Moteur… Action !

Moteur…

La tension est palpable en cette deuxième journée du premier tour de la Coupe du monde 2006. La Pologne, après sa défaite inattendue (0-2) face à l’Équateur au match précédent, doit prendre au moins un point pour éviter l’élimination. L’Allemagne de Jürgen Klinsmann, elle, a un besoin urgent de se rassurer après un Euro 2004 désastreux, une préparation en demi-teinte, et un premier match contre le Costa Rica qui n’a pas levé tous les doutes malgré la victoire (4-2). Ce 14 juin, à Dortmund, ça va beaucoup mieux : la Mannschaft séduit, elle domine outrageusement, elle se crée une bonne dizaine d’occasions… mais rien ne passe face à un Artur Boruc en état de grâce dans le but polonais. On joue la 90e minute et celui-ci vient d’être sauvé de manière assez incroyable par une double barre transversale de Klose, de la tête, puis de Ballack sur la reprise, avant qu’Odonkor ne marque mais soit à raison signalé hors-jeu. Coup franc à suivre pour la Pologne au moment où le quatrième arbitre annonce trois minutes de temps additionnel, avec toujours 0-0 au tableau d’affichage.

Action !

Plutôt que de jouer court et d’exposer sa défense au pressing allemand, Boruc botte un obus de 60 mètres pour Paweł Brożek sur l’aile droite. Celui-ci, qui vient d’entrer en jeu, aimerait bien aller s’enfermer au poteau de corner, histoire de grappiller de précieuses secondes pour son équipe qui joue à 10 depuis un quart d’heure. Il réussit à faire un chapeau à Philipp Lahm, au duel avec lui, mais son ballon est trop long et Christoph Metzelder, en couverture, le récupère facilement. Un triangle avec Borowksi et Lahm, pour s’assurer de la possession, puis la balle arrive à Torsten Frings dans l’axe, à 30 mètres de son but. Le Brêmois évalue ses options en remontant le terrain et donne finalement sur sa droite à Bernd Schneider, 10 mètres dans le camp polonais. Klose et Neuville sont à l’affût à l’entrée de la surface pour une passe en profondeur, mais le milieu du Bayer Leverkusen a une meilleure idée. D’un piqué de 20 mètres que n’aurait pas renié Sócrates, il lance David Odonkor devant lui par-dessus la défense.

L’ailier à réaction du Borussia Dortmund a fait un bien énorme à l’attaque allemande depuis son entrée en jeu à la 64e minute. Il est sur sa pelouse, dans un coin de terrain dont il connaît chaque brin d’herbe, avec des repères visuels bien au point pour doser chaque ballon à la perfection. Pas question pour autant de prendre à la légère ce qui pourrait être la dernière occasion de l’Allemagne : son visage est un masque de concentration absolue pendant qu’il repique vers l’entrée de la surface pour réceptionner le caviar de Schneider, en jauge la vitesse du regard après un rebond, et frappe sans contrôle juste avant que Dariusz Dudka, Jacek Bąk, et Arek Radomski ne reviennent le prendre en tenaille. Le centre est parfait, hors de portée de Boruc avec un rebond aux 5,50 m devant la cage…

« UND JETZT DIES IST DA ! OLIVER NEUVILLE ! »

Le commentateur de l’ARD en bafouille son allemand : « et maintenant ceci est là » n’a jamais figuré dans les manuels de style de quelque langue que ce soit. Il est vrai qu’il y a de quoi être ému. Au moment où Odonkor préparait son centre, l’attaquant de poche de Mönchengladbach a piqué un sprint pour venir jaillir devant le but entre Baszczyński et Bosacki. Un tout petit peu court à la réception, il s’est jeté pour tirer le maximum de son 1,71 m, a ouvert son pied droit au dernier moment pour bien contrôler sa frappe, et a taclé la balle au fond en demi-volée, presque de la semelle, au premier poteau d’un Boruc pris à contrepied. Dans le stade et devant des millions de TV, c’est l’explosion orgasmique, la délivrance de tout un pays et de bon nombre d’observateurs neutres pour lesquels l’ouverture du score allemande est amplement méritée. Pendant que Neuville, Ballack, et Klose s’agglutinent derrière la ligne de but, il ne reste que gestes de dépit et récriminations mutuelles pour le gardien polonais et ses défenseurs. Entre la récupération par Lahm et Metzelder, la construction de l’attaque par Frings et Schneider, le travail d’Odonkor sur l’aile, et la finition de grande classe de Neuville, c’est une superbe action, digne d’une Coupe du monde, qui vient là de se conclure.

Rien d’autre ne sera marqué et la Pologne se voit éliminée avec deux défaites en deux matchs. Pour l’Allemagne, c’est le match-référence qui prouve le bien-fondé de la méthode Klinsmann et donne vraiment le coup d’envoi de ce que le public appellera le Sommermärchen, le conte de l’été. La Mannschaft passera un 3-0 sans bavure à l’Équateur pour clôturer son premier tour, dominera la Suède sans discussion (2-0) en huitièmes, terrassera l’Argentine en quarts (1-1, 4-2 t.a.b.) après une rude bataille, subira la loi de sa bête noire, l’Italie, au bout de la prolongation en demi-finale (0-2), mais saura finir comme il faut pour la troisième place face au Portugal (3-1). Nous, Français, avons bien évidemment d’autres souvenirs de cette Coupe du monde 2006, avec un autre récit, d’autres héros, et d’autres maudits… mais ceci, comme on le sait, est une autre histoire.

La séquence entière : https://www.youtube.com/watch?v=7W_100iA2xk

Coupe du monde 2006, premier tour, 2e journée

Mercredi 14 juin 2006, 21 h, stade de la FIFA de Dortmund

Allemagne-Pologne : 1-0

Allemagne (4-4-2) : 1 Lehmann – 3 Friedrich (22 Odonkor, 64e), 17 Mertesacker, 21 Metzelder, 16 Lahm – 7 Schweinsteiger (18 Borowski, 77e), 13 Ballack (cap.), 8 Frings, 19 Schneider – 11 Klose, 20 Podolski (10 Neuville, 71e). Entraîneur : Klinsmann.

Pologne (4-2-3-1): 1 Boruc – 4 Baszczyński, 19 Bosacki, 6 Bąk (cap.), 14 Żewłakow (17 Dudka, 83e) – 16 Radomski, 7 Sobolewski – 8 Krzynówek (18 M. Lewandowski, 77e), 9 Żurawski, 21 Jeleń (23 Brożek, 90e + 1) – 15 E. Smolarek. Entraîneur : Janas.

65 000 spectateurs (à guichets fermés). Arbitre : L. Medina Cantalejo (Espagne).

But : 1-0 Neuville (90e + 1).

Avertissements : Ballack (58e), Odonkor (68e), Metzelder (70e) pour l’Allemagne, Krzynówek (3e), Sobolewski (28e), Boruc (89e) pour la Pologne.

Expulsion : Sobolewski (75e) pour la Pologne.

12 réflexions sur « Moteur… Action ! »

  1. Aucun souvenir de ce match (normal je ne l’ai pas vu), ni même de ce but (normal, j’étais dans une phase durant laquelle je m’étais détourné du foot). Merci chef.
    Quand je vois la compo de la Pologne, c’était faiblard, non ?

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    1. Faiblard, c’est vrai, mais bien compensé (enfin, presque) par Boruc qui avait fait un match de titan. Faiblard aussi parce que l’Allemagne ne leur avait pas laissé beaucoup de place pour exister. Le commentateur dit au début de la vidéo de YouTube que l’Allemagne avait tiré 11 fois au but en deuxième mi-temps et la Pologne, 0. Lehmann n’avait eu que deux tirs à arrêter en première mi-temps, tous deux droit dans les mains. À ce niveau, ce n’était même plus de la résistance.

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      1. C’était quand même un sacré renouveau pour l’Allemagne, après la piteuse periode 98-2004. Une génération enthousiaste et joueuse.

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      2. Quand tu dépends du seul Boruc, un gardien que j’ai toujours trouvé quelconque et d’une technique douteuse, c’est pas bon signe eh eh

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      3. C’est Magic Żurawski qui était peut-être le plus talentueux du groupe. Avec le fils Smolarek.
        D’ailleurs qui était le meilleur Smolarek? Le père ou le fils?

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      4. Joli renouveau pour l’Allemagne, effectivement. Je me demande si Nagelsmann ne va pas arriver à faire la même chose à l’Euro, peut-être en donnant les clés à des jeunes comme Wirtz. La gestion des cas Neuer/ter Stegen et Thomas Müller devrait être intéressante. Je ne serais pas surpris si Nagelsmann gardait ter Stegen en numéro 1 dans le but et faisait confiance à Thomas Müller, comme titulaire ou supersub selon sa forme en fin de saison. Je ne suis pas sûr, en revanche, que Füllkrug confirme. Il est encore en phase d’adaptation à Dortmund, certes, mais semble avoir du mal face à des défenses qui verrouillent bien plus contre le Borussia que contre un bas de tableau comme le Werder. Quoi qu’il en soit, si Nagelsmann arrive à rendre la confiance à l’équipe, ce que Klinsmann avait réussi en 2006, ça peut aller plus loin qu’on le pense, surtout dans un tournoi à domicile.

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  2. Y a quelques exemples fameux de joueurs nés et formés en Suisse ayant eu une carrière internationale avec un autre pays. Rakitic, Neuville et Di Matteo… J’imagine que la fede suisse a tenté de les approcher à l’époque.

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    1. Neuville avait le choix entre quatre équipes nationales : allemande, italienne (les deux par ses parents), suisse (né à Locarno), et belge (par un grand-père). Il s’est apparemment décidé vite pour l’Allemagne, mais a toujours tenu à prononcer son nom à la française plutôt que « noïfilleu » à l’allemande.

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      1. Le Bayer 2002 était quand même une équipe hyper enthousiasmante. Je crois qu’ils mettent une danse à United qui était d’un bien meilleur niveau que l’actuel. Coucou Alpha!

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      2. Ils ont aussi gagné 4-2 à Anfield en demi-finale retour. Ça situe le niveau, même s’ils se sont fait zizouter en finale. (Je maintiens que Manuel Neuer, dans ces circonstances, aurait neutralisé l’agresseur en mode cyborg.)

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  3. Je crois que c’est lors de ce match que Gérard Houiller, aux commentaires sur TF1, avait lâché aux alentours de la 80e minutes un splendide « Les Polonais font de la résistance… si je peux dire »

    Osé, mais grandiose ^^

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  4. J’ai vu le match, mais je ne me rappelais absolument pas de ce but.

    Le « Sommermärchen », oui. Les médias allemands, et dans la foulée internationaux, en ont fait des tonnes à l’époque : la DFB se dépoussiérait, Klinsmann apportait un souffle neuf….. La Mannschaft entreprenait aussi de « se colorer », disait-on, ce qui était forcément formidable, un progrès, une Allemagne nouvelle….

    Le genre de frénésie médiatique dont j’ai appris à me défier, tant est difficile de croire qu’elle fut tout à fait spontanée. Un peu comme le « Cool Britannia » 10-15 ans plus tôt en Angleterre, le même genre de souk.

    La Pologne à l’époque, on la revoyait enfin en grands tournois, j’étais curieux……mais qu’est-ce que c’était faible..

    L’article évoque Torsten Frings, alors lui j’adorais!

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