters du Dynamo, proposa une procession religieuse autour du stade, sans succès. De nombreux fans sont allés au cimetière Domodedovo, où est enterré le couple Sevidov, Lidiya et Alexander etant respectivement décédés en 1990 et 1992, afin de faire cesser la malédiction.

Enfin, selon Mikhail Likhachev, trois fois entraîneur des champions du monde russes de beach soccer et ancien de l’académie du Dynamo Moscou, de nombreux seniors disent de la malédiction qu’elle ne devait durer que 50 ans. Peut-être le Dynamo Moscou remportera-t-il enfin le championnat, un demi-siècle pile après avoir fait partir un grand coach, et s’être attiré les foudres de la femme de Sevidov.
Purée ! les mecs… Leur règlement pour le championnat était aussi baroque que le fonctionnement de leurs institutions ou de leur économie.
Ah oui, le règlement à lui seul valait un article ah ah
Puisque cela parle de Moldavie, je ne résiste pas à l’envie de mettre un article sur Nicolae Simatoc, certainement le plus grand joueur moldave de l’histoire. Itinéraire assez tumultueux comme souvent pour ces hommes d’Europe de l’est à l’époque, ayant joué à l’Inter et au Barça de Kubala, Basora, Cesar ou Ramallets. Un très bon article de Footballski.
https://footballski.fr/nicolae-simatoc-bessarabe-barcelone
“approche fondamentalement erronée de la construction de l’équipe”, lol.. On sait tout de suite où on est, avec des phrases comme ça, ça calme.
Des « matchs nuls truqués »? Tu pourrais développer, Alpha?
Ce règlement, au secours.. Ceci dit : la logique se défend, on comprend le souci d’équitabilité, moins la manière peut-être.
Je ne connaissais absolument pas, merci!
Alors, une manière « scientifique » de voir le football à été mise en place en URSS.
Un paquet d’équipes avaient calculés le rapport risque-récompense (comme à la bourse oui) d’un match nul et cela avait entrainé une vagues d’équipes plus cyniques, plus défensives et un paquet de matchs truqués en fin de championnat, pour que telle ou telle équipe s’en sorte.
Pour te donner une idée d’à quel point les matchs nuls étaient courants, en 77, la dernière année avant que la règle des nuls limités ne soit créé, 45% des matchs du championnats se sont terminés sur un score nul…
La limite a été mise à 8 en 78 puis 79 et 10 entre 80 et 88, dernière année où cette règle s’est appliquée.
Le titre de 1976 est particulier. L’URSS avait découpé le championnat en 2 (pour la seule et unique fois me semble t-il, l’expérimentation a tourné court): il y a eu le championnat du « printemps » et celui de l' »automne ».
Le Dynamo a été le champion du printemps et le Torpeto le champion de l’automne.
Le fonctionnement du championnat soviétique et russe par la suite, je pense que cela a été une des causes des relatives difficultés de leurs clubs en Coupe d’Europe. Avoir une longue coupure pendant que les autres sont à balle, pas le meilleur moyen d’affronter les quarts du printemps. Même si il y a eu des réussites…
Et j’aimerais bien savoir pourquoi les Soviétiques ont mis autant de temps à participer aux Coupes Européennes. Je crois que la saison 67 est leur première participation. Alors qu’ils étaient deja présents au Basket. Le Dynamo Moscou , sans affirmer qu’ils auraient brillé, aurait pu avoir de bons résultats.
Alors le premier club européen soviétique, c’est le Dynamo Kiev en 64, qui participe à la Coupe des coupes 65/66.
Et c’est dès 65 que l’URSS rejoindra le reste de l’Europe pour les Coupes d’Europe, avec le Torpedo en C1 (sorti par l’Inter au premier tour 66/67) et le Spartak en C2 (sorti par le Rapid Vienne au deuxième tour).
Quand au pourquoi, bien que la fédération soit crée en 1934, c’était en fait une section du Conseil de la Culture Physique d’URSS. La fédération en tant que telle date de 1959 (bien qu’elle avait déjà rejoint l’UEFA et la FIFA avant), expliquant pourquoi il a fallu attendre le milieu des Sixties pour voir les Soviets en Europe.
Tout à fait, je le mentionne pas pour pas alourdir l’article mais le championnat 76 est vraiment improbable avec ce double championnat, où seul le championnat d’automne comptait pour les places européennes.
La malédiction bela guttman c’est assez drôle, alors oui Guttmann n’a jamais proféré de malédiction mais qu’il l’ait fait ou non ça ne change pas grand chose, comme la femme de sevidov, on sait que cela n’existe pas. Mais les faits sont là, depuis que Guttmann est parti le Benfica perd 8 finales européennes. Alors oui ils aiment bien parler de la Youth cup mais le fait est là ils sont « maudits » avec les finales, quand tu en perds 8 de suite c’est qu’il y a un truc qui ne tourne pas rond. Surtout que tu en perds 2 aux pénos, 5 d’un but et la dernière aux prolongations. Plusieurs fois Benfica domine ou mène, parfois ils perdent sur un but à la dernière minute. Force est de constater qu’il y a un truc, une malédiction « de lose ».
Je crois que je vais en faire mon prochain article.