Sergio Gori, l’homme dont l’Inter ne voulait pas

Sergio Bobo Gori est décédé à l’âge de 77 ans. Pur Milanais, c’est à Cagliari qu’il triomphe en 1970 aux côtés de Luigi Riva, formant avec Gigi un duo remarquable de complémentarité.

Sergio Gori doit son surnom à Giorgio Barsanti, un ancien joueur passé par l’Inter au sortir de la guerre et client du restaurant tenu par ses parents. Barsanti l’appelle Bobo comme cela se fait pour les bambini et il reste Bobo pour la vie.

Interiste, il fait ses armes avec la primavera nerazzurra et Helenio Herrera le lance à 18 ans à San Siro un dimanche de décembre 1964, quelques jours avant Noël. En l’absence de Luis Suárez, Herrera réorganise son attaque et confie le numéro 9 à Gori dont l’audace séduit le public même s’il semble déjà manquer de précision dans ses frappes. Une faiblesse qu’il ne corrige jamais vraiment par la suite, Bobo n’étant jamais un avant-centre très prolifique.

Herrera ne lui laisse que des miettes, préférant le plus souvent confier le centre de l’attaque à Aurelio Milani ou Renato Cappellini, et s’il est des grands triomphes de l’Inter (deux scudetti, une Coupe d’Europe des clubs champions), c’est en tant que faire-valoir. Prêté deux saisons au Lanerossi Vicenza, Gori démontre son altruisme en permettant au « vieux » Luís Vinicio, 35 ans, de retrouver l’efficacité de ses premières années au Napoli. De retour à l’Inter, le nouveau coach, Alberto Foni ne lui accorde pas plus de confiance que Helenio Herrera auparavant.

A l’été 1969, le président Fraizzoli veut un véritable bomber en la personne de Roberto Boninsegna. Pour convaincre Cagliari de le céder, l’Inter met dans la balance trois joueurs : le milieu Cesare Poli, le mal-aimé Angelo Domenghini, ailier droit ascétique et homme clé du titre de l’Italie lors de l’Euro 1968, et bien sûr Bobo Gori.

Sans doute Bobo vit-il ce transfert comme un exil forcé alors qu’il s’agit d’une bénédiction : sous l’autorité de l’iconoclaste Manlio Scopigno, il entre dans la légende insulaire en faisant partie de l’équipe championne d’Italie en 1970. Bobo sape les défenses par ses courses et sa puissance, Gigi les exécute par son exceptionnelle capacité à dépasser sa fonction sur le flanc gauche de l’attaque. Cette complémentarité avec Riva lui ouvre les portes de la Nazionale et s’il ne joue que très peu, il est vice-champion du monde 1970.

Gori, Scopigno, Riva après le scudetto.

Il évolue avec Cagliari jusqu’en 1975, observant de près le déclin des Sardes en même temps que celui de Riva, miné par les blessures. Le club souffre financièrement des émoluments de l’idole Riva, les jeunes pousses Luigi Piras et Pietro Paolo Virdis incarnent l’avenir, alors Gori est cédé à la Juventus pour accompagner Anastasi, le bomber bianconero. Et s’il n’est qu’un remplaçant de luxe, il parvient à conquérir un quatrième scudetto avec un troisième club différent, ce que seuls ont alors réalisé Giovanni Ferrari avant-guerre et Filippo Cavalli.

De santé fragile depuis longtemps, il est parti aujourd’hui en laissant l’image d’un attaquant généreux auprès duquel Vinicio, Riva ou Anastasi ont brillé de mille feux.

32 réflexions sur « Sergio Gori, l’homme dont l’Inter ne voulait pas »

  1. Merci Verano. Ce Cagliari 70 est un monument de contre-pouvoir. Et quel deal avec l’Inter pour l’avoir! J’avais adoré écrire rapidement sur Manlio Scopigno au début du site.

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    1. Je ferai un papier dédié à Manlio, ce type représente tout ce que j’aime dans le foot, l’exact opposé des Rocco, Herrera etc… quand ces derniers proposent des approches ultra rigoureuses et des niaiseries superstitieuses, Scopigno s’attache avant tout au bien-être des joueurs (et au sien !) tout en refusant de faire appel au mysticisme.

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    2. En même temps, Boninsegna : ben c’était un cador! Et on n’attire pas les mouches avec du vinaigre. Et enfin, dans ce genre de deals, c’est le petit qui a le plus à gagner! Mais rétrospectivement, oui : que ce fut habile en effet.

      Contre-pouvoir? Je n’irais pas jusque là : de tête le Président était la grande figure « locale » de la Démocratie chrétienne, + l’un ou l’autre truc très (extrêmement, à dire vrai) diffus à caractère cette fois plus géopolitique, qui mériteraient peut-être d’être creusés.. N’en reste pas moins un énaaauuurme coup de fraîcheur, la Sardaigne de l’époque c’était le Moyen-Âge au regard du « miracle italien » postwar.

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      1. Moyen-Age, presque. Une contrée lointaine aux légendes inquiétantes pour les continentaux. Je me souviens avoir lu des propos de Domenghini affirmant avoir au départ refusé d’aller sur l’île.

        Jusqu’en 1967 où 1968, le calendrier de Cagliari est aménagé : deux matches à domicile suivis de deux matches à l’extérieur et ainsi de suite. Les joueurs et le staff quittaient l’île le vendredi pour la ville où se déroulait le match le dimanche. Ils restaient sur le continent jusqu’au match suivant et rentrait à Cagliari le dimanche soir ou le lundi matin. Dix jours par mois éloignés de chez eux à vivre en groupe. Est-ce pour occuper ses soirées que Scopigno buvait comme un trou ?

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      2. M’est avis qu’il avait trop lu Homère, Domenghini.

        Ou, bien plus probable : peur de s’emmerder/enterrer dans un coin certes « archaïque »? A 25-30 ans, pour un footballeur pro qui a connu les paillettes milanaises, ça peut se comprendre.

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      3. Contre-pouvoir plus dans le sens de contrecarrer les dominations habituelles en Serie A! Je ne connais rien du fonctionnement interne !

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      4. « Domingo » est allé sur l’île à reculons et ne voulait plus en repartir. C’est sans doute cette sordide histoire de Ballets roses qui l’a contraint à rejoindre l’AS Rome.
        Passionné de chasse, je sais qu’il avait gardé une résidence sur l’île où il y a peu encore, il passait la moitié de l’année.

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      5. Ballet rose???

        Ce que tu dépeins de Domenghini à Cagliari, c’est bienvenue chez les ch’tis.

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      6. C’est pas une histoire dégueulasse de prostitution d’adolescentes ?

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      7. C’est bon, je l’ai. Et donc encore une histoire qui..enfin bref 😉

        Horriblement répandu ce genre d’histoires. Les droits des mineurs pèsent, de décennie en décennie, décidément bien peu (mais bon : ils ne votent pas, ne consomment pas.. de quoi être un cadet des soucis sociétaux..).

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  2. Joli article. Verano, tu as l’air d’avoir douze douzaines de nécros toutes prêtes, au cas où… Je me souviens que c’est lui qui a remplacé Boninsegna, blessé, en finale aller de C3 1976-77 contre l’Athletic Bilbao. C’est Tardelli qui a marqué l’unique but du match face à Iribar, j’ai eu longtemps la jolie photo de l’action publiée par Onze sur mon mur.

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    1. Ah non, cette nécro n’était pas prête, je l’ai rédigée dans le train me ramenant à la maison. Le match que tu évoques en finale de l’UEFA est sans doute un de ses derniers, voire le dernier avec la Juve.

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    2. Il est fort en effet!

      Même timing mais guère évoqué, signaler aussi la disparition hier du gardien danois Birger Jensen, un des tout meilleurs d’Europe de mi-70’s à début 80’s..et tout bonnement tenu par d’aucuns même (dont Liedholm, il me semble) pour meilleur keeper d’Europe en 78, saison en tout cas où il porte littéralement Bruges jusqu’en finale de C1.

      Un gardien moderne, extrêmement spectaculaire (surnom : « le Kamikaze »!), aux relances très longues…….. Très exubérant et rigolo aussi, fantasque, c’était une sorte de Pfaff danois.

      A ce propos, première édition de la « Supercoupe » belge ( = Trophée des Champions), on le voit ici inscrire le tir au but décisif contre..Pfaff, juste après avoir arrêté un tir au but de Beveren (NB : cette finale eût dû opposer Bruges à Waterschei sauf que, problème : quoique vainqueur de la Coupe 81, Waterschei n’était pas un club..professionnel!, et dut donc laisser sa place à Beveren) :

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      Au terme de sa carrière, il devint directeur d’école au Danemark, dans un style évidemment beaucoup plus austère.

      Un géant du foot danois et belge.

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      1. Quand même ajouter que Jensen eût sans conteste été le gardien titulaire de la pétillante équipe danoise des 80’s, et qu’à son contact le dernier homme danois n’aurait plus été le talon d’Achille, mais au contraire l’un des maillons forts de l’équipe.

        Problème : entré en conflit dès 79 avec Sepp Piontek, beaucoup trop autoritaire pour les moeurs danoises.. ce qui marqua la fin prématurée de sa carrière en équipe nationale. Piontek finit par mettre de l’eau d

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      2. ..dans son vin mais le mal était fait : de tête Jensen ne revint jamais sur sa décision..et le Danemark traîna de tournoi en tournoi son absence comme un boulet.

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      3. Sinon pour les années Happel à Bruges, qui se rappelle de lui?

        Sa génération danoise était pourtant peut-être plus forte (car l’équilibre) que la suivante, mais drivée en ligne directe par la..fédération, + amateurisme professionnalisme………. Puis la susmentionnée cerise sur le gâteau Piontek, bref : malgré lui et injustement tombé dans l’oubli..alors que c’était un crack, rayon gardiens c’est a minima top 10 vu en championnat de Belgique (où il y eut pourtant de sacrés lascars), les yeux dans les yeux avec un Pfaff.. et les Danois n’ignorent pas être passés à côté de quelque chose d’énorme avec Birger Jensen, mais chacun sa croix.

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      4. Fin des 70es, il y avait beaucoup de Danois en Belgique, non ? Olsen, Bertelsen, Elkjaer-Larsen… Mais a l’époque, les stars étaient à Gladbach, Simonsen, Henning Jensen puis en Espagne. En France, on a commencé à faire appel à eux après les avoir découverts lors de l’Euro 84.

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      5. Enormément, même.

        Pas chers, très forts..et mentalité au top.

        Un qu’on ne cite jamais : le très vivifiant et spectaculaire Flemming Lund. Ou l’excellent Benny Nielsen, toujours impressionnant en coupes d’Europe.. Ils eurent un potentiel dingue tout au long des 70’s, c’est juste que les structures n’étaient pas à niveau.

        Championnats NL, BE et DE étaient parvenus à une forme de quasi-mainmise sur ce football dès les 70’s, oui. Les plus « bling-bling » aboutissaient parfois en Espagne, ils allaient parfois monnayer leur fin de parcours en France (qui payait très bien), et bien sûr toujours l’un ou l’autre épiphénomènes aussi, aux Îles ou en Suisse, certes….mais leurs points de chute c’était plus de 9 fois sur 10 l’Europe continentale du Nord-Ouest.

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      6. Hansen et Praest avaient su profiter de la mode scandinave après guerre pour signer (et performer) avec la Juve. Mais après, j’ai la sensation d’un gros creux générationnel jusqu’au 70es.

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      7. Merci de l’info, celle-là m’attriste fortement aussi. 100% d’accord avec l’impact de son absence à l’Euro 84, mais ne nous plaignons pas trop fort. Avec lui dans la cage, le France-Danemark en ouverture aurait pu finir en 0-0 (quoiqu’un tir dévié par un défenseur, en l’occurence Busk, soit un piège pour tous les gardiens) et surtout, le Danemark aurait pu gagner les tirs au but contre l’Espagne en demi-finale. Vu le mal qu’avaient eu les Bleus en ouverture, je n’aurais pas voulu d’un second France-Danemark en finale.

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      8. Benny Nielsen, on l’a vu un an à Saint-Étienne, en 1982-83 de mémoire. C’était l’année de l’affaire de la caisse noire et on a vite oublié qui était sur le terrain.

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      9. Allez alex, modro attend ton article sur birger jensen, sur son bureau!
        PS: J espere que ça va mieux.

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      10. Merci, c’est sympa! Et je l’espère aussi : normalement increvable, mais là..

        Jensen? Des dizaines d’anecdotes sur le mec, un cas en sus d’un grand footballeur, mais..?? Suis pas du tout inspiré pour l’instant, fatigué.. J’ai officiellement 2 semaines de convalescence devant moi, je trouverai bien le temps d’écrire au moins un truc, allez.

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    3. Quand j’ai lu la Gazzetta de ce matin, je suis vite allé sur P2F voir si Verano avait fait un petit quelque chose pour Gori… Réflexe ? Cocon rassurant ? Plutôt le plaisir de voir une certaine ambiance (ici l’Italie des années 60) perdurer… continuer de vivre.

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