Nous allons continuer la présentation des « musiciens » ou des « tziganes footballers » du Wunderteam. La défense, comme nous le disions, était composée de trois arrières : Rainer, Blum et le remplaçant de Blum, devenu vieux, le pétulant Sesta.
Blum, lorsqu’il fut atteint par la limite d’âge et qu’il fut classé dans les footballers émérites (au sens étymologique du mot) continua à faire partie de la troupe. Il venait avec nous, conseillant l’un, arrangeant les crampons de l’autre, passant l’embrocation au soigneur, criant sur la touche pour nous encourager. Blum était devenu notre « nourrice » et le bras droit d’Hugo Meisl, si toutefois vous acceptez la possibilité matérielle de ces deux fonctions.
Les demis
Nos trois demis s’appelaient Nausch, Smistik et Gall.
Le premier nommé[1] était à coup sûr le plus intelligent du « cirque ambulant du Wunderteam ». Il était le plus instruit, le plus délicat et le plus raffiné. Hugo Meisl en avait fait son confident.
Nausch n’avait pas d’ennemi, secrétaire de l’Austria à ses moments perdus et employé de banque – s’il lui restait encore du temps pour une quelconque activité sociale, Nausch donnait son avis sur chaque chose. Doué d’un grand bon sens, ses « ennemis » venaient même le consulter. Il avait, en effet, quitté le W.A.C. pour l’Austria où les dirigeants lui avaient offert le poste de secrétaire.
Nausch était le « pilier moral » du Wunderteam !
Smistik[2] était lui le pivot de l’équipe d’Autriche. Il était livreur dans une maison de levure pour pâtisserie. Il jouait au Rapid.
Malheur effroyable pour la clientèle de la maison de levure lorsque le W.A.C et le Rapid se rencontraient !
J’étais, de mon métier, chargé de la confection des gâteaux dans une pâtisserie viennoise et Smistik devait venir livrer sa marchandise chez mon patron…
Nous discutions pendant des heures et des heures sur les matches du W.A.C. (mon club) et du Rapid et pendant ce temps les pâtissiers de Vienne attendaient la levure.
On dégustait « sur le coup de onze heures » un apéritif offert par mon patron et l’effet de l’alcool était immédiat : on reprenait la discussion sur le match de la veille entre le Rapid et le W.A.C… La levure attendait son livreur !
Smistik repartait de notre « crémerie » – c’est le cas de le dire ou jamais – vers les deux heures, attendu par ses clients et par sa femme, une excellente nature qui ne se plaignait jamais que les plats étaient brûlés. Mme Smistik était l’une des « supportrices » les plus enragées du Rapid. Sous le signe du football, elle pardonnait les retards à son époux qui, au demeurant, était le « brave type » par excellence…
Gall[3] n’a jamais communiqué ses impressions. Il était taciturne. Il vivait de son métier de professionnel. Il est maintenant à Mulhouse.

Les avants « meurtriers » !
Entendons-nous bien lorsque je dis « meurtriers » en parlant de nos cinq attaquants… ils ont les mains blanches, ils n’ont jamais tué un homme ; mais ils s’entendaient fort bien pour fusiller à bout portant n’importe quel gardien de but de classe internationale.
Voici d’abord Zischek[4], l’extrême droit de l’équipe, surnommé le « baby » du Wunderteam. Il appartenait au Wacker Club de la périphérie viennoise. Il était, à ses moments perdus, garçon de café ; la clientèle l’aimait beaucoup, car de nature souriante, il conquérait la sympathie de tous. D’ailleurs, il réussit à mettre de l’argent dans le café où il était occupé et à en devenir le principal actionnaire…
Et voici Sindelar[5], mon vieil ami Matthias que je ne reverrai plus. Sa disparition me peine infiniment. « Sindi » était un des meilleurs camarades que l’on puisse connaître et rêver.
L’enquête officielle a conclu à un accident banal, une asphyxie brutale… Il n’y aurait pas eu tentative de suicide (telle est, je le répète, la version officielle de la mort de « Sindi »).
Sindelar était le Veinante de l’Austria[6], c’est-à-dire le conseiller-stratège du « onze ». Il avait pour mission de former les jeunes, de trouver des espoirs.
Jerusalem[7], de Sochaux ; Spechtl[8], de Lens, sont deux de ses élèves. Il y en a beaucoup d’autres, mais ils ne sont pas connus des lecteurs français.
Sindelar, dès « potron-minet », dès huit heures, faisait de l’occupation au stade de l’Austria. Il regardait le terrain, il attendait les gosses qu’il avait « repérés » la veille, car l’une des grandes passions de « Sindi » était d’aller à la recherche des « gosses » qui se passionnaient pour la balle.
– Viens demain à 8 heures… Je t’attends. Si le gamin venait à cette heure matinale, Matthias en concluait en bon psychologue que son petit bonhomme avait l’amour du football…
Sindelar, outre ses brillantes qualités d’inter servait à la publicité de l’Austria. Les après-midi il se promenait à la recherche des talents naissants, c’était le Diogène 1930 qui, sans lanterne, allait à la découverte des futures étoiles du football.
Les « bonjour M’sieu Sindelar » pleuvaient dans Vienne ; tous les gosses l’aimaient.
Voici maintenant Gschweidl[9], avant-centre de First Vienna. Il était fonctionnaire, il travaillait dans les bureaux de la préfecture chargés de la distribution du courant électrique.
Sa femme tenait un salon de jeu. Immédiatement après la guerre, un jeu de cartes, le « rummy » eut un succès incroyable dans la capitale autrichienne.
Sa femme devant l’engouement du public pour le « rummy » (d’importation anglaise) put ouvrir un deuxième et un troisième salon de jeu.
Vogl[10], Schall[11] formaient l’aile du Wunderteam. Vogl, les Roubaisiens l’ont connu ; il est maintenant retourné en Autriche, il attend pour jouer au W.A.C. que l’Excelsior de Roubaix l’y autorise.
Le père de Vogl était tailleur. Le fils en profitait pour faire marcher les affaires de la famille.
Comme je vous l’ai dit les membres du Wunderteam gagnaient pas mal d’argent, ils pouvaient donc avoir une garde-robe bien garnie… Vogl prenait les commandes dans les vestiaires et le père les exécutait dans ses ateliers. La firme aurait pu s’intituler « Vogl père et fils tailleurs, fournisseurs du Wunderteam ».
Propos recueillis par Louis-L. Monvoisin, Ce soir, 9 février 1939.
[1] Walter Nausch, né en 1907, joua 39 matchs avec l’équipe nationale autrichienne.
[2] Josef Smistik, né en 1905, joua 39 matchs avec l’équipe nationale autrichienne.
[3] Karl Gall, né en 1905, joua 11 matchs avec l’équipe nationale autrichienne. En club, il défendit principalement les couleurs de l’Austria Vienne.
[4] Karl Zischek, né en 1910, joua 40 matchs avec l’équipe nationale autrichienne.
[5] Faut-il le présenter ?
[6] Comparaison flatteuse… Emile Veinante, dont Hiden fut le coéquipier au Racing de Paris, joua 24 matchs avec l’équipe nationale française.
[7] Camillo Jerusalem, né en 1914, joua 12 matchs avec l’équipe nationale autrichienne. En club, il défendit principalement les couleurs de l’Austria Vienne.
[8] Viktor Spechtl, né en 1906, s’installa en France à partir de 1934 où il défendit notamment les couleurs du Havre, de Lens et de Saint-Etienne.
[9] Friedrich Gschweidl, né en 1901, joua 44 matchs avec l’équipe nationale autrichienne.
[10] Adolf Vogl, né en 1910, joua 20 matchs avec l’équipe nationale autrichienne. En club, il défendit principalement les couleurs de l’Admira Vienne.
[11] Anton Schall, né en 1907, joua 28 matchs avec l’équipe nationale autrichienne. En club, il défendit principalement les couleurs de l’Admira Vienne.