L’aigle et le melon

Lorsque l’on parle de melon et de foot portugais, plusieurs noms viennent en tête, de Cristiano Ronaldo à José Mourinho, pourtant ici il n’est pas question d’égo démesuré. En effet même si le nom du « Special one » sera évoqué dans cet article, nous allons surtout vous raconter l’histoire de celui qui restera comme le premier capitaine de ce coach en tant qu’entraîneur principal. Une histoire qui va démontrer comment une rumeur est à la fois absurde et destructrice.

Après un début de saison 2000-2001 chaotique, Jupp Heynckes est débarqué et Mourinho quitte son poste d’adjoint à Barcelone pour prendre pour la première fois un club. Dès le premier match il choisit José Calado comme capitaine de ce Benfica mal en point. Le club des « Aigles » vient même de voir l’éternel rival Sporting devenir champion[1]. Le mandat du président João Vale e Azevedo[2] est un échec, le club devenant même le troisième larron dans la hiérarchie portugaise. Mourinho quitte vite le club[3] et Benfica finira à son pire classement historique, sixième derrière Leiria et voit le Boavista de Pacheco devenir un historique champion. C’est dans ce contexte tendu que va se dérouler une des plus improbables histoires du foot portugais, qui brisera la carrière de José Calado et enfoncera le Benfica encore plus dans la crise.

Calado lors de sa première sélection en 1998

Calado, qui se traduirait par le « calme, le silencieux » est un solide milieu de terrain portugais de la fin des années 90. Il est titulaire dans l’équipe qui joue les très relevés JO de 1996, compétition où le Portugal finit quatrième[4]. Il fait partie de la génération qui remet le Portugal sur le devant de la scène[5]. En 1995 il arrive donc au Benfica où il va rapidement devenir un joueur essentiel du milieu de terrain, glanant même quatre sélections avec le maillot rouge de la sélection. A 26 ans il devient capitaine de son club de cœur et espère ainsi retrouver la sélection après avoir raté le wagon de l’Euro 2000. Mais cela était sans compter sur une rumeur destructrice qui va lui tomber sur le nez dès le mois de septembre 2000.

Calado n’est déjà plus capitaine

En effet un article publié le 14 septembre dans l’hebdomadaire « O Crime« , au titre évocateur « um grego calado com cabeça de melão » (« un Grec silencieux avec une tête de melon[6]« ), couplé à un article de Manuel Serrão dans le quotidien « O Jogo[7] » “Calado que nem um melão” (« Calme comme un melon »), va faire naître la rumeur selon laquelle le joueur vivrait une idylle avec le dénommé « Melão », melon en français, un chanteur star du boys band portugais Excesso. Les deux sont des personnalités publiques connues de tous, l’histoire est vite partagée et commentée dans tous les cafés du pays.

Le fameux, Melao est en haut à droite

C’est ainsi que la rumeur enfle et les deux protagonistes s’empressent de faire des démentis, participant même à des émissions de TV pour expliquer que tout est faux. Le joueur vient même avec sa femme et sa famille pour témoigner. Mais à une époque où l’homosexualité est encore très taboue la rumeur continue à se propager. Le quotidien des deux devient en enfer, ils sont moqués et insultés partout où ils se montrent. Comme souvent les « supporters » de foot vont faire preuve de toute leur intelligence. Calado commence par être provoqué par ses propres supporters lors des séances d’entraînements qui précèdent un match important contre Braga le lundi suivant. Des insultes comme « Capitaine pédé » ne cessent de s’abattre sur lui.

Lors du match, les plaisanteries et les insultes provenant du premier anneau du stade rendent Calado furieux. À chaque passe ratée ou ballon perdu, la masse des prétendus supporters, insensibles et cruels comme le sont les masses, massacre son capitaine à coups de sifflet ou de quolibets. Le joueur ne supporte pas d’être moqué par ses propres supporters.  A la mi-temps, avant même que Mourinho n’arrive au vestiaire, il enlève son maillot et décide de ne pas rejouer. En tant que capitaine, son geste est lourd de sens et condamne son avenir au club. Le Benfica ouvrira même une « enquête » contre lui pour non-respect des consignes.

Le match reprend mais pas les insultes, Calado est incrédule et très affecté par ce qu’il se passe. Comme il le confiera plus tard, il sait à ce moment qu’il ne peut plus jouer pour le club. L’actuel commentateur de la CMTV[8] a ensuite donné une conférence de presse dans laquelle il a qualifié la rumeur de « chose très lâche » et a souligné une fois de plus qu’elle ne correspondait pas à la réalité. En 2005, Calado revenait pour la première fois à la TV portugaise sur les évènements : « Les gens ont une idée préconçue de la vie des joueurs, pour eux c’est beaucoup de femmes, des fêtes, cela ressemble une vie de star. Mais cela est loin de la réalité. Par contre l’homosexualité ne fait pas partie de cette vision idéalisée et être confronté à une telle rumeur dans ce monde est très compliqué. Chaque fois que je marchais dans la rue avec ma famille, je devais faire face aux railleries et aux regards inquisiteurs. « 

Calado ne peut plus mener une vie normale, ses proches témoignent dans une interview pour le journal Record. Il ne peut plus sortir sans subir les moqueries ou les invectives, il se cloître chez lui et tombe dans une profonde dépression. Il pense même arrêter sa carrière. Finalement l’année suivante, Calado quitte Benfica pour le Betis, mais il ne retrouvera jamais son niveau et finira sa carrière entre deuxième division espagnole (il jouera une centaine de match avec Ejido) et championnat chypriote. Il ne foulera plus les pelouses portugaises et reviendra finalement dans le paysage audiovisuel lusitanien 13 ans plus tard dans l’émission de téléréalité « Big Brother VIP » de TVI[9]. Aujourd’hui il est consultant pour la chaine CMTV, où il n’est pas toujours tendre avec son club de cœur.

De son côté le « musicien », comme tous les autres chanteurs des boys band de la fin des années 90 a une carrière très courte. Cette année 2000 est censée être celle de la consécration mais suite à cette rumeur, elle sera celle de sa chute. Il en reparlera plus tard dans l’émission « Alta Definição » de la SIC où il admettra que les conséquences de cette affaire ont été extrêmement néfastes : « Cela a complètement ruiné ma vie. Cette année-là, je devais recevoir 250 000 euros grâce aux concerts. Ils ont tous été annulés. Cela a conditionné ma vie pendant 20 ans, en plus des moqueries et insultes dans la rue, ma carrière s’est stoppée brutalement et j’ai perdu de grosses opportunités financières qui ne se sont plus jamais représentées.« 

Le fameux Manuel Serrao

Finalement cette rumeur aura coûté la carrière à un joueur aux portes de l’équipe nationale, capitaine du Benfica. Si le journal O Crime est le seul à avoir sous-entendu directement cette relation, c’est surtout le papier de Manuel Serrão qui aura mis le feu aux poudres. Cet éditorialiste, très connu au Portugal est aussi réputé pour ses sorties de route et provocations. Il est aussi connu pour être un fervent supporter du FC Porto. Dans son article une phrase avait particulièrement alimenté les soupçons. Dans celle-ci , dans le post-scriptum de l’article, l’auteur se demande s’il y avait « des papillons sur les cordes dans le vestiaire du Benfica à cause du nouveau capitaine ». L’expression portugaise usuelle est « des moustiques sur les cordes » et signifie qu’il y a de la discorde, ici des frictions au sein du vestiaire, l’auteur se défend d’avoir utilisé le mot papillon innocemment, d’avoir « voulu changer d’insecte pour donner un style original à sa phrase ». Il est cependant difficile de croire que le choix du papillon, insecte coloré et souvent associé aux mouvements LGBT était innocent, surtout à la vue du pedigree de Serrão.

Ironie de l’histoire, 23 ans plus tard lui et Calado sont collègues et travaillent pour Correia da Manha. Finalement on ne connaîtra sûrement jamais les dessous de l’histoire, mais une chose est certaine : le « silencieux » Calado aura payé très cher ce « bruit » qui aura circulé en cet automne 2000. Si le destin de Calado n’a pas atteint des proportions aussi dramatiques que celui de Justin Fashanu, il faut avouer que 20 après les mœurs n’ont que peu changé dans le milieu du foot. Les « fausses rumeurs » et les insultes les accompagnant restent régulières et la grande majorité des joueurs préfèrent rester « calado » sur ce sujet.


[1] Mettant ainsi fin à une série de cinq titres de Porto, Benfica n’ayant pas été champion depuis 1994.

[2] Ancien avocat, il ira en prison pour avoir detourné l’argent de plusieurs transferts (dont un yacht payé grâce au transfert de Sergei Ovchinnikov), il aurait volé plus de 7 millions d’euros au club.

[3] Avant son élection Manuel Vilarinho promet Toni malgré le bon bilan de Mourinho (cinq victoires en neuf matchs), une fois en poste le « Mou » est vite débarqué et remplacé par Toni qui aura un des pires bilans de l’histoire des coachs du Benfica (36% de victoires, une sixième place historique…).

[4] Ils perdent en demie contre une très grosse équipe d’Argentine (Ayala, Chamot, Zanetti, Sensini, Almeyda, Crespo, Ortega, Claudio Lopez, Simeone, Gallardo…) puis la médaille de bronze contre une tout aussi grosse équipe du Brésil (Dida, Aldair, Roberto Carlos, Conceiçao, Bebeto, Ronaldo, Rivaldo…).

[5] José Calado est de 1974 comme Sergio Conceiçao, Figo, Rui Costa, Capucho, Abel Xavier et Sa Pinto sont de 1972, Joao Pinto de 1971, Peixe, Vidigal, Pauleta de 1973.

[6] Pourquoi un Grec ? Pour la future tragédie ?

[7] Pour rappel, au Portugal il y a trois grands quotidiens de sport, O Jogo est celui « affilié » au FC Porto, A Bola à Benfica et Record au Sporting.

[8] La chaîne TV de Correia da Manha, le quotidien généraliste le plus vendu au pays.

[9] SIC et TVI sont les deux grandes chaînes TV privées du pays (avec RTP en chaîne publique).

11 réflexions sur « L’aigle et le melon »

  1. C’est Preud’Homme qui avait fait le forcing pour confier les rênes du Benfica à Mourinho – à cet inconnu qui l’avait fasciné un soir à Barcelone.

    Puis, dans la foulée de son échec à Lisbonne : il me semble qu’il voulut le pousser au Standard, j’ai déjà lu ça. Mais c’est alors que Porto entra dans la danse, avec la suite qu’on sait.

    Le reste, ben?? Je reste toujours aussi consterné par le pouvoir de nuisance et l’impunité de types – plupart de ces journalistes, donc -, qui sont aussi impuissants à taper là où ça ferait mal, qu’ils n’excellent à taper sur des mecs isolés, souvent même déjà un genou à terre ; que de carriéristes méprisables dans le tas..

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  2. Je n’avais évidemment jamais entendu parler de cette histoire. Il avait probablement un entourage solide… La désinformation, une histoire vieille comme le monde et dont on peut se demander si elle n’a jamais été aussi massive. Un paradoxe quand on sait que les moyens de vérifier les sources sont bien plus importants qu’autrefois.

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  3. Un « bémol », guillemets de circonstance car tu n’y peux rien : quel dommage que l’illustration soit si petite, elle ne rend pas justice au style vestimentaire ambigu de Melao 😉

    Maintenant, si voilà ce que fut l’angle d’attaque pour l’homosexualiser : ce n’est pas très charitable pour les Capucho & Cie, Cf. cette photo WTF qu’il me paraît superflu de devoir décrire.

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  4. Oui je n’ai pas réussi à la trouver dans une meilleure qualité, et j’ai vu ce matin le rendu. Effectivement le bon goût vestimentaire des footballeurs portugais des 90’s c’était quelque chose.
    Le journaliste c’est un mélange une sorte de Riolo avec une meilleure maîtrise de la langue. Un mec connu pour ses provocations, en avance sur son temps…

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    1. Vous en avez beaucoup, de ce genre de salopards? (tiens, tu aurais même pu nommer cet article : « l’aigle, le melon et le vautour »)

      En Belgique, on est vraiment des bisounours là-dessus, y a encore des choses qui ne se font pas.. Ca n’arrive guère que quand Anderlecht est aux aguets (auquel cas ils mobilisent leurs vieux relais pour déstabiliser un groupe/club adverse) ou pour des raisons d’un registre nouvel ordre moral, mais à part ça RAS.

      A contrario, quand je vois les pourritures que les voisins rosbeef et néerlandais se coltinent depuis plus d’un demi-siècle, mon dieu……… Ca n’a pas l’air bien fameux quoique plutôt récent en France, je dirais.

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      1. A ce propos, je vais essayer d’en glisser un mot bientôt, mais RIP Monsieur Jean-Paul Colonval………

        Ca ne dira pas grand-chose hors-Belgique, et pourtant : excellent footballeur (il fut meilleur buteur du championnat) et plus encore brillant commentateur, doté d’un bagage culturel absolument hors-normes et d’un sens permanent de la correction que j’eus la chance, plusieurs fois, de jauger virilement 🙂 quoique jamais sous la ceinture (et réciproquement!, alors que lui eût pu, et ce bien plus que tant de vieux cons, jouer de l’un ou l’autre arguments d’autorité), bref : ce type était un seigneur.

        Certes bien dix ans, je pense, qu’il s’était retiré du monde professionnel du football – il ne s’employait plus qu’à participer/contribuer de sa mémoire, pas la moindre de ses contributions -, mais quelle perte sur le plan humain.. J’espère y revenir, il le mérite infiniment plus que tant de connards piédestalisés.

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      2. Surtout qu’il est un pur supporter de Porto, cette attaque en règle contre un joueur de Benfica n’était pas anodine.

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      3. Et ce fut un épiphénomène, ou ce genre de coup de pute a plus ou moins régulièrement cours chez les Tos?

        Ca me fait penser, échanges en off 😉 : ai-je déjà vu un match commenté par des Portugais??? Y a-t-il, en la matière, comme une école qui prédomine, par chez vous?

        C’est dingue mais je n’ai guère idée des grandes lignes de ce qu’est un Portugais-lambda, ce à quoi ça ressemble en fait de tempérament (je me doute bien qu’entre un de Porto, de l’Algarve ou des montagnes.. ;)..mais quand même! ) ???? Les Portugais de Belgique que j’ai côtoyés étaient toujours beaucoup plus sérieux que moi (c’est peut-être pas dur en fait), curieux latins a priori, mais à part ça..??

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      4. Ahah oui difficile de définir un portugais type mais c’est vrai qu’il y a un côté « sérieux », un rapport à la souffrance et au travail assez propre au Portugal. Chez les commentateurs il y a deux écoles, celle « à la brésilienne » avec des gooooooooool et celle plus anglo-saxone avec des commentateurs posés et précis.

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