Le Sorcier d’Arteixo

Arsenio Iglesias est décédé le 5 mars dernier et Pinte de Foot n’avait pas eu l’occasion de lui rendre hommage. Réparons cette injustice en se souvenant de ce qu’il fut à La Corogne dans les années 1990.

Arsenio Iglesias a 65 ans quand ses joueurs lui offrent la Copa del Rey 1995, trophée majeur d’une carrière longtemps anonyme[1], comme s’il s’agissait d’un cadeau collectif à destination d’un fidèle contremaître au moment de son départ à la retraite.

O Vello, le Vieux en galicien, est un entraîneur égaré dans les années 1990, un vétéran des ligues inférieures confronté aux théoriciens et beaux parleurs alors en vogue en Liga, Johan Cruyff, Benito Floro, Jorge Valdano… Des stratèges donneurs de leçons, aux antipodes d’Iglesias devenu avec le temps un as de l’exécution et du management des hommes, champions ou obscurs sans grades, auxquels il enseigne le goût de l’effort et l’amour du maillot.

Dans les années 1970.

Surnommé le paysan philosophe, ses rares interviews sont des modèles de sincérité et de bon sens que quelques portraitistes n’hésitent pas à moquer, désarmés par des formules laconiques issues de sa campagne galicienne. Ancien joueur et entraîneur du Dépor au début des années 1970[2] puis de 1982 à 1985, il est à nouveau sollicité en 1988 pour sauver le club de la descente au troisième échelon national, au moment où la ville entière se mobilise pour qu’Augusto César Lendoiro[3] vienne au secours d’un club moribond financièrement et sportivement.

Fran est déjà là, fils spirituel d’Iglesias auquel il ressemble tant par sa sobriété, merveilleux gaucher au visage mélancolique que l’on dit typiquement galicien. Ensemble, ils parviennent à ramener le Dépor en Liga en 1991, 20 ans après la première accession obtenu par O Vello qui se retire sur ce triomphe, définitivement pense-t-on alors. A tort car Lendoiro le rappelle encore une fois quelques mois plus tard pour sauver La Coruña de la relégation. La suite, c’est le Super Dépor, trois podiums consécutifs en Liga, frôlant le titre en 1994.

Sur les épaules de Fran et Villarroya après la victoire en Copa.

Cette Liga 1994, le Dépor la perd sur un penalty manqué dans les ultimes instants du championnat. Donato, le tireur habituel est sorti quelques minutes plus tôt et les volontaires ne se bousculent pas. Bebeto, le buteur à l’allure enfantine, est bien trop émotif pour prendre cette responsabilité, alors c’est Miroslav Djukić qui s’en charge. Il a connu la guerre en Yougoslavie, il ne peut pas avoir peur. Et pourtant… Même ceux qui ont le courage chevillé au corps tremblent parfois et ce soir de mai 1994, le rêve du peuple galicien s’effondre en même temps que Djukić se liquéfie au moment de la frappe. Dans les tribunes, l’énorme Lendoiro pleure comme un petit garçon.

La conférence de presse qui suit est un exemple de dignité et de fatalisme paysan. Quand Iglesias quitte la salle, les journalistes se lèvent et applaudissent sa sortie. Encore une saison sur le banc du Dépor, un nouveau podium, une Copa et il se retire (il coache quelques mois le Real Madrid en 1996, un péché d’orgueil), en désaccord avec l’ambition dévorante de l’ogre Lendoiro qu’il vise en affirmant « le monde n’est pas uniquement gouverné par les sentiments de ceux qui se disent nés pour gagner. »

Avec le président Lendoiro, une relation compliquée.

[1] Victoire en Copa 2-1 contre Valencia. Jusqu’alors, Iglesias n’a à son palmarès qu’un titre de champion de seconde division avec le Real Zaragoza.

[2] Une troisième place synonyme d’accession en Liga en 1971 et une relégation en 1973.

[3] Président du club durant 25 ans, il est le dirigeant ayant mené le Dépor au sommet avant de le conduire à la ruine.

19 réflexions sur « Le Sorcier d’Arteixo »

  1. Ah, ça faisait longtemps!

    Les finals des Ligas du début des 90’s étaient souvent surréels, mais 94 c’est vraiment le pompon, sans doute l’épilogue étranger qui m’a le plus marqué..alors que je n’ai aucune attache avec le foot espagnol!, bref faut pas demander le probable bazar que ce dut être pour un hispanophile/-phone……..

    J’ai moi aussi un faible instinctif pour les profils dégageant je ne sais quel bon sens terrien proverbial. Comparés aux grands (et prétendus) théoriciens : ça fait du bien!

    Il faut croire que certains ont le besoin de beaux parleurs!, puisque ça semble marcher, que ces ficelles resortent çà et là………mais je trouve que c’est surtout d’humanité dont le foot (et tout le reste) aura toujours surtout bien besoin.

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    1. Dans ce genre-là, je me souviens aussi de Pierre Cahuzac à Bastia, l’homme de la finale de C3 1977-78, et de Kuno Klötzer, le coach du HSV vainqueur de la C2 1976-77. Le genre de meneurs d’hommes pas forcément à la pointe de la tactique mais avec un indécrottable bon sens du terroir. On disait la même chose de Numa Andoire, le coach du grand Nice du début des années 50, mais c’est bien trop longtemps avant moi pour que je puisse juger.

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      1. Numa Andoire ! Un personnage auquel P2F devrait s’intéresser, notamment un certain Bobbyschanno s’il sort de sa grève persistante 🙂
        ps : peut-être Pierre Arrighi a-t-il la possibilité de dénicher des infos sur son séjour uruguayen post CM 1930 ?

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      2. Complètement passé sous mon radar, alors qu’il entraînait Hambourg contre Anderlecht en finale de C2 77, merci de la découverte.

        Je vois qu’il fut remplacé par le fameux Gutendorf, lequel registre « beaux parleurs », d’après ce que j’ai déjà lu..

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      3. Dans un genre différent (le bon sens de l’usine plutôt que du terroir), il y a aussi Klaus Schlappner, monteur électricien devenu entraîneur, architecte des grandes heures du Waldhof Mannheim en Bundesliga dans les années 80 (avec Jürgen Kohler en 4), et célèbres pour ses citations décalées. Il s’est par la suite compromis avec le NPD, ancêtre de l’AfD à droite de la droite, mais ceci est une autre histoire. Je me collerai bien au sujet un de ces jours…

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  2. PS: on n’aurait pas l’extrait de l’interview du sorcier d’Arteixo présentée en fin d’article (celle du titre raté apres le penalty manqué de Djukic et ayant accouché des applaudissements de la part des journalistes au moment de la sortie de scène d’Arsenio)? Ça met l’eau à la bouche et la bave aux lèvres…

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  3. J’t’embauche pour ma nécro Verano, si jamais il m’arrive malheur.
    C’est beau!
    Quelle belle citation pour finir l’article. Ça me donne envie d’aller regarder des confs de presse du monsieur, mais en espagnol ça va être compliqué…

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  4. Jamais trop tard pour rendre hommage !

    le « paysan philosophe », j’imagine que le Arteixo natal d’Iglesias n’avait rien à voir avec aujourdhui. Connait un peu le coin, la Galice, tout ça. Arteixo c’est Zara et des entrepôts, extension de la zone industrielle d’A Coruña. Mais magnifique côte, encore epargnée. (La Corogne, très chouette ville au passage).

    Une sympathie particulière pour ce club dans les 90s, SuperDepor, Riazor, Frán, Makaay et cie.

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