Dino Zoff, une jeunesse à Mantova

Pour beaucoup d’entre nous, le Frioulan Dino Zoff est définitivement associé à la Nazionale, à la Juventus, éventuellement au Napoli. Plus confidentielles, ses années dans la quiétude de Mantova où il apprend les exigences du métier de gardien.

Le Mantova du début des années 1960 doit beaucoup à l’entraîneur Edmondo Fabbri, au directeur sportif Italo Allodi et à la raffinerie Ozo installée sur la rive Est du Lac Inférieur. Filiale de l’Omnium Français de Pétrole, la raffinerie est inaugurée en grande pompe en 1954. Est-ce pour compenser le spectacle désolant des tubes métalliques enchevêtrés et des fumées crachées par des cheminées démesurées qu’Ozo octroie rapidement d’importants financements à l’Associazione Calcio Mantova ? Dès 1956, la modeste società devient l’AC Ozo Mantova et troque le traditionnel maillot biancazzurro pour une tenue biancorossa aux couleurs des stations-service Ozo qui fleurissent alors au bord des routes italiennes et françaises.

Mantova 1964-65. Dino Zoff assis à droite.

Compétences et finances, l’alchimie opère puisque le club connaît une irrésistible ascension, quatre montées en cinq ans agrémentées de scores fleuves. Les chroniqueurs surnomment alors l’Ozo Mantova « il Piccolo Brasile », audacieuse référence à la Seleção de Pelé sacrée en Suède. Quand Mantova accède à la Serie A en 1961, Italo Allodi a déjà rejoint l’Inter, mettant ses talents de recruteur et d’intrigant au service d’Angelo Moratti, et Ozo vient de se désengager après le rachat de la raffinerie par la Compagnie Française des Pétroles, ancêtre de Total. Défections sans conséquences puisque Mondino Fabbri obtient aisément le maintien avant de rejoindre la Nazionale en sauveur (croit-on) à la suite de la Coupe du monde au Chili, épuisé par ses relations délétères avec le président Giuseppe Nuvolari.

Mondino Fabbri avec le O de l’Ozo Mantova.

De mécanicien à gardien

Dino Zoff a 21 ans quand il quitte l’Udinese pour Mantova. Dans son Frioul natal, il souffre de la comparaison avec Giovanni Romano, héros bianconero vice-champion en 1955, et le public ne lui pardonne rien. Voulu par « Cina » Luigi Bonizzoni qu’il a rencontré à Udine, il arrive à Mantova durant l’été 1963 au volant d’une Fiat 600 dont il s’extrait à grand peine. Grand échalas à l’air falot, pas tout à fait certain de son avenir professionnel tant il est passionné par la mécanique automobile, il trouve dans la cité des Gonzaga la quiétude nécessaire à son épanouissement, loin des attentes démesurées de ses « compatriotes » frioulans.

De ses quatre saisons à Mantova, il reste l’effervescence du stadio Danilo Martelli lors des grandes affiches, une relégation en Serie B suivie d’une remontée immédiate, de belles rencontres, son épouse Anna en premier lieu. Bien plus qu’un partenaire puisqu’il est son témoin de mariage, le Sarde Gustavo Giagnoni est son ami le plus proche et l’âme de l’équipe, présent depuis la Serie D. Il croise également Gigi Simoni, Bruno Nicolè, cramé et bedonnant à vingt-trois ans seulement, « Volkswagen » Schnellinger, Torbjörn Jonsson, Gegè Di Giacomo, que Fabbri convoque avec la Nazionale, mais aussi des joueurs tombés dans l’oubli comme Pasquale Spinelli, son compagnon de chambre lors de sa première année, surnommé « l’homme plus rapide que le vent » dont la carrière est brisée par les blessures.

Luigi Bonizzoni est évidemment son mentor mais il ne reste qu’un an, en conflit avec Beppe Nuvolari, comme Fabbri par le passé. Lui succède le volcanique Italo-argentin Oscar Montez, un de ces entraîneurs qui vont de club en club, de licenciement en licenciement, bonimenteur à l’accent prononcé misant sur son bagout bien plus que sur ses talents de tacticien. Il ne tient que cinq journées, le temps de planter Mantova avant de retourner en Serie C à Cosenza, le club de sa vie où personne ne lui reproche ses excès (expulsé par l’arbitre lors d’un match contre Messina, il tente de l’agresser dans les coulisses du stadio San Vito et pour arriver à ses fins, n’hésite pas à molester des policiers venus le maîtriser, inscrivant à jamais son nom dans la mémoire des Calabrais).

Face à l’Inter et Mario Corso. Au second plan, à droite, Gustavio Giagnoni

C’est avec Giancarlo Cadè que Dino s’impose comme une évidence, faisant oublier William Negri parti conquérir un Scudetto à Bologna. Les moteurs et le cambouis ne le font plus rêver, il se dévoue corps et âme à son métier, premier couché, premier levé. Par ses performances et son imperméabilité, il transforme son apparente fadeur en sobre autorité, portant au paroxysme ce que les experts en communication appellent l’éloquence des silences.

Zoff a vingt-cinq ans, son apprentissage est terminé. Il peut quitter la douce torpeur de Mantova pour la folie de Napoli et construire son personnage de « SuperDino », un des héros préférés de l’Italie.

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61 réflexions sur « Dino Zoff, une jeunesse à Mantova »

  1. Certainement mon récit favori, que dis-je récit… Ma fable préférée parmi celles offertes par le « répertoire Verano ».
    Un répertoire, un recueil… faisant facilement office de trésor, enfermé celui-ci dans un coffre-fort factice, le jouet d’un enfant rêvant d’aventures, d’explorations et de liberté !
    Un monde à part, un autre temps, situé ici dans un vieux grenier… entre albums souvenirs, saveurs d’antan et poussières d’étoiles plein les yeux ! Attention : chair de poule et frissons garantis bien sûr !
    Un monde à part oui… Ici une caverne d’Ali Baba aux trésors tout autant préservés qu’inestimables… Là un pays imaginaire, pour les Peter Pan aussi insouciants qu’inaccessibles, les pirates du football et les gentils fantômes.
    Verano, c’est ce petit Prince en apesanteur qui plane au dessus de nos têtes, cet astronaute en état de grâce… Cet albatros bouleversant, ce funambule fou, ce roi de l’azur… inatteignable, imperturbable et nous proposant sans cesse un accès à sa sphère si spéciale, son astre resplendissant, sa planète perdue: le football pure !
    Un accès pour conclure, une invitation… Sorte de cadeau, don du ciel ou offrande divine peu importe… Un accès comme une voie ouverte vers l’évasion, l’élévation ! Un passage secret enfin qui ne nécessite ni mot de passe ni aucune incantations chamaniques, sortilèges, sorcellerie ou que sais-je encore… afin de s’ouvrir. Simplement l’oubli de la notion de résultats, le détachement sincère de cette atroce stratosphère de trophées et autres sénile suprématie moderne des statistiques… Seul la sensibilité suffit pour entrer dans cet antre de douceur, de tendresse et de délicatesse. Verano: c’est la plénitude d’un détail, d’un petit rien… et l’intense, la merveilleuse amplitude de tout !

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      1. En l’occurrence, c’est objectivement très moche. Certaines villes arrivent à concilier industrie et esthétique, comme Ancône et son port par exemple. Mais Mantoue, non, définitivement non !

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      2. Rassure-moi, Mantoue vaut quand même le coup?

        Cette ville figure parmi celles du Pô que je n’ai pas encore vues, et qui me semblaient (et pas un peu) valoir le détour.. 🙂

        Spectacle « désolant », avant je me serais fâché, t’as de la chance 😉

        On s’attache souvent à ce type d’environnement quand on y grandit..sauf que rétrospectivement, à mesure que dans ma région ils disparaissent.. Parfois non-dénués de certaine poésie, mais c’étaient des furoncles.

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      3. Ah oui, même si la vue du bord d’un des lacs que forme la rivière offre une vue sur la raffinerie, Mantoue vaut le coup d’œil. C’est une petite ville calme, embellie par la Piazza d’Erbe et ses imposants palais renaissance. Pour ma part, je l’ai visitée deux fois à 25 ans d’intervalle, j’ai eu la sensation que rien n’avait changé. Et pour être franc, j’ai aimé cette sensation !

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      4. « On s’attache souvent à ce type d’environnement quand on y grandit »

        C’est exactement ça.
        Et encore plus quand tes deux grands-pères ont bossé, l’un dans la métallurgie/sidérurgie, l’autre dans les chemins de fer.

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  2. bravo Mr Verano toujours aussi bon écrivain, une écriture un peu lyrique et empreinte d’une nostalgie toute Argentine ce qui n’est pas pour me déplaire^^
    merci de rappeler cette période un peu oublié de ce grand gardien, pour tout dire j’avais même zappé la période Napoli pour moi il est juventino (avec un sacré palmarès sur cette période)
    une remarque au détour du récit, je le lis avec délectation et puis soudain dans une phrase un nom me saute aux yeux, ça me parle, des vieux souvenirs de récit endiablé d’un match (le match du siècle?) me reviennent mais oui c’est bien lui Schnellinger… vérification faite c’est bien lui qui égalise à la 90éme au stade Aztéque de cette demi mythique entre la RFA du pas encore kaizer Franz et du bomber et la Nazionale des génies Riva et Rivera, égalisation qui amènera la folie des 30 minutes supplémentaires!
    pourquoi donc ce nom m’a marqué? toujours pareil ce vieux bouquin retraçant les coupes du monde jusqu’en 86 et sortis avant la coupe du monde Italienne, bouquin perdu mais alors qu’est ce qu’il m’a marqué, jeune a l’époque j’ai du me dire c’est quoi ce nom pas très Italien! haha
    d’ailleurs Zoff n’est que remplaçant à cette coupe du monde d’ Albertosi… et une défense italienne finaliste d’une coupe du monde en ayant encaissé 7 buts en 2 matchs!
    merci encore pour ce bien bel article, franchement les gars vous placez le curseur sacrément haut

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    1. Ça me fait mal de l’écrire mais c’est Buffon. Je ne parle pas de palmarès, ça ne m’intéresse pas. Mais Buffon est une évidence très jeune et performe durant très longtemps alors que Zoff n’écarte la concurrence d’Albertosi qu’à presque 30 ans. Et si Zoff est un indiscutable héros, il ne l’est qu’à partir de 1982. Avant cela, c’est un grand gardien mais il est contesté pour son style jugé trop traditionnel, sans audace, et surtout pour sa fin de CM 1978. Buffon n’a jamais connu de vraie remise en cause durant 15 ans.

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      1. Suis d’accord. Gigi est sensationnel dès ses 18 ans. Il prend la place de Luca Bucci, non?

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      2. J’ai la même en Belgique..car Piot?..ou Courtois?

        Ça me fait un peu mal au cul, d’autant que Piot a une personnalité merveilleuse et n’a jamais été reconnu hors-Belgique et NL à sa juste valeur (sinon par des Eusebio ou Cruyff) mais je crois bien que Courtois..

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  3. Ce qui était marquant : c’était ce maillot gris que portait les gardiens italiens
    Albertosi,Zoff,Toldo , Zenga(mon préféré ) ..
    y avait il une raison ou une tradition par rapport à la couleur grise de ce maillot ?

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    1. Dans les années 30, Combi, Olivieri ou Masetti jouent en noir. Cela change après guerre avec l’apparition du gris. Est-ce pour se démarquer de l’image des Chemises noires ? Je ne le sais pas…
      Le maillot noir perdure en club et d’ailleurs Zoff joue en noir jusqu’à son arrivée à la Juve.
      Et enfin, pour l’anecdote, une photo du gardien du Racing à la fin des années 80, El Loco Vivalda avec le maillot de Zenga. Je crois que le gardien uruguayen Rodriguez a également joué avec la tunique grise de l’Italie, celle échangée avec Ivano Bordon lors d’un match amical à Milan.

      https://enunabaldosa.files.wordpress.com/2015/08/enelplacardvivaldaitalia.jpg?w=145&zoom=2

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  4. Buffon devant Zoff. Courtois devant Piot. C’est douloureux de déloger les vieilles idoles.
    En Espagne, c’est pareil. En plongeant encore plus loin dans le passé. Qui ferait mieux que Zamora? Et Iker est arrivé. Et même si je suis encore hésitant parfois, je pense que Casillas est le plus grand gardien espagnol.
    Et puis, ça fait du bien d’admettre, pour des passionnés d’histoire de ce sport, apres de nombreuses discussions à défendre les joueurs d’antan, que ça peut etre mieux aujourd’hui.
    Ça prouve que l’on est pas si obtus que ça !

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    1. Oh ça n’engage que moi, et dieu sait que je ne goûte ni le personnage ni le style de keeping (beurk.. – celui de Piot était trop lourd à mon goût), même son palmarès m’indiffère (car à contextualiser)..

      Et cependant, je m’incline : Courtois est une sacrée machine..qui d’ailleurs aurait pu faire un BO tout-a-fait légitime.

      Ce qui est certain : Preud’Homme ne peut pas prétendre à ce titre honorifique, c’est désolant que certain IFFHS (?) l’ait à ce titre gravé dans le marbre (officiel 11 belge du siècle) depuis une base purement statistique.

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    2. Impossible de juger objectivement deux gardiens à 80 ans d’intervalle… mais tu ne peux pas avoir raison, parce que Zamora, c’est le RCDE avant tout, laisse au moins cela aux Pericos ! Et puis quand tu t’appelles El Divino, comment peux tu être mis en concurrence ?
      A titre personnel, je n’ai jamais été impressionné par Casillas, pas assez bon sur les sorties aériennes pour passer des grands aux très grands. Après, son palmarès parle pour lui mais comme dit plus haut, ça ne m’intéresse pas.

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  5. Argentine : Fillol
    Autriche : koncilia
    Belgique : courtois même si je n’aime pas le personnage
    Brésil : Leao
    Angleterre : Banks
    Allemagne : Sepp Maier
    France : Bats
    URSS ou Russie : Dassaev
    Pays bas : Jongbloed
    Italie : Zoff
    Espagne : Casillas
    Suède : Hellstrom off course
    Danemark :Peter Schmeichel
    Mexique : Campos
    Colombie : Huiguita
    Pologne : Tomaszewski
    Uruguay : Mazurkiewicz

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    1. Carbajal ou Ignacio Calderon au Mexique. Voire Ochoa.
      Meme des mecs comme Oswaldo Sanchez, Pablo Larios sont devant Campos à mon avis. Qui n etait pas un mauvais gardien mais qui brillait surtout pas son style et sa polyvalence.

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      1. D’un point de vue footballistique oui mais je trouve qu’il a fait évoluer le poste de gardien et le Mexique jouait différemment avec lui

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      1. C’est vrai que inconsciemment des héros de notre prime jeunesse peuvent devenir des super héros dans notre imaginaire ( mais de la faute de @Sindelar quand j ‘avais 5 ans qui me répétait sans cesse Leao pour une fois que le Brésil a un grand gardien …😉)

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    1. Contre la Colombie, Yachine encaisse certes le seul corner direct de toute l’histoire de la Coupe du monde (à ce jour). Mais c’est tout son match qui est raté. Rappelons que, ce jour-là, il en encaisse… 4 ! Certes, il ne fut pas aidé par une défense permissive : https://www.facebook.com/JoseMielTM/videos/colombia-vs-urss-mundial-de-f%C3%BAtbol-chile-1962-primera-ronda/1066756530376236/

      Mais c’est surtout contre le Chili, en quarts, que le gardien soviétique est fautif. Il encaisse alors deux frappes lointaines qui n’étaient, peut-être, pas imparables : https://www.youtube.com/watch?v=xGwZL_XTpqo

      Il n’empêche que la disgrâce qu’il connut ensuite était sans doute exagérée. D’autant plus que, me semble-t-il, Yachine avait des problèmes personnels lors de cette Coupe du monde (sa femme le trompait ou bien voulait le quitter, je crois bien… mais à vérifier !).

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