Qui connaît ou se souvient de José María Maguregui ? Entraîneur espagnol incontournable des années 1970 et 1980, il est à la fois l’illustre technicien de l’Agrupación Deportiva Almería, club de Liga bien avant l’actuelle UD Almería, et l’éphémère coach de l’Atlético du tonitruant président Jesús Gil y Gil au début de son règne chaotique.
Le temps a effacé Maguregui des mémoires alors qu’il s’agit d’un joueur majeur des années 1950. Avec son compère Mauri, ils constituent le milieu royal de l’Athletic Bilbao champion et multiple vainqueur de la Copa. Certains exégètes prétendent que leur influence sur le jeu des Basques est au moins aussi grande que celle de Xavi et Iniesta au sein du Barça de Guardiola. Quand il raccroche, profondément convaincu par les principes de la méritocratie, Maguregui entame son long parcours d’entraîneur en commençant avec des équipes de jeunes et gravit un à un les échelons jusqu’à la Liga avec le Racing de Santander, club avec lequel il obtient trois accessions (et deux relégations), faisant du Sardinero un sanctuaire fangeux difficilement prenable, un bourbier des quatre saisons entretenu par les lances d’arrosage où viennent s’enliser les écuries les plus puissantes.
Le Basque colérique
Au fil des années, Maguregui multiplie les exploits à la tête de sans-grades sans parvenir à séduire les ténors, enfermé dans le costume d’un personnage atrabilaire dont il ne cherche même pas à s’extraire. Colérique et limité tactiquement, se satisfaisant d’un jeu défensif agrémenté de coups bas, voilà ce qu’on dit de lui. Dans l’opinion publique, Maguregui est associé à amarrategui, terme d’euskañol, mélange de basque et d’espagnol, utilisé dans le Nord de l’Espagne pour désigner les personnes frileuses, les conservateurs. Il serait même à l’origine de l’expression « garer le bus ». Sans doute, mais comme il le précise, encore faut-il savoir manœuvrer un bus.
Entraîneur minimaliste, la presse le raille pour ses consignes simplistes mais également pour ses formules à l’emporte-pièce. Des exemples ? « Celui qui ne court pas a moins d’avenir qu’un espion sourd. » A John Lauridsen, milieu danois de l’Espanyol, il dit : « Pendant quatre-vingt-dix minutes, tu fais ce que je te demande de faire, tu cours, et si tu veux faire le spectacle, à la fin du match, tu vas au milieu du terrain et tu baisses ton short. » Et puis il y a sa relation avec Quique Setién, le maître à jouer du Racing. Avant une rencontre clé, il prend la parole devant le groupe : « S’il y a une touche, on la joue sur Setién. Si le gardien doit relancer, il transmet à Setién. S’il y a un coup franc indirect, on passe le ballon à Setién. S’il y a un coup franc près de la surface adverse, Setién le frappe. S’il y a un corner, Setién le tire à destination de Setién. » Quique s’exclame : « Monsieur, je ne peux pas faire les deux ! » Maguregui se tourne vers lui : « Ecoute, si tu n’es prêt à jouer ce match, dis-le et je te sors de l’équipe. »
Longtemps, Magu n’entraîne que sur la côte atlantique, Bilbao et sa banlieue, Santander et Vigo qu’il promeut en Liga sans que les dirigeants du Celta ne le conservent. Car sa méthode est usante, aux confins de la terre brûlée, faite d’exigences dévotes et de conflits permanents, flirtant avec les dérapages douteux comme lorsqu’il interpelle les joueurs andalous d’une de ses équipes en les appelant avec mépris aceituneros, des cueilleurs d’olives.
L’homme d’Almería
C’est pourtant en Andalousie qu’il réalise le chef d’œuvre d’une vie. En 1978, Almería vient d’accéder à la Segunda División. Le président Franco Navarro ne trouve pas d’accord avec son entraîneur Enrique Alés et se tourne vers Maguregui qui accepte l’offre à la surprise générale tant il semble pouvoir prétendre à mieux. Sa première interview au journal local prend d’ailleurs une tournure étonnante quand il justifie son choix par sa lassitude du climat pluvieux des provinces du Nord.
A Almería, Magu conçoit une sorte de phalanstère où s’exprime une communauté de joueurs guidés par les mêmes valeurs, labeur et sacrifice, des vérités dont il est le seul détenteur puisqu’aucun adjoint ne l’assiste. Là-bas, personne ne s’offusque de l’entendre répéter à l’infini qu’il « préfère un footballeur moyen avec de la force à un footballeur avec de la classe qui ne court pas. » Alors ses garçons courent comme des dératés, même les plus habiles de leurs pieds. A la tête de ce qui ressemble à une famille recomposée, le patriarche autoritaire aux 20 enfants réalise le prodige de porter l’AD Almería en Liga, refusant de céder à l’offre exorbitante d’un corrupteur agissant pour le compte du Betis, rival dans la course à l’accession. Mieux encore, peut-être protégé par la Virgen Del Mar qu’il vénère, il reproduit le miracle en obtenant un improbable maintien, sans jamais connaître l’offense d’une défaite à domicile durant ses deux saisons en tant que manadier des Rojiblancos.
Avec lui, des générations résignées d’hommes et de femmes n’ayant de cesse de fuir la misère atavique des lieux éprouvent enfin de la fierté en se rappelant leurs origines. Pour la réception du Barça, des convois de bus remplis de travailleurs andalous font le trajet de la capitale catalane à Almería, émouvante procession d’exilés ne pensant jamais pouvoir vivre une telle communion dans l’estadio Franco-Navarro. Le Basque Maguregui est désormais un des leurs, vivant simplement dans le quartier des pêcheurs, près de la plage masquée par une longue et monotone rangée d’immeubles impersonnels, édifices indispensables à l’accueil des vagues de touristes attirés telles des mouches par la lumière éblouissante d’Almería.
De meneur d’hommes à entraîneur démodé
A l’été 1980, percluse de dettes, l’AD Almería ne peut retenir Magu qui se laisse séduire par le projet bancal de l’Espanyol, l’occasion pour lui de ferrailler à nouveau contre ses dirigeants, les journalistes et quelques joueurs rebelles dont Canito est le plus fameux. Puis il semble vouloir revivre le passé en retournant à Santander d’abord, à Vigo ensuite, sans que l’on sache s’il s’agit de l’expression d’une mélancolie bourrue ou la démonstration de son peu de goût pour la nouveauté.
Il a déjà 54 ans quand l’opportunité d’entraîner un grand d’Espagne arrive enfin selon les désirs despotiques et versatiles de Gil y Gil, dirigeant sans scrupules ayant posé sa grosse main d’escroc sur l’Atlético. Un cadeau empoisonné. La photo sur laquelle posent les deux hommes ne peut masquer leur méfiance réciproque, l’air renfrogné de l’entraîneur répondant au regard de faux-jeton du président. Maguregui ne tient qu’un mois sur le banc de l’Atlético, désavoué d’emblée par Gil y Gil, en conflit avec la star Paulo Futre et prématurément privé d’Arteche, idole sans foi ni loi du Vicente Calderón qu’il estime au plus haut point après l’avoir lancé en Liga 12 ans plus tôt dans les marécages du Sardinero de Santander.
Les expériences suivantes se soldent par des échecs. Il revient à Almería en 1993 à la tête du Polideportivo, descendant anémique de la défunte Agrupación Deportiva Almería. L’estadio Franco-Navarro sonne creux, il n’y a plus personne pour le porter en triomphe comme lors de ce chaud dimanche de juin 1979 après l’officialisation de l’accession en Liga. La magie a disparu, c’est la conclusion d’un long cheminement nourri par d’épuisantes confrontations sur fond de travail et de transpiration. Définitivement démodé à une époque où la religion de l’image s’impose sans qu’aucun retour arrière ne soit possible, où les techniciens pérorent sans fin sur les vertus de telle ou telle organisation, José María Maguregui disparaît brutalement des radars, cruelle fin de partie pour un homme dont personne ne se prétend l’héritier.
Lol.. Il avait vraiment dit ça à Lauridsen (très bon joueur, d’ailleurs)? Maguregui, c’est le genre même de personnage que je « connaissais » – c’est-à-dire de vue, distraitement et sans soupçonner ce qu’il y avait à dire du personnage..et merci donc!
Quant à Lauridsen, ça je connais mieux : il aurait dû jouer dans le super Ipswich drivé par Bobby Robson, pour y remplacer le Néerlandais Arnold Mühren. Mais, si je me rappelle bien : tempête en mer ou je ne sais quoi, impossible en tout cas de traverser la Mer du Nord pour aller signer son contrat..et c’est là qu’intervint l’inénarrable Fernand Goyvaerts : l’ancien des FC Bruges, Barca et Real apprit presque aussitôt la situation dans laquelle se trouvait le talentueux Danois..et activa son réseau en Espagne, c’est ainsi que Lauridsen signa à l’Espanyol.
Aucune idée de qui fut signé à Ipswich en guise de remplaçant pour Mühren.. La tâche était ingrate, compliqué de pallier un départ pareil et Lauridsen était déjà une très belle pioche..
Je me résigne : Mühren ne fut en définitive pas remplacé.
Tout ça pour une tempête en mer, quel coup dur l’air de rien.. Autre époque!
Exactement, Lauridsen s’est retrouvé en décembre 2021 à Barcelone, envoyé par Goyvaerts qui était occupé ailleurs sur un autre dossier. Tout seul à l’aéroport, ne sachant où aller, il avait du affronter les journalistes pendant des heures en attendant l’arrivée de Goyvaerts pour aller signer son contrat avec l’Espanyol.
Décembre 1981 of course
La conclusion sinon, ben.. Le plus sûr moyen d’être un jour à la page, c’est de ne jamais changer, suffit d’être patient.
Verano, je me demande si ce n’est pas le meilleur article que j’aie jamais lu sous ta signature. Il est parfaitement structuré et le style est joliment épuré sans perdre en précision ni en pathos. Du très beau travail.
Gracias triple g, je ne pensais pas qu’un texte sur l’obscur Maguregui pourrait plaire !
Gracias Verano
L’Espagne, l’Andalousie… Un bon coup de soleil en ce mois d’avril hélas si mitigé ici.
Merci Verano. Puisque tu parles du Betis 79, une petite interview d’époque de Muhren
https://www.manquepierda.com/historiarealbetis/entrevista-gerrie-muhren-1979/
Le Betis était quand meme monté cette saison là.
L’intermédiaire Roberto Dale, qui gravitait dans l’univers du Betis et qui est associé à d’autres épisodes foireux, était venu dans le vestiaire d’Almería avant le match contre les Beticos pour proposer 8 millions de pesetas en contrepartie d’une défaite. C’était en fin de championnat et la lutte était féroce pour l’accession. Magu s’était opposé au deal et Almería avait gagné un match féroce, truffé de fautes. Mais le Betis était malgré tout parvenu à arracher la montée aux dépens de Valladolid. Une année faste pour l’Andalousie puisque les 3 promus furent Almería, Málaga et le Betis.
Jesus Gil… Je ne sais pas si on peut faire plus belle caricature de président et politicien magouilleur.
Tiens une baston en direct
https://youtu.be/-kdieivQZik
Quelle horreur ce type.
Suivre le foot espagnol (vaille que vaille dans mon cas – barrière de la langue) était croquignolesque « grâce à » lui, il se passait toujours un truc WTF avec Gil y Gil.. et cependant quelle misère, quel fond du panier.
Le truc bien toutefois : ficelles tellement grosses avec lui.. L’on savait tout de suite à quel genre d’ordure l’on avait à faire, alors que dans la plupart des cas les salopards (nombreux!) avançaient masqués.
En matant la dernière photo devant le nouveau San Mames. Suis allé qu’une fois, pendant la semana grande. Toute la ville en fête mais un pauvre 0 à 0 face à Getafe. Un peu déçu parce que j’ai toujours eu de l’affection pour l’Athletic.
Suis allé mater, ils ont raté de peu des retrouvailles à l’Atletico, Maguregui et Quique Setien. Setien, un beau technicien, très haut dans la mythologie du Racing Santander.
Test pour les supporters de l’atletico
Quelles sont les premières couleurs du maillot ? Pour quelles raisons ?
Et pourquoi après les couleurs rouges et blanches?
Vous avez 20 minutes .. à vos claviers !!
Je ne connais pas la couleur initiale du maillot (sachant que le club a les mêmes couleurs que l’Athletic Bilbao dont il est une émanation), mais le rouge et blanc correspond au maillot de Southampton.
Bleu et blanc : comme l’athletic Bilbao ( émanation bien vu 😉)de l’époque qui s’inspirait des Blackburn Rovers
Et oui pour Southampton , un peu la même histoire que la Juventus pour le maillot noir et blanc
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Club_Atl%C3%A9tico_de_Madrid