Lectures 2 foot (épisode 1)

La Coupe du monde de la FIFA a été l’occasion, pour les éditeurs, de proposer au public de nombreux ouvrages sur le football et son histoire. Nous allons en présenter trois.

Bruno Colombari et Richard Coudrais, Espagne 82, Editions Solar, 17,90€

Les auteurs sont bien connus d’internet : Bruno Colombari est le principal animateur de l’excellent site « Chroniques Bleues », tandis que Richard Coudrais porte le site « Le Footichiste ». Ils ont donc allié leurs plumes pour publier, au mois de septembre, cette rétrospective de la Coupe du monde 1982 – qu’il faut bien avouer un brin décevante.

En effet, bien que l’ensemble soit agréable à lire, les 400 pages du livre – dépourvues de la moindre illustration – manquent de passion. Pour nous convaincre de nous intéresser à un événement vieux de 40 ans, les auteurs ont ainsi pris le parti d’insister davantage sur les récits détaillés des matchs et l’empilement de statistiques, plutôt que sur la dramaturgie du moment et les portraits des acteurs. Un choix étonnant, qui laisse de glace !

Dépourvu de la moindre problématisation, raconté de manière linéaire, le grand événement sportif de l’année 1982 se trouve donc désincarné. Un choix encyclopédique qui rappelle bien plutôt les fiches Wikipédia que la grande synthèse érudite à laquelle le lecteur aurait pu s’attendre. Une véritable déception.

Note : 2/5

François Da Rocha Carneiro, Une histoire de France en crampons, Editions du Détour, 18,90€

De son côté, l’historien François Da Rocha Carneiro, spécialiste des joueurs de l’équipe de France de football auxquels il a consacré sa thèse de doctorat soutenue en 2019, cherche avant tout à donner chair, sang et vie aux événements qu’il raconte. Ce faisant, il fait sienne la maxime de Marc Bloch : « le bon historien, lui, ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier. »

Paru en août au sein d’une modeste maison d’édition bordelaise, son dernier ouvrage se propose donc de relier la petite histoire du football français à la grande Histoire de France : « derrière chaque équipe masculine qui représente la France du football lors d’un match », écrit-il, « il y a des hommes, dont la trajectoire de vie s’inscrit dans une période de l’histoire nationale. »

Pour ce faire, l’historien a sélectionné 20 matchs auxquels il confère le statut d’événements. Dans chacun de ces événements, les footballeurs français incarnent des figures symboliques plongées au cœur de l’histoire du pays. Tout d’abord, ils sont des soldats – des deux guerres mondiales et de la guerre d’Algérie. Ensuite, ils sont des fils d’étrangers – que leurs parents soient Polonais, Italiens ou Algériens. Ils sont également des travailleurs – des professionnels qui n’hésitent pas à émigrer s’ils trouvent de meilleures conditions de travail à l’étranger, mais aussi des syndiqués qui peuvent se mettre en grève. Enfin, ils sont des représentants de la démocratie – dribblant face au nazisme, au terrorisme islamiste ou au Covid-19.

Ne délaissant jamais l’aspect purement sportif – les matchs sélectionnés ne sont pas que des prétextes pour parler d’autre chose –, l’ensemble de ces 20 récits place néanmoins le football bien au-delà de son seul rôle sportif ou spectaculaire. Malheureusement, l’effort de problématisation est assez timide et le projet global manque de cohérence.

Mais surtout, le point le plus rédhibitoire n’est pas le fait de l’auteur. Ce sont en effet les Editions du Détour qu’il faut blâmer pour un choix très étonnant : celui de se passer de la mention des sources utilisées et de la bibliographie ! Outre les nombreuses coquilles qui parsèment le texte, ce choix délibéré affecte la crédibilité du travail de François Da Rocha Carneiro : comment, dès lors, vérifier les informations de l’historien et les approfondir ? Bref, tout cela manque de sérieux et ne rend pas justice à un travail historique de qualité. Un choix éditorial douteux qui gâche, en grande partie, un beau projet.

Nul doute, néanmoins, que le lecteur avide d’informations sur l’histoire de l’équipe de France – et du football français en général – trouvera ici matière à aiguiser sa curiosité.

Note : 3/5

Pierre Cazal, Une histoire tactique des Bleus, Editions Spinelle, 18€

Enfin Pierre Cazal, lui aussi contributeur récurrent au toujours excellent site « Chroniques Bleues », propose une approche stimulante de l’histoire de l’équipe de France. Adepte du dépouillement d’archives, Pierre Cazal avait fourni – notamment dans les années 1990 – un travail pionnier qui avait permis de mieux connaître les premières années du football français : L’intégrale de l’équipe de France de football (1904-1998).

Or, depuis quelques années déjà, son attention se porte désormais plus sur les entraîneurs et les sélectionneurs que sur les joueurs. Par ailleurs, l’histoire de l’évolution des tactiques étant aujourd’hui à la mode et les discussions tactiques prenant toujours plus de place dans les analyses, il était tout à fait légitime de consacrer un ouvrage à l’évolution des choix tactiques en équipe de France.

Ainsi, labourant des terres qu’il connaît déjà fort bien, Pierre Cazal choisit néanmoins un abord nouveau : « raconter l’Histoire des Bleus et raconter leur Histoire tactique ne revient donc pas au même, loin de là : dans le premier cas, le projecteur est braqué en priorité sur les joueurs, et dans le second sur les sélectionneurs, en tant que tacticiens. »

Pour ce faire, l’auteur n’a évidemment pas passé en revue les quelques 900 matchs joués par l’équipe de France masculine de football entre 1904 et 2022 – ce qui eut été on ne peut plus fastidieux et anecdotique ! Il a opéré des choix, il a sélectionné une quarantaine de matchs représentatifs de grands tournants tactiques. Ainsi verra-t-on les Bleus passer du 2-3-5 au WM, puis hésiter entre le béton et la zone, avant de se découvrir offensifs et finalement pragmatiques, adeptes du changement continuel avec la victoire comme objectif primordial. Cependant, si la plupart des grandes victoires ont une explication tactique, certains naufrages ne mettent pas en cause la tactique utilisée mais les hommes employés, leur manque d’adhésion, ou bien le cours impromptu des événements.

Certains passages du livre sont convenus, toujours intéressants néanmoins. Mais d’autres sont lumineux, en particulier lorsque Pierre Cazal navigue dans les eaux troubles et sombres qui précèdent les années 1940 : celles qu’il connaît le mieux. En particulier, son analyse du match France-Autriche à la Coupe du monde 1934 vaut son pesant d’or ! Mais aussi les pages qu’il consacre à la débâcle en Angleterre en 1966.

On l’aura compris : le livre de Pierre Cazal est un bon livre. C’est bien plus le livre d’un connaisseur que celui d’un historien, et on ne s’étonnera donc pas de ne pas y trouver le relevé détaillé des sources et une belle bibliographie. C’est dommage, mais ce n’est guère surprenant. En revanche, on pourra blâmer une fois de plus l’éditeur : la petite maison d’édition parisienne Spinelle n’a vraiment pas fait un grand effort. La mise en page est minimaliste, le livre est imprimé sur du papier recyclé d’un blanc-gris douteux, le texte est parsemé de coquilles et d’erreurs typographiques : bref, tout cela est fort peu apéritif et manque cruellement de sérieux !

Heureusement, bien que Pierre Cazal ne soit pas Victor Hugo (c’est le moins qu’on puisse dire…), son style est alerte et sait tenir le lecteur en haleine.

Note : 4/5

15 réflexions sur « Lectures 2 foot (épisode 1) »

  1. Malgré une évaluation moyenne et un faible appétit pour les ouvrages exclusivement consacrés au foot, tu m’as donné envie de lire François Da Rocha Carneiro.
    Hors sujet puisque il s’agit de cyclisme, mais c’est un chef-d’œuvre de littérature sportive, je vous conseille les chroniques du Giro 1949 par Dino Buzzati. @Sindelar et Bartali, tu connais probablement. Le déclin du vieux Gino est magnifié et devient une épreuve de la mythologie, je n’en dis pas plus.

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    1. Problématisation moyenne, mise en récit moyenne, choix éditorial indigne… mais c’est un bouquin intéressant, oui.
      Et chuis sûr que la citation de Bloch n’est pas étrangère à ton envie de lire ce bouquin. Me trompè-je ?

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