Dragan Džajić, une histoire yougoslave 

Au début des années 1960, la Yougoslavie est une nation en trompe-l’œil, comme si tout le monde feignait d’ignorer que les démonstrations de fraternité ne servent qu’à masquer les haines les plus tenaces, nourries par des rancœurs de voisinage venues du fond des âges. Epoque bénie diront certains, durant laquelle les nationalismes s’effacent derrière l’identité yougoslave telle que l’imagine Tito, héros national portant à bout de bras le fardeau de l’unité et qui tient le coup en visionnant seul chaque nuit un film choisi par son projectionniste personnel.

Championne olympique et finaliste de l’Euro 1960, demi-finaliste de la Coupe du monde 1962, la Yougoslavie de Sekularać semble rentrer dans le rang jusqu’à l’émergence d’un prodige nommé Dragan Džajić. Un Serbe. Un Yougoslave. Il n’a pas seize ans quand il débute avec l’Etoile Rouge, frêle silhouette d’adolescent au regard limpide. C’est encore un enfant dont les nuits sont hantées par l’effrayante Baba Korizma, c’est déjà un homme polluant ses draps en rêvant à des créatures érotisées, peut-être Dolly Bell, obscure stripteaseuse extraite d’un oubli définitif par Kusturica des années plus tard.

Le Marakana de Belgrade sort alors de terre, écrin gigantesque, nouveau stade de la démesure semblant spécialement conçu pour Džajić, phénomène hors normes sur son aile gauche, le « Miracle des Balkans » selon l’expression de Pelé.

Ses statistiques individuelles (370 buts en 640 matches avec l’Etoile Rouge et 23 en 85 sélections avec la Yougoslavie selon Wikipédia) et son palmarès lors des compétitions internationales (vierge puisqu’il perd sur le fil une finale d’Euro en 1968) ne disent rien de ce qu’est Dzaja. Un fildefériste courant sur la craie blanche. Un tyran, sans pitié pour les latéraux ou les gardiens superhéros tels que Zoff, Banks et bien d’autres.

Sa carrière s’étend jusqu’à la fin des années 1970, de l’Etoile Rouge à une autre étoile, celle de Corse, quand le Sporting s’appelle encore Sporting Étoile Club de Bastia. Deux saisons à martyriser les équipes du continent sur le terrain vague qu’est alors Furiani suffisent à l’inscrire dans la mythologie insulaire, à tel point que certains croient aujourd’hui qu’il fait partie de l’épopée européenne du SECB alors qu’il est déjà revenu à Belgrade. Comme s’il voulait veiller Tito, vieillard exténué s’endormant de plus en plus tôt dans sa salle de projection.

Dans un pays où le culte de la personnalité est réservé au vieux dictateur, Dzaja obtient un rare hommage individuel : alors qu’il a raccroché depuis plus d’un an, il est invité en septembre 1979 à jouer une ultime rencontre avec la Yougoslavie contre l’Argentine championne du monde. Tito n’est pas présent, déjà dans l’antichambre de la mort. L’annonce de son décès survient en mai 1980 durant une opposition entre Hajduk Split et l’Etoile Rouge, ses équipes favorites, une croate et une serbe parce qu’il faut ménager les susceptibilités. Le match est interrompu pour que joueurs et spectateurs bouleversés puissent se recueillir. Devenu directeur sportif, Dragan Džajić regarde le sol. Il pleure la fin programmée d’une nation dont il est à jamais le plus grand représentant footballistique.

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41 réflexions sur « Dragan Džajić, une histoire yougoslave  »

      1. On avait prévu de faire ça à trois, en sélectionnant les 50 meilleurs joueurs de l’histoire des clubs parisiens/franciliens (hors PSG). Tu veux nous rejoindre (surtout si Fred se défile) ?

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      2. Aucune date prévue pour le moment.
        Actuellement, nous essayons de faire une liste de 50. Nous sommes plus proches des 80 que des 50…
        Pourquoi pas des gars formés en IDF (hors PSG) et ayant « explosé » ailleurs !

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  1. Après l’article d’AlphaBet17 il y a quelques jours, celui-ci aujourd’hui… Pour un amoureux des Balkans comme moi (Grèce inclue), ces deux lectures matinales en plein été indien proposent une douceur complètement comparable à celle d’un matin de Noël et à toute l’ambiance qui va avec: odeur de mandarine, dessins-animés… chocolat chaud, cadeaux au pied du sapin ou que sais-je encore… Tout bonnement le bonheur !

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  2. Une génération dorée où se cotoyait le serbe Dzajic, le bosnien Katalinski (passé par Nice), le slovène Oblak et le croate Surjak (passé par le PSG) entre autres. Je crois que l’on regrettera éternellement de ne pas avoir pu voir jouer la plus belle génération Yougoslave, celle des années 90, qui dépassait sans contestation celle de Sekularac ou celle de Dzajic. Surement un de plus gros « gâchis » de l’histoire des sélections!

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    1. En tout cas il reste le plus grand joueur serbe de l’histoire, celui qui a le plus brillé à l’international, je parle de lui lundi sur l’article sur le ballon d’or (un peu d’auto promo:)! Stojkovic aurait pu le dépasser mais cela ne fut pas le cas.
      Il peut y avoir plus de débat si on le compare à l’ensemble des joueurs issus de la Yougoslavie, Sekularac, Savicevic, Boban, Suker et surtout Modric (seul joueur issu de la région ayant eu un ballon d’or mais aussi celui qui a le plus beau palmarès).
      A quand un top 50 ! 😉

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      1. Piksi, ce gâchis nom de dieu…

        Si Dzajic était le Rivelino des Balkans alors Stojkovic en était le Maradona.

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    2. D’ailleurs une génération qui a énormément joué en D1 Française! Dzajic, Katalinski et Surjak donc mais aussi Halilhodžić, Petrovic, Petkovic voire Curkovic notamment avant les Susic, Hadzibegic et les frères Vujovic. Il y a également de quoi faire un bel article sur le lien entre les Yougoslaves et le foot français!

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      1. Le lien posté par Verano semble exhaustif, mais ne prend pas en compte la période d’avant le professionnalisme. Les liens entre la France et les footballeurs yougoslaves étaient effectivement assez forts, au moins depuis le milieu des années 20 et les footballeurs-étudiants du Languedoc étudiés par Pierre Lanfranchi. En particulier, Montpellier a entretenu une forte tradition yougoslave.

        Je persiste à penser que ces liens étaient notamment le fait de liens politico-militaires (la Petite Entente de l’entre-deux-guerres) qui sont devenus des filières traditionnelles par la suite.

        Au moins jusqu’aux années 70-80, la France reste une destination très prisée des Yougoslaves. Depuis, sans doute, l’Italie est passée devant. La proximité géographique et les réseaux tissés jouent-ils probablement à plein.

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      2. Oui il y a vraiment quelque chose à étudier et à raconter tant le lien entre ces deux pays est fort. Dans les années 70-80 il y a aussi pas mal de Yougoslaves qui joue en Allemagne (Popivoda, Acimovic, Oblak, Buljan, Pasic…) et Belgique (Karasi, V.Petrovic, Peruzovic, Pavlovic, Hadziabdic…). Ce qui renforce la comparaison entre Yougoslaves et Brésiliens, des joueurs qui peuplent les clubs du monde entier, encore aujourd’hui. Et pas forcément en europe, on pense à Pixie au Japon mais Petkovic au Brésil ou Damjanovic en Corée du sud sont représentatifs de cette capacité à l’exportation des joueurs des Balkans!

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      1. D’ailleurs, je me demande si c’est pas après ce match qu’ils gagnent le surnom de brésiliens de l’Europe.

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      2. En parlant des « Brésiliens de l’Europe », Michel Hidalgo dans L’Equipe du 05/07/1982 (le lendemain du match contre l’Irlande du Nord, où était né le « carré magique ») : « Aujourd’hui dans la presse étrangère, on parle de football à la française, que l’on compare, peut-être un peu abusivement, au football à la brésilienne. C’est déjà un très grand honneur pour nous d’être considérés comme les Brésiliens de l’Europe. »

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      1. 1970 pour l’ambiance et pour tous les monstres sacrés brésiliens réunis au même moment dans une même équipe. Même avec un gardien moyen ils ont survolé les débats. La défaite de 82 restera toujours un souvenir douloureux, au même titre que le cauchemar de Séville.
        En 70 les autres équipes n’étaient pas mal non plus. Autant que je me souvienne il n’y a pas eu de jeu dur ni de scandales arbitraux.
        Et pourtant je ne l’ai vue qu’en noir et blanc.

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      2. 94 et 98 gardent une saveur particulière liée à l’enfance.
        94, j’ai 10 piges et je suis en vacances en Italie pour les matchs des huitièmes, quarts et demis (pas vu les matchs, mais senti l’ambiance). Je me rappelle très bien de la finale, suivie à la TV en France.
        98, c’est en France avec le sacre des Bleus.
        2002, j’ai 18 ans et je passe le bac. L’ambiance de communion nationale autour des Bleus me gonfle, en plus ils se font lamentablement sortir et je commence à penser à autre chose qu’au foot…
        2006, je me souviens surtout du match contre le Brésil et de la finale (ouais, je suis un gros Footix, je regarde essentiellement les matchs des Bleus).
        2010, je n’ai pas suivi.
        2014, je me rappelle surtout du surréel Brésil-Allemagne. J’avais un peu suivi, mais sans plus.
        2018, j’ai assez bien suivi (quoique essentiellement l’équipe de France) : mon ex-femme était alors enceinte et je restais avec elle à la maison. Je me souviens que lors de France-Argentine, je ne cessai de faire des allers et venues du canapé du salon à la chambre où elle se reposait (ou essayait de se reposer) sur le lit. Je venais en criant à chaque but ! Et, au moment de me rassoir après je ne sais plus quel but, patatras ! le canapé qui se pète la gueule : un des pieds n’avait pas résisté à mon gros cul…

        Sinon, de celles que je n’ai pas vu, il y a une émotion particulière pour 82 et 54. Toutes les deux liées à l’enfance, évidemment. C’est dans un livre de mémoire édité en 1982 que j’ai découvert la Coupe du monde et son histoire. Déjà celle de la CdM 82 et puis aussi celle des autres éditions : il y avait, à la fin de l’album, un récapitulatif des précédentes CdM. Et, bien entendu, 54 avec ses scores-fleuve n’a pas manqué d’attirer mon attention… Depuis, j’ai appris à mieux connaître 54. Pas vraiment 82…

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      3. Allez, je me lance.
        Sans surprise, 1982 qui réunit tous les critères : spectacle, suspense, enfance… puis 1978, 1970, 1954, 1986.
        1954, ce sont des matches titanesques, qui ne se limitent pas à la finale RFA-Hongrie

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      4. Bien sûr il y’a 1998 et le coupe à la maison pour la première fois , mais 1982 cela a le goût du sirop à la grenadine et des super tchao
        J’ai 10 ans et je vais enfin pouvoir voir en vrai les idoles vues et relues sur onze .
        Zico , Maradona , Rossi ..
        Pour patienter il y a le dessin animé sur l’histoire de la coupe du monde avec naranjito
        Je rentre vite de l’école mon cartable sur le dos pour m’assoir sur le canapé avec Sindelar , avec mon plus fidèle compagnon : l’album panini ou je cochais le nom des buteurs
        France- Koweït ,ou le cheikh rentre sur la pelouse puis France Tchécoslovaquie , ou pour la première fois j’ai eu une boule au ventre devant un match
        Puis la phase de groupe , sans oublier le Brésil de Télé Santana, Boniek,magico Gonzalez ,Costly , Gentile ..
        Waouh que du bonheur
        Puis arriva le 8 juillet qui changea à jamais mon regard sur le football ..
        Bref ma coupe du monde préférée

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  3. Pour le top Red Star-Racing-Stade français, donc surtout des années 20 aux années 60, je ne me désiste pas, mais comme j’ai pas d’accès avec les rédacteurs, comment fait-on pour communiquer afin de l’élaborer ?

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