Le deuxième rêve de Daley Thompson

A l’occasion des 40 ans des championnats du monde d’athlétisme, retour sur la carrière d’un médaillé d’or à Helsinki en 1983…

Jim Thorpe, Bob Mathias, Dan O’Brien, Ashton Eaton, les légendes américaines. Roman Šebrle et Tomáš Dvořák, les gaillards tchèques ou Kevin Mayer dont j’ai eu la chance de voir le record du monde à Talence. Puissants, rapides ou endurants. Luttant contre leur faiblesse à la perche pour immédiatement avaler une à une les haies. Existe-t-il sport plus complet que le décathlon? Difficile à trouver… Si je ne devais en garder qu’un dans cette discipline, je prendrais un Anglais, d’origine nigériane. Un moustachu musculeux des années 1980, une forte personnalité et un look, sans chemises hawaïennes malheureusement. N’est pas Magnum qui veut… Ni Higgins! Son nom? Francis Morgan Ayodélé Thompson, dit Daley.

Pas une comédie romantique

En 1960, le journaliste du New York Herald Tribune, Red Smith, déclarait à Rome que le décathlon etait « la compétition la plus ennuyeuse du monde. » On peut affirmer sans se tromper qu’il est peu probable que cet avis tranché ait un jour atterri dans les oreilles du jeune Daley. Faut dire qu’il a d’autres chats à fouetter le loustic, l’existence à Notting Hill n’a rien de la comédie mièvre jouée par Hugh Grant. Né d’une mère écossaise et d’un père nigérian, Daley voit son paternel quitter le foyer familial à six ans et disparaître sept ans plus tard, victime d’une balle en pleine rue. Un épisode douloureux pour l’adolescent Thompson, de quoi te détruire intérieurement mais qui n’altèrera jamais sa soif de vie… « Le meurtre de mon père a été assez traumatisant, mais ça arrive. Des gens se font tuer, mais la vie continue et il faut en tirer le meilleur parti. » Un corps en acier allié à un mental de Viet-Cong ce Daley que les passages en maisons de redressement ne feront qu’endurcir.

Thompson est un hyperactif, une boule d’explosivité dans un stade, un touche-à-tout qui s’inscrit sur un coup de tête à un décathlon organisé au Pays de Galles et le gagne évidemment! Les bases de sa domination future sont déjà là, sprint et aisance dans les différents sauts. Fasciné par le système de points de son sport, obsédé par ses petits gains qui font les récompenses, Thompson, pas encore majeur, flirte déjà avec les records mondiaux des glorieux anciens comme Bob Mathias. Il se frotte pour la première fois au gratin mondial lors des Jeux Olympiques de Montréal, un apprentissage douloureux mais bénéfique qu’il conservera comme une cicatrice, rejetant désormais toute aide extérieure. Hargne, ténacité, solitude dans la recherche de performance, Daley ne vit que pour la prochaine olympiade moscovite…

Embrasse-moi Leonid!

Ses superbes performances ne déclenchent étonnamment pas une vague de sympathie parmi les fans et les médias. On le décrit comme arrogant, grossier et caractériel et sa brillante victoire à Moscou en 1980 est éclipsée par les foulées légères des Sebastian Coe ou Steve Cram, aux styles de vie et manières bien plus « aristocratiques ». Justifié ou non, Thompson y verra longtemps une sorte de défiance, de la part d’une société pas encore prête à idolâtrer un noir : « J’ai commencé la compétition avant même que la première personne noire n’ait joué au football pour l’Angleterre, alors peut-être qu’une partie de la négativité que j’ai reçue était à cause de la couleur de ma peau. »

La reconnaissance de sa nation, il ira la chercher du côté du Pacifique, à Los Angeles en 1984. Premier champion du monde à Helsinki et longtemps détenteur du record de la discipline, Thompson voit son hégémonie malmenée par l’éclosion d’un géant venu de Duisbourg, Jürgen Hingsen. Les deux champions, aux qualités opposées, n’auront de cesse de s’échanger la marque mondial en préparation des Jeux Olympiques, ce qui conduit notre Anglais à déménager en Californie afin d’optimiser sa quête du haut du podium. Pendant deux jours, le public en aura pour son argent, le duel est dantesque mais comme de coutume, Jürgen Hingsen cède, faisant de Thompson le premier à conserver son sacre olympique depuis l’ancien membre du congrès américain, Bob Mathias. En 1987, des problèmes récurrents aux ischio-jambiers provoquent sa première défaite en compétition depuis neuf ans. Daley finit au pied du podium à Seoul, le coeur léger, ayant exaucé son premier rêve de gosse, l’or olympique. Le second, inaccessible, étant de jouer en pro chez les footeux…

Et maintenant, que vais-je faire ?

Sa carrière d’athlète finie, Daley, en recherche de sensations fortes, s’essaie au sport mécanique, en participant fougueusement mais maladroitement au Ford Credit Fiesta Challenge. Le monde du football, qu’il convoitait secrètement, n’est pas insensible à son expertise, Daley est engagé en tant que préparateur physique auprès de Luton et surtout Wimbledon. Habitué des matchs caritatifs, où il porta occasionnellement les couleurs de Tottenham ou Arsenal, Thompson joue régulièrement en attaque pour la reserve des Dons, laissant s’exprimer sa pointe de vitesse et une technique certaine sur la mythique pelouse de Plough Lane.

Thompson vient de marquer pour Tottenham face à Coventry, en lever de rideau de la finale de la Cup 1987

Nanti de cette bonne réputation, Daley, 36 ans, se voit offrir un essai à Reading, alors pensionnaire du deuxième échelon national. Thompson, qui affronte des adversaires qui pourraient être ses enfants, s’entraîne pendant un mois avec les professionnels. Mark McGhee, l’entraîneur écossais, découvre un homme au corps meurtri, rempli d’étoiles dans les yeux, qui donne tout à chaque exercice : « Au début, j’étais sceptique. La dernière chose que je voulais, c’était que quelqu’un interfère avec nos préparatifs. Mais il a montré beaucoup d’enthousiasme et les gars l’aiment. » L’aventure n’ira pas plus loin mais Daley aura son heure de gloire en scorant en amical face Leatherhead.

Daley sous la tunique de Reading

Non-League football, manuel de survie

En 1995, Thompson rejoint Mansfield Town en cinquième division. Et ce monde en sous-sol qui n’ose parler tout haut de professionnalisme. Si le club ne peut nier la publicité générée par cette arrivée, Andy King le coach insiste sur le fait que Thompson n’est pas un gadget et « qu’il est bien meilleur que je ne le pensais, avec la force, le rythme et la puissance dont chaque attaquant a besoin. » Apres un passage en équipe B, l’ancien olympien est sur le banc face à Cardiff, emmitouflé sous une couverture. Les 2 300 spectateurs attendront en vain son entrée…

Nullement découragé, Thompson rebondit, tel un Jonathan Edwards juvénile, à Stevenage Borough, en ligue amateur. Une foule de 300 badauds vient quotidiennement assister aux entraînements, il est aligné au milieu de terrain face à Ware et remercie le public de Broadhall Way par un magnifique doublé! Il l’ignore mais c’est son dernier fait d’armes sportif puisqu’il se blesse en fin de match. Daley quitte la ville sans bruit, sans donner d’explications, s’étant confronté à ses limites. Épuisé, le réservoir vide, il est temps de passer la main…

Disparaît ainsi en 1995, presque anonymement, dans les bas-fonds du foot anglais, un des plus fantastiques athlètes britanniques des cinquante dernières années. Un guerrier qui courait, sautait, lançait en quête d’un fantasme autant que d’une perfection…

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15 réflexions sur « Le deuxième rêve de Daley Thompson »

  1. 10 ans au top en décathlon, j’ignore si c’est commun mais je pressens que c’est très costaud.

    Ce fut la croix et la bannière pour les athlètes anglais, que de pouvoir disputer les JO de Moscou.. Le pouvoir en place était radicalement pour le boycoot, Coe était hors de lui..

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    1. Ashton Eaton est le seul à avoir conservé son titre olympique depuis Thompson. 9 ans, c’est effectivement énorme. Thompson participait régulièrement aux 4×100 avec les Britanniques.

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  2. Je me souviens de ce gros chat. Il a sans doute contribué à rendre populaire une épreuve interminable et difficile à concilier avec les exigences des programmateurs TV. Pour avoir fait de l’athlé dans ma jeunesse, les décathloniens, peu médiatiques en comparaison des sprinters, sont un peu les stars dans les clubs et se comportent parfois comme tels. Pas de super souvenirs des juniors qui avaient fait le choix du décathlon, ou plutôt qui avaient refusé de renoncer à des épreuves. Il faut dire que l’organisation des compétitions de jeunes encourage à la polyvalence (je ne sais pas si c’est toujours le cas). A chaque compétition, nous devions participer à une course, une épreuve de saut et une de lancer.

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  3. Un des beaux duels du Decathlon olympique est l’affrontement entre Rafer Johnson et le taïwanais Yang Chuan-kwang en 1960. Les deux s’entraînaient ensemble à UCLA et étaient très proches. Rafer a même joué pour les Bruins du fameux coach Wooden. C’etait un ami des stars de cinéma. Il a failli jouer dans Spartacus.

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  4. j’adore le « un mental de Viêt Cong » ha ha c’est un peu ça pour chaque décathlonien
    @Verano il me semble que cela à changer peut être grâce aux grands événements très suivis à Talence et Katowice les grands duels des 20 dernières années et puis les « bonnes » tronches apparues entre Eaton Sebrle Dvorak Mayer
    c’est dingue 9 ans au haut niveau dans cette discipline aussi exigeante

    pour les JO de Moscou effectivement les rosebeef à la botte des ricains décident le boycott et Tatcher est pas tendre avec les arhlétes qui hésitaient pour ce boycott mais y’avait 2 fortes têtes qui ont tenus contre vent et marée les 2 « ennemis » Ovett et Coe ! des gars aux caractères totalement à l’opposé mais pour une fois d’accord pour s’y rendre et feront 1 et 2..j’ai vu un doc à ce sujet et sur leur rivalité à la vie à la mort magnifique!

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      1. la 1ere fois que je l’ai vu c’était aux 1ere championnats du monde en 83 à Helsinki je crois il était magnifique à voir courir 1er souvenir d’athlé (je crois que le grand public découvre Bubka à cette occasion) et mon oncle qui s’excite et me dis de bien regarder ce barbu sa course c’est de l’art..pas faux^^

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  5. en tous cas en attendant d’aller voir un match pourri a GG je suis devant les championnats du monde à Budapest qu’est ce que j’aime le fond et le demi fond, dommage qu’ils aient abusé sur les tarifs pour l’athlé l’an prochain! en 2003 j’avais payé 600 balles pour 4 jours super bien placé en bord de piste là c’est le tarif minimum pour une journée!!

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  6. Il a fallu attendre seulement les JO de 68 pour voir une retransmission relativement conséquente de l’épreuve du décathlon et la victoire de l’Américain Bill Toomey.
    Je me souviens surtout de Bruce Jenner et de son physique de beau gosse aux Jeux de Montreal. Plus tard il est devenu une femme, mais cela ne nous regarde pas.
    C’est dingue: Bob Mathias n’avait que 17 ans et 262 jours aux Jeux de 48 et a pris sa retraite 4 ans plus tard après sa seconde médaille d’or.

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  7. Triste nouvelle pour les amateurs d’athlétisme et particulièrement les boomers: Jean-Claude Nallet, champion d’Europe du 400m haies en 71 à Helsinki et du 4x 400 en 69 à Athènes, est décédé à l’âge de 76 ans.

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    1. L’Equipe publié un petit texte de Delerm sur Nallet.
      Sinon, 3ème titre de Joshua Cheptegei et le 100 pour Noah Lyles. Je l’ai raté…
      J’aime bien Noah Lyles, spécialiste du 200, qui en chemin pour le doublé.

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  8. Ce que j’ai bien aimé dans ces championnats du monde d’Athlétisme…

    Lyles, superbe doublé 100-200m.
    Soufiane el-Bakkali qui remet depuis plusieurs compétitions le fond marocain sur la carte.
    Tamberi et son enthousiasme contagieux
    Le premier sacre mondial burkinabé avec Zongo
    Chopra au javelot…

    Et chez les filles, le doublé de Kipyegon et ses affrontements avec Hassan
    Le vent de fraîcheur de Femke Bol aux 400 m haies
    Le partage de l’or à la perche
    Et le sourire de Shelly-Ann Fraser-Pryce. J’ai toujours aimé cette sportive. Présente depuis plus de 15 ans au sprint, c’est incroyable..

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