Coupe Mitropa 1955 : L’apogée de la Hongrie des clubs

L’Empire austro-hongrois, fondateur de la première Coupe d’Europe

Avant la Ligue des Champions, la Coupe des Clubs champions européens et même la Coupe Mitropa, il y avait la Challenge-Cup. Créée en 1897 par John Gramlick, un anglais qui fonda l’un des premiers clubs d’Autriche, elle regroupe les clubs des trois capitales de l’Empire : Budapest, Vienne et Prague. Après dix éditions, la compétition s’arrête en 1911, ouvrant la voie à deux compétitions : la Coupe d’Autriche à partir de la chute de l’Empire en 1918, et la Coupe Mitropa.

Une compétition internationale dans un contexte d’après-guerre

La Coupe Mitropa, nommée ainsi pour deux raisons : c’est l’abréviation de « Mittel Europa », signifiant « Europe centrale » et c’est également le nom d’une compagnie ferroviaire allemande dont le nom venait de l’abréviation précédente. La compétition vient de Hugo Meisl, légendaire coach des Rot-Weiss-Roten pendant près de 20 ans, qui fut également l’homme professionnalisant l’Autriche durant les années 1920, amenant l’Autriche à être le premier pays européen à avoir un championnat professionnel en 1924. La compétition vit le jour en 1927, la même année qu’une autre création de Meisl : la Coupe internationale européenne, ancêtre du Championnat d’Europe des nations, opposant cinq nations d’Europe centrale : l’Autriche, la Hongrie, l’Italie, la Suisse et la Tchécoslovaquie.

En 1927, les seuls pays d’Europe continentale devenus professionnels étaient l’Autriche, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et l’Italie. Néanmoins, ces quatre nations ne participeront pas directement à la compétition, l’Italie étant remplacée par la Yougoslavie à cause des relations diplomatiques très tendues entre l’Italie fasciste et la République d’Autriche. Cela changera deux ans plus tard, les équipes yougoslaves, pas encore professionnelles, étant remplacées par des italiennes bien plus coriaces, après qu’Alexandre Ier a fait de la Yougoslavie une dictature.

C’est cette période, entre 1929, année où la FIFA reconnaît officiellement la compétition, et 1937, dernière participation pré-Seconde Guerre mondiale des clubs autrichiens, qui marque l’apogée de la Coupe Mitropa. Tous les meilleurs clubs et les meilleurs joueurs d’Europe s’y rencontrent et s’y affrontent dans une compétition qui n’a aucun équivalent en terme de compétitivité.

Malheureusement, la réalité va venir rattraper le tournoi qui souffrira de l’Anschluss puis de la Seconde Guerre mondiale. Les éditions de 1938 et 1939 sont tronquées alors que celle de 1940 s’arrêtera avant même que la finale entre Ferencváros et le Rapid Bucarest n’ait pu se jouer. La compétition est donc stoppée pendant plus d’une décennie, si ce n’est pour une micro-édition non-officielle en 1951.

Une édition comme chant du cygne…

Pour son retour en 1955, la Coupe Mitropa offre un plateau très compétitif avec des équipes comme l’AS Roma, sortant d’une très belle troisième place en championnat la saison précédente et comportant des joueurs de classe mondiale tels que Alcides Ghiggia, István Nyers ou Giacomo Losi, entrainés par György Sárosi, meilleur buteur de l’histoire de la Mitropa. Côté yougoslave, le Hajduk Split, champion de Yougoslavie en titre peut s’appuyer sur son buteur Bernard Vukas mais plus son portier Vladimir Beara, parti à Belgrade.

Néanmoins, les favoris sont les deux clubs hongrois, Vörös Lobogó, actuel MTK Budapest, et Honvéd Budapest, les deux symboles de la domination hongroise. En effet, 14 des 22 hongrois de l’effectif finaliste de la Coupe du Monde 1954 jouent dans l’un des deux clubs, six au Vörös Lobogó et huit au Honvéd Budapest.

Si le Honvéd Budapest est le club de Puskás, Kocsis, Bozsik ou Grosics, Vörös Lobogó possède Hidegkuti, Zakariás et Palotás mais surtout Márton Bukovi, coach de génie ayant été l’un des innovateurs du 4-2-4 mais aussi l’homme qui fera reculer Hidegkuti pour lui donner ce rôle d’attaquant en retrait qui le caractérisera. C’est néanmoins Tibor Kemény qui entraîne le club puisque Bukovi l’a quitté l’année précédente.

Vörös Lobogó commence au tour préliminaire en éliminant le Wacker Wien dans la douleur après un match d’appui gagné sans trop de difficulté. Dans le même temps, la Vojvodina Novi Sad élimine l’AS Roma en gagnant à l’aller comme au retour. En quart de finale, les clubs tchécoslovaques, UDA Prague et Slovan Bratislava, font la loi en battant assez largement Bologne et la Vojvodina. Les Hongrois continuent logiquement leur route, Honvéd sortant le Wiener Sport-Club pendant que Vörös Lobogó étrille le Hajduk Split, malgré une victoire 3-2 des locaux en Yougoslavie.

Les demi-finales voient deux duels nationaux : l’UDA affrontera le Slovan, duel entre le futur champion slovaque et son dauphin tchèque, alors que Vörös Lobogó et Honvéd Budapest régleront leurs comptes dans l’autre confrontation.

L’UDA réussit à vaincre le Slovan en trois matchs : 0-0 à Prague puis 2-2 à Bratislava, pas de prolongations ni de but à l’extérieur, le troisième match à Prague voit les locaux s’imposer et se qualifier pour la finale de la Mitropa pour la première fois de leur histoire.

De l’autre côté du Danube, la Népstadion voit les deux meilleurs clubs d’Europe, les Hongrois n’étant pas encore partis du pays, s’affronter pour un billet en finale de Coupe Mitropa.

Le match a lieu le 18 juillet 1955 mais surprise : au bout d’un quart d’heure de jeu, le Honvéd mène 3-0 et semble parti pour marcher sur la compétition. Néanmoins, Vörös Lobogó revient dans le match en marquant deux buts en première mi-temps. 3-2 à la mi-temps mais Kocsis puis Machos alourdissent le score à 5-2. Le tableau d’affichage n’évoluera plus pour le match aller mais cinq jours plus tard, dans le même stade, le scénario est totalement inversé, Vörös Lobogó mène 4-0 à trois minutes de la fin de la première mi-temps. Ferenc Puskás, pas très en forme depuis le début de la compétition, réduit le score pour son équipe mais en vain, Imre Kovács marquant même un cinquième but après l’heure de jeu pour assurer la victoire des coéquipiers de Nándor Hidegkuti.

Une semaine après les matchs retour des demi-finales, la Népstadion voit ses ouailles détruire l’UDA Prague sur le score de 6-0, Hidegkuti se permettant un triplé, avant une victoire 2-1 en terre pragoise.

… pour une relique bientôt archaïque

Un mois jour pour jour après la finale retour de la Coupe Mitropa, loin de Prague se déroule un match historique entre le Sporting Portugal et le Partizan Belgrade; le premier match de l’histoire de la Coupe des Clubs Champions. Soutenue par l’UEFA, cette compétition se veut être une Coupe Mitropa à l’échelle de toute l’Europe, rendant la Mitropa obsolète, d’autant plus que l’Europe centrale voit la qualité de son football diminuer avec le temps.

En effet, l’Autriche ne reviendra jamais à son niveau des années 1930 malgré l’émergence de joueurs comme Hans Krankl, Herbert Prohaska ou Anton Polster. La Hongrie verra certains de ses plus grands talents quitter le pays à la suite de l’insurrection de Budapest en 1956, devant dire adieu à Puskás, Kocsis et Czibor, après avoir déjà laissé filer László Kubala. La Tchécoslovaquie sera la mieux lotie des trois nations originelles de l’Europe centrale, remportant la dernière Coupe internationale européenne en 1960 avant d’atteindre la finale de la Coupe du monde en 1962, portée par une génération dorée incarnée par le défenseur Ján Popluhár et le milieu de terrain Josef Masopust. Le football tchécoslovaque atteindra son apogée en 1976 avec une victoire au Championnat d’Europe des nations grâce à une nouvelle génération dont les plus grands joueurs sont Ivo Viktor, Antonín Panenka, Zdeněk Nehoda et le capitaine Anton Ondruš.

Malheureusement, la mondialisation croissante dans le football et la perte d’intérêt pour une compétition entre petits clubs d’Europe centrale provoquera un lent déclin de la Coupe Mitropa, ne servant plus que de tournoi de présaison aux clubs de milieu de tableau et aux promus. La chute du bloc de l’est signera l’arrêt de mort de la compétition, avec une dernière édition remportée par le FK Borac Banja Luka en 1992, dans une Bosnie-Herzégovine en guerre.

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38 réflexions sur « Coupe Mitropa 1955 : L’apogée de la Hongrie des clubs »

  1. Nyers, Kubala, Ujlaki, des talents que l’on aurait pu voir avec la grande Hongrie. Incroyable densité… D’ailleurs, je ne connais pas le voix d’Ujlaki et me demande s’il avait un bon accent d’Europe de l’Est quand il parlait français.
    Et merci pour la photo de la Coupe que je n’avais jamais vu!

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  2. L’Europe du Nord-Ouest y avait au bas mot connu un équivalent dès 1900, la Coupe VanderStraeten-Ponthoz (et, dans l’immédiate foulée, la Coupe Dupuich qui lui succéda) : clubs belges donc, mais aussi anglais, français, allemands, hollandais, suisses..

    De tête il y avait 4 tours.

    Eu(ren)t-il jamais la valeur sportive du plateau allongé en Mitropa? J’en doute, mais.. Les rapports de force étaient différents entre années 1900-1910, d’une part, et de l’autre ces années 1920-1930 durant lesquelles la Mitropa fut l’incontestable nec plus ultra.

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    1. Vers 1910, il existe la Coupe des Pyrénées entre clubs du Nord de l’Espagne (San Sebastián par ex) jusqu’à Barcelone et du Sud de la France en ratissant large comme Cette/Sète ou Toulouse mais aussi, Bordeaux ou Marseille par ex. Et déjà les Français étaient battus systématiquement, aucun succès final.

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      1. Je vois que le Stade Bordelais a perdu 2 fois en finale face au Barça. Je vois régulièrement un mec qui a joué dans la section rugby.
        C’était un des gros clubs omnisports de l’époque. Surtout en Rugby où ils furent 7 fois champion de France entre 1899 et 1911! Avec 5 finales sur la meme période.
        Ils n’ont plus qu’une section amateur depuis la fusion avec Bègles depuis une quinzaine d’années.

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      1. The Matthew Le Tissier Cup? Me souviens quand Platini l’avait sondé pour jouer avec les Bleus.
        Belle carrière Le Tissier.

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      2. Oui c’est ça, merci! Appris l’existence de ce truc il y 3 jours, ça me faisait bizarre que vous en parliez genre mon cerveau me joue des tours, « déjà-vu ».

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      3. Sindelar
        C’est plus une boutade. Je ne connaissais pas cette coupe. Graham le Saux est de Jersey.

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      4. Le Tissier, qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait avec les Three Lions 🏴󠁧󠁢󠁥󠁮󠁧󠁿

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    2. Au rayon des trophées internationaux méconnus mais qui perdurent, il y a le Challenge Kentish.
      Créé dans l’immédiat après-guerre (le premier !), la compétition rassemble les équipes militaires du Royaume-Uni, de la France et de la Belgique. C’est une manière de prolonger (et de célébrer) l’alliance du temps de guerre.
      Les Pays-Bas s’y greffèrent plus tard.
      La France a remporté l’édition 2022 : https://www.footamateur.fr/la-100e-edition-du-challenge-kentish-pour-lequipe-de-france-militaire/

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  3. Article sympa. J’ai appris plein de choses sur les sous-coupes.
    En effet, en France si la Coupe Drago était bien la coupe des losers, certains s’en contentaient. Le FC Sochaux et le RC Lens l’ont remportée 3 fois chacun. C’est la seule ligne au palmarès du Nîmes olympique.
    La Coupe Eva Duarte est l’ancêtre de la Supercoupe d’Espagne. Elle oppose de 1947/48 à 1952/53 le vainqueur du Championnat d’Espagne de football au vainqueur de la Copa del Generalissimo. Le Real l’a remportée une seule fois en 1947.

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  4. Tu parlais de Bukovi et de son rôle dans le positionnement d’Hidegkuti mais il eût un rôle similaire dans celui de Bobek quand il entraînait le Partizan. Utiliser les capacités de création de Bobek pour rompre les lignes adverses et ne pas le cantonner dans un rôle de buteur.
    Je viens de voir que Bukovi est mort à Sete où il avait joué. Est il enterré vers la plage de la Corniche, je l’ignore…

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    1. Bukovi, maître à jouer (demi-centre) du Sète 1934, auteur du premier doublé coupe-championnat de l’histoire du football français.
      Il est certainement enterré au cimetière Le Py (là où il y a Brassens et Yvan Beck, intérieur vedette de ce Sète 1934), plutôt qu’au Cimetière marin (où il y a Valéry et Gambardella).

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    2. Bukovi, c’est un sacré morceau !

      Comme tout les hongrois de l’époque, il avait une avance tactique assez stupéfiantes, et avoir Hidegkuti et Bobek comme héritage, c’est plutôt sympa 🙂

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      1. On va en parler… il y a beaucoup à écrire sur le foot de l’ex-RDA, et c’est dans les tuyaux.

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      2. Error ! Fredo.
        Julot a joué pour les deux, en fait c’est le même club.
        D’abord établi à Pantin, l’Olympique déménage à Paris vers 18-19.
        C’est alors qu’il est encore établi à Pantin qu’il remporte la toute première Coupe de France.

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  5. Gramlick est en effet l’un des fondateurs du Vienna Cricket & Football Club, créé officiellement… un jour après le First Vienna. Les Cricketer ont joué un rôle inportant dans le développement du foot à Vienne. Ils ont servi d’exemple à d’autres, et certains comme Robert Lowe ou Edward Shires ont entraîné des joueurs lors des débuts du Rapid. Hugo Meisl était aussi un ancien Cricketer.

    Le foot autrichien décline brutalement au début des 60’s. Le Rapid est encore en demi finale de CE en 61. Entre mai 60 et novembre 61, l’équipe nationale dirigée par Karl Decker aligne les succès de prestige (je crois même que l’Equipe la désigne meilleure équipe d’Europe). Mais ça part en vrille à partir de 62.

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    1. Y aurait-il cause à effet avec l’instauration du professionalisme en RFA en 1963 et peut-être (à vérifier) une fuite des talents vers un championnat de meilleur niveau, mieux rémunéré dans une monnaie plus forte ?

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      1. Non, les raisons sont à chercher ailleurs. Outre un vivier limité, on peut avancer pêle-même les problèmes financiers, d’infrastructures, le peu de considération pour le sport en général et le sport pro en particulier de la part des politiciens, l’incompétence de la fédé, l’évolution des mentalités…

        Le centre de formation du football viennois, c’était la rue pour ainsi dire. Happel racontait qu’à son arrivée au Rapid, à 12-13 ans, il était déjà techniquement formé. Les gamins allaient au stade (et au Prater, par exemple, il y avait souvent une double programmation), observaient les pros, puis reproduisaient ce qu’ils avaient vu avec un ballon. Et si ce n’était pas un ballon, une boîte de conserve ou une balle de tennis. Et pour beaucoup de ses gamins, le foot était une opportunité de promotion sociale.

        Après 60, on est passé de Hanappi ou Happel, des gars talentueux avec des QI exceptionnels, à des Franz Hasil ou Gustl Starek. Des types parfois très talentueux, mais qui n’avait plus la même mentalité que les anciens.

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