La saga de Catane – Angelo Massimino, le presidentissimo (3/4)

Pinte de Foot vous suggère une balade en Sicile, au pied de l’Etna, à Catane plus précisément. Sur un siècle de football rossazzurro, nous vous proposons le portrait des principaux protagonistes de l’histoire du football catanais. Ce troisième volet est consacré à Angelo Massimino, personnage aussi incontournable que consternant de l’histoire du calcio catanais.

Ignazio Marcoccio ayant renoncé à la présidence pour conquérir la mairie, Angelo Massimino s’installe dans le fauteuil laissé vacant en 1969. Débute alors une longue et tumultueuse relation entre le presidentissimo et les tifosi rossazzurri, interrompue par deux lapidations, elles-mêmes suivies de deux résurrections providentielles, la municipalité démocrate-chrétienne s’en remettant à lui comme à un messie à chaque crise majeure du Calcio Catania.

Tu vuò fà l’americano

Massimino est un maçon ayant tenté l’aventure argentine, comme des centaines de milliers de Tanos[1], et revenu en Sicile comme un Américain. Il affiche sa réussite et se lance dans la frénétique spéculation immobilière de l’après-guerre en tant que constructeur et investisseur. Empereur du bâtiment, il est, mais il s’appelle Massimino, Maximin en français, « le plus grand » en latin. En 1959, pressentant que le football sera un marchepied pour la gloire, son instinct lui commande d’acquérir la SCAT[2], la société de transports de Catane, au sein de laquelle existe un club amateur qu’il rebaptise en toute modestie l’Associazione Sportiva Calcio Massiminiana SCAT.

En 1964, la municipalité décide de reprendre la gestion des transports publics, actant la disparition de la SCAT. Entretemps, Massimino a réussi à se forger une solide réputation dans le microcosme du calcio sicilien. Rien de glorieux, dans les faits. Les frères d’Angelo, Turi et Pippo, ainsi que son fils Alfio, se succèdent à la présidence du club au gré des suspensions d’Angelo pour matchs truqués et pour lesquels il finit toujours par être blanchi. Délivré de la SCAT et malgré les doutes sur la sincérité des résultats, l’Associazione Calcio Massiminiana accède à la Serie D puis à la Serie C avec de vieux briscards ou de jeunes talents dont le plus éclatant symbole est le bomber Pietro Anastasi, future légende de la Juventus.

Anastasi, à droite, accroupi, avec la Massiminiana 1965-66.

Le club vivote encore quelques années, jusqu’à sa dissolution en 1976. La Massiminiana est devenue un fardeau sans charme pour Massimino dont les regards enamourés se sont portés sur le Calcio Catania depuis 1969.

Le presidentissimo

Quelques mois après l’intronisation du trublion Massimino, les Rossazzurri retrouvent la Serie A. Dans les faits, ce succès est l’œuvre d’Egizio Rubino, Cairote de naissance et Sicilien d’adoption, spécialiste des petites società du Mezzogiorno, comme s’il voulait éprouver sa distinction naturelle au contact des usages interlopes du Sud profond. L’état de grâce ne dure pas et le Calcio Catania est relégué dès l’été 1971, ouvrant une ère chaotique.

Angelo Massimino brise les codes de ses prédécesseurs, des industriels et des commerçants drapés dans une prétendue honorabilité, celle de notables soutenus par la mairie democrate-chrétienne, à moins que ce soit l’inverse. Dans cette Sicile mystique et dévote, scandalisée par la nudité de Laura Antonelli dans Malizia[3], dont la trame se déroule au pied de l’Etna, Massimino exsude un parfum de soufre qui n’a rien à voir avec le volcan tout proche. En conflit avec les tifosi, il préfère démissionner une première fois en 1973.

Il revient dès l’été 1974, imposant ses conditions à une mairie inquiète du délitement des Elefanti, condamnés à la Serie C[4]. Après une quasi-décennie faite d’allers-retours entre Serie B et Serie C, Massimino recrute Gianni Di Marzio, père de Gianluca, l’expert ès mercato. Avec l’ancien coach du Napoli et un jeu minimaliste, le Calcio Catania retrouve l’élite en 1983 à l’issue de barrages triangulaires à l’étouffée (un but en trois rencontres).

La médiatisation de la Serie A des années 1980 fait d’Angelo Massimino un personnage recherché des journalistes. Sa syntaxe approximative, requérant des sous-titres pour accompagner ses interventions télévisées, déprime les linguistes mais offre aux chroniqueurs quelques perles. Son excentricité dans une édition du Maurizio Costanzo Show le hisse définitivement parmi les présidents les plus célèbres d’Italie, le pittoresque l’emportant sur les frasques désolantes de l’individu.

Angelo Massimino, Maurizio Costanzo et Turi Ferro, l’acteur de Malizia et tifoso du Calcio Catania. Ferro est également un proche de Cocò Nicolosi avec lequel il partage l’amour du théâtre.

Déterminé à installer Catane parmi l’élite, il adopte des airs de conspirateur durant la phase des transferts, expliquant qu’il va se rendre « dans un pays que je ne peux pas vous révéler pour acheter deux Brésiliens ». Il tient parole puisque signent Pedrinho, défenseur de Vasco et membre de la Seleção 1982, et Luvanor, le « nouveau Zico »[5], paraît-il. Au printemps 1984, Catania est à nouveau relégué après un championnat désastreux en dépit de la présence des Brésiliens, de Claudio Ranieri en fin de carrière et d’Andrea Carnevale en pleine ascension.

Luvanor, Di Marzio et Pedrinho durant l’été 1983.

Pour Massimino, la fin du rêve approche et la Madonna della Lacrima de Syracuse, qu’il vénère, semble l’abandonner, outrée de ses relations extra-conjugales. La presse rend compte de faits peu glorieux, nous y reviendrons, et se lasse de ses excès, comme lors d’un match Catane-Lazio au stade Cibali. Ce jour-là, il empêche un caméraman de la RAI de filmer le match, convaincu que les droits de la télévision doivent être monnayés. Découragé, acculé par les affaires, il cède ses parts et la présidence en 1987.

L’ultime résurrection a lieu en 1992, quand le club est à l’agonie financièrement et vivote en Serie C, au bord du dépôt de bilan. La mairie l’appelle encore une fois au chevet des Elefanti, bien plus séduite par la fortune de l’entrepreneur que par ses méthodes. Massimino comble une partie des dettes, implore la clémence de la fédération en rappelant avoir par le passé soutenu Mattarese (président de la FIGC) mais se heurte à l’hostilité de Candido Cannavò, Catanais lui-aussi et pape de l’information dans la Gazzetta dello Sport. Dans un de ses éditoriaux au vitriol, Cannavò écrit : « le nœud du problème est Massimino avec qui rien ne peut se construire. » Privé de soutien, le presidentissimo ne parvient pas à éviter une sanction administrative expédiant le Calcio Catania en championnat régional. Entamée par un retour en Serie C2 (quatrième niveau national), la reconquête s’interrompt brutalement en mars 1996 sur l’autoroute reliant Catane à Palerme : éjecté de l’habitacle de la puissante BMW conduite par son gendre, Angelo Massimino décède à 69 ans.

L’héritage

Que reste-t-il de Massimino ? Un nom de stade, le vieux Cibali devenant l’Angelo-Massimino, et le souvenir de ses bourdes : « Catania manque d’amalgame ? Dites-moi où il joue et je l’achète. » « Qu’est-ce que c’est que ce jambon qui a le goût de poisson ? Du saumon, président… » Son œuvre ne se limite pas à ces aimables anecdotes. Massimino, ce sont des menaces répétées à destination d’arbitres, joueurs (en 1984, l’ancien international Giuseppe Sabadini reçoit un coup de poing), entraîneurs, des agressions sur journalistes, six années de suspension cumulées, un projet d’assassinat d’une de ses maîtresses et mère de deux de ses enfants… Insuffisant pour ruiner l’image d’un personnage adulé post-mortem, la Curva scandant régulièrement : « un président, il n’y a qu’un président. »

5000 personnes se sont rendues aux obsèques de Massimino.

Pour conclure sur une touche positive, notons que plusieurs mafiosi repentis affirment que Massimino n’a jamais cédé aux offres de protection des parrains locaux malgré des menaces de mort. S’ils disent vrai, en ayant fait fortune dans le bâtiment – un des terrains de jeu privilégiés de Cosa Nostra ou de la Stidda – c’est un exploit du niveau des deux accessions de Catania sous sa présidence.


[1] Contraction de Napolitanos et utilisé en Argentine pour désigner les Napolitains et Siciliens.

[2] Società Catanese Trasporti.

[3] Malizia de Salvatore Samperi, immense succès sorti en salle en 1973. Le Catanais Turi Ferro tient le rôle du père décidé à se remarier avec sa bonne, Laura Antonelli.

[4] Massimino se fait élire au conseil municipal de Catane, sur la liste de la Démocratie-chrétienne bien sûr.

[5] Aucun but en 30 matches, la comparaison est rude avec la version originale arrivée à l’Udinese en même temps que lui.

18 réflexions sur « La saga de Catane – Angelo Massimino, le presidentissimo (3/4) »

  1. Massimino, à l’image d’Antonino, des terminaisons de prénoms typiquement estampillées « Sud de l’Italie ». Un vrai et bon vieux « Tanos » comme tu le souligne si bien amigo !

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      1. tano, en argentine c est devenu par extension tous les italiens ou descendants d italiens.

        Y a Pernía (CABJ) qui se faisait surnommé ainsi.

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      2. Tu parles de Pernia père, Vicente. Il était bon d’ailleurs? Mariano, son fils, était un arrière gauche correct, qui a raté de peu le wagon de l’Euro 2008 avec l’Espagne. Peut-être le premier international issu de Getafe.

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      3. Oui Vicente le père, arrière droit.
        Bah le mec qui est connu pour prendre souvent des rouges, pas le genre poète en défense, le Boca des années 1970 quoi ^^ même s’il n’en était pas moins un très bon défenseur tout de même, dans le tout haut du panier à l’échelle nationale, époque Lorenzo, international même si pas retenu en 1978 (à mon avis il a du lui dire ses 4 vérités à Menotti à un moment ou l’autre… c’était pas le genre à la fermer et à se rabaisser aussi, … et donc sur le terrain il était souvent « chaud » hehe)

        Le fils me souvient vaguement avec la roja, il était titulaire à gauche contre la France (Mondial 2006) ?

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      4. Oui, Pernia était titulaire face à la France en 2006. Un tireur de coup franc très correct. Le premier tour de l’Espagne était pour une fois réussi et la déconvenue face à la France servira de leçon…

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    1. Aucune idée. Autrefois, on parlait des « Americani » pour évoquer l’attitude de ceux qui affichaient leur réussite, qu’ils soient allés outre atlantique ou non… aujourd’hui, je ne sais.

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    1. Palerme vampirise médiatiquement le calcio sicilien. Club de la capitale régionale, en Serie A dès les années 1930, un président de roman dans les 50es, Raimondo Lanza Di Trabia, finaliste de la Coppa, des champions du monde 2006 et Zamparini omniprésent dans la presse…. Difficile d’exister pour Catane.

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  2. J’en avais l’idée mais j’ai préféré vérifier..à raison car c’est beaucoup plus parlant : 10ème ville la plus peuplée d’Italie.. capitale économique d’une région de 5 millions (! – je ne l’aurais pas soupçonné) d’habitants.. C’est pas rien, en somme.

    Et, cependant : seulement 17 saisons en Série A, pour plupart d’ailleurs à l’arrache..

    Ce serait raide de vouloir comparer ; pôle économique de la Sicile, que cela pèse-t-il vraiment à l’aune d’une région +/- dynamique d’Europe du Nord. Mais juste pour s’en faire idée (évidemment imparfaite, donc : ville Vs métropole, etc..) : 10ème ville de France c’est Lille, d’Allemagne c’est Dortmund ou Essen, du Royaume-Uni c’est Newcastle………

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    1. En fait j’attendais la fin pour poser certaines questions, laisser d’abord à ton récit de s’installer..mais, je craque déjà sur celle-ci : ces dirigeants (et/ou d’autres?) « se contentèrent-ils » (facile à dire..) de vivoter, de survivre..et d’exister via le foot à l’échelle régionale……ou en fut-il l’un ou l’autre qui conçu(ren)t pour ce club (ou Palerme?) de plus grandes ambitions, et s’en donnèrent vraiment les moyens?

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      1. Je ne connais pas toutes les arcanes de Catane mais il est évident que le Duc Nenè dont je parle dans la 1ere partie n’a agi que par devoir, appelé par le PNF avec lequel il semblait pourtant pas partager grand-chose. C’était une manière de prolonger et démontrer le pouvoir de la noblesse, quitte à ce que cela lui coûte une partie de sa fortune.
        Marcoccio et ses prédécesseurs (pour la plupart) se sont servis du club comme d’un tremplin politique.
        Massimino, c’est différent. On perçoit bien qu’il fait honte à la DC qui ne l’accepte en son sein que pour sa fortune. Massimino avait sans doute envie d’un grand Catania Calcio. Exiger une redevance de la RAI pour la diffusion des images des matchs, c’était visionnaire et un moyen d’essayer d’augmenter les revenus d’un club modeste. A chaque crise financière, il a investi son argent pour sauver le club, fût-il gagné de manière peu licite, encore que ce ne soit pas prouvé. Au fond, c’est peut-être le plus sincère des présidents notables du club malgré ses méthodes dégueulasses.

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