Mário Zagallo, de la petite fourmi au vieux loup, une fable brésilienne

Avant d’être communément appelé O Velho Lobo, Zagallo est Formiguinha, la Petite Fourmi du plus grand Botafogo de l’histoire, supplantant celui de l’aristocratique Carvalho Leite dans les années 1930. Entre Mário Zagallo et le Fogão, c’est une relation quasi viscérale qui se noue à partir de 1958, au moment où Flamengo le délaisse alors qu’il vient d’être sacré champion du monde. Portuguesa, à São Paulo, lui offre un pont d’or mais il privilégie Botafogo pour ne pas s’éloigner de Rio et préserver la carrière d’enseignante d’Alcina de Castro, sa jeune épouse. 

Ce Botafogo, c’est celui de João Saldanha, un ancien du club devenu journaliste et membre du Partido Comunista do Brasil alors autorisé par la démocratie. Saldanha crée une équipe conquérante (trois ans à la tête du Glorioso), la seule capable de rivaliser dans la durée avec le Santos de Pelé. De 1957 à 1964, Botafogo à Rio et Santos à São Paulo règnent sur les compétitions brésiliennes. A-t-on déjà vu de telles concentrations de cracks ? Durant cette période, O Glorioso s’appuie sur des effectifs éblouissants parmi lesquels se trouvent Manga, Didi, Quarentinha, Amarildo, Paulo Valentim, Zagallo, Nilton Santos et bien sûr, Mané Garrincha. 

Saurez-vous les reconnaître ?

Les carrières de Nilton Santos et de Garrincha auraient-elles été les mêmes sans Mário Zagallo? Impossible à dire mais il faut se souvenir qu’en 1958 le sélectionneur Vicente Feola écarte Canhoteiro au profit de Formiguinha. Garrincha à droite et Canhoteiro à gauche sont deux funambules trop symétriques pour jouer ensemble, des apôtres du déséquilibre jusque dans leurs vies chaotiques, alors que Zagallo apporte de la pondération. Sa discipline libère Garrincha de toute contingence tactique et lui permet d’être aux yeux de tous l’Ange aux jambes arquées, l’homme enfant dont la feinte répétée à l’infini fait de lui un héros intemporel. Mané entre définitivement dans l’histoire en 1962, quand il porte la Seleção vers sa deuxième étoile, toujours accompagné des expérimentés Zagallo et Nilton Santos, et de la jeune doublure de Pelé, Amarildo. Pour Garrincha, c’est déjà le déclin, Elza Soares le happe et l’entraîne dans une spirale dévastatrice alors que Zagallo prépare son après carrière, soutenu par la fidèle Alcina. A la réflexion, l’histoire des deux ailiers du Fogão n’est qu’une énième interprétation de la Cigale et la Fourmi, fable moralisatrice dont on aimerait que l’issue soit pour une fois moins matérialiste.

Et puis il faut évoquer la connexion de Zagallo avec Nilton Santos, à l’origine avec Djalma Santos des exceptionnelles générations de laterais dont les derniers spécimens connus sont Dani Alves et Marcelo. Sur leur côté gauche, Nilton Santos et Zagallo forment un duo extraordinaire d’intelligence, la sobriété et le dévouement de Formiguinha couvrant les envies offensives de son latéral. 

Converti entraîneur, Mário Zagallo maintient le Fogão au sommet avec Gérson, Rogério, Paulo César, Jairzinho ou encore Afonsinho, le barbudo rebelle qu’il sacrifie pour plaire aux généraux de retour aux affaires depuis 1964. Puis au printemps 1970, il n’hésite pas longtemps quand la CBF à la solde du pouvoir lui propose la Canarinha. João Saldanha – João sem Medo, Jean sans Peur – vient de payer le prix de ses provocations politiques et de son autoritarisme. Dirigeant les stars sans précaution – ne parle-t-on pas d’as feras do Saldanha, les bêtes de Saldanha ? – et snobant Dadá Maravilha, nouvelle idole du peuple mais fruste attaquant de l’Atlético Mineiro, Saldanha est sacrifié à deux mois de l’ouverture de la Coupe du monde et c’est à Zagallo que revient le privilège de porter le Brésil jusqu’à sa troisième étoile.

Malgré le triomphe mexicain, l’image du joueur altruiste se brouille et apparaît celle d’un sélectionneur opportuniste. Beau joueur, redevenu journaliste, Saldanha salue le travail d’O Velho Lobo même si celui-ci est incapable de l’associer à la victoire. A l’occasion d’une interview publiée en 2011 et traitant du rôle de Saldanha dans l’obtention du titre 1970, Zagallo ne fait pas dans la nuance : « j’ai tout changé. Si je ne l’avais pas fait, nous aurions perdu la Coupe du monde ».

A défaut d’élégance, accordons à Mario Zagallo un grand talent politique, celui qui lui a toujours permis de suivre le sens du vent et d’épouser la cause des puissants, revisitant et prouvant la véracité de la fable Le Pot de terre et le Pot de fer. 

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20 réflexions sur « Mário Zagallo, de la petite fourmi au vieux loup, une fable brésilienne »

  1. Zagallo retrouvera Rivelino en Arabie Saoudite, au Al Hilal. D’ailleurs, il n’aura entraîné qu’au Bresil et dans le Golf persique. Une façon de se rapprocher de ses racines peut-être, pour le gamin aux origines libanaises. Comme le magnifique Branco.

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  2. Tristeza não tem fim
    Felicidade sim
    A felicidade é como a gota
    De orvalho numa pétala de flor
    Brilha tranquila
    Depois de leve oscila
    E cai como uma lágrima de amor

    Merci Verano pour cet hommage au très grand Zagallo, malgré ses « zones d’ombre ».

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    1. On ne parle jamais spontanément de lui quand on évoque 1958 et 1962. Il est pourtant un joueur clé, Feola faisant un vrai choix en Suède et Moreira le validant au Chili.

      Il aurait aussi fallu parler de ses liens avec Flamengo. J’ai pris le parti de cibler Botafogo mais il était également très lié à Flamengo, où il a évolué de longues années et où il a conquis plusieurs titres cariocas en tant que coach (pour l’anecdote, au début des 70es, il ne croit pas en Zico et le rétrograde en réserve!).

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      1. Son Flamengo, dans les années 50, est sympa également. La figure de Dida, un autre joyau brésilien un peu oublié, et Evaristo evidemment. Me suis maté en intégralité Benfica-Barça 1961 hier pour la première fois. Czibor avait encore de beaux restes. Quel but fantastique. Je le connaissais évidemment. Evaristo est un peu emprunté mais voir en direct Garay et Kubala, ça m’a fait un truc, j’avoue.
        Et Coluna immense!

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      2. 1962, la pire Coupe du monde de l’histoire. Pire que celle de 1978, c’est tout dire. Il faudra bien que P2F sonde un jour cette zone noire de l’histoire du ballon rond.

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  3. Salut les amis et bonne année

    Lorsque j’ai appris cette triste nouvelle j’étais sur que vous alliez faire un article/hommage (tellement mérité).
    Je vous lirai plus tard mais je suis déjà sur que je vais me régaler…..

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  4. « accordons à Mario Zagallo un grand talent politique, celui qui lui a toujours permis de suivre le sens du vent et d’épouser la cause des puissants »

    Avec le combo vainqueur du mondial joueur-entraîneur, ça me fait penser à Deschamps

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    1. La naissance du 4-3-3 brésilien.. L’air de rien peut-être, fallait quand même y penser ; c’est contre-intuitif que de compter trouver l’équilibre via l’asymétrie..mais beaucoup y sont parvenus par ce biais, Goethals par exemple a de la sorte (notamment) défini près d’un demi-siècle de jeu belge.

      Je ne connais Zagallo que pour cela : son rôle central (quoique plutôt passif, quoique : qu’en sait-on vraiment?) dans ce 4-3-3, bien sûr son statut de champion du monde tant comme joueur que comme entraîneur.. Il y eut assurément foule de détails qui échappent à un gringo dans mon genre, mais c’est quand même déjà fortiche comme accomplissements dans une vie de footballeur – transposé dans un autre univers (stratégie militaire, monde de l’entreprise..) : ce type serait une référence absolue.

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  5. « Fable moralisatrice dont on aimerait que l’issue soit pour une fois moins matérialiste »… On célèbrera le centenaire de la mort du camarade Lénine le 21. Question matérialisme dialectique, ton vœu sera exaucé.

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    1. C’est Altair, défenseur et légende de Fluminense, accessoirement champion du monde 1962 en tant que doublure de Nilton Santos. Il était là en 1966 également, cette fois comme titulaire en défense centrale.

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      1. Comme d’hab : on te lit trop peu mais c’est toujours top, danke 😉

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  6. Mario Zagallo restera toujours dans mon collectif comme le petit monsieur aux cheveux blancs qui entraînait le Brésil lors du mondial 98, dans mon pays.

    Rivaldo, Ronaldo, Roberto Carlos, Bebeto… Ça envoie des lumières dans les yeux lorsque tu es un jeune provincial français d’une dizaine d’années qui suit avec avidité et assiduité son premier grand tournoi international.

    C’est bien plus tard que j’ai découvert toute la panoplie footballistique de M. Zagallo, un grand bonhomme du foot. Qu’il repose en paix ; merci Verano.

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