United Soccer Association 1967 Partie I « Strange days »

Petit voyage en Amérique du Nord sur les traces de la furtive United Soccer Association et de ses entraîneurs.

Mai 1967, Philadelphie. Smokin Joe Frazier, qui vient de battre par décision George Johnson, écoute et acquiesce. Non, il ne prendra pas part au tournoi organisé par la WBA pour combler la destitution de Muhammad Ali. Le taureau gaucher ronge son frein, suivant les sages conseils de son coach, Eddie Futch. « Ton tour viendra Joe ». Philadelphie, ville de l’amour fraternel. Fratrie et baston. Une ville qui aurait certainement parlé au cœur de Shankly. Sauf que celui-ci ne débarque pas en Pennsylvanie en cet été 1967 mais bien de l’autre côté de la frontière, à Toronto. Shankly Bob, pas Bill. Car si, selon l’adage misogyne « derrière chaque grand homme, il y a une femme », parfois il y a un frère. Voire plusieurs. Les Shankly sont au nombre de dix. Dix morveux du village de Glenbuck, au sud de Glasgow.

Mais revenons à Toronto. Bob Shankly et son équipe Hibernian débarquent au Canada sous l’invitation de la United Soccer Association. Un projet loufoque mais ambitieux dans des pays encore hermétiques au plaisir du ballon-pied. Un projet éminemment urgent ; car l’étonnante visibilité de la finale du mondial 1966 a aiguisé les appétits du côté de l’Oncle Sam. Un consortium de propriétaires de franchises de sport se forme aussitôt, obtenant le label FIFA. L’énigmatique United Soccer Association. L’ogre semble en marche…
C’est sans compter qu’un rival au même moment obtient un contrat télévisuel avec CBS, la National Professional Soccer League. Celle-ci étant de surcroît plus avancée dans le recrutement d’entraîneurs, de joueurs et de stades. S’ensuit une pénible bataille juridique qui fait de la NPSL une ligue hors-la-loi mais qui oblige l’United Soccer Association à anticiper d’une année son inauguration. Sans crampon ni filet. Surgit alors la brillante idée d’importer des équipes déjà existantes, labellisées sous des noms américains. Elles viendront d’Europe, principalement du Royaume-Uni. D’Amérique du Sud pour deux d’entre elles. Greaves le grand buteur des Spurs servant d’aiguilleur du ciel. Pour sept semaines, 12 équipes et un rythme effréné.

Toronto, May 28

Shankly découvre Toronto qui n’est pas encore la métropole foisonnante actuelle. Hibernian n’est pas affectée à une ville de « sang », comme les Shamrock Rovers avec Boston ou Cagliari avec Chicago. Mais à la différence des autres villes, le club existe depuis 1961. Un club d’émigrés. Des travailleurs comme Shankly, qui étrenna la fiabilité de ses poumons en tant que mineur. Chez lui à Glenbuck. Un bled de 1000 ombres capable de sortir pas moins de 50 pros et sept internationaux. Dont quatre frères Shankly.
Bob n’est pas aussi doué balle aux pieds que son frère Bill qui connaîtra la sélection. Mais ses années de labeur sous la météo facétieuse écossaise façonnent son tempérament. Honnêteté, franchise, camaraderie.

1959 marquera un tournant. Il obtient le poste de coach au Dundee FC, au nez et à la barbe de Bill, qui finira plus Red que dead. A quoi ça tient parfois… Dès lors, Dundee vit son âge d’or. Son seul titre de champion en 1962 grâce au duo Alain Gilzean, le futur Pollux de Greaves aux Spurs, et Gordon Smith, The Scottish Stanley Matthews. Une épopée européenne l’année suivante jusqu’au dernier carré de la C1. Dépoussiérant au passage Cologne, le Sporting et Anderlecht pour céder, à bout de souffle, à la maestria de Rivera.

Shankly cultive l’unité. Nombre de ses joueurs vivent sous le même toit. Le caractère. « Des gars qui ont du cran et qui ne s’effondreront pas en cas d’imprévu. »
Néanmoins outre-Atlantique, souffle un doux vent de liberté pour Hibernian. Shankly observe, amusé, ses troupes vivre leur rêve américain. Se recueillir sur les traces fraîches de JFK à Dallas. Trinquer au hasard des rencontres avec Chuck Berry. Vivre en individualiste forcené, comme Steve McQueen dans Bullitt. Pied au plancher… Survivre comme lors de l’accident que Bob Shankly aura en compagnie de Jock Stein huit ans plus tard…

Bill et Bob Shankly

Washington, June 3rd

Jock Stein, Eddie Turnbull d’Aberdeen connaît bien. Adversaire acharnés lors des Celtic-Hibs, les voila à nouveau rivaux sur le banc. Mais Turnbull le rocailleux de Falkirk, qui fut le premier britannique à marquer sur la scène européenne, partage avec Stein la même révolution. L’heure n’est plus aux managers endimanchés adoptant une approche non interventionniste en matière de formation. Il porte fièrement le survêtement de l’acteur, du mentor acerbe mais juste.
Il ne croit pas aux athlètes robotisés et se veut facilitateur de particules en promouvant avant tout l’habileté technique. Ses modèles sont hongrois ; ou plus contemporain, le Dinamo Kiev de Viktor Maslov. Vitesse. Pressing…

Aux Etats-Unis, Aberdeen joue pour Washington. Turnbull, qu’une maladie semblait sur le point d’empêcher de venir, passe outre l’avis des médecins mais pas au dessus des piteuses intentions offensives de ses adversaires. En particulier celles de Cagliari dont il fustige la perspective défensive « n’encourageant pas nos hôtes à venir voir ce qu’était le football. » Sans oublier de souligner la honteuse disparition sarde du terrain après l’ouverture du score écossaise !
Turbulll et le jeu léché d’Aberdeen, so fast and fluid, se frayent un chemin jusqu’à la finale prévue dans la Cité des anges. Au grand bonheur présumé du plus célèbre de leurs abonnés, le président Lyndon B. Johnson que le club écossais avait promis de faire rencontrer à son coach.

Aberdeen en tournée

San Francisco, June 9th

S’il existe une ville où Johnson n’est pas le bienvenu, c’est bien San Francisco. 1967 expérimente « The summer of love » où 200 000 chevelus viennent fleurir le quartier de Haight-Ashbury. Des nuits courtes. Aux rythmes des The Mamas & The Papas et des mixtures de l’alchimiste Albert Hofmann.
Une cigarette Belga au bec, Happel indique dans quelle direction doit aller le ballon. Pas à son goût… Il récupère la gonfle sans mot et exécute le geste parfait. Déjà cinq ans qu’il use ses guêtres du côté de la Haye et du ADO Den Haag. Dans cette équipe « de gardiens de cochons » selon son ami Max Merkel. Cinq ans à transmettre sa philosophie du « Kein geoloel, fuszball spielen » . Il est interdit d’interdire. Comme un écho à sa ville d’accueil californienne… « Je préfère que mon équipe gagne le match 5 à 4 plutôt que 1 à 0. Le football est un spectacle et les gens viennent au stade pour y prendre du plaisir.«  Happel, un épicurien.

Les Américains sont sidérés par le rythme de l’équipe batave. Par l’agressivité et leur condition physique. Le Washington Post considérant pour sa part qu’un nom n’a jamais été aussi bien porté. Alles Door Oefening Den Haag. « Tout est le résultat du travail » du côté de la Haye…
L’homme qui canardait les canettes perchées sur les transversales a fait de ce petit Poucet un trouble-fête. Un caillou dans la godasse des puissants. Mais un caillou maudit. Trois finales. Des podiums. Mais pas de consécration pour ce Zoetemelk en herbe.
Happel cultive le mystère, un brouillard épais entre sa personne et l’extérieur. Du moins en façade. Car le compère potache de Walter Zeman retrouve instantanément sa verve lors des parties de cartes improvisées dans les Wiener Konditorei de la « Capitale du monde légal ». Ces confiseries et ses plaisirs d’exilés. Le Schmäh, cet humour viennois caustique, qu’il partage entre initiés.
Ce taciturne que Merkel surnommait le « Beethoven en phase terminale » a forgé un bataillon discipliné à son écoute. Des gamins des rues de La Haye pour la plupart. Les Dick Advocaat, Harald Berg ou Lex Schoenmaker. Les « Monster Men » que découvrent les tribunes clairsemées du Kezar Stadium de San Francisco. Des « freaks of nature » comme le défenseur et capitaine Jan Villerius, 1m93. Si éloignés de l’allure cradingue des Fabulous Freak Brothers. Ces va-nu-pieds camés et libidineux créés par Gilbert Shelton à la même époque.
Des géants néerlandais et leur défense en zone échouant à nouveau aux portes du paradis soccerien. Encore raté Ernst… Mais tout vient à point à qui sait attendre. N’est-ce pas Joop ? Pas vrai « Smokin » Joe ?

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34 réflexions sur « United Soccer Association 1967 Partie I « Strange days » »

  1. Il y a des références que je ne connais pas – du mal avec le flower-power 🙂

    Je viens précisément de passer 3 heures à réécrire sur Happel, ses années hollandaises.. Marrant que tu l’évoques, on aura l’occasion d’en reparler..mais je m’étonne toujours qu’il n’ait signé dès..l’été 67 pour Feyenoord, à son retour de cette escapade US : la fenêtre était ouverte, pourtant.. Il est vrai que Feyenoord fut pris de court, et nombre de clubs (Feyenoord, c’est certain) avaient encore de l’éducation : on ne débauchait pas le manager d’un rival en plein été.. Seule explication rationnelle.

    Dundee Utd, Anderlecht, oulah.. Cette élimination releva de la 5ème dimension.. De l’aveu même de tous les Anderlechtois (l’entraîneur Sinibaldi compris), concernant l’élimination par 1-4 à domicile : ç’avait pourtant été le chef-d’oeuvre de cet Anderlecht alors parangon du « beau jeu » en Europe, du ballet………….sauf que ces Ecossais-là étaient d’un réalisme absolument léthal, aux antipodes de l’esthétisme brin m’as-tu-vu des Belges en face.

    Le reste : je connais un peu cette histoire, mais curieux de lire la suite.

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    1. Dundee Fc Bota, pas United! Avec Gilzean et Gordon Smith. D’ailleurs, Smith fait parti des Famous Five des Hibs avec Turnbull le coach d’Aberdeen dont je parle. La plus belle génération de ce club. Plusieurs titres dans les années 50 et la fameuse demi face à Reims en 56.
      Les Johnstone, Reilly et Ormond etant les autres membres du cinq.

      Happel finira par gagner son premier titre, quelques mois apres l’escapade américaine. Une coupe récompensant cette belle génération de la Haye.

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      1. Oui oui, je connais bien sûr. Pas ma préférée des M&P mais je connais.

        Y a des trucs que j’aime bien à ce registre, Byrds notamment..mais pas grand-chose, j’en sature vite.. Plutôt post-punk de mon côté.

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    2. Exact!, l’United c’est une génération plus tard qu’ils connurent leur période dorée, je confonds toujours à cause du parcours de Jim McLean (entraîneur-culte du United, y passa toute sa carrière de manager, une espèce de Guy Roux local..et cependant ancien joueur du Dundee FC)

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    1. C’était simplement pour signifier que la ligue n’a pas placé Hibernian dans une ville typiquement écossaise. Comme Cagliari avec Chicago ou Shamrock Rovers avec Boston.

      Le mec sur la photo avec Frazier est Eddie Futch. Pour résumer ce grand coach, on peut dire qu’Ali a subi 5 défaites dans sa carrière. Et 4 étaient face à des boxeurs de Futch. Frazier, Ken Norton, Larry Holmes et Trevor Berbick. La 5eme étant face à Leon Spinks.
      Futch entrainera son frere Michael Spinks, lui aussi champion du monde des lourds, qui se fit défoncer par le jeune Tyson.
      Futch a aussi coaché Riddick Bowe ou l’icone du Nicaragua, Alexis Arguello.
      Un tres, tres grand coach.

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      1. Ca existe, des « villes écossaises », aux Etats-Unis?

        Vite fait comme ça, pas souvenir d’avoir jamais vu le moindre référentiel écossais aux Etats-Unis, il y a pourtant le whisky et des « Mac » illustres dans leur Histoire mais..?

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  2. génial ton article génial cette ambiance à me donner des frissons tu aurais juste ajouter graetful dead ou jefferson airplaine voir country joe c’eu été parfait^^ oui contrairement à Bota c’est ma période musicale préférée ou du moins qui m’a éveillé définitivement ha ha
    je connaissais pas cet épisode c’est excellent et la photo des 2 frères Shankly en noir et blanche est juste magnifique

    pour Verano je présume que « ville de sang » fait référence au fait que Hibernian n’a pas été a ffectée a une ville dont les origines de la population est d’origine écossaise, le « gangstérisme » serait plutôt lié à Cagliari/Chicago^^ enfin j’imagine

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    1. Et tu vois à quoi ça se joue. Bill et Bob désiraient le meme poste de manager en 59, celui du Dundee FC. Et finalement devancé par son frère, Bill quitte Huddersfield pour Liverpool pour y écrire sa légende.

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  3. « Les Américains sont sidérés par le rythme de l’équipe batave. Par l’agressivité et leur condition physique. »

    Cette sidération était légitime, il y eut à dire aussi sur Happel (rappel, dixunt médecins du sport NL des 70’s : bon 80% de leurs footballeurs étaient dopés à l’époque)..à ce détail près qu’il y avait dopages et dopages, préciser que Happel en la matière n’était pas dans le worst-3..mais tout de même « moyenne haute » probablement.

    Mais bref car question : as-tu pu t’appuyer sur une archive US de l’époque pour « traduire » l’impression visuelle laissée par l’ADO? Hors les Pays-Bas ce n’est pas toujours facile à trouver, au mieux des petites phrases qui ressortaient sous le manteau.. et je n’avais jamais pensé à interroger les archives US.

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  4. Je me suis créé un compte uniquement pour vous remercier messieurs (mesdames?) pour ce site, ces articles et ces commentaires. J’ai toujours pris plaisir à vous lire sur SF (Verano jtm) et, comme beaucoup, j’ai finis par n’y aller que pour ça, les commentaires. Aujourd’hui, après pas mal de frustration, enfin un site qualitatif où l’on en apprend vraiment sur le foot !! Merci mille fois.
    Ps : fuck SF

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