La Durand Cup, aux origines du football en Asie

Compétition méconnue, la Durand Cup est pourtant l’un des plus vieux tournois au monde.

Vous souvenez-vous du lancement de l’Indian Super League (ISL) en 2014 ? Mais si, ce championnat hors-sol bâti avec huit franchises dont les effectifs étaient composés de quelques stars (Anelka, Trezeguet, Del Piero, Pirès, Materazzi, Ljungberg, Nesta…) et d’une ribambelle d’Indiens méconnus ! Un championnat qui avait vocation à remettre l’Inde sur la carte du football et surtout à remettre le football au centre des conversations sportives en Inde, à la place du cricket.

Oui, remettre. Car l’ISL n’a rien inventé. Bien avant sa création, le football a tenté de s’implanter en Inde. C’était en 1888, et cette année marqua la naissance de la Durand Cup. Un tournoi méconnu, mais pourtant la première compétition de football asiatique dans l’histoire. Mieux, c’est même la cinquième compétition nationale, et la première hors des îles britanniques ! La Durand Cup n’a en effet été devancée que par la FA Cup (née en 1871), la Scottish Cup (1874), la Welsh Cup (1877) et l’Irish Cup (1881).

Sir Mortimer Durand.

Rien de bien surprenant en somme. A la fin du XIXe siècle, les Britanniques essaiment le football association à travers le monde, et l’Inde ne fait pas exception. En 1888, l’administrateur colonial Sir Mortimer Durand décide de créer un tournoi de football dans les Indes britanniques. Mortimer Durand est plus connu pour la ligne arbitraire qui délimite la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, mais c’est une autre histoire.

Un nouveau tournoi pas pour tout le monde

A Shimla, dans le Nord du pays, un nouveau tournoi voit donc le jour. Lors de sa première édition, les Royal Scots Fusiliers battent les Highland Light Infantry (2-1). Drôles de noms pour des clubs de football ? C’est normal, car la Durand Cup a été pensée avant tout pour maintenir les troupes armées en forme. Les divisions des armées britannique et indienne s’affrontent ainsi pendant plusieurs dizaines d’années dans un tournoi dont le format originel est désormais inconnu. L’infanterie légère écossaise aura tout de même eu le temps d’effacer sa déception de 1888 puisqu’elle remportera la coupe à cinq reprises par la suite.

Cette compétition obscure, suspendue pendant la Première Guerre mondiale et où les équipes indiennes ne font que pâle figure (quatre finales en 50 ans), connaît un tournant majeur lorsque éclate la Seconde Guerre mondiale. Annulée en 1939, la Durand Cup s’ouvre en 1940 aux équipes civiles afin de continuer à fonctionner tout en maintenant un bon niveau.

Et c’est ainsi que le Mohammedan Sporting Club, club de Kolkata, devient le premier club indien vainqueur de la Durand Cup, après avoir battu le Royal Warwickshire Regiment en finale (2-1). C’est la dernière fois que les militaires britanniques participent à la compétition, qui est de nouveau suspendue pour le reste de la guerre.

La fin de l’ère britannique

L’instabilité politique qui règne dans les Indes britanniques après la capitulation de l’Allemagne nazie ne permet pas d’organiser une nouvelle édition de la coupe et il faut attendre 1947 pour que la Durand Cup refasse son apparition dans les calendriers indiens. Elle est désormais organisée par l’armée indienne. Les équipes militaires croisent les équipes civiles. Le Mohun Bagan AC et l’East Bengal Club, deux clubs de Kolkata, font de la coupe leur chose avec 16 victoires chacun, ce qui les place au sommet du palmarès de la compétition.

Le Mohammedan SC, l’année de sa première victoire dans la compétition.

Son format évolue drastiquement à l’été 2022, en devenant – 134 ans après sa création – une coupe reconnue par la fédération asiatique de football (AFC). Dans le même temps, les 11 clubs de l’Indian Super League sont automatiquement intégrés à la compétition (certains d’entre eux ont participé à partir de 2019).

La Durand Cup devient un tournoi officiel de pré-saison, auquel ont participé cette année 20 équipes : les 11 clubs d’ISL, cinq clubs du championnat indien (I-League) sélectionnés et… quatre équipes issues des forces armées indiennes. Car si une chose n’a pas changé, c’est l’implication de l’armée. Celle-ci est toujours coorganisatrice du tournoi avec le gouvernement du Bengal de l’Ouest ainsi que la Durand Football Tournament Society.

D’autres réformes dans le football indien modifient en parallèle les statuts de l’ISL, qui cessera bientôt de fonctionner en circuit fermé. Dès cette saison, le vainqueur de l’I-League sera promu en ISL pour la saison 2023-2024. Et un système de promotion-relégation sera mis en place à partir de la saison 2024-2025. Après avoir écrit l’histoire de la Durand Cup, le Mohammedan SC pourra peut-être retrouver l’élite du football indien.

Quant à Mortimer Durand, il a quitté l’Inde en 1894. Après une carrière qui l’a mené en Perse, en Espagne et aux Etats-Unis, il a vécu au Royaume-Uni jusqu’à sa mort, en 1924.

13 réflexions sur « La Durand Cup, aux origines du football en Asie »

  1. Je ne connaissais que de nom, merci d’avoir pallié mon manque de curiosité.

    J’avais lu un jour que les assistances moyennes sont kif-kif en ISL et en Liga espagnole, qu’il n’est pas rare d’y voir 60-70.000 spectateurs en tribunes??

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  2. Je n’en avais jamais entendu parler. Merci beaucoup Modro !

    D’ailleurs, c’est une bonne chose ce rattachement de l’ISL au reste du foot indien. Le concept de ligue fermée n’a pas sa place dans le football !

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  3. Original encore une fois… simple, concis et tout aussi intéressant: du P2F dans toutes ses formes ! Merci Modro.

    Quand l’Inde et la Chine accrocheront réellement le train du football, il y aura très certainement quelques nouvelles stations et destinations de desservies par ce dernier… D’ailleurs, il demeure curieux de constater que, jusqu’ici (à ma connaissance en tout cas), aucun de ses deux géants asiatiques ne se soit (au cour de son développement en général (économique, societal, sportif, politique etc))… portés candidat pour l’organisation d’une Coupe du Monde.

    Quelqu’un sait pourquoi ?
    Ou bien, si ça a déjà été le cas, pourquoi l’organisation ne leur aurait pas été octroyée ?
    Après Japon-Corée du Sud en 2002 et ici le Qatar 20 ans plus tard, on parle de l’Arabie Saoudite ou d’un Japon-Corée du Sud bis pour une prochaine édition asiatique… toujours pas de Chine (pourtant double hôte des JO déjà) ni d’Inde, une idée du pourquoi ?

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    1. La Chine a déjà organisé plusieurs Coupes du monde féminines de la FIFA. Et la nouvelle Coupe du monde des clubs de la FIFA devait avoir lieu en Chine en 2021. Il y a aussi eu quelques rumeurs concernant une candidature de la Chine pour la Coupe du monde 2030.

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  4. J’ai lu.
    Puisque tu évoques le Mohun Bagan, c’est un club légendaire en Inde. En 1911, il remporta la première victoire dans une compétition de football organisée par le colonisateur : l’IFA Shield. Cette victoire avait une grande importance symbolique. Il me semble aussi que le Mohun Bagan disputait (dispute ?) un âpre derby avec le Mohammedan. Comme leurs noms l’indiquent en partie, le premier club est celui des hindouistes de Calcutta et le deuxième est celui des musulmans de la ville !

    Face aux Britanniques bottés, les Indiens jouaient pieds nus. Pas tant, comme d’aucuns le prétendent, parce qu’ils eussent été trop pauvres pour se fabriquer/payer quelques paires de pompes, mais parce que c’était une manière de se distinguer du colonisateur. L’habitude en fut gardé après 1947 et c’est pourquoi le XI indien qui participa au tournoi de football des Jeux de Londres, l’année suivante, jouait pieds nus. Un XI indien qui tint la dragée haute au XI français (défaite 1-2).

    En 1950, profitant des désistements en Asie, l’Inde se qualifia pour la Coupe du monde au Brésil. Mais, finalement, les Indiens ne firent pas le voyage. On les retrouve néanmoins, toujours pieds nus, à Helsinki en 1952 où, cette fois-ci, ça se passe moins bien : défaite 1-10 contre les Yougoslaves.

    Pendant longtemps circula la version accablant la méchante FIFA pour le forfait indien en 1950. C’est parce que la fédération internationale leur eut interdit de jouer pieds nus qu’ils ne purent concourir au Brésil. C’était déjà absurde dans la mesure où, aux Jeux, ce sont les règlements de la fédération internationale régissant chaque sport qui sont retenus. La FIFA organise aussi bien les tournois olympiques de football que la Coupe du monde de football. Autrement dit, si elle interdit aux Indiens de jouer pieds nus en 1950, elle eut aussi dû le faire en 1948 et en 1952. Or, elle n’en fit rien. Bref.

    Les choses en restèrent là jusqu’en 2010. C’est alors que certains joueurs des années 1940-1950 révélèrent en fait, tout simplement, que la fédération indienne avait daubé le Mondial au Brésil. A l’époque, dans le chef des Indiens, le tournoi des Jeux était bien plus important que la Coupe du monde. Bien plus prestigieux. Et que, donc, quitte à se saigner financièrement, elle entendait le faire pour aller à Londres ou Helsinki, mais pas au Brésil. Cela n’avait donc rien à avoir avec des pieds nus.

    Par la suite, la Coupe du monde devint une compétition de football autrement plus prestigieuse que le tournoi olympique. Et l’Inde, nation footballistique mineure, avait sans doute laissé passer son unique chance en snobant l’édition de 1950. La fédération indienne laissa alors courir le bruit qu’elle n’y était pour rien : c’était la faute de la méchante FIFA…

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