La fin des illusions de Virdis

En 1977, Pietro Paolo Virdis est le personnage central du feuilleton médiatique de l’été : quittera-t-il Cagliari et la Serie B pour la Juventus et la Coupe d’Europe des clubs champions ?

Titrés en mai 1977 après un long mano à mano avec le Torino de Gigi Radice, les Bianconeri cherchent un attaquant pour seconder Roberto Boninsegna, bientôt 34 ans. Roberto Pruzzo a les faveurs des dirigeants turinois mais le Genoa réclame trois milliards de lires, plus encore que Beppe Savoldi « mister 2 miliardi » lors de son transfert record de Bologna au Napoli. Impossible dans le contexte de tensions sociales que connaît la FIAT. Alors la Juve se tourne vers la Serie B. Alessandro Altobelli a déjà signé à l’Inter et Boniperti ne croit pas en Paolo Rossi, révélation de la saison avec le Lanerossi Vicenza et dont la Juventus détient pourtant encore la moitié des droits. Il ne reste que Pietro Paolo Virdis parmi les espoirs en vogue, vice-capocannoniere de Serie B derrière Rossi dans une position de faux ailier rappelant étrangement celle de l’idole Gigi Riva.

S’il est bien question d’un transfert à Turin, c’est d’abord le Torino qui tient la corde grâce à un pré-accord avec Cagliari et aux liens unissant Virdis et Radice, ancien coach des Sardes ayant participé à l’éclosion du jeune attaquant deux ans plus tôt. Mais le Toro compte déjà dans ses rangs les gemelli del gol Pulici-Graziani, 37 buts à eux deux en 1976-77, et Radice ne peut lui garantir une place de titulaire.

Début juillet, avec un Virdis perturbé par les rumeurs, Cagliari échoue dans la course à l’accession, cocu à l’issue d’un barrage triangulaire avec l’Atalanta et Pescara[1]. Déjà mal en point financièrement, ce revers enfonce le club dans une profonde crise et rend nécessaire la cession de la pépite. La somme exigée par les Sardes fait définitivement renoncer le Toro. La Roma et la Fiorentina sont sur les rangs jusqu’à ce que la Juventus entre dans la danse mi-juillet et trouve rapidement un accord avec le président Mariano Delogu, ravi de trouver une solution à ses problèmes en dépit des reproches de Gigi Riva l’accusant de sacrifier l’avenir sportif des Rossoblù.

1977 correspond encore à une époque moyenâgeuse durant laquelle les clubs sont souverains puisque l’accord du joueur n’est pas requis pour qu’un transfert ait lieu. Mais Virdis se moque du règlement. A l’issue d’une réunion avec son président, le Tamburino sardo affirme à la presse : « je refuse d’être transféré à la Juventus, mon avenir est à Cagliari. C’est une décision réfléchie sur laquelle je ne reviendrai pas. » Certains articles de presse prétendent que le joueur est sous l’influence de sa mère et ses sœurs, lui qui est le seul homme de la famille après le décès du père. Dans son édition du 17 juillet, La Gazzetta dello Sport titre à propos de l’attitude de Virdis : « Certains y voient la main de Riva. »

La une de la Gazzetta du lundi 18 juillet 1977. Une semaine avant la reprise de l’entraînement de la Juve, Virdis continue à s’opposer à Boniperti alors que Riva s’en prend aux dirigeants de Cagliari.

Il faut se souvenir que quatre ans auparavant, la Juventus tente d’attirer Riva dans un deal monumental : Rombo di Tuono contre Bettega, Gentile, Cuccureddu, Musiello et 400 millions de lires. Le président sarde de l’époque, Andrea Arrica, y est favorable. Sans doute perçoit-il le déclin de Riva et l’opportunité de se débarrasser d’un joueur dont le poids dans la masse salariale pèse dangereusement sur l’équilibre financier de son club. Mais la foule se mobilise, de violentes manifestations ont lieu et Boniperti renonce à l’opération en juillet 1973[2].

Riva pour ses adieux.

Soumis à de multiples influences, Virdis pense à son tour faire plier Boniperti. Il mesure que le mythe de Gigi Riva s’estompe déjà et rêve de lui succéder dans le cœur des tifosi. Il a vécu le triomphe de 1970 en tant que supporter, se souvient avoir foulé la pelouse du vieux stade Amsicora après le match du scudetto contre Bari et imagine à son tour mener Cagliari au sommet en composant un duo d’attaque cent pour cent sarde avec Luigi Piras, autre grand espoir.

En vacances dans sa résidence de Santa Teresa di Gallura au Nord de l’île, Boniperti reçoit longuement Virdis sans parvenir à le convaincre de changer de position. Devant les journalistes, le président juventino ultra-bronzé fait bonne figure et n’accable pas le jeune attaquant. Mais personne n’est dupe de sa profonde contrariété : comment un jeune Sarde peut-il refuser la Juventus, club où tant de joueurs du Mezzogiorno ont réussi, à commencer par son « compatriote » Cuccureddu ? Le ton aimable de Boniperti masque sa froide détermination : par courrier recommandé, Virdis reçoit une convocation pour le 25 juillet, date de reprise de l’entraînement des Bianconeri. Il missionne en complément Vittorio Chiusano, avocat et vice-président de la Juventus, afin d’examiner l’opportunité d’intenter une action en justice contre le joueur. Sans prendre de gants, Chiusano annonce publiquement : « Virdis est footballeur. S’il n’accepte pas les règles de sa profession, il doit changer de métier. »

Le 23 juillet, Boniperti convoque à nouveau la presse à Santa Teresa di Gallura. Sans emphase ni triomphalisme excessif (à vaincre sans péril…), il annonce le revirement de Virdis qui confirme dans la foulée son transfert tout en s’excusant auprès des tifosi de la Juventus. Le lendemain, les deux hommes sont à Turin, le surlendemain, Virdis est à l’entraînement. Le Tamburino sardo est bianconero, la série de l’été s’achève.

Quelques semaines plus tard, Virdis est élu « Pinocchio d’or » au Festival du Mensonge de San Bartolomeo al Mare, raillerie facile vis-à-vis d’un homme seul confronté aux puissants.

De retour en prêt pour la saison 1980-81, Virdis (numéro 7) marque contre la Juventus à Sant’Elia. Il joue à nouveau pour la Juve en 1981-82 pour une ultime saison avant de rejoindre l’Udinese, le Milan et enfin Lecce. Il inscrit plus de 100 buts en Serie A mais ne compte aucune sélection avec l’Italie A.

[1] Cagliari perd deux points sur tapis vert après un incident dû à un spectateur. Une orange venue des tribunes blesse à l’œil Ruggero Cannito, joueur de Lecce. Ces deux points coûtent l’accession directe aux Sardes.

[2] Gigi Riva raccroche en 1976, usé et dans l’incapacité de sauver Cagliari de la relégation.

9 réflexions sur « La fin des illusions de Virdis »

    1. Un deal effectivement monstrueux..mais les joueurs juventini y étaient-ils disposés? Et dans quel état de forme?

      Je n’aime guère le pouvoir pris par les joueurs de nos jours, moins encore comment beaucoup l’exercent…..mais je crois que j’aime encore moins cette espèce d’étau dont si souvent ils étaient les jouets, d’entre dirigeants peu scrupuleux, manipulatoires..et public crédule, sentimental, si souvent idiot et cruel.. A choisir entre ces maux, ben..

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      1. Bettega, Gentile étaient encore pleine force de l’âge et Cuccureddu tenait encore la barque à ce moment là, il me semble. Il est pas du Mondial 78?

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    1. En 1988, il aurait pu faire partie de la Nazionale à l’Euro mais Azeglio Vicini a privilégié la jeunesse de Rizzitelli. C’est sans doute à cette période là qu’il aurait dû obtenir quelques sélections. Mais il était déjà trentenaire…

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      1. Un peu vieux en effet. L’équipe olympique italienne en 88 n’avait pas un effectif minable. Virdis, Rizzitelli, Evani, Pagliuca, Tassotti, Ferrara, Tacconi ou De Agostini. C’était une réelle performances des Zambiens de leurs en coller 4. Kalusha y gagnera son ballon d’or d’ailleurs.

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  1. Magnifique encore une fois !
    De nouveau pas le temps de développer mon sentiment… et quoiqu’il en soit sentiment de toute façon une fois de plus inutile à préciser.
    Virdis, « il Tamburino sardo » et cette photo « portrait presque craché » de Tuco… Bravo Verano !

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