Tanabata – L’héritage (4/6)

Lorsque l’on se balade dans les travées du Yurtec Stadium de Sendai, pour aller chercher une bonne pinte (de bière cette fois !) en attendant le coup d’envoi de la rencontre, on remarque que beaucoup d’objets sont exposés en vitrine, témoignant des visites internationales qu’à connu ce stade de 20 000 palces. On y trouve notamment en grand nombre des objets liés à l’équipe nationale d’Italie. Plus de 20 ans après la Coupe du Monde 2002, le football dans la « Cité des arbres » reste encore très marqué par le passage des Azzurri à l’occasion de ce mondial. Dans ce nouvel article de la série « Tanabata », P2F vous raconte la trace qu’à laissé le football transalpin à Sendai.

Le 1er mai 2022, en une fin d’après-midi pluvieuse sur la Préfecture de Miyagi, le Vegalta Sendai affronte le Blaublitz Akita pour le compte de la 13ème journée de J. League 2. Sur les bancs, se trouvent deux joueurs : Yûdai Tanaka pour Akita, et Kyôhei Yoshino pour Sendai. Si le premier restera sur la touche durant l’intégralité de la rencontre, Yoshino entrera en jeu au cours de la seconde période. Encore sous le coup des restrictions sanitaires, interdisant aux supporters présents dans les stades d’entonner des chants, les habituels « Fo-ru-za ! Forza Sendai ! » ne peuvent descendre des gradins. Mais quelques voix s’élèvent tout de même lorsque Yoshino inscrit le troisième but de son équipe, finalisant une victoire trois buts à un. A priori, rien de spécial à ajouter à tout ça, si ce n’est que Tanaka et Yoshino ont un point commun : tous les deux sont nés dans l’agglomération de Sendai, et tous les deux ont durant leur enfance appris le football dans un petit club local : le AC Azzurri. C’est la première fois que deux joueurs y ayant reçu leur pré-formation sont alignés à l’occasion d’un match de championnat professionnel. L’occasion de nous intéresser à ce club de quartier, l’un des plus connus respectés de la ville, et qui est un véritable symbole de l’héritage qu’a laissé le passage de l’équipe d’Italie à l’occasion de la Coupe du Monde 2002.  

77e minute : Kyôhei Yoshino parachève la victoire du Vegalta sur le Blaubltiz Akita

Forza Sendai !

Les aventures de la Nazionale en terres asiatiques furent pour le moins compliquées. Après un premier tour poussif (une habitude en Coupe du Monde); victoire 2-0 contre l’Equateur, défaite 2-1 contre la Croatie, match nul 1-1 contre le Mexique; le format de la compétition a obligé l’équipe d’Italie a quitter le Japon, où elle avait joué ses trois premiers matches, et à s’envoler pour l’autre pays organisateur : la Corée du Sud. C’est d’ailleurs contre ces mêmes Coréens que l’Italie jouera son 8e de finale, qu’elle perdra au cours d’un match riche en dramaturgie et marqué par des polémiques en raison de l’arbitrage. La Nazionale quitte donc un mondial où elle faisait figure de favorite par la petite porte, avec beaucoup de frustration et d’amertume. Mais d’un autre côté, beaucoup considèrent qu’ils ont laissé derrière eux un magnifique héritage qui perdure encore aujourd’hui à Sendai, ville qu’ils avaient originellement choisie pour leur camp de base.

Takekazu Suzuki, originaire de la région, fut un milieu de terrain ayant eu une modeste carrière sous les couleurs du Yomiuri SC (futur Tôkyô Verdy, club pilier du football japonais) dans les années 70-80. Mais en 1988, il se retrouve très impliqué dans la création du Brummell Sendai (futur Vegalta) et assume la fonction d’entraineur-joueur pendant près de 7 ans, jusqu’en 1995. Suzuki devient ainsi au cours des années 90 une personnalité de référence à Sendai concernant le football. Puis en 1996, le Japon est désigné comme co-organisateur de l’édition 2002 de la Coupe du Monde de football. Très vite, la municipalité de Sendai se montre intéressée pour accueillir des matches (raison pour laquelle le grand Stade de Miyagi sera construit au nord de la ville) et une sélection participante. Elle confie alors à Suzuki la tâche de trouver une équipe qui fera de Sendai son camp de base.

Entrainement ouvert au public au Yurtec Stadium (30 mai 2002)

La mairie de Sendai souhaite particulièrement accueillir une équipe de grande envergure, avec des joueurs stars. Et force est de constater que la ville a quelques atouts à faire valoir : un Yurtec Stadium flambant neuf (construit en 1997) qui peut servir de terrain d’entrainement, l’hôtel quatre étoiles Sendai Royal Park pour l’hébergement, le sixième aéroport du pays à proximité pour les déplacements, ainsi qu’un environnement calme et agréable aux alentours. Takekazu Suzuki songe alors à l’équipe d’Italie, dont la localisation des matches du premier tour tour (Sapporo, Kashima, Oita) ferait de Sendai une ville-étape très intéressante pour la Nazionale. Pour accueillir les stars italiennes, la concurrence avec la ville de Tokamachi (sur la côte ouest, dans la Préfecture de Niigata) est rude, mais les arguments de Suzuki finissent par convaincre la fédération italienne qui choisit donc Sendai comme camp de base.

Francesco Totti à l’entrainement avec les jeunes du Vegalta Sendai

C’est d’ailleurs l’ancien entraineur-joueur qui est chargé de l’organisation de tout ce qui est en lien avec le sportif pour l’équipe de Giovanni Trappatoni. Par exemple, c’est à Suzuki que revient la tâche de trouver des adversaires pour des matches d’entrainement, d’un certain niveau, ou adoptant un schéma tactique précis, en fonction des besoins du sélectionneur transalpin. Globalement, le séjour des Italiens à Sendai se passe bien, et le staff est satisfait des conditions d’accueil, où les joueurs peuvent rester concentrés principalement sur le football. Contrairement à l’Equipe de France, dont le luxueux hôtel situé en plein centre de Séoul avait contribué à créer une atmosphère malsaine, l’hôtel des Italiens est situé à l’écart du centre-ville. Correspondant pour le journal nippon Yomiuri Shimbun, Franco Rossi raconte plusieurs anecdotes de la vie des Azzurri sur place : pas de présence des femmes des joueurs sur place, ou encore l’interdiction du médecin de l’équipe aux joueurs de manger de la nourriture japonaise. Sans aller jusqu’à craindre une intoxication alimentaire, le journaliste explique que le staff médical considérait surtout les joueurs « comme des voitures de Formule 1″, et que le moindre élément inhabituel pouvait perturber les corps d’athlètes de ces champions.

Alessandro Del Piero et ses coéquipiers ont véritablement marqué de leur emprunte leur passage à Sendai.

Rossi relate également l’énorme popularité des joueurs italiens sur l’archipel. Au sommet de son art, le football italien rayonne depuis vingt ans à travers le monde grâce à son championnat et la capacité des ses clubs à créer des stars. Ainsi, les Totti, Del Piero, Maldini, Nesta, et autres Vieri, sont célébrés par les Japonais pour leurs qualités footballistiques… Et par les Japonaises en raison de leur physique plutôt avantageur et de la réputation de séducteurs des hommes venus de la Botte. Ainsi, lorsque les joueurs italiens profitent de leurs quartiers libres pour faire du shopping dans le centre-ville de Sendai, c’est rapidement un attroupement digne de grandes rockstars qui commence. Le jour où la Nazionale a quitté Sendai pour la Corée du Sud, Trapattoni a déclaré a la presse: « On ne pourra pas revenir au Japon avant la finale. Mais, si c’est le cas, nous reviendrons certainement à Sendai avant de nous rendre à Yokohama (lieu de la finale) ». Puis le fougueux sélectionneur a serré la main de Takekazu Suzuki avant de lui confier son souhait de le revoir. En fin de compte, cela s’est avéré être un adieu.

Francesco Totti en balade avec Cannavaro et Nesta dans les rues commerçantes de Sendai.

Forza Azzurri !

Si Takekazu Suzuki était en charge de tout ce qui était lié au sportif, c’est un certain Shôji Satô qui était lui en charge de tout ce qui se passait en dehors du terrain. Satô a été nommé responsable du Forza Azzurri Club, l’association chargée des relations publiques entre la sélection transalpine et les Japonais. C’est entre autre grâce à Satô si aujourd’hui, les travées du Yurtec Stadium contiennent autant de pièces collections symboles du passage des Azzurri, allant du maillot et fanions dédicacés, aux caricatures des stars de l’équipe, ou encore de la construction de la Piazza Azzurri, à l’extérieur du stade, lieu où à l’instar des grandes stars hollywoodiennes, les joueurs italiens ont laissé un moulage de leur pied. Tout cela n’existe pas en aussi grandes proportions dans le reste du Japon, et témoigne de la grande popularité de la sélection italienne au Japon et à Sendai en particulier. La Nazionale était en effet sans aucun doute, Japon mis à part, la sélection la plus soutenue sur l’archipel comme pouvait en témoigner la marée de maillots bleus lors des matches de l’Italie. Par ailleurs, Satô sera à l’origine de la venue du Chievo Vérone en 2003, puis de la Lazio de Rome en 2004 pour des matches amicaux contre le Vegalta Sendai, en commémoration de la venue de l’équipe nationale.

Portraits des membres de la sélections italienne dessinés par des fans japonais, offerts au Forza Azzurri Club, lequel les a fait dédicacer.
Ils sont aujourd’hui exposés au Yurtec Stadium/

Mais le départ de Sendai des Italiens de signe pas la fin de la collaboration entre Suzuki et Satô, ni celle de leur lien avec le football transalpin. En 2003, en compagnie du maire de Sendai, les deux hommes se rendent à Rome, au siège de la Fédération italienne de football. Là-bas, ils y rencontre le président de l’époque Franco Carrano, en bons souvenirs de l’accueil chaleureux qu’à réservé la ville à la sélection. Puis, c’est là que Suzuki et Satô soumettent une demande à Carrano : ils souhaitent créer une un club ouvert aux jeunes footballeurs, le nommer « Azzurri » en hommage au surnom de la sélection italienne, utiliser une inspiration du logo de la fédération en guise d’identité, et organiser des tournées pour les futurs jeunes en Italie afin qu’ils puissent recevoir une formation encore plus poussée. Flatté par l’idée, Carrano accepte volontiers, bien que la Fédération ne soit pas vraiment un parrain officiel. C’est ainsi qu’en 2004, le club du AC Azzurri est né.

Le logo du AC Azzurri s’inspire largement de l’emblème de la sélection nationale italienne, avec en son centre le Miyagi no Hagi, la fleur symbolique de la Préfecture.

Le club du AC Azzurri est ouvert essentiellement aux collégiens et aux lycéens. Il ne dispose donc que d’équipes engagées dans les catégories allant des U-13 aux U-18. Takekazu Suzuki en est le président et a encore aujourd’hui à sa charge personnelle l’équipe des U15. Mais l’absence d’équipe sénior est une volonté directe des deux fondateurs, lesquels souhaitaient avant tout prioriser leur club sur les collégiens car trouvaient que le faible nombre de clubs ouverts aux jeunes dans la région pouvait être préjudiciable pour le football au sein de la Préfecture de Miyagi. Les équipes s’entrainent généralement sur le terrain de l’école primaire du quartier de Dainohara. C’est au cours de ses premières années d’existence que le club reçoit les passages de Yoshino et Tanaka, évoqués au début de l’article. Mais le AC Azzurri est rapidement frappé par le deuil : Alors qu’il n’était à l’origine pas fan de football, Shôji Satô s’était pris de passion pour le sport après la Coupe du Monde et avait même commencé à pratiquer le futsal. Après une session, Satô s’écroule sur le sol. Le co-fondateur du club, le responsable du Forza Azzurri Club, décède à l’âge de 48 ans des suites d’une crise cardiaque. Il sera nommé à titre posthume « Président d’honneur permanent » de l’AC Azzurri.

Aujourd’hui âgé de 67 ans, Takekazu Suzuki continue de faire perdurer le lien entre Sendai et l’équipe d’Italie.

L’ambition de Suzuki n’en est cependant pas affectée. Et dès 2005, son projet, la raison d’être du club, est mis en place : les équipes U-14 de l’AC Azzurri, soit les joueurs entrant dans leur dernière année de collège, effectuent chaque année au mois d’avril une tournée en Italie pour y effectuer des stages de formation et affronter des équipes locales, parfois même des équipes de jeunes de clubs professionnels. Ces tournées ne se sont interrompues qu’à deux occasions : en 2011 en raison du Grand Tremblement de terre du Tôhoku, depuis 2019 en raison de la pandémie de Covid-19. La dernière tournée italienne date donc d’il y a quatre ans déjà, où les U-14 s’étaient rendus deux semaines à Turin. Pour l’heure, aucune information quant à un retour de ces stages n’a été annoncée par le club, mais l’on peut supposer que, celles-ci faisant partie de l’ADN du projet de Suzuki, elles reviendront sans doute très bientôt. A l’heure actuelle, on compte plusieurs joueurs passés par l’AC Azzurri a être devenus professionnels : Yûdai Tanaka (aujourd’hui gardien remplaçant au Sanfrecce Hiroshima), Kyôhei Yoshino (aujourd’hui au Yokohama FC), Taiga Watabe (globetrotter aujourd’hui en Thaïlande) ou encore Kôsei Hashimoto (aujourd’hui en 5ème division). Des joueurs dont le club suit et vantent régulièrement le parcours sur les réseaux sociaux. Pas mal d’autres joueurs dont il est difficile de retrouver la trace sont restés au rang d’amateur. Mais peu importe pour Suzuki, qui soutient que même si peu de joueurs passent professionnels, le plus important est que les enfants puissent profiter de leur expérience en Italie pour se développer, tant sur le plan sportif que culturel. En ce sens, nous pouvons considérer que tant que l’AC Azzurri existera, l’héritage du passage de la Nazionale à Sendai perdurera, et qu’il contribuera longtemps à faire naitre des petites étoiles dans le ciel de Sendai.

En avril 2019, le AC Azzurri se rend à Turin pour sa dernière tournée italienne en date à ce jour.
Les U-14 y affrontent plusieurs équipes locales, dont le Torino FC.

Xixon

Même un Bordelais peut préférer la bière. Puxa Xixón, puxa Asturies, puta Oviedo ! 俺は日本サッカーサポーター ! (Rien à voir avec le judo) 

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6 réflexions sur « Tanabata – L’héritage (4/6) »

    1. J’ai lu de nombreuses archives de presse française sur le mondial 2002, mais je n’ai pas trouvé d’éléments concernant ces tractations.
      J’imagine que y’aura plus de chances avec des sources en anglais, japonais ou coréen. Mais la guerre a dû être rude en effet ^^

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      1. La Corée du Sud avait obtenu le match d’ouverture et, surtout, que son nom figure en premier dans l’intitulé officiel de la Coupe du monde : « 2002 FIFA World Cup Korea/Japan ». En échange, le Japon a obtenu la finale.

        La Coupe du monde 2002 est la première en co-organisation. Initialement, les deux pays étaient candidats. Finalement, la FIFA a choisi la co-organisation. Ce fut une belle galère, avec des coûts d’organisation exorbitants (il avait fallu tout faire en double). Après cette expérience, Blatter avait promis qu’il n’y aurait plus de co-organisation : c’était même une condition sine qua non.

        L’arrivée d’Infantino a rebattu les cartes : désormais, celui-ci ne veut plus que des co-organisations.

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      2. Kif-kif Euro2000 : la finale pour le pays le plus vaste et plus peuplé..et l’à peu près tout le reste confié au second élément du binôme : tirages au sort (d’éliminatoires et de phase finale), match et cérémonie d’ouverture..

        Je ne sais plus quelle(s?) ville accueillit le comité permanent d’organisation……. Anvers? Rotterdam? Et/ou Breda, Eindhoven?? Le siège était je crois en Brabant-septentrional, NL donc, à la frontière..mais avec des déplacements constants sur Anvers.

        M’enfin : rien de tout cela n’avait été bien compliqué à trancher, bon sens et pragmatisme……….. Là où ce fut compliqué : popotes internes belges, l’équilibre communautaire ( = politico-linguistique), par exemple.. De mémoire, le tirage au sort des éliminatoires le fut en Flandre, à Gand..et celui de la phase finale devait l’être à Namur, car (très provinciale, alors..) « capitale » de la région wallonne…….sauf qu’il fut tardivement réalisé que Namur était dramatiquement dépourvue d’infrastructures hôtelières, et Liège eût été ressenti comme un camouflet par les édiles namuroises (soudain bouffies d’ambition et d’orgueil), bref : ils durent se rabattre en catastrophe sur Bruxelles..

        Autre problème belgo-belge : le financement de la rénovation du stade du Standard………….. Là où les NL mirent le paquet, infras modernes pour ne pas dire avant-gardistes (Arnhem), la Belgique fit comme d’hab’ : à l’économie, du bricolage (ça a ses vertus aussi : moins bling-bling, moins cher..et souvent plus solide!).. Problème : à force de jouer petit bras : ben ils réalisèrent très tardivement que la rénovation du stade liégeois n’était absolument pas financée, bref il fut très sérieusement question de confier à autrui l’Euro2000……… Finalement, après un sempiternel/classique épisode de panique à bord, l’on improvisa : un employé du Standard (et d’Adidas) fit chauffer son carnet d’adresses, un bricolage difficilement concevable en Europe de l’Ouest, et pourtant..

        Mais le plus dur avait sans doute été de vaincre les réticences historiques aux co-organisations…… Là, pas compliqué : NL et BE avaient d’emblée tué le game en faisant le vide autour d’eux, diplomatie extrêmement efficace….. Promettre à xy leur soutien pour l’organisation de l’Euro96, à machin-chose celle de l’Euro 2004…….si bien qu’en définitive, pour 2000 : il n’y eut tout bonnement pas d’autre candidat, les velléitaires ayant reçu des garanties suffisantes pour l’attribution des tournois pré- et post-2000, l’affaire était dans le sac.

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  1. Peut-être l’article le moins dense de la série, mais je tenais quand même beaucoup à parler de l’AC Azzurri.
    Et pour cause : vers la fin de mon séjour à Sendai, j’ai découvert un peu part hasard en rentrant du supermarché que j’habitais littéralement à 5 minutes à pieds de leur lieu d’entrainement ^^

    Je sais qu’il y a une autre équipe dans le même genre, dédicacée au Cameroun. Mais je ne me rappelle plus du nom, ni de la ville…

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