La saga de Catane – la Démocratie-chrétienne au pouvoir (2/4)

Pinte de Foot vous suggère une balade en Sicile, au pied de l’Etna, à Catane plus précisément. Sur un siècle de football rossazzurro, nous vous proposons le portrait des principaux protagonistes de l’histoire du football catanais. Le second épisode débute en 1946. Le football renaît à Catane avec un nouveau club fruit de multiples fusions, le Club Calcio Catania. Le duc Nenè considère désormais les performances des Elefanti avec la distance d’un président d’honneur, Cocò Nicolosi achève sa carrière là où elle a vraiment débuté alors que son mentor, Géza Gertész, est mort en héros l’année précédente.

C’est bien connu, la nature a horreur du vide. Sur les ruines encore fumantes du fascisme, les associations catholiques se régénèrent après avoir été longtemps contraintes par l’absolutisme de l’état mussolinien. Ces organisations laïques infiltrent tous les pans de la société et promeuvent les projets sportifs, éducatifs, syndicaux… en les colorant d’une teinte de religiosité. Parmi les présidents qui se succèdent à la tête du CC Catania après-guerre, plusieurs sont membres de l’Azione cattolica ou des Associazioni cristiane lavoratori italiani (ACLI). Leur influence locale s’avère précieuse pour la Démocratie-chrétienne, le parti d’Alcide de Gasperi ayant subi une cuisante défaite face à une coalition de gauche lors du scrutin régional de 1947. Avec le concours de la CIA, le travail des comités civiques – émanations des associations catholiques – paye et les élections générales de 1948 assoient pour des années la mainmise de la Démocratie-chrétienne sur l’Italie et la Sicile, dont la présidence régionale est confisquée par la Balena bianca[1] jusqu’en 1993.

Le CC Catania de la Démocratie-chrétienne

C’est sous la présidence de Giuseppe Rizzo, 30 ans à peine et déjà très influent au sein des ACLI, que le CC Catania ouvre une première fois les portes de la Serie A en 1954. Au cœur du jeu évolue un Frioulan, le nez cabossé et les traits anguleux de ceux qui ne craignent rien, ni personne : Enzo Bearzot. La quête de travail le conduit au pied de l’Etna, exception au flux migratoire séculaire menant les Siciliens vers les usines de Portello ou Mirafiori. L’exil professionnel se mue en histoire fusionnelle trois années durant, jusqu’à l’accession, le style rugueux et épuré de Bearzot se confondant avec les valeurs rossazzurre.

Enzo Bearzot.

Sans Bearzot parti au Torino mais renforcés par l’ex-Juventino Karl Aage Hansen et l’Allemand Karl-Heinz Spikofski, les Elefanti se maintiennent sans difficulté. Mais depuis la fin de la guerre, les personnages troubles et les affaires de matchs truqués pullulent, jetant un doute généralisé sur la sincérité des compétitions. Le 10 août 1955, alors que le club prépare la saison suivante, la justice sportive prononce la relégation des Siciliens. Au cœur du scandale, se trouve Ugo Scaramella, un arbitre corrompu que les dirigeants catanais, peu sourcilleux des valeurs chrétiennes qu’ils encouragent par ailleurs, ont su rallier à leur cause en contrepartie de quelques centaines de milliers de lires et la promesse d’un emploi dans un quotidien romain.

Manifestations contre la relégation de 1955.

Giuseppe Rizzo se retire sur ce camouflet sans que cela n’interrompe son engagement avec les ACLI, de plus en plus puissantes sous son gouvernement. Décédé en 2021, ses nécrologues louent sa dévotion scrupuleuse à l’œuvre des associations, rappellent sa gestion exemplaire de l’Unione Sportiva Acli, mais oublient opportunément de rappeler son embarrassante présidence rossazzurra. Son départ ne signifie pas pour autant la fin des accointances du club avec l’affairisme de la Démocratie-chrétienne et ses tentaculaires relais d’opinion.

En 1959, le CCC est au bord du gouffre, mal classé en Serie B et exsangue financièrement. La Ligue intronise alors Ignazio Marcoccio en qualité de commissaire extraordinaire. Doté d’un entregent consistant, il obtient une subvention salvatrice de la mairie démocrate-chrétienne – faut-il le préciser ? – et conforte Carmelo Di Bella en tant que technicien. Somme toute banales, ces décisions originelles sont les premières pierres du Grande Catania et préfigurent le destin politique de Marcoccio.

L’Allemand Szymaniak et le président Marcoccio.

Le Herrera du Sud

Marcoccio n’aurait probablement pas choisi Carmelo Di Bella si les Rossazzurri n’étaient pas fauchés. Le pédigrée de ce Catanais de naissance n’a rien d’impressionnant, sa carrière de joueur ou d’entraineur ne lui ayant jamais permis d’exercer sur le continent. Intronisé en décembre 1958, Di Bella obtient laborieusement le maintien et cela suffit pour que Marcoccio lui accorde le droit de poursuivre sa mission.

De manière inattendue, une longue série d’invincibilité durant la phase retour du championnat suivant propulse le CC Catania en Serie A au printemps 1960. Dans un effectif dénué de stars, un défenseur sort du lot par sa taille plus que par ses performances. Il s’appelle Bruno Pizzul. A partir des années 1970, il se mue en commentateur radio puis devient la voix de l’Italie lors des matchs de la Nazionale de 1986 à 2002, se faisant aimer pour sa capacité à raconter le jeu avec précision, sans lyrisme ou vocifération superflus.

Pizzul au marquage d’Omar Sivori lors d’un match amical en mai 1960.

Renforcé par le gardien Giuseppe Vavassori[2], les Argentins Toto Calvanese et Mario Desiderio, le CCC confirme sa présence parmi l’élite et reproduit l’exploit plusieurs années consécutivement. Sans témérité excessive – le catenaccio connaît alors ses heures de gloire – Di Bella promeut un jeu équilibré, où les dimensions physiques et tactiques compensent les faiblesses techniques de son effectif. Ces années coïncident avec celles du miracle économique italien, une période durant laquelle Catane enregistre une croissance telle qu’elle est surnommée « la Milan du Sud ». Cette métaphore s’applique également à Carmelo Di Bella, proclamé « Herrera du Sud » par quelque chroniqueur en mal d’inspiration, comme si les techniciens du Mezzogiorno connaissant le succès ne pouvaient être représentés autrement qu’en disciple du coach à succès de l’Inter[3].

Carmelo Di Bella.

Les premières oppositions entre Herrera et son présumé clone sudiste sont mémorables. Fin janvier 1961, l’Inter reçoit le promu sicilien, étonnant quatrième à deux points des Nerazzurri. Probablement paralysés par l’enjeu et l’immensité de San Siro, les Elefanti inscrivent quatre buts contre leur camp, l’Inter s’imposant 5-0. L’histoire n’aurait pas eu de suite si Helenio Herrera n’avait pas été rattrapé par son bagout (certains l’appellent Habla Habla) : à la fin du match, méprisant, il déclare « nous avons battu une équipe de postiers. »

Au retour, pour rester dans la course au titre face à la Juventus, l’Inter doit l’emporter au stadio Cibali. 35 000 spectateurs sont présents et des millions d’Italiens suivent en direct le dénouement du championnat à proximité de la radio, écoutant l’émission Tutto il calcio minuto per minuto. Aux 25e et 70e minutes, l’envoyé spécial de la RAI à Catane prend l’antenne en s’exclamant vivement « Clamoroso al Cibali » (« sensation au Cibali », une expression entrée dans le langage courant en Italie). Meurtris par les propos de Herrera à l’aller, les Rossazzurri de Di Bella s’imposent 2-0 et mettent un point d’honneur à ruiner les espoirs de scudetto des Interistes et de leur entraîneur, moqué par tout un stade chantant sur un air de cha-cha-cha : « Herrera, Herrera, tu es notre drapeau. »

Calvanese devance l’Interiste Guarneri.

Le CC Catania prolonge son bail en Serie A durant six ans, bien aidé par quelques recrues prestigieuses comme l’international allemand Schimmi Szymaniak, le Brésilien Chinesinho ou le bomber Carlo Facchin. A la tête d’un effectif affaibli par quelques départs clés, Carmelo Di Bella est démis en janvier 1966 sans que cela n’interrompe la spirale négative des Elefanti, relégués en fin de saison. En 1969, désireux de conquérir la mairie de Catane à la tête d’une liste évidemment soutenue par la Démocratie-chrétienne, le président Ignazio Marcoccio passe la main à Angelo Massimino. S’ouvre alors l’ère la plus turbulente d’un club dont le nom est désormais le Calcio Catania, une société par actions conformément à la règlementation applicable aux entreprises sportives.


[1] Surnom de la Démocratie-chrétienne.

[2] Vavassori obtient une sélection avec l’Italie en 1961.

[3] Oronzo Pugliese, entraineur du premier Foggia dei miracoli au début des années 1960 est surnommé le Herrera du Sud ou le Magicien de Furi, sa ville natale.

11 réflexions sur « La saga de Catane – la Démocratie-chrétienne au pouvoir (2/4) »

  1. Hello et merci pour la suite de cette tétralogie!

    La DC et le foot, éhéh.. Un bien vaste sujet, qui dépasse largement les frontières de ce Calcio auquel l’on tend généralement (mais pour le peu qu’on s’y penche) à circonscrire ce drôle de couple……..

    Car, à ce fait italien : il faut ajouter des Anderlecht, Bayern..et d’autres, plus que probablement? Le foot italien aura tant été perclus de défauts, de vice, certes bien réels et horripilants, nocifs..que je ne crois pas superflu d’ajouter que, sous des latitudes autres mais que l’on soupçonne moins voire jamais, hum..

    Le Danois Hansen, c’est pas rien comme joueur. Et Szymaniak aussi. De sacrées prises pour un club fauché.

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    1. D’ailleurs si on connait bien la mode suédoise au Milan AC dans les 50′, celle danoise de la Juve est également au niveau. Karl Aage Hansen, Helge Bronée, Johannes Pløger, l’ailier Karl Aage Præst et le grand buteur John Hansen evidemment. Une page importante à Turin.

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    2. Je crois que c’est Archambault qui parle d’une césure dans le foot italien des années 1960, quand la gauche commence à revendiquer un intérêt pour le calcio qui est jusqu’alors confisqué par la DC. Le rôle des intellos comme Pasolini est fondamental. La Roma a à sa tête un président communiste à la fin de la décennie, chose difficilement imaginable peu de temps auparavant. La tifoseria évolue, la politisation des tribunes commence et s’exacerbe dans les années 70 avec les groupes extrémistes qui prolongent dans les stades les tensions sociales du pays. Mais dans de nombreuses villes, la DC demeure maîtresse du jeu, faisant du football un instrument de stabilité à son profit.

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  2. Question certainement idote mais quid de la Cosa Nostra dans le foot sicilien? Y a t il eu des blanchiment d’argent dans le foot comme c’était le cas en Colombie dans les années 80?

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    1. La Favorita, à Palerme, accueille régulièrement la Nazionale. C’est d’ailleurs là que l’Italie a échoué à se qualifier à la dernière CM contre la Macédoine. Je viens de voir que Catane (deux fois) et Messine (une fois) ont également eu les honneurs de la Nazionale.

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  3. Faudra que je chope l’autobiographie d’Herrera, Yo. Memorias de Helenio Herrera. Il doit être très intéressant même si, datant de 62, il manque toute l’aventure à l’Inter.
    Merci encore Verano pour ce joli voyage!

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