Aux origines des Bohemians Prague

Avec son nom anglais et son kangourou, le club des Bohemians Prague détonne dans le paysage footballistique tchèque. Seul club tchèque dont les ultras penchent délibérément très à gauche, Bohemka, qui fête cette année ses 120 ans, est aussi unique de par son histoire.

Dès la fin du XIXe siècle, les Tchèques décident d’utiliser le football comme moyen de souder leur nation face à l’emprise de l’Autriche-Hongrie. La création du Slavia Prague en 1892 suit cette logique en rassemblant l’élite sportive praguoise. Un « championnat de Bohème et Moravie » est créé en 1896, bien qu’il ne rassemble que des clubs praguois.

Une Association tchèque de football (Český svaz fotbalový) voit le jour en 1901 et vise à structurer le football tchèque, malgré l’ire du pouvoir austro-hongrois qui refuse que soit sapée son autorité. Mais les Tchèques veulent exister sur la scène internationale et le football constitue l’un des moyens d’y arriver. L’Association tchèque de football demande à rejoindre la FIFA pour asseoir sa légitimité. Et pour soutenir sa candidature, elle a besoin de prouver que le football a bien une place importante dans les pays tchèques.

Les représentants de l’Association tchèque de football essayent donc d’inscrire un maximum de clubs sous leur autorité. Ils contactent les dirigeants du SK Kotva, qui s’inscrit en 1905. Le club change de nom par la même occasion et prend le nom de son quartier. Il devient ainsi l’AFK Vršovice et figure en tant que quatorzième club tchèque enregistré comme tel. Récompensée de ses efforts, l’Association tchèque de football rejoint la FIFA comme membre provisoire en 1906. La nouvelle organisation tente de se structurer et organise un nouveau championnat de 1909 à 1917 ainsi qu’une Coupe de la Charité de 1906 à 1919.

L’AFK Vršovice, un des pionniers du championnat

Pour l’AFK Vršovice, les débuts sont rudes. Le nouveau club connaît un problème de taille : il n’a aucun terrain à sa disposition. Et pas question de demander à la mairie du quartier. Les autorités locales invitent les footballeurs à « se trouver une autre occupation, utile, au lieu de taper dans un ballon ». Des propos qui ne refroidissent pas l’enthousiasme des joueurs, qui sillonnent les environs pour trouver un point de chute. Ils attendront jusqu’en 1912 avant de trouver un mécène et jusqu’en 1914 pour que soit ouvert leur stade.

Un championnat tchécoslovaque à part entière voit le jour en 1918 et l’AFK Vršovice y fait bonne figure, finissant troisième en 1918 et deuxième en 1920. Les années 20, justement, sont l’occasion pour le club d’entamer des tournées contre des clubs étrangers afin de remplir les caisses. Le club voyage en France, aux Pays-Bas, en Pologne, en Allemagne, en Autriche ou encore en Yougoslavie et tient la dragée haute à la plupart de ses adversaires.

C’est en 1927 que l’histoire du club bascule, à la faveur d’une offre de tournée en Australie. Le Slavia Prague et le Viktoria Žižkov refuse d’effectuer un tel voyage, doutant du sérieux de l’invitation. Traverser les océans pour disputer quelques matchs à l’autre bout du monde, cela paraît trop fou pour être vrai. L’AFK Vršovice saute alors sur l’occasion.

Une tournée amicale qui change le cours de l’histoire

Mais les dirigeants et les joueurs réalisent que le nom du club risque d’être un obstacle au développement de sa popularité. Aussi, ils réfléchissent ensemble à une nouvelle appellation qui les rendrait facilement reconnaissables, tout en gardant leur identité locale. Le club est donc renommé Bohemians.

La tournée est un succès sur le plan sportif : 19 rencontres, dont 14 victoires, deux matchs nuls et trois défaites. Les Tchèques étrillent notamment des sélections d’Australie de l’Ouest (11-3) puis du Sud (11-1). Ils apportent un vent de fraîcheur dans un pays où la majeure partie de la population n’a encore jamais entendu parler de la Tchécoslovaquie, cette nation devenue indépendante en 1918. Ils contribuent aussi à la popularisation du football, jouant parfois devant 40 000 spectateurs.

Les adieux des joueurs du Bohemians à l’Australie se font avec tambours et trompettes. Les joueurs repartent avec 14 ballons comme autant de trophées célébrant leurs victoires pendant la tournée. Le ministre du Queensland tient à offrir un cadeau au président tchécoslovaque T.G. Masaryk, et il donne ainsi un couple de kangourous aux joueurs tchèques, qui les ramènent en bateau jusqu’en Europe. La tournée s’étant achevée avec une belle recette, elle fut considérée comme une réussite également sur le plan financier. La Chambre de Commerce fut également satisfaite du développement des relations avec l’Australie, rendu possible par cette expédition des « Bohemians ».

Cette appellation, d’abord entre guillemets, serait reprise dans les journaux pour évoquer les membres de l’AFK Vršovice. Le nom utilisé lors de la tournée australienne n’avait guère plu au public praguois ni aux joueurs, mais son utilisation répétée dans la presse lui donna une certaine légitimité et permit à chacun de s’y habituer. Après de longues discussions, une assemblée du club entérina le nouveau nom de Bohemians Prague pour son inscription à la phase de printemps du championnat tchécoslovaque 1928. Comme clin d’œil à cette tournée qui avait changé l’histoire du club, un dessin de kangourou fut ajouté au blason.

14 réflexions sur « Aux origines des Bohemians Prague »

  1. L’adhésion de la Bohême fut au coeur d’une crise majeure de la FIFA. En acceptant initialement l’inscription de la nouvelle fédération, la FIFA créait un dangereux précédent qui remettait en cause le principe « un Etat indépendant = une fédération représentative au sein de la FIFA » (exception faite des Britanniques, privilège pour « les créateurs du jeu »).

    C’est donc fort logiquement que, en 1908, les Autrichiens obtinrent le départ de la fédération de Bohême. Mais entre-temps, en 1907, une nouvelle crise frappait la FIFA : sur fond de débat amateuriste, une fédération britannique concurrente de la FA se mit en place. Elle défendait un amateurisme strict et emmena dans son sillage l’USFSA qui commit alors l’erreur historique de quitter la FIFA ! L’USFSA, pourtant à l’origine de la FIFA, pensait avoir flairer le vent tourner… Le CFI lui prit sa place et ne la lâcha plus, étant à l’origine de la création de la 3FA en 1919.

    Néanmoins, Bohémiens, Français et Britanniques dissidents se retrouvèrent à l’occasion du fameux tournoi de football de l’Exposition internationale de Roubaix en 1911. Il y eut même, dans ce tournoi, une sélection du Nord dans laquelle il y avait Raymond Dubly. La Bohême l’emporta en finale contre l’Angleterre.

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    1. Idem. Je ne connais pas grand-chose du foot australien, avant les années 70… Mise à part cette histoire de malédiction causée par un sorcier mozambicain qui aurait empêché l’Australie d’accéder au Mondial jusqu’en 2006…Si on le compte pas 74

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    1. Questions intéressantes, me les pose également.
      De mémoire, le Hakoah Wien part en tournée aux USA au milieu des années 20. Un peu avant cela, on a des clubs autrichiens en vadrouille au Proche Orient. Je ne sais vraiment jusqu’où ont pu s’aventurer les clubs tchèques ou hongrois à l’époque. Mais l’Australie dans les années 20, on se demande qui est derrière cette initiative.
      Dans les tournées autrichiennes parmi les plus exotiques, on a celle du modeste Grazer SC à Ceylan, Singapur et en Indonésie dans les 30’s. Le Wiener SC a aussi été en Indonésie (les Indes orientales néerlandaises pour Les profs d’histoire chipoteurs) à la même période.

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    2. Je viens de vérifier : les joueurs ont quitté Prague le 7 avril 1927 et sont revenus le 30 juillet. Les 20 matchs de la tournée ont été disputés entre le 23 avril et le 2 juillet. Ils ont joué tous les 2-3 jours le plus souvent (7 matchs en mai, 10 en juin).

      C’est la fédération australienne qui a invité des clubs tchèques, on peut être quasi sûrs que ça veut dire que c’est elle qui a avancé les frais du voyage.

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  2. J’imagine des Pakis venir faire une démonstration de Kabbadi en Europe puis que, pour les remercier, on leur offrirait de repartir en Asie avec un couple de castors ou de blaireaux.

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      1. Les Australiens, pour en compter dans ma famille : oui, et ils adorent l’Europe continentale (bien plus que leurs cousins grand-britons).

        Mais les kangourous..

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    1. Difficile de répondre à ça précisément. Les Bohemians, c’est le petit club de quartier. Loin des S, mais avec une image de club atypique. Ils devaient être plus populaires dans les années 80 à mesure des succès de Panenka & co.

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