Franco Causio, Il Barone de Lecce

Ce soir, Lecce reçoit la Juve. L’occasion de se souvenir du Baron Franco Causio revenu dans les Pouilles en 1985, 20 ans après son depart pour tenir une promesse faite à son père.

Dans les années 1960, l’US Lecce semble définitivement prisonnière de la Serie C, répétant année après année les mêmes déplacements au cœur des provinces du Sud, Salerno, Taranto ou encore Cosenza à une époque où les aires de jeu du Mezzogiorno sont encore trop souvent en pouzzolane. La petite società des Pouilles vit dans l’espoir de la Serie B, reproduisant les saisons frustrantes, pénalisée par d’incessants problèmes financiers. Au printemps 1965, excédés par les salaires impayés, les joueurs entament une grève, événement scandaleux pour l’époque.

Les débuts à 16 ans

Contraint et forcé, l’entraîneur Ambrogio Alfonso lance les jeunes de l’école de football dont un petit ailier de 16 ans nommé Franco Causio. Les dirigeants craignent que les gamins soient ridicules et pour préserver du déshonneur la tunique Giallorossa, les gamins évoluent avec un étonnant maillot vert orné d’une bande jaune et rouge. Causio dispute les trois dernières rencontres de la saison avec des Salentini naïfs mais ultra-combatifs. Cela suffit à le faire remarquer par la Sambenedettese Calcio S.p.A. Contre 20 millions de lires, Causio, élève à l’Istituto tecnico industriale et apprenti coiffeur, rejoint San Benedetto del Tronto à 500 kilomètres du talon de la Botte. Son père, besogneux livreur de liqueurs, voit partir son fils comme tant d’autres avant lui, prisonnier de ce flux migratoire reliant le Sud au Nord que rien ne semble pouvoir endiguer.

Franco Causio debout, avant dernier à droite en fin de saison 1965 avec le maillot vert à bandes jaunes et rouges.

Franco Causio ne passe qu’une saison à San Benedetto. Recommandé à plusieurs clubs de Serie A, sa chétivité décourage les observateurs, notamment Nereo Rocco alors au Torino. Luciano Moggi, découvreur de talents à temps partiel (il est encore employé de la compagnie des chemins de fer), croit en lui et après l’avoir observé à de nombreuses reprises, le propose à la Juventus. Deux années d’apprentissage précèdent un prêt à la Reggina puis à Palerme où il s’affirme comme un joueur élégant, mêlant fantaisie et efficacité. De retour à Turin, Causio endosse le costume d’Il Barone, un des piliers de la Juventus de 1970 à 1981. Avec la Nazionale, son Mundial 1978 est exceptionnel et on s’interroge encore sur le destin de cette admirable Italie si le sélectionneur Enzo Bearzot ne l’avait pas sorti à la mi-temps du match face aux Pays-Bas afin de le préserver pour la finale. Si par la suite Bruno Conti le supplante sur l’aile droite des Azzurri, il participe discrètement au triomphe en Espagne en 1982, Bearzot lui offrant quelques secondes de jeu en finale en récompense de l’ensemble de son œuvre.

Franco Causio en 1966 à ses débuts à la Juve.

Le retour à Lecce

Après une belle expérience à Udine suivie d’un échec à l’Inter, Causio se retrouve sur le marché en 1985 et les propositions ne se bousculent pas. Il a 36 ans, 20 années se sont écoulées depuis ses débuts un dimanche après-midi de mai 1965 à Reggio di Calabria.

Si Lecce ne l’a pas oublié, vivant avec fierté et par procuration ses succès, la ville et le club salentino ont changé. Le cours des choses ne s’est pas arrêté avec son départ. Le Stadio del Mare est inauguré en 1966 et accueille le Santos de Pelé l’année suivante, immense événement auquel assistent 25 000 spectateurs. En 1976, les Giallorossi accèdent après tant d’espoirs déçus à la Serie B. Plus tard, le 2 décembre 1983, la ville est en deuil quand elle apprend que les défenseurs Ciro Pezzella et Michele Lorusso ont trouvé la mort dans un accident en voulant rejoindre Varèse en voiture, par peur de l’avion. Et puis, l’apothéose survient enfin au printemps 1985 : guidée par Eugenio Fascetti, l’US Lecce conquiert enfin le droit d’évoluer dans l’élite.

Présent dans les tribunes de Monza pour l’officialisation de l’accession des Giallorossi, Causio propose ses services à Fascetti et au président Jurlano. Sa démarche est jugée opportuniste et Fascetti montre dans un premier temps peu d’enthousiasme, expliquant à la presse que ses principes de jeu l’emportent sur les considérations personnelles. Puis il rappelle que ses priorités de recrutement sont un stoppeur et les Argentins Barbas et Pasculli. Cela ne décourage pas Causio qui, malgré son statut, ne s’offusque pas des longues semaines de mise à l’essai. Son humilité et son intelligence de jeu séduisent peu à peu Fascetti qui finit par donner son accord à sa venue et lui confie même le capitanat.

Causio en haut à gauche.

Franco Causio revêt à nouveau le maillot de l’US Lecce mais l’illusion d’un maintien disparaît rapidement. Pour son dernier match, la Juventus vient conquérir un énième titre au Stadio del Mare, comme un symbole de sa loyauté aux Bianconeri. Son parcours avec Lecce s’achève déjà, se résumant à une trentaine de matches officiels étalés sur 20 ans. Bien peu, en somme. Mais l’essentiel est ailleurs : en portant à nouveau le maillot giallorosso, il vient d’honorer une promesse faite à son père Oronzo en 1965. Dès lors, plus rien ne le retient à Lecce. Trieste l’accueille pour deux ultimes années en tant que joueur puis il s’installe définitivement à Udine, très loin de ses Pouilles natales.

22 réflexions sur « Franco Causio, Il Barone de Lecce »

  1. Sympa de se replonger parmi un des membres de cette squadra 82! J’avais super envie d’écrire mon premier mémo sur une des idoles de ma jeunesse Giancarlo Antognoni. Merci Verano ça m’encourage.
    Causio qui a fini recruteur il me semble pour la Juve et qui a fait venir tout jeune un certain Alessandro D’El Piero. Verano corrige moi si je me trompe

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  2. merci pour ce récit qui sent quelque peu la nostalgie me trompe je sieur Verano?^^ si je comprend bien Causio finit sa carrière à 38 piges c’est vraiment la marque de fabrique de ce pays tous ces joueurs qui jouent très vieux surtout à cette époque!
    mes derniers souvenirs de Lecce se sont les nombreux buts de Chevanton au début des années 2000 vu sur l’EDD

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  3. Verano, Causio… Les Pouilles, le « Via del Mare » et la « Squadra » du mondial espagnol de 82… avec même un petit crochet, discret certes mais tout aussi apprécié, du côté de Palerme ou de la Reggina, histoire de citer quelques douces destinations de ce merveilleux et ensoleillé « Mezzogiorno »!
    Voilà l’accompagnement parfait pour mon café et un samedi qui démarre bien !
    Grazie Verano Grazie ancora!

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  4. Chez nous il y a Benjamin Nivet revenu à l’Étoile de Briou, Franck Dumas à Malherbe et Jeremy Morel chez les Merlus. Mais j’ai pas d’autres exemples qui me reviennent en tête pour les Français. Les Belges ont eu Kompany à Anderlecht.

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      1. Ben Barek revenu à Marseille et Kopa revenu à Reims c’est du poulet ?
        Et Lucien Muller (dans le top 1000 hier) après Reims, le Real et Barcelone, revenu à Reims à 34 ans, ça compte ?

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    1. A mesure qu’ils devenaient un club déclassé (dont financièrement à l’échelle européenne), Anderlecht eut soudain et toujours plus recours à ces vieux serviteurs en fin de parcours : Grün, Scifo, Zetterberg, VandenBorre, Kompany donc..

      Le premier cas de cet acabit fut toutefois Lozano, en l’espèce rien à voir avec la perte en puissance du club..mais cas unique en son genre!..et ce fut aussi la plus franche réussite (mais il n’avait que 30 ans à son retour du Real).

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    1. Barbas n’était ni un vrai « cinco », ni un pur huit, un milieu travailleur, pas maladroit mais pas un grand créateur non plus. Type qui fluidifie mais qui n’est pas celui que tu remarques au premier coup d’oeil.

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  5. Le genre d’histoires assez communes en Amérique du Sud, non?

    Dans l’eurofoot d’élite, par contre.. Nous avons probablement (gardé?) moins de « coeur ».

    En Belgique il y a un cas de figure assez triste, c’est Gerets..

    Contraint par sa direction (soit tu le fais, soit je brise ta carrière), en sa qualité de capitaine, à organiser le don absurde des primes des joueurs du Standard à ceux de Waterschei.. Absurde, car les joueurs de Waterschei avaient aussi une finale (coupe de Belgique) à disputer dans la foulée, ce match était dépourvu du moindre enjeu et ils comptaient de toute façon le jouer à l’économie, ménager les organismes.. L’affaire de corruption est révélée deux ans plus tard, le club est détruit.. Gerets s’en veut notoirement encore d’avoir cédé à ce chantage (qu’initialement il avait refusé), bref..

    Il se reconstruit dans son coin : légende du PSV, puis devient un entraîneur à succès tandis que le Standard ne parvient plus à sortir de son marasme.. Et alors il se fit une promesse à lui-même, qu’à ma connaissance il partagea deux fois avec la presse : « Je reviendrai un jour au Standard, et en rampant s’il le faut ». Ce n’est pas le genre à sortir des paroles en l’air, il fallait juste que l’occasion s’y prête et Gerets était disposé à faire un gros effort financier, effacer à tout prix la trace indélébile du Waterscheigate..

    Une première occasion se présenta, l’année m’échappe.. C’est alors que son couple vole en éclats, divorce coûteux.. Gerets doit se reconstituer un capital, il n’a plus rien..

    Après s’être refait une santé financière dans des ligues/fonction très rémunératrices : nouvelle opportunité en 2012, tous les astres sont alignés, l’heure de la rédemption se précise..et c’est alors qu’il subit un AVC.. Le Standard étant un club pour le moins borderline, sorte d’OM local : toutes les parties préfèrent y renoncer, ce ne serait pas raisonnable juste après un AVC..mais Gerets s’accroche en espérant recouvrer la plénitude de ses moyens, il continue même à gagner en péninsule arabique (quel palmarès d’ailleurs..).

    Il est à nouveau question de Gerets au Standard, à son retour du Qatar ou des EAU..mais sa santé (physiologique cette fois) est décidément devenue rédhibitoire, les séquelles sont lourdes.. Les médecins lui déconseillent l’expérience, lui recommandent même de cesser la moindre activité..ce qu’il se résigne à faire..et il ne put donc jamais honorer cette promesse qu’il s’était faite.

    Par contre, il est désormais présent au moindre match à domicile, en tribunes.

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