Pourquoi l’Atlético Mineiro vient-il d’être sacré champion du Brésil 1937 ?

En début de semaine, avec une économie d’explications confirmant que nous sommes entrés dans une ère de frugalité, les médias français ont repris une information venue du Brésil : 86 ans après les faits, l’Atlético Mineiro est sacré champion national. Frustrant d’en savoir si peu sur l’origine de cette attribution tardive, non ? Aux antipodes des organes de presse mainstream, c’est avec un luxe de détails exaltant les bienfaits de la munificence que Pinte de Foot tente de vous expliquer ce qui a prévalu dans la décision de la CBF, Confederação Brasileira de Futebol (à prononcer avec l’accent).

Championnat du Brésil, le grand foutoir

Avant de vous plonger dans l’histoire du Brasileirão, faites un effort, ouvrez vos chakras, changez de mindset, raisonnez out of the box. Vous êtes prêts ? Alors, allons-y ! Non, tous les grands championnats nationaux ne sont pas apparus à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle[1]. C’est le cas du Brésil où le championnat national naît officiellement en 1971 sous le nom de Campeonato Nacional de Clubes selon le vœu de la Confederação Brasileira de Desportos (CBD)[2] présidée par João Havelange, futur grand ponte de la FIFA. Ironie de l’histoire, c’est l’Atlético Mineiro dirigée par Telê Santana qui décroche ce premier Brasileirão réunissant 20 clubs venus de huit Etats fédéraux différents.

Avant 1971, il existe malgré tout des épreuves présentant les caractéristiques d’une compétition nationale entre clubs. Cela commence en 1959 avec la Taça Brasil (Coupe du Brésil), déjà à l’initiative de João Havelange, qui n’a pas toujours été centenaire contrairement à ce que certains pensent. Dans sa forme originelle, la Taça Brasil réunit les champions de 16 Etats et se déroule selon le format de matchs éliminatoires jusqu’à la finale. A la surprise générale, Bahia inaugure le palmarès en s’imposant face au grand Santos[3] et obtient ainsi le droit de représenter le Brésil pour la première Coupe des Champions d’Amérique 1960, future Libertadores.

Bahia 1959, tombeur de Santos.

La formule n’a rien d’un championnat. Par exemple, de 1961 à 1965, Santos remporte le trophée chaque année en ne disputant que quatre ou cinq matchs par édition contre deux adversaires différents alors que 18 clubs participent à l’épreuve. L’autre gros inconvénient de cette compétition est la non-participation de clubs majeurs : seuls les champions d’Etats étant sélectionnés, des « géants » paulistas ou cariocas restent sur le carreau. Quand Botafogo est champion de Rio et donc qualifié pour la Taça Brasil, cela signifie que Fluminense, Flamengo ou Vasco ne le sont pas.

Pour corriger cette faiblesse, les fédérations de Rio et São Paulo se substituent à la CBD et créent en 1967 le Torneio Roberto Gomes Pedrosa (exprès pour vous embrouiller, le tournoi est renommé Taça de Prata en 1969 et 1970, la Coupe d’Argent). Il est évidemment ouvert aux principaux clubs de Rio et São Paulo mais également à ceux du Rio Grande do Sul (Grêmio et Internacional), du Minas Gerais (Atlético Mineiro et Cruzeiro) et du Paraná (Ferroviário). Dans sa première mouture, 15 clubs sont conviés et aucun grand nom ne manque à l’appel. Sacré selon un système de championnat à double détente – au Brésil on adore les phases multiples – Palmeiras s’impose pour la première édition.

La Taça Brasil s’éteint en 1968 et c’est désormais le Torneio Roberto Gomes Pedrosa qui s’affirme comme la compétition de référence désignant les représentants brésiliens à la Coupe Libertadores. Enfin, c’est vrai quand les dates des compétitions sont compatibles car faute de cohérence dans les calendriers, aucun club brésilien ne participe à la Libertadores en 1969 et 1970.

Si vous avez bien suivi, nous arrivons ainsi à 1971, quand la CBD de João reprend la main et crée le Campeonato Nacional de Clubes, le Campeonato Brasileiro Serie A actuel, dont les versions et le nom ont changé au fil du temps[4] sans que ça ne remette en cause la légitimité des clubs sacrés.

L’Atlético Mineiro, vainqueur du premier Campeonato Nacional de Clubes en 1971.

En 2010, la CBF décide que les titres délivrés entre 1959 et 1970 via la Taça Brasil et Torneio Roberto Gomes Pedrosa/Taça de Prata équivalent au Campeonato Brasileiro et les vainqueurs de ces épreuves peuvent officiellement ajouter à leur palmarès des titres de champions du Brésil.

Voilà, si vous êtes encore là, vous savez désormais pourquoi il est communément admis que le premier championnat du Brésil date de 1959.

Campeonato dos Campeões de 1937

Mais alors, quelle est l’épreuve nationale de référence avant 1959 ? Le Brésil est un pays dont la taille et la faiblesse des infrastructures compliquent les déplacements de ville en ville et ce sont donc les championnats d’Etats qui monopolisent l’attention du public. Pour définir malgré tout une hiérarchie entre Etats, le Campeonato Brasileiro de Seleções Estaduais est instauré en 1922 et peut être décrit comme un championnat interrégional à l’échelle du Brésil[5].

Tout cela ne peut masquer l’existence du Campeonato dos Campeões de 1937, une initiative isolée de la Federação Brasileira de Football (vous avez bien lu, Football et non Futebol), une association carioca dédiée au sport professionnel à une époque où le football brésilien peine à imposer une gouvernance unique au niveau de l’Etat fédéral.

Organisée en janvier-février 1937, en même temps que la Copa América disputée par la Seleção en Argentine, le Campeonato dos Campeões réunit six équipes dont une formation de la Marine brésilienne, la Liga da Marinha, l’armée étant un laboratoire en termes de préparation physique pour les coachs brésiliens. A l’issue d’une phase destinée à écarter les deux entités les plus faibles, quatre équipes sont admises à un championnat sous forme de matchs allers et retours, Fluminense (Rio), Portuguesa (São Paulo), l’Atlético Mineiro (Minas Gerais) et Rio Branco (Espírito Santo).

En toute logique, Fluminense doit s’approprier le titre. Il dispose de ses cracks Preguinho, Russo, Romeu Pellicciari, Hércules et l’adversité n’a rien de redoutable : Rio Branco est un club mineur, Portuguesa est certes champion de São Paulo mais dans une ligue dissidente à celle où concourent Palestra Itália (actuel Palmeiras), Corinthians, Santos et enfin, l’Atlético Mineiro n’a jamais vaincu Fluminense.

Surpris d’emblée par Portuguesa, le Fluzão réagit lors du second match en corrigeant l’Atlético Mineiro 6-0. Au retour, dans un stade Antônio Carlos bouillant, le Galo se rebiffe en s’imposant 4-1. La rencontre est émaillée de violences et interrompue durant une trentaine de minutes mais cela ne peut atténuer l’exploit du club de Belo Horizonte. En ne lâchant plus rien jusqu’à la fin du championnat, l’Atlético Mineiro s’offre le titre. Cette équipe peut s’appuyer sur le gardien Kafunga et surtout le milieu Zezé Procópio que la France découvre lors de la Coupe du monde 1938.

La presse de Belo Horizonte relate le succès de l’Athletico (avec un H) contre Fluminense.

Vous l’aurez constaté, dans sa forme, ce Campeonato dos Campeões est une combinaison de la Taça Brasil (les clubs champions de leur Etat) et du Torneio Roberto Gomes Pedrosa (un championnat avec matchs aller-retour) et réunit tous les critères concourant à son éligibilité au rang de Championnat du Brésil. D’ailleurs, à la suite du sacre de l’Atlético Mineiro en 1971, le journal O Globo parle de second titre du Galo après celui de 1937. C’est seulement en 2023, après l’examen d’une demande formelle déposée par les dirigeants de Belo Horizonte, que la CBF confirme que le Campeonato dos Campeões 1937 a bien valeur de Campeonato Brasileiro.

Mais sommes-nous certains qu’il n’existe pas de compétition plus ancienne pouvant être assimilée à un championnat du Brésil ? A cette question, Pinte de Foot prend position et répond non. En 1920, la CBD – que ne préside pas encore João Havelange, n’exagérez pas – organise à Rio le Torneio dos Campeões, un tournoi triangulaire réunissant les champions des Etats de Rio, São Paulo et Rio Grande do Sul. Le CA Paulistano du crack Arthur Friedenreich remporte l’épreuve devant Fluminense et son buteur anglais, Harry Welfare et s’affirme comme le meilleur club brésilien.

Friedenreich avec le maillot blanc du CA Paulistano.

Alors pourquoi ne pas attribuer un titre de champion du Brésil au CA Paulistano? Parce qu’en 1920, le football brésilien est encore amateur et que la CBF ne semble reconnaître que les titres de l’ère professionnelle. Et puis la section football du CA Paulistano s’étant éteinte en 1930, il n’y a plus d’enjeu médiatique à quémander une étoile sur un maillot qui n’existe plus et dont l’éventuelle obtention n’apportera rien à la gloire de Friedenreich.

Note de l’auteur : Pinte de Foot n’exclut pas quelques erreurs ou confusions, n’hésitez pas à nous faire part de celles-ci, nous les corrigerons volontiers.


[1] 1888 en Angleterre (championnat professionnel d’emblée), en 1891 en Argentine, en 1898 en Italie, en 1894 en France, sous forme amateure puis professionnelle. Selon les pays et les instances dirigeantes, les titres de l’ère amateure sont inscrits officiellement au palmarès des clubs (exemple : Italie) quand ils ne le sont pas ailleurs (en France notamment).

[2] La CBD fusionne avec la CBF en 1979.

[3] Le match d’appui nécessaire à départager les deux équipes se déroule en mars 1960, trois mois après la seconde rencontre. Opéré des amygdales, Pelé manque ce dernier match que Santos finit avec sept joueurs.

[4] Campeonato Nacional de Clubes, Copa Brasil, Taça de Ouro, Copa João Havelange, Campeonato Brasileiro Série A.

[5] Ce championnat inter-Etats prend fin en 1959 sur un titre de la sélection de São Paulo avec notamment Pelé (Santos) et Julinho (Palmeiras). Il renaît ponctuellement en 1962 puis en 1987, dernière édition de l’histoire.

16 réflexions sur « Pourquoi l’Atlético Mineiro vient-il d’être sacré champion du Brésil 1937 ? »

  1. Top!, merci Verano.

    Opéré des amygdales, Pelé? Ca me pend au nez.. Il était sujet à de vilaines angines, ou bien c’était à fins d’amélioration de ses perfs physiques? (genre, hypothèse peut-être très conne : les réduire pour qu’il respire mieux)

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    1. Hum, difficile à dire mais le discours officiel parle d’une inflammation gênante. Compte tenu de l’enjeu associé à ce match d’appui contre Bahia – une qualification à la 1ere Copa Libertadores – on peut imaginer que les dirigeants du Peixe auraient préféré qu’il soit présent.
      Je ne sais pas ce qu’était la doctrine médicale dominante au Brésil à l’époque, mais en France dans les 60es-70es, on était prompt à t’enlever les amygdales à la première petite angine déclarée !

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      1. Avec le recul, j’aurais préféré qu’on me les enlève tout de suite!

        Ma femme ça a changé sa vie..et moi pas encore mais j’y compte bien : près de 50 ans sans angine, mais j’en suis déjà à trois cette année, dont une qui a bien dérapé.

        Les titres amateurs ne sont pas reconnus en France? Ca m’étonne d’être passé à côté de ça, vu les articles de Bobby consacrés à cette période.. Je vois que vos instances ont pas mal chipoté au moment de passer au professionnalisme : nombre de villes/clubs max, garanties financières…… Ce n’était pas open-bar, euphémisme! Y eut-il là une corrélation avec la non-reconnaissance des titres amateurs?

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  2. Il est excellent, ce texte.
    Informatif et avec de l’humour.

    Pour répondre brièvement à Alex au-dessus : n’en déplaise à l’OM, les titres d’avant 1933 ne sont en effet pas reconnus officiellement. Le football n’était alors pourtant pas vraiment amateur… C’est le moins qu’on puisse dire ! Mais la Ligue veut sans doute se réserver le monopole de la désignation du champion national. Ainsi, avant qu’elle n’existe, pas de champion national officiel.
    La professionnalisation ne se fit pas par-dessus la jambe. Un « Groupement des clubs autorisés » (à embaucher officiellement des professionnels et donc à participer au championnat national) fut créé. C’est l’ancêtre de la Ligue. Ce Groupement examina quels clubs pouvaient devenir officiellement professionnels : si cela était viable et souhaitable.

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    1. A l’inverse, en Italie, il n’existe pas de distinction formelle entre les instances fédérales (FIGC) et la ligue (Lega), cette dernière étant une émanation de la fédération. Cette absence de séparation justifie probablement le fait qu’il y ait de continuité dans les palmarès, de l’ère amateur à l’ère professionnelle et des championnats par zones à la poule unique de Serie A.

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      1. Et puis la FIGC est ancienne.
        En France, la FFF(A) date de 1919.
        La professionnalisation aussi est plus ancienne en Italie.
        Bref, le foot français a tardé à s’unifier et à s’organiser.

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  3. Merci Verano ! Suis intrigué par le surnom du gardien de Mineiro, Kafunga. Une sonorité africaine, congolaise, je dirais. Je viens de lire qu’il fut député et commentateur vedette ayant développé tout un jargon sur son sport.

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      1. Ah Keziah Jones. Souvenir d’un concert avec un public mollasson comme rarement! Il avait beau essayer d’amener un peu de peps le Keziah, des huitres en face de lui. Le pauvre…

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    1. J’ai pas trouvé l’origine de ce surnom qui en effet n’a rien de brésilien a priori… sauf que cafungar avec C au lieu d’un K existe en Portugais (renifler, sniffer ou voler). A défaut de « feu » Cebolinha, peut-être Rui Costa peut-il nous donner un autre sens au mot ?

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    2. Ca pourrait être complètement congolais, oui.

      Katangais même – ce qui toutefois ne veut pas dire grand-chose.. Ca doit être propre à une ethnie historiquement sise à la frontière Katanga-Angola, complètement le genre.

      Région assez « folklorique » d’ailleurs, pendant des années j’ai lu les, allez, les chroniques de Dilolo, une ville de la région……… Des histoires de sorcellerie de très, très haut-vol!

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      1. Et le royaume du Matamba allait jusque là, la fameuse reine Nzanga.. Bon gré mal gré, on rapporte qu’elle dut céder à la traite des esclaves, y prendre part.. La voie angolo/congolaise pour expliquer ce patronyme ne me paraît pas à exclure, c’est loin d’être con.

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      2. Alex, il faut absolument que tu sollicites Roger Bongos, c’est de ce type de rédacteur dont P2F a besoin. Tu peux également contacter Albert Kilongongo-Quiproquo qui nous informe qu’une femme a donné naissance à un boa.

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      3. Ah, je vois que tu as approfondi le sujet!

        Je me rappelle bien du boa, jadis payé pour tout lire, absolument tout tout tout, sorte de Robert Redford (mais plutôt Robert) dans les Trois jours du Condor..mais pas le même genre d’emmerdes, hein!…….et donc je devais même lire ce genre d’histoires, lol, de loin mes préférées!

        De mémoire, il y en avait parfois sur le football, dont italien..

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