Parce que le foot brésilien ne s’arrête pas aux frontières de Rio et de São Paulo, Pinte2foot vous propose un Top 10 de l’Atlético Mineiro, un des deux géants de Belo Horizonte avec Cruzeiro.
10- Mário de Castro

A la fin du XIXe siècle, la République rompt avec les symboles de la monarchie et retire à la cité impériale d’Ouro Preto son titre de capitale du Minas Gerais. A la place, elle choisit une bourgade appelée Curral d’el Rey (L’Enclos du Roi) qu’elle s’empresse de renommer Belo Horizonte avec l’ambition d’en faire une ville modèle. Les ruelles tortueuses et l’architecture coloniale d’Ouro Preto se figent dans le passé alors que Belo Horizonte se développe à grande vitesse. Selon des principes d’urbanisme singeant ceux de Pierre-Charles L’Enfant à Washington et du Baron Haussmann à Paris, de larges avenues rectilignes sont tracées et des quartiers aux fonctions distinctes sortent de terre, favorisant l’accueil des différentes populations, entrepreneurs, représentants de l’état, ouvriers. Ordem e Progresso, il s’agit du positivisme brésilien appliqué à la cité en déclinaison de la devise nationale.
Belo Horizonte compte déjà 20 mille âmes quand des fils de notables fondent l’Athletico Mineiro Futebol Club en 1908, le Club Athletico Mineiro (CAM) à partir de 1913[1]. Les balbutiantes compétitions officielles se structurent et le Championnat de Belo Horizonte, le futur Campeonato mineiro ou Mineirão, voit le jour en 1915[2]. Le CAM conquiert le premier titre puis l’América Futebol Clube règne sans partage durant une décennie.
Imaginée par et pour l’importante colonie italienne selon le modèle de son homonyme de São Paulo, la Società Sportiva Palestra Itália (Cruzeiro après 1942) prend son essor en 1921. Elle renonce rapidement à son caractère exclusivement communautaire et conquiert trois Championnats consécutifs de 1928 à 1930. C’est à cette période que se développe la rivalité entre le futur Cruzeiro et l’Atlético Mineiro. Personnalités marquantes de ces duels, les Fantoni – Ninão, Nininho et Niginho – symbolisent l’ambition des Italo-descendants nostalgiques de la mère patrie alors que le Trio Maldito – Jairo, Said, Mário de Castro – figure l’élitisme de l’Atlético Mineiro.

Réunis à partir de 1927, les attaquants du Trio Maudit font sensation lors d’un match contre Palestra au cours duquel ils inscrivent huit des neuf buts de la victoire de l’Atlético-MG (9-2). Ils apparaissent comme les premières idoles du club à un moment où l’intérêt pour le football explose dans une ville d’environ 100 mille habitants. Issu de la colonie arabe de Belo Horizonte, Said étudie le droit alors que Jairo et Mário de Castro fréquentent la faculté de médecine. Des trois, de Castro est indéniablement le diamant. A ses débuts, il joue sous le pseudonyme d’Oriam – anagramme de Mário – afin de braver discrètement un interdit maternel.
Après le sacre de 1927, le Trio Maldito et l’Atlético entament une période sombre au cours de laquelle ils subissent l’implacable domination de Palestra Itália. Le 1er juin 1930, le public belo-horizontino majoritairement pro-Atlético se rend en masse au stade Presidente Antônio Carlos[3]. Dans ses pages sportives, le journal local rend compte de l’attente. « Le peuple était pressé de savoir si l’Athletico serait en mesure de se défaire de sa malchance traditionnelle. Les retardataires avaient quitté l’église à onze heures et coururent jusqu’au stade. Les tribunes étaient déjà pleines (…). Le trésorier a distribué des sacs à ses auxiliaires qui furent rapidement remplis de l’argent de cette foule impatiente. Vingt mille personnes (…). Mário de Castro lui-même, qui est un esprit observateur, a déclaré : ‘j’avais anticipé cette affluence, je savais qu’aujourd’hui ce serait comme çà’. Benedicto, de l’Office de presse, se tenait parmi quelques belles femmes athlétiques découvertes et conquises à Barro Preto. Tout à l’étroit. Il n’y avait plus de place. C’est pour cette raison qu’il y eut de l’indignation quand une énorme femme, du genre Studebaker[4], renversa les personnes sur son chemin en s’excusant. L’heure du match arriva, puissante, concentrant toutes les attentions éparpillées. Pour nous faire oublier les revers de la vie ». Mais pas les revers sportifs car Palestra Itália s’impose encore (2-1) malgré une réalisation de Mário de Castro.

Buteur que l’on dit infaillible (195 buts en 100 rencontres), de Castro impressionne jusqu’à Rio où le comité de sélection de la CBD envisage de l’intégrer à la liste de joueurs devant représenter le Brésil lors la Coupe du monde 1930. Faute de garanties quant à sa titularisation, il aurait de lui-même décliné la sélection au profit du Botafoguense Carvalho Leite. La saison suivante, l’Atlético-MG interrompt le règne de Palestra en conquérant le titre avec l’apport inédit d’un coach, le Hongrois Eugênio Medgyessy. Pour Mário de Castro, il s’agit de la fin alors que le football rend déjà fou la torcida. A l’issue d’une rencontre contre Villa Nova, un dirigeant de l’Atlético fait feu sur un supporter adverse. Choqué, l’artilheiro du Trio Maldito raccroche à 26 ans pour se consacrer à la médecine et laisser prospérer sa légende. Ne dit-on pas encore de lui qu’ « il frappait très fort et donnait au ballon un effet tel que celui-ci revenait à ses pieds » ?
9- Kafunga

Olavo Leite de Bastos, dit Kafunga. Avec un tel pseudonyme, une (brève) explication étymologique s’impose. Kafunga serait une contraction du verbe cafungar, lui-même emprunté au kikongo kufuna, « renifler bruyamment », le kikongo étant une langue bantoue parlée en Angola et en République démocratique du Congo. Le grand-père d’Olavo, manifestement sans pitié, l’aurait affublé de ce surnom en raison d’un nez proéminent aux narines généreusement dilatées.
Kafunga nait et grandit à Niterói, à l’entrée de la baie de Guanabara, face à Rio de Janeiro. Piètre défenseur, médiocre milieu, il est expédié dans les buts du Fluminense AC de Niterói, une entité dont les principaux concurrents ont pour nom Canto do Rio ou Ypiranga à une époque où le Championnat niteroiense connaît son âge d’or, juste avant l’avènement du professionnalisme[5]. Il aurait été repéré par l’Atlético Mineiro à l’occasion d’une rencontre au cours de laquelle il s’incline 10 fois face aux attaquants du Minas Gerais ! Il a 21 ans et va garder les buts des Alvinegros de 1935 à 1954.


Les premières saisons de Kafunga correspondent à une ère de domination de l’Atlético Mineiro dans le championnat local alors que dans un autre genre de compétition, un coq de combat noir et blanc fait la loi sur les plus fameux gallodromes de Belo Horizonte. Il n’en faut pas plus pour que le terme Galo se substitue à Atlético dans le langage de la rue. La renommée du Galo se répand au-delà des frontières du Minas Gerais quand il conquiert le Campeonato dos Campeões en janvier 1937, un sacre que la CBF assimile rétroactivement au premier titre national de l’histoire du football professionnel brésilien. Outre Kafunga, ceux qui font la gloire du CAM ont pour nom Zezé Procópio – futur joueur de Fluminense, membre de la Seleção ayant disputé la Coupe du monde 1938 en France – et Guará, le successeur de Mário de Castro. Surnommé O Perigo louro (le Péril blond), Guará attire les foules et s’affirme comme la hantise de Palestra Itália (21 buts en 26 clàssicos). On le pense mort à la suite d’un choc à la tête avec un défenseur palestrino et s’il en réchappe, l’artilheiro est définitivement privé de sa force de frappe alors qu’il n’a que 23 ans.
Les générations de joueurs se succèdent mais Kafunga demeure indéboulonnable en tant que goleiro du Galo (près de 700 matchs). Formé sur le tas et limité techniquement, il compense ses faiblesses par sa présence physique et une confiance inébranlable lui donnant des airs de mariole. Doyen d’une délégation alvinegra en quête d’aventures, il prend part à la glorieuse tournée européenne de fin 1950 avec ceux que la presse appelle les Campeões do gelo (les Champions de glace) au regard des conditions hivernales rencontrées sur le Vieux continent.

Sa notoriété s’accroît encore quand il se reconvertit dans les médias tant il excelle dans les commentaires sportifs, imposant un style direct qui l’identifie immédiatement auprès du grand public. Durant la dictature militaire, la crudité de certaines de ses saillies met ses employeurs dans l’embarras, notamment quand il affirme qu’« au Brésil, le mal est le bien ». La censure opère parfois mais rien ne peut le réduire au silence ni entamer sa popularité, celle d’un patriarche irrévérencieux dont le nom claque comme celui d’un héros intemporel. Sachez d’ailleurs que dans le Minas Gerais, on ne dit pas « ça date de Mathusalem » mais « ça date de Kafunga ».
8- Paulo Isidoro

« Mon remplacement fut une erreur, mais il est inutile d’en reparler maintenant ». Eh bien si, parlons-en ! Quand il est question de la désillusion brésilienne de 1982, la vox populi couvre d’opprobres le pataud avant-centre Serginho, l’hésitant gardien Waldir Peres. Avec Careca ou Reinaldo pour artilheiro et Leão en tant que goleiro, le Brésil aurait vaincu l’Italie entend-on fréquemment. C’est faire fi des déséquilibres structurels affectant cette sublime Canarinha. Pour le Mundial, en rupture avec les matchs de préparation, Telê Santana empile les cracks au milieu – Toninho Cerezo, Falcão, Zico et Sócrates – et sacrifie le joueur de couloir Paulo Isidoro, celui qui compose jusqu’alors un duo esthétique et complémentaire avec le latéral Leandro sur le flanc droit. En privilégiant un 4-4-2 disharmonieux, en s’empêtrant dans la toile tissée par l’Italie d’Enzo Bearzot, Telê s’est sabordé et a condamné Paulo Isidoro dans sa quête mondiale[6].
Né dans le Minas Gerais, au Nord de Belo Horizonte, Paulo Isidoro effectue ses classes avec le Cruzeirinho de Matozinhos. Quand sa famille s’installe à Belo Horizonte, il joue dans le club de son quartier tout en supportant l’Atlético Mineiro, un choix courageux tant Cruzeiro écrase la concurrence dans le sillage de Piazza, Dirceu Lopes ou Tostão. L’idée de faire du football son métier ne l’effleure pas et quand on lui propose un essai avec l’Atlético-MG, son entourage doit insister pour qu’il s’y rende. Milieu droit pouvant occuper plusieurs postes, il réalise des débuts prodigieux dans le Championnat juvenile avant d’être prêté à deux reprises au Nacional de Manaus, club ami où s’endurcissent les espoirs du CAM.
A son retour d’Amazonie, Paulo Isidoro entreprend de tout sacrifier pour s’imposer avec le Galo alors que le club traverse une période de disette depuis l’inattendue conquête du Brasileirão 1971. Au début de l’année 1975, Vila Olimpico, le centre d’entrainement de l’Atlético, devient sa seconde demeure : « Je me suis entrainé le matin, je me suis entrainé l’après-midi, je suis allé courir la nuit (…). Lorsque les premiers joueurs arrivaient à l’entrainement, j’avais déjà commencé depuis 20 à 25 minutes ». Convaincant dans les matchs de présaison, bénéficiant de la confiance de Telê Santana, Paulo Isidoro saisit sa chance. « Quand je suis entré dans le Mineirão, quand j’ai fait mes débuts, je me suis dit ‘maintenant, personne ne peut m’arrêter’ ». Une dizaine d’années plus tôt, sa sœur ainée l’avait accompagné au Mineirão fraîchement inauguré. Il avait été frappé par le gigantisme du lieu, par la foule et ses réactions animales. Désormais, cette foule – qu’il appelle « la bête » – vient pour lui et la connexion s’établit instantanément tant sa générosité saute aux yeux.

Nommé entraineur principal après avoir dirigé les espoirs dénichés par Zé das Camisas, un découvreur de génie, Barbatana prend les commandes de l’Atlético en 1976. Il compose une équipe jeune, fougueuse, talentueuse au sein de laquelle les pépites se nomment Getúlio, Toninho Cerezo, Marinho, Reinaldo et Paulo Isidoro. Après cinq échecs consécutifs, l’Atlético-MG écrase le Championnat mineiro et balaie en finale le Cruzeiro de Zezé Moreira vainqueur de la Copa Libertadores. Toninho Cerezo régule le jeu, Reinaldo marque à profusion avec l’assistance de Paulo Isidoro depuis le milieu ou l’aile droite. Un torse court et puissant, des jambes interminables qu’allongent encore des chaussettes blanches impeccablement remontées, Paulo Isidoro est immédiatement reconnaissable et la torcida le surnomme Passarinho, un petit oiseau qu’elle prend plaisir à regarder courir, dribbler, passer, frapper.
Dans la foulée, le Galo réalise un parcours extraordinaire lors du Brasileirão 1977. Cette équipe marche sur tous ses adversaires : 17 victoires, 3 nuls, 0 défaite, 55 buts inscrits. En finale, il ne lui reste qu’à vaincre à domicile le fade São Paulo FC du maitre tacticien Rubens Minelli. Reinaldo suspendu, Barbatana se prive de manière invraisemblable de Paulo Isidoro (remplaçant), comme si l’absence de l’un conditionnait celle de l’autre. Prisonnier de la densité du milieu de São Paulo, le Galo ne trouve jamais la solution (0-0) et s’incline aux tirs au but devant 100 mille Atleticanos pétrifiés de douleur.

Transféré en 1980 au Grêmio dans le cadre d’un troc avec Éder, Passarinho obtient sa revanche sur São Paulo FC lors du Brasileirão 1981[7]. Cette même année, le magazine Placar le consacre Bola de ouro, la plus prestigieuse récompense qu’un footballeur brésilien puisse obtenir. A 28 ans, il figure parmi les cadres de la Seleção de Telê Santana et se prépare au Mundial en Espagne dans la peau d’un titulaire. Hélas, comme Barbatana en finale du Brasileirão 1977, en l’absence de Reinaldo, Telê met en cage Passarinho et le réduit à un rôle accessoire avec l’issue que l’on connaît. Paulo Isidoro pourrait être amer, il sait que Telê s’est fourvoyé et pourtant il n’est que gratitude et fierté : « je suis comblé, je suis allé aussi haut que je le pouvais. Disputer une Coupe de monde, c’est gravir l’Everest. Et j’y suis parvenu avec une très très bonne Seleção, non ? »
7- Carlyle

Sur les photos, Carlyle Guimarães Cardoso pose de trois quarts ou de profil, une coquetterie destinée à invisibiliser son oreille gauche, une portugaise peut-être ensablée, à coup sûr atrophiée. Ce léger désagrément physique n’entrave en rien le pouvoir d’attraction de Carlyle. Ses biographes le comparent paresseusement à Heleno de Freitas, champion et adonis brûlant la chandelle par les deux bouts. Le charme asymétrique de l’un, l’indicible beauté de l’autre, ils se ressemblent peu. Disons qu’ils pourraient être Philippe Greenleaf et Tom Ripley dans Plein Soleil. Le mâle détachement de Maurice Ronet / Carlyle, le visage parfait du jeune premier Alain Delon / Heleno et sa troublante ambigüité. Aucune ambivalence chez Carlyle et il ne viendrait à personne l’idée de le surnommer Gilda.
A l’image de Greenleaf, Carlyle aurait pu choisir une vie d’héritier indolent jouissant de ses privilèges au cœur de la cité impériale d’Ouro Preto, dans son Minas Gerais natal. Ouro Preto, l’or noir en français sans qu’il n’y ait de lien avec d’hypothétiques champs pétrolifères. La ville a pris ce nom quand ont été découverts les gisements d’un or assombri par la présence d’oxyde de fer. Elève de l’Ecole des Mines, Carlyle se spécialise dans la métallurgie et se prépare sans excès d’enthousiasme au métier d’ingénieur civil. Rien ne le prédestine à défrayer la chronique malgré d’indéniables dons de footballeur révélés avec les amateurs de Vinte Reunidos (l’équipe de l’Ecole des Mines) et de l’Esporte Clube Tabajaras, à ne pas confondre avec le Tabajara Futebol Clube, « le pire club du monde », une entité fictive imaginée par des humoristes pour se moquer des maux affectant le football.
De haute stature et peu enclin à la discrétion, il tape dans l’œil de la gent féminine et des rabatteurs de l’Atlético Mineiro en 1947. Avec l’aisance caractéristique des gens bien nés, Carlyle n’éprouve aucune difficulté à trouver sa place parmi le gardien Kafunga, le milieu Zé do Monte, le buteur Lêro, des personnages centraux dans l’histoire de l’Atlético mais qui ne pèsent rien ou presque à l’échelle nationale. Inter droit puis avant-centre combinant technique et puissance, il participe à la conquête du Championnat mineiro en 1947 et échoue en finale l’année suivante. Dans le match décisif pour le titre d’état, América MG s’impose à la suite de ce que la presse intitule le « Lance da Perneira do Guarda » : sur une frappe depuis l’extérieur de la surface, le ballon rebondit sur la jambe d’un policier municipal manifestement aventureux et finit au fond des filets de l’Atlético. L’arbitre anglais, une denrée importée par les instances brésiliennes comme s’il s’agissait d’un gage de probité, ne s’en émeut pas et valide le but[8].

Remarqué pour son caractère ombrageux et remarquable pour ses nombreuses réalisations, la réputation de Carlyle franchit les frontières du Minas Gerais. Il porte même les couleurs de la Seleção en avril 1948 alors qu’Heleno de Freitas vient d’être définitivement écarté par Flávio Costa. Remplaçant de Friaça, il inscrit un but à l’occasion d’une défaite en Uruguay (2-4). Cette unique apparition en match officiel fait malgré tout entrer Carlyle dans l’histoire en tant que premier joueur du CAM appelé en sélection[9]. En juin de la même année, il confirme ses dons d’artilheiro à l’occasion du tournoi quadrangulaire de Belo Horizonte réunissant América, Atlético Mineiro, Vasco da Gama et São Paulo FC[10].
Le Galo et le Mineirão sont désormais trop étroits pour Carlyle. En mai 1949, Fluminense l’enrôle pour s’extraire de la médiocrité. Meilleur buteur du Championnat 1951, il conquiert le carioca aux côtés de Castilho, Didi, Telê Santana. Jouisseur des privilèges que lui confère sa belle gueule, sa fortune et ses talents sportifs, Carlyle alterne le sublime et le médiocre, la générosité et l’autolâtrie, la grâce et la violence. Il développe une instabilité chronique sur et en dehors des stades matérialisée par des changements de clubs fréquents, de mémorables fâcheries – avec Flávio Costa en amont de la Coupe du monde 1950 ou plus tard avec Zezé Moreira – quand cela ne se termine pas plus âprement.


Est-ce pour son admirable photogénie ou parce qu’elle croit encore en lui que la Manchete Esportiva le choisit comme mannequin pour présenter à ses lecteurs les nouvelles couleurs de la Seleção en 1954 ? Il ne porte la tunique jaune d’or qu’à cette occasion car Zezé reste hermétique à ce jeu d’influence et lui préfère le buteur du Corinthians, Baltazar. Carlyle raccroche à 30 ans seulement et retourne vivre à Belo Horizonte, là où son éclatante jeunesse lui avait valu de se parer du maillot encore blanc de la Seleção.
6- Éder

La Bomba de Vespasiano ! Une bombe, des vespasiennes, ne tombons pas dans la trivialité. Les bombes larguées par Éder ne sont pas les produits de ses intestins mais ceux de son cou-de-pied gauche avec lequel il se charge de pilonner sans retenue les lignes adverses, un don du ciel apparu au sein du club d’une école chrétienne de Vespasiano, à proximité de Belo Horizonte.
Éder Aleixo de Assis émerge sur la scène footballistique avec l’América de Belo Horizonte, à une période où le club historique du Minas Gerais s’enfonce dans la crise et renonce à batailler à armes égales avec Cruzeiro et l’Atlético Mineiro. Il tape dans l’œil de Telê Santana, alors à l’Atlético. Quand ce dernier prend les commandes de Grêmio, il s’empresse d’attirer le prometteur ailier gauche à Porto Alegre. Débute entre l’élève et le maître une longue et tumultueuse relation jalonnée d’actes d’insubordination, de sanctions et de réconciliations. L’indifférence aux consignes tactiques et les entrainements séchés après des nuits d’excès exaspèrent le technicien. Les sermons n’y font rien, alors Santana le suspend. En réponse, la Bomba de Vespasiano prend le vestiaire pour un lieu d’aisance et coule un bronze dans les chaussures de Telê.
En dépit de leurs multiples accrochages, ils mettent fin en 1977 à huit années de tyrannie de l’Internacional de Falcão dans le Championnat gaúcho. Puis l’année suivante, peu après une rencontre entre la Seleção et un combiné grenal préparatoire à la Coupe du monde 1978, Éder tutoie la mort durant une nouvelle soirée d’excès. Blessé dans son honneur par la conduite d’Éder vis-à-vis de sa petite amie, un homme sort une arme, fait feu et le blesse au bras. Un moindre mal et un coup de semonce après lequel Telê parvient enfin à transformer le chien fou en chien de chasse.
C’est à l’occasion de la vente de Paulo Isidoro au Grêmio qu’Éder effectue le trajet inverse pour endosser la tunique alvinegra du CAM. Un droitier contre un gaucher. Un moine footballeur contre un sybarite. Nous sommes en 1980 et son arrivée ajoute une touche de folie à un Galo déjà terriblement excitant. João Leite sécurise ses filets en s’en remettant à Dieu, le gentilhomme Luizinho dirige la défense, Toninho Cerezo présente les caractéristiques d’un volante complet, Reinaldo perce les défenses avec légèreté, poing levé, et Éder apporte sa puissance. Une puissance dévastatrice, concentrée dans son seul pied gauche et résultant d’un toucher particulier qu’il peine à expliquer. « Je frappe avec la partie basse de l’extérieur du cou-de-pied gauche. C’est instinctif, comme je le fais depuis tout petit, quand je frappais pieds nus. Aucune préparation. Ça me vient tout seul. » Des reportages lui sont consacrés afin de disséquer ce geste et en extraire les fondements énergétiques. En vain et nous nous en réjouissons tant la permanence du mystère exhale un attrait qu’une démonstration physique gâterait nécessairement.
Dominateur dans le Championnat du Minas Gerais, le Galo connait alors de terribles désillusions dans le Brasileirão 1980 et en Copa Libertadores l’année suivante. Flamengo, l’arbitrage et le Galo lui-même créent les conditions d’échecs aux parfums scandaleux, nous en reparlerons dans la seconde partie de ce Top 10. Plusieurs fois demi-finaliste du Championnat brésilien, Éder ne saisit jamais l’opportunité de vaincre sur le plan national jusqu’à son départ du CAM, à la fin de l’année 1986.

Perdant magnifique avec l’Atlético-MG, Éder peut encore se couvrir de gloire avec la Seleção désormais dirigée par son mentor Telê Santana. Suppléant de Zé Sérgio ou de Mário Sérgio, son exact contraire tant ce dernier caresse la balle, Éder convainc définitivement Telê lors des ultimes rencontres préparatoires au Mundial 1982. Dès le match contre l’URSS, il se signale en inscrivant le but vainqueur dans le money time, un amour d’enchainement contrôle-frappe laissant pantois Rinat Dassaev. Puis il réalise un lob délicat face à l’Ecosse, démontrant qu’il n’est pas qu’un bombardier. Il expédie ensuite un missile longue portée sur la barre transversale de Fillol, une action sur laquelle Zico lance le festival brésilien contre le voisin argentin (3-1). L’Italie met un terme au parcours de la Seleção mais les images des chevauchées et des frappes d’Éder persistent dans les esprits bien au-delà du Mundial.
A l’approche de l’édition suivante au Mexique, le public se réjouit de retrouver les enchanteurs brésiliens. Telê Santana, Falcão, Zico, Sócrates, Júnior, les artistes sont tous là, plus ou moins vaillants. Tous sauf Éder. Auteur d’un mauvais geste lors d’un match amical contre le Pérou, il a écopé d’un carton rouge, le troisième en 42 sélections. Celui de trop pour Telê qui l’écarte de la liste et met un terme définitif à sa carrière internationale[11].
À suivre…


[1] Le h d’Athletico disparaît au cours des années 1930.
[2] Ce championnat est assimilé aujourd’hui à un Championnat d’état bien qu’il se limite au départ aux clubs de Belo Horizonte. Il devient officiellement le Championnat mineiro à partir de 1958.
[3] Le CAM dispute ses rencontres à domicile jusqu’en 1929 sur l’hippodrome de Prado Mineiro ou dans les stades d’América et Palestra.
[4] Marque de voiture.
[5] Oscarinho et Manoelzinho sélectionnés pour la Coupe du monde 1930 alors qu’ils évoluent avec Ypiranga de Niterói.
[6] Paulo Isidoro obtient la première de ses 35 sélections avec Osvaldo Brandão en 1977. Coutinho le sélectionne à nouveau mais ne le retient pas pour la Coupe du monde 1978. Il effectue son retour avec Telê en 1980 et achève sa carrière internationale en 1983 sous Carlos Alberto Parreira.
[7] Après Grêmio, il joue pour Santos puis revient deux saisons à l’Atlético-MG en 1985-1986.
[8] Accusé de vol par le gardien Kafunga, l’arbitre aurait répondu que le vol n’existait pas en Angleterre. Ce à quoi Kafunga aurait rétorqué « faux, sinon Scotland Yard n’existerait pas ».
[9] Carlos Brant aurait pu le supplanter s’il n’avait décliné pour raisons personnelles l’opportunité de jouer avec le Brésil en amont de la Coupe du monde 1930 alors qu’il est un défenseur de l’Atlético-MG. Sélectionné en 1940, il joue alors à Fluminense.
[10] América MG revendique un titre de champion du Brésil 1948, en se basant sur le Brasileirão attribué en 2023 à l’Atlético Mineiro pour sa victoire dans le Torneio dos Campeões 1937.
[11] Au cours d’une carrière qui se prolonge jusqu’à ses 40 ans, Éder va de club en club. Parmi cette tournée, il revient à deux reprises à l’Atlético Mineiro, en 1989 puis en 1994.
