Souvenirs de Carlo Mazzone à Ascoli

Carlo Mazzone est parti et toute l’Italie le pleure. On va se remémorer Brescia et Baggio, sa Roma chérie et Totti, Bologna et Beppe Signori. On va revoir les gros plans de ce vieux flibustier à l’air maussade caché sous d’épais bonnets, le film de sa course folle et vengeresse en direction des Ultras de l’Atalanta qui l’avaient grossièrement insulté. On oubliera sa Fiorentina maudite du mitan des années 1970 (blessures, accidents, décès prématurés) et à peine évoquera-t-on son profond attachement à Ascoli, là où il est mort.

Essayez d’imaginer Ascoli Piceno dans les années 1960 et 1970, retrouvez le parfum du calcio d’autrefois, des effectifs cent pour cent italiens et vous aurez une idée de ce qu’a vécu Mazzone durant deux décennies (1960-1975 puis 1981-1984) en tant que joueur et entraîneur. Une époque où toutes les rencontres ont lieu le dimanche à 15 heures, où la voix de Roberto Bortoluzzi dans « tutto il calcio minuto per minuto » est écoutée par des millions d’Italiens qui attendent « la domenica sportiva » en soirée pour mettre des images sur les mots et assister aux interminables polémiques d’après match auxquelles Carletto apporte volontiers son écot avec l’accent typique des Romains du Trastevere.

Personnage central de la destinée de Mazzone, Costantino Rozzi, un bâtisseur, au sens propre comme au figuré : architecte du stade Cino-et-Lillo-Del-Duca, il devient président d’Ascoli Calcio 1898 (qui s’appelle encore Associazione Sportiva Del Duca Ascoli) en 1968 alors que le club végète en Serie C depuis dix ans. Il confie le banc à Carlo Mazzone, milieu de devoir au crépuscule de sa carrière. Un coup de génie : avec lui le club gravit les échelons, accède pour la première fois à la Serie A en 1974 et s’y maintient. Le joueur clé est alors Renato Campanini, capitaine, bomber et ami intime de Carletto. A la mort de Campanini, en 2020, Mazzone lui rend un magnifique hommage : « j’ai entraîné de grands champions et je pense avoir transmis quelque chose à chacun d’eux. Le seul auquel je n’ai rien donné et duquel j’ai reçu plus que de tous les autre réunis s’appelle Renato Campanini ».

Rozzi et Carletto.

Le second bail de Mazzone avec les Piceni a lieu a partir de janvier 1981. Bien installé dans le paysage de la Serie A, Ascoli symbolise le calcio de province en opposition avec l’hégémonie condescendante des grands clubs. Le prédisent Rozzi est l’invité préféré d’Aldo Biscardi dans son émission « Processo del Lunedì » et ne le déçoit jamais, s’emportant contre les excès financiers des grands clubs, les arbitres soumis à d’obscures influences, l’afflux excessif de joueurs étrangers… Mazzone est au second plan, son personnage s’efface derrière le monstre médiatique qu’est le président bianconero

Rozzi-Mazzone forment un duo où se mêlent la roublardise et la grandeur d’âme, comme lorsqu’ils refusent d’accabler le stoppeur Angiolino Gasparini, consommateur de cocaïne confondu par les carabinieri à l’été 1981, premier joueur italien pris par la patrouille. Autre événement inédit, la présence d’un joueur africain en Serie A, le meneur ivoirien François Zahoui. Pas vraiment une réussite, et quand Mazzone lui donne sa chance, à la toute fin des matchs, il n’exige de lui que des simulations et des gains de temps. Carletto n’est pas un poète du football, aux envolées lyriques il préfère les équipes équilibrées défensivement, habiles en contre (plus tard, à Brescia, il adoptera le 3-5-1-1 pour que Baggio bénéficie de la même liberté que Maradona au Mexique). 1981-82 est sans doute sa plus belle saison : Mazzone mène Ascoli à la sixième place sans aucune star, à peine moins bien que la quatrième place de 1980 obtenue après le déclassement du Milan pour sa participation au totonero.

Avec Rozzi en tant que bateleur inlassable, Mazzone en travailleur infatigable, les bianconeri réalisent des miracles mais comme toute histoire, celle-ci a une fin. Elle survient en début de saison 1984-85. Les cessions de De Vecchi, Novellino, Mandorlini sont trop pénalisantes et une série de mauvais résultats fragilise le technicien. Rozzi refuse d’abord sa démission puis le démet deux journées de championnat plus tard, la mort dans l’âme. Mazzone encaisse le coup avec élégance, « c’est la loi du football et je l’accepte (…) mais ça me fait très mal ». Il n’a jamais plus l’occasion d’entraîner Ascoli malgré une carrière qui se prolonge jusqu’au début des années 2010.

Avec la disparition de Mazzone (le presidentissimo Costantino Rozzi est décédé en 1994), les acteurs du grand Ascoli Calcio 1898 se raréfient et bientôt il ne restera que les images du Stadio Del Duca (dont une tribune porte le nom de Mazzone) où s’entassaient plus de 30 mille personnes pour les affiches contre la Juventus ou la Roma, la communion démonstrative de Rozzi avec les tifosi, ses chaussettes rouges fétiches, et Mazzone, son amour des joueurs, tous les joueurs, des plus doués comme Andrea Mandorlini ou Walter Novellino, aux plus anonymes ayant fait la gloire d’Ascoli Calcio. 

15 réflexions sur « Souvenirs de Carlo Mazzone à Ascoli »

    1. Souvenirs lointains d’une jolie ville paisible (fin des 80es), je ne sais pas si cela a changé. J’ai en tête un post récent sur sofoot de Sacha Modolo – ex-Ubriacone – qui faisait état d’une ville majoritairement d’extrême-droite.

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    1. effectivement 2 beaux articles sur Mazzone et comme toujours avec Verano avec un angle différent, j’aime bien ces « petits » clubs italiens, Ascoli Lecce Libourne Empoli pas toujours très médiatisés mais des clubs historiques en Italie

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      1. T’as vu Sainte, le sponsor de Mazzone sur la photo de garde? Pop 84, comme la Jugoplastika de Kukoc.

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      2. Punaise, je ne reviens pas sur la marque de jeans qui, début 80’s (plutôt fin 70’s, après réflexion?)??, sponsorisa le FC Bruges.. Un truc avec des chiffres, « Sixty-… »??

        Ca doit faire sourire aujourd’hui, et ok que les 70’s étaient passées par là..mais le port du jeans n’était pas si généralisé ni commun ni populaire dans les chaumières, ni……….. Moi par exemple, je dus attendre fin 80’s avant de pouvoir en porter, jusque-là c’était de la flanelle ou je ne sais plus quelle espèce de gros tissu.. Milieu modeste « pourtant »..d’ailleurs autour de moi c’étaient clairement des gosses de bourges qui portaient le jeans, marqueur de la coolitude.. Tu m’étonnes, que l’industrie du jeans investit les choses du football à l’époque!

        Et dans la foulée il y eut Benetton, certes pas tant en foot et cependant : ce fut le big bazar ce truc……….. Y a-t-il aujourd’hui des clubs de foot sponsorisés par Benetton??

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      3. Ah Benetton, pour moi c’est le Benetton Trevise de Kukoc et de Naumoski des années 90. D’ailleurs les clubs italiens de basket sont très fringue puisque le club de Milan s’appelle Emporio Armani Milano.

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      4. Punaise, les années Happel, merci Dip! C’est impardonnable mais, à ma décharge : un autre club flamand eut ensuite un sponsor-maillot avec des jeans, sûr et certain mais alors lequel….???

        Ca fait bizarre quand même, c’était vraiment attaché à certaine coolitude les sponsors-maillot à l’époque, mode : « si t’es cool tu bois gnagnagna.. ou tu portes gnagnagna.. ou tu écoutes de la musique sur ta chaîne gnagnagna.. »

        Ca ne sonnait déjà plus vraiment de la même manière avec les sponsors de banque..

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  1. Moi je me remémore un miracle et demi avec Cagliari et l’histoire du binjé avec Francesco Totti…

    J’espère que la Domenica Sportiva fera aussi bien que d’habitude dans son hommage de ce soir.

    Merci Verano

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