Le jour où le Barça de Rijkaard s’est pris les pieds dans le tapis en Slovaquie

Le tirage au sort du 1er tour de la Coupe de l’UEFA 2003-2004 a désigné le FK Matador Púchov adversaire du FC Barcelone. Un tirage qui offrait les ingrédients nécessaires pour que la magie de la coupe opère.

Après une saison 2002-2003 décevante et conclue à la sixième place du championnat, le FC Barcelone se voit qualifié pour la Coupe de l’UEFA. Une compétition a priori à la mesure des Catalans, qui se sont renforcés pendant l’été avec les arrivées de Ronaldinho (ex-PSG) et Quaresma (ex-Sporting Portugal). Exempt de tour préliminaire, le Barça découvre lors du tirage au sort qu’il existe en Slovaquie un club baptisé FK Matador Púchov. Une future victime expiatoire face à l’armada de star des Culés, pense-t-on alors.

Qu’est-ce donc que ce matador de l’Est ? Le club de Púchov, une modeste ville de 18 000 habitants au Nord-ouest de la Slovaquie, est ancien, mais sa réussite est nouvelle. Fondé en 1920, il a attendu 2003 pour décrocher son premier titre : la Coupe de Slovaquie. L’histoire du club, ce sont surtout des affrontements dans les basses divisions slovaques. Quelques saisons en première division slovaque pendant la période communiste (soit la deuxième division du championnat tchécoslovaque), puis un long parcours en D2 slovaque dans les années 90. Trop fort pour être inquiété par la relégation, le Matador n’a toutefois pas les armes pour jouer la montée.

La donne change peu à peu à la fin des années 90 et, lors de la saison 1999-2000, le club remporte la D2 et découvre, 80 ans après sa création, les joies de l’accession à l’élite. Et le Matador impressionne dès la première saison : il se maintient (sixième sur 10), profitant des prouesses de son attaquant centrafricain Alias Lembakoali, quatrième meilleur buteur du championnat (16 buts). Mieux, Púchov profite d’une règle méconnue : la Slovaquie étant troisième au classement du fair-play de l’UEFA, elle peut envoyer une équipe supplémentaire au tour préliminaire de la Coupe de l’UEFA. Le Matador, mieux classé au fair-play dans son pays parmi les clubs non qualifiés pour une coupe d’Europe, grille la politesse au MŠK Žilina et découvre les joutes européennes.

Une ascension fulgurante

Dans son stade municipal, Púchov reçoit les Maltais du Silema Wanderers pour le premier match européen de son histoire. Une victoire 3-0 à l’aller, un léger relâchement au retour (défaite 2-1), l’aventure peut continuer. Au tour suivant, les Slovaques affrontent Fribourg. Le match nul de l’aller (0-0) est insuffisant, les Allemands s’imposent au retour (2-1) et le Matador retrouve le train-train du championnat.

Mais la dynamique est lancée. Púchov réalise une saison 2001-2002 de haute volée. Son attaquant Ľuboš Perniš, deux fois buteur en Coupe de l’UEFA, claque 15 buts en championnat (deuxième meilleur buteur) et hisse le club à la deuxième place du classement, sept points derrière Žilina. En parallèle, le Matador atteint la finale de la Coupe de Slovaquie. Il est battu par une surprise, Senec, issu de deuxième division (1-1, 4-2 tab), après avoir éliminé notamment le Slovan Bratislava et Žilina. Cette saison historique offre à Púchov l’occasion de jouer à nouveau le tour préliminaire de C3. Le tirage leur propose cette fois les Kazhaks du FK Atyraou, un club largement à leur portée (match nul 0-0 à l’extérieur puis victoire 2-0). Au premier tour, les Slovaques tombent une nouvelle fois sur plus fort qu’eux : les Girondins de Bordeaux. Les Marine et Blanc l’emportent aisément, aussi bien à Chaban-Delmas (6-0) qu’en Slovaquie (4-1), avec notamment trois buts de Darcheville lors de la double confrontation.

La claque est sévère, mais les ambitions du Matador restent intactes, malgré les difficultés. La saison de championnat est plus compliquée. Le club ne bénéficie plus de l’effet de surprise et il peine à faire la différence. La première division se conclut sur un échec relatif, avec une cinquième place (sur 10). Loin des places européennes, mais aussi loin de la dernière place, synonyme de relégation. Heureusement, les joueurs du Matador n’ont rien perdu de leurs capacités à disputer des matchs couperets et conquièrent la Coupe de Slovaquie, en dominant en finale le Slovan Bratislava (2-1 après prolongation, avec notamment un but de l’insatiable Perniš). Cette victoire en Coupe permet de récompenser le groupe de ses efforts depuis la montée trois ans plus tôt. Elle offre aussi au Matador un nouveau billet pour le tour préliminaire de la Coupe de l’UEFA.

Le Barça ? Même pas peur

De nouveau, ce tour de chauffe n’a rien d’inquiétant. Avec leur nouvel entraîneur Pavel Vrba, fraîchement champion de République tchèque avec le Baník Ostrava, les Slovaques ne font qu’une bouchée des Géorgiens du Sioni Bolnisi (3-0 chez eux, puis le même tarif à l’extérieur), puis (on l’imagine) tombent de leur chaise en apprenant qu’ils affronteront le FC Barcelone au premier tour. De Valdés à Kluivert en passant par Puyol, Xavi, Overmars, Cocu, Davids, Luis Enrique, Saviola ou encore Ronaldinho, le Barça a tout de l’ogre lorsqu’il se déplace en Slovaquie pour affronter l’un des clubs les plus modestes de la scène européenne.

A Púchov, on s’organise rapidement. Le stade municipal est trop petit pour accueillir un tel événement et la direction du club décide de recevoir Barcelone dans le stade Anton Malatinský de Trnava, qui est trois fois plus grand. La « nouvelle » enceinte fait le plein pour ce match de gala, pendant lequel personne n’imagine que les Slovaques tiendront la distance.

Dès le coup d’envoi, Frank Rijkaard montre qu’il prend son adversaire au sérieux. L’équipe barcelonaise qu’il aligne comprend tous les titulaires, ou presque : Valdés dans les buts, Reiziger, Puyol, Cocu et van Bronkhorst en défense, Xavi, Luis Enrique et Ronaldinho au milieu, Quaresma et Overmars sur les ailes, et Kluivert en pointe. En face, le Matador se présente avec un 4-4-2 en losange pour densifier le milieu de terrain et espérer peser un peu sur la défense barcelonaise.

Et ça marche. Après 10 minutes de jeu, le Matador a déjà obtenu cinq corners, contre aucun pour les visiteurs. L’outsider met une pression de tous les instants sur le Barça, qui a toutes les peines du monde à se défaire d’une défense parfaitement organisée. A la mi-temps, le score est toujours vierge et l’embarras des Culés grandit.

Personne ne sait ce que Frank Rijkaard a dit à ses joueurs dans les vestiaires, mais cela a eu un effet immédiat. A la 49e, Patrick Kluivert trompe enfin Tomáš Bernady, le gardien des locaux. Le plus dur semble être fait pour les Catalans, mais Púchov a de la ressource. Portés par leur public, les Slovaques continuent de presser le Barça et de l’empêcher de dérouler son jeu. Le meneur de jeu Mario Breška manque l’occasion d’égaliser et les visiteurs se dirigent vers la victoire.

Un but pour l’éternité

Et puis, à la 93e minute, Ronaldinho, lancé sur le côté gauche, perd son duel face à Bernady. Les Slovaques récupèrent le ballon et, d’une longue transversale, lancent un contre. Breška récupère le ballon entre deux défenseurs, déborde sur la droite de la surface de réparation, centre à ras-terre… et Milan Jambor, latéral gauche, marque d’un plat du pied, plein axe, devant les six mètres. 1-1, le géant barcelonais est à terre.

La rencontre se termine dans l’euphorie, comme si le Matador l’avait emporté. Comme s’il n’y avait pas de match retour. Le lendemain, la presse salue l’exploit du petit club slovaque et insiste sur la mauvaise performance catalane. Les médias se régalent de l’écart entre les deux équipes et l’Associated Press souligne que le salaire du seul Ronaldinho vaut 34 fois le budget du Matador. Et qu’importe si la prouesse n’a pas de lendemain.

Au match retour, les Barcelonais sont remontés comme des pendules. Dans l’indifférence presque générale (seulement 29700 spectateurs au Camp Nou), les Catalans prennent rapidement la mesure de Slovaques intimidés. 3-0 à la mi-temps, 8-0 à la fin du match avec un triplé de Ronaldinho, la marche était évidemment beaucoup trop haute pour le Matador. Sans le savoir, le club slovaque a joué son dernier match de coupe d’Europe.

Auréolé de sa gloire d’un soir, Púchov retourne à ses activités domestiques mais semble avoir perdu la flamme. Déjà éliminé en Coupe de Slovaquie dès son entrée en lice, le Matador vit une saison difficile en championnat. Les espoirs de titre ou de qualification continentale sont rapidement balayés et le club termine la saison à la neuvième place, 10 points devant le Slovan Bratislava, relégué. La suite confirme cette tendance. Breška quitte le club l’été suivant (pour rejoindre Panionios) et est imité par sept autres joueurs présents dans le groupe pour la réception du Barça.

La saison suivante est à peine meilleure, avec une sixième place en championnat, puis la saison 2005-2006 marque la fin des grandes ambitions. Púchov, dernier, est relégué, et des ennuis financiers l’empêchent de disputer la deuxième division. Le Matador est vaincu. Le club ne reviendra qu’en 2008, en troisième division et sous le nom FK Púchov. Depuis, le club a connu une nouvelle saison de galère en 2011-2012, où il a abandonné le championnat de troisième division, faute de moyens financiers suffisants. Revenu deux ans plus tard, le club de Púchov est remonté en deuxième division en 2019 et a ainsi retrouvé le niveau national. Mais il reste encore loin, bien loin des joutes européennes.

12 réflexions sur « Le jour où le Barça de Rijkaard s’est pris les pieds dans le tapis en Slovaquie »

  1. Match disputé à Trnava?

    Rijkaard était fort jeune encore, très loin encore d’être estampillé « Ajax » à l’époque (à dire vrai, sa carrière eut raisonnablement dû épouser celle de son vieux complice Gullit, et ne jamais passer par la case Ajax), bref j’ignore s’il avait le moindre intérêt pour Ajax quand ce club y vécut un cauchemar..co-fondateur en 1969.

    Mais, si oui : peut-être se rappela-t-il, depuis le banc catalan, certaine soirée y essuyée par le foot NL une grosse génération plus tôt?

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    1. NB, tant qu’à faire : Rijkaard et Gullit ont footballistiquement grandi ensemble, ce qu’on n’appelait pas encore du street-football on va dire.. Vers ses 18 ans, Rijkaard passa le cut de l’Ajax mais hésita à franchir cette marche………tout en se disant (et en sachant!) que, s’il y échouait : Haarlem lui gardait les bras ouverts, là où son pote Gullit venait de signer..

      Mais même à Ajax, ce ne fut pas toujours le grand amour, Rijkaard envisagea plus d’une fois de partir…………et surtout de retrouver son pote Gullit, qui s’employa à le faire signer au..PSV!!! (dont acte..et dont contre livraison d’une chaîne hi-hi Philips, lol)

      Problème : Rijkaard était une catin, avait négocié parallèlement avec Ajax..et y resigna!, obligeant Ajax à dédommager le PSV. Le montant en soi était déjà pas mal pour une opération nulle, le PSV s’en sortait super bien………….et je crois même que cette indemnité gonfla encore de 50% pour une subtilité qui m’échappe aujourd’hui. Ce qui fit dire à l’un des dirigeants du PSV que le non-transfert de Rijkaard avait été la meilleure affaire de toute l’Histoire du PSV.

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      1. D’ailleurs Alex? Qui est le premier néerlandais d’origine surinamienne qui ait percé ?

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      2. Y a aussi son faux tranfert au Sporting pour finalement se retrouver à Saragosse.

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      3. Le premier Surinamien en équipe nationale NL, c’est facile : c’est Mijnals.

        La première star du foot NL professionnel, 50’s : André Kampeneers, au club susmentionné de Haarlem.

        Mais le premier Surinamien à avoir percé aux Pays-Bas, pouillouillouille………. Dès les années 30 on en trouve un peu partout en 1ère division, et ils sont souvent bons voire très bons..mais à part ça et te dire qu’on ne les évoque guère, aujourd’hui, que pour dire qu’ils souffrirent d’un racisme institutionnel (qui semble faire autorité), ben..??

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      4. Mijnals, je connaissais de nom. Un mec dont le parcours est intéressant est le gardien du Curucao, Ergilio Hato. Toute une mythologie sur les offres des gros clubs qu’il refus. Faudrait s’y pencher…

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  2. Je viens de regarder la vidéo du but, y a un gros coup de klaxon, pouêêêêtt………..comme dans le foot belge de mon enfance, lol..

    Pas l’impression qu’on en entendait en Europe de l’Est et centrale avant la chute du Mur?? Ni qu’on en entendît encore beaucoup en Europe de l’Ouest 15 ans plus tard, à l’époque de ce match.. ==> Les Tchèques découvraient-ils cela? Ou alors je suis à côté de la plaque.

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