Vieillesse et sagesse

Série « As 17 leis do jogo » suivant les traces des différents champions du Brésil.

« Le foot brésilien est un repaire de prostituées. » Emerson Leão aime-t-il le conflit ou est-ce le contraire ? Vaste question… On peut néanmoins affirmer, sans trop se mouiller, qu’il fait parti de ces personnes maladivement poursuivies par la discorde, à se demander si elles n’y prennent pas un malin plaisir. Dès son arrivée à Palmeiras, jeune gardien sans expérience, il exige le même salaire que celui d’Ademir da Guia, l’icone Verdão ! Après tout, pourquoi pas. Etre confiant en ses qualités n’est certainement pas un défaut dans un monde aussi concurrentiel que celui du sport et on peut difficilement lui reprocher de ne pas avoir été à la hauteur. Mais les grandes gueules ont cette fâcheuse tendance à avoir la mémoire sélective. La remise en cause, pas faite pour eux. Des failles, il y en a pourtant et elles sont béantes.

Leão, à l’instar de Sam Langford, est un roi sans couronne. Et ne venez pas lui parler du titre à Mexico 1970. Qui se souciait alors des figurants ? Ses chances mondiales, il les a eues en Allemagne et en Argentine. Résultats mitigés. Mais Leão et l’Argentine, comment dire… Une forme de répulsion épidermique, difficile à masquer. Tévez en sait quelque chose. Donner le capitanat à un mec dont on devine à peine les mots ? Jamais ! Baisser les yeux devant un flic du Río de la Plata qui le menace de sa matraque ? Encore moins… Leão, on le prend tel qu’il est. Conservateur, rancunier, disciplinaire jusqu’à la nausée. Un homme entier, capable de tourner le dos à un penalty qu’il considérait injustement rejoué. Mais si talentueux que la très dogmatique Democracia Corinthiana lui ouvrit ses portes. Ordem e progresso ou le déluge.

Les poches vides

En 2002, Leão n’a néanmoins que peu de raison de bomber le torse. Coach à l’arrêt, son passage à la tête de la Seleçao a été un calvaire. Quatre pauvres mois, une qualification pour le mondial asiatique en suspens, un nul face au Canada, une défaite face à l’Australie et cette mythique attaque, Leandro-Washington-Rochemback censée mettre à mal la génération Zidane pendant la Coupe des Confédérations en 2001. Le foot brésilien ? Un lupanar. La fédération ? Des incompétents. Et ces joueurs exilés qui ont perdu toute fierté et amour de la patrie. Leão est remplacé par Scolari qu’il n’apprécie que moyennement mais c’est toujours mieux que l’autre fourbe de Vanderlei Luxemburgo. Il ne l’admettra pas mais il a besoin d’une main tendue. Elle viendra d’un autre boiteux, Santos.

Santos ne fait plus peur. Et pas besoin de chercher bien loin les raisons de sa dégringolade. 27 ans que le temps s’est arrêté. Une sécheresse que le titre paulista 1984 conquis grâce au tempérament de feu de Serginho Chalupa n’a pas éradiqué. Repris en main par Marcelo Teixera en 1999, le Peixe ne paie plus de mine ni les salaires des noms ronflants que le composent. Freddy Rincón, Marcelinho Carioca ou Edmundo ont de toute façon passé leur date de péremption. Fauché et candidat idoine à la relégation, Santos voit ses stars s’enfuir et son entraîneur Celso Roth quitter le navire, refusant d’accompagner l’opération liquidation. Leão, qui avait offert une Copa Conmebol vite oubliée quatre ans auparavant, signe pour le salaire modeste de 30 000 reais par mois et se demande clairement « ce qu’il va faire de ce gamin aux tibias fins et à la tête énorme. »

Le gamin en question est Robinho, 18 ans. A ses côtés, aussi maigrichon et plus jeune d’un an, se tient Diego Ribas. Les deux amis ont été repérés par l’œil de Zito et ont déjà fait quelques apparitions sous Roth. C’est là que s’opère un changement aussi étonnant que radical chez Leão. Lui, la tempête irascible va se transformer aux contacts de ces gamins en patriarche attentif et rassembleur. Le milieu offensif Elano a 21 ans, pile-poil la moyenne d’âge du groupe. A Zito qui considère suicidaire de partir avec un groupe aussi jeune, Leão repond sèchement : « Toi qui as conquis le continent et le monde, tu as peur désormais ? » Il n’y aura pas d’autre recrue. Santos fait une brillante préparation en vue du Brasileiro en battant la Roma, les Rangers et les rivaux du Corinthians, naissent les Meninos da Vila.

Os Meninos da Vila 2.0

Cette appellation n’est pas nouvelle. La génération des Juary, Nilson Batata et du futur Strasbourgeois Pita en 1978 avait déjà été affublée de ce surnom. A une époque où Santos pensait que sa bonne étoile ne le quitterait jamais. On sait ce qu’il advint. Les fans sont comme Zito, sceptiques. Pour le premier match à domicile, toutes les banderoles sont installées à l’envers, signe que le club marche sur la tête. A posteriori, l’équipe a pourtant de la gueule. Outre les Robinho, Diego ou Elano, Alex le futur défenseur central du PSV et du PSG, retrouve une place dans le onze titulaire. Renato, qui a laissé une si belle image au Sánchez Pizjuán, tient l’édifice tandis que Robert amène l’expérience qui fait cruellement défaut au groupe. Santos est injouable au Vila Belmiro mais doit attendra la 12e journée avant d’obtenir sa première victoire à l’extérieur face au Vasco.

Santos ressemble à son coach. Diego, furieux d’une défaite imméritée, n’hésite pas à piétiner sciemment le drapeau
du São Paulo FC au milieu d’un Estádio do Morumbi en furie tandis que Leáo se mue en pompier-pyromane au milieu d’une bagarre générale face à Paysandu. Résultat ? Il se fait gazer par un policier ! Comme quoi, que ce soit en Argentine ou au Brésil, on a peut-être pas le même uniforme mais on a la même passion.

Le dernier souffle du Mata-mata

2002 est la dernière édition du Brasileiro avec des phases finales en aller-retour. Ce Mata-mata qui fit pendant des décennies le sel des fins de saisons brésiliennes. En quart de finale, les attend un Sao Paulo qui n’a pas oublié la polémique Diego Ribas. Un casting de rêve chez le Tricolor Paulista. Kaká, Rogério Ceni, Ricardinho le futur champion du monde et Luís Fabiano, le furtif Rennais. Mais des acteurs talentueux ne font pas forcément un bon film, Sao Paulo s’incline deux fois. Le Grêmio de Tite est aisément défait en demi-finale, Santos atteint la finale pour la première fois depuis 1995 et une défaite face au Botafogo, marquée par l’arbitrage controversé de Marcio Rezende de Freitas. Le dernier obstacle est le Corinthians d’un coach qui connut le succes avec la Seleçao, Carlos Alberto Parreira. Un Timão solide qui rappellera quelques souvenirs aux suiveurs de notre Ligue 1 puisque Deivid et surtout Vampeta y jouent. Santos fait le plus gros du travail, en gagnant la première manche 2 à 0.

Le 15 décembre 2002 est inoubliable pour le Peixe et ses fans. Dès la première minute de jeu, Diego, incertain avant le match et si précieux, est remplacé par Robert. Robinho, l’accompagnant vers la sortie, lui fait la promesse de ramener le titre. Survient alors l’action qui changera le cours de la carrière de Robinho. A l’entrée de la surface, il attaque Rogerio et enchaîne pas moins de huit passements de jambes avant de se faire descendre dans la surface ! Le vaillant petit tailleur et ses sept mouches écrasées d’un seul coup peut aller se rhabiller.

Robinho exécute la sentence. Le match est tendu. Leão au bord de la crise de nerf, est expulsé après avoir contesté une décision. Sans leur guide, Santos recule et encaisse deux buts de la tête en l’espace de 10 minutes. 3 à 2 en cumulé pour Santos, il reste cinq minutes au temps réglementaire mais en cas d’égalité, Corinthians serait sacré grâce à son classement lors de la première phase. De mauvais souvenirs refont surface. Un an auparavant, même adversaire, même stade et une élimination rageante du Paulista. Robinho, l’homme de la finale, s’échappe sur la droite, s’amuse avec Kleber et Vampeta et centre en retrait pour l’égalisation d’Elano ! Les Meninos da Vila l’ont fait, Robert le soldat fidèle parachevant l’œuvre de Leão en mettant le troisième dans les arrêts de jeu.

Leão lève les bras. Il la tient enfin sa consécration. Aux micros, il souligne la volonté de son groupe, le travail et la solidarité. Lui qui s’est toujours revendiqué comme un homme de la terre, il ne peut qu’être fier de l’épanouissement de ses jeunes pousses. Pelé et Coutinho ne marchent plus seuls désormais, le continent apprendra à nouveau à les craindre. L’avenir appartient aux Diego et Robinho, personne n’en doute au pays. Le chemin sera finalement plus escarpé que prévu même si Robinho a eu quelques fulgurances à Madrid et que Diego a clairement marqué une époque au Werder. On pourrait penser Leão assagi, enfin débarrassé du poids de ses échecs, il n’en est rien. Il est resté sanguin, multipliant les accrochages en tant que coach ou consultant par la suite. A 73 ans, Leão, on le prend toujours tel qu’il est. Vieillesse et sagesse, cette chimère…

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25 réflexions sur « Vieillesse et sagesse »

  1. Superbe texte, raconté avec la pointe de pathos qui convient. Leão a peut-être réussi sur le banc mais ne m’a jamais convaincu comme gardien. Pour être considéré comme un grand talent à ses débuts, fallait-il que la barre fût basse, au niveau d’un Félix ou d’un Waldir Peres, et si loin de Banks ou de Mazurkiewicz – ou plus tard de Ronnie Hellström né en 1949 comme lui !

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    1. J’imagine que tu as apprécié le passage de Diego au Werder. J’ai souvenir d’un but assez fantastique du milieu du terrain. Finalement son seul passage marquant en Europe. Son passage à Porto juste après le titre européen, pour remplacer Deco, est presque anonyme. Pourtant, ça ressemblait à un super point de départ pour commencer une carrière en Europe.
      Je pensais que ses superbes saisons en Allemagne lui permettaient de s’imposer à la Juve. Idem, un echec.
      Je vois bien sa frappe fantastique avec l’Atletico face au Barça en 2014. Une c3 et une Liga espérée depuis un bail mais pas grand-chose d’autre.

      Et pour son retour dans un Flamengo à nouveau compétitif, il est en retrait par rapport aux stars du groupe.

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  2. Ah Leão… même s’il ne figurait pas dans le gratin mondial, il était probablement le meilleur gardien brésilien des 70es et du début des 80es quand il joue avec le Grêmio. Il avait succédé au vieux Manga et avait joué un grand rôle dans le Brasileirão 1981 aux côtés de De León, Paulo Isidoro, Tarciso. Durant la finale aller contre le São Paulo FC, il avait dû sortir et avait été hospitalisé après un choc à la tête. Incertain au retour, il avait tenu sa place et contribué au 0-1 offrant le titre au Grêmio.

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    1. Le gardien, je voyais le genre..mais l’entraîneur est une découverte..et alors une bonne trentaine de contrats différents en 25 ans de carrière??

      Par nature instable? Caractériel (pas au point de se fâcher à mort en ce cas : plusieurs retours dans des clubs déjà éprouvés)?

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      1. Quand il était entraîneur de Palmeiras, il avait failli en venir aux mains avec le jeune Neto dont nous parlerons bientôt. En tant que consultant, il menace de botter le cul d’un confrère en direct. Il a passé la soixantaine.
        Dans les années 90, il s’embrouille avec des flics argentins, un match face à Lanus et se prend un coup de matraque.

        J’ai lu souvent qu’il ne pouvait pas blairer les Argentins. Et Tevez, qu’il dirigea à Corinthians, en particulier. Bon, apres Neto ou Tevez ne sont pas les gars les plus stables non plus.

        Neto et Leão n’arrêteront jamais de se chercher en tant que consultant.

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      2. La valse des entraîneurs au Brésil, c’est quelque chose ! Il est fréquent qu’un coach à la tête d’une équipe pour le championnat d’état ne le soit plus pour le début du championnat national. Donc 25 clubs pour un septuagénaire ayant eu quelques résultats, suffisamment pour s’inscrire dans la durée, ça me semble la norme 😉 Si Cebolinha passe ici, il pourra confirmer je pense.

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      3. Leão est passé 3 fois au Japon, il en garde à chaque fois, un excellent souvenir.

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      1. Eh oh
        Ça va aller oui!?
        Bob a un humour de merde et alors?
        C’est son bon droit
        Il est différent mais il faut respecter ça

        Etiliste va!

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  3. Verano
    J’ai decouvert un mec dont Leão disait énormément de bien quand il a entrainé Portuguesa, Dener. Joueur hyper vif, grosse promesse brésilienne avant de deceder dans un accident de voiture à seulement 23 ans. Quelques sélections. Il est mort en 94. Tu connaissais ?

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  4. C’est quoi la ville en port-folio : Santos? Recife? On prête souvent à Recife d’avoir les plus belles plages du Brésil..mais moins voire pas du tout de relief, c’est bien ça? Donc c’est Santos?

    Enfin autorisé à quitter l’hôpital, kén affaire : pas moyen de dormir, et même pas le moindre match de foot à se farcir!

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      1. Première vue aérienne que j’en voie pour ma part, en fait c’est toute cette côte qui a des accents de baie de Rio?

        Photos du stade et du centre, ça oui, j’en ai jadis bouffé par centaines. Car j’étais troublé par le fort cousinage patrimonial avec (ce qu’on peut encore trouver à) Kinshasa.

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