Antonín Panenka : « C’est comme si le vert et blanc m’était destiné »

Suite de notre interview de la légende du football tchèque, où nous nous penchons sur ses années viennoises. Partie 2 sur 3.

En 1981, vous êtes parti au Rapid de Vienne. Est-ce que vous avez reçu des offres d’autres clubs ?

J’ai eu beaucoup d’offres. À l’époque, les transferts étaient organisés par une entreprise qui s’appelait Pragosport. Le directeur de Pragosport a déclaré à l’époque dans les médias qu’il y avait un grand intérêt pour tous les joueurs dont ils s’occupaient, mais surtout pour moi. Je n’ai pas connu personnellement la liste de tous les clubs concernés, mais j’ai été en contact avec Murcie en Espagne, une équipe de Stockholm, une autre en Belgique…

Qu’est-ce qui vous a décidé à aller au Rapid de Vienne ?

J’aurais pu gagner beaucoup plus d’argent en Espagne ou en Belgique. Mais je suis parti à 32 ans, c’est-à-dire à l’âge où presque tous les joueurs arrêtaient leur carrière en Tchécoslovaquie. Et c’est l’âge auquel je suis parti à l’étranger. Au passage, les pays étrangers s’intéressaient assez peu au football tchécoslovaque, donc je n’étais pas vraiment connu. Peut-être un peu parce que j’avais joué avec la sélection, mais à part ça personne ne savait comment je jouais.

Donc à 32 ans je suis parti découvrir le monde. C’est particulièrement compliqué, imaginez arriver à 32 ans dans le championnat d’Espagne, où sont les meilleurs joueurs du monde… pour moi ç’aurait été plus difficile, comme ça en fin de carrière. Donc j’ai choisi l’Autriche, pour plusieurs raisons. Le football y était proche de celui que je connaissais, donc je me suis dit que je devrais m’en sortir. Un autre avantage, c’était qu’il y avait une école tchèque pour mes enfants. Et puis, c’était tout proche de la Tchécoslovaquie. Donc quand j’avais besoin de m’oxygéner ou de me relaxer, il me suffisait de prendre ma voiture et en deux ou trois heures j’étais chez moi.

Donc c’était en quelque sorte le choix du confort…

Oui, à 32 ans c’était important. Si j’étais allé en Espagne pour jouer dans une équipe avant-dernière de son championnat… si le club ne se maintenait pas je serais rentré en Tchécoslovaquie après une ou deux saisons, et ce n’était pas ce que je voulais. Je souhaitais continuer encore trois ou quatre ans, et j’y suis arrivé.

Et ça vous a permis de jouer des matches de coupe d’Europe avec le Rapid de Vienne…

Exactement. C’était un peu comme un bonus. Avant ça, ça faisait 26 ans que le Rapid n’avait pas gagné le moindre titre. Et quand je suis arrivé, en même temps que Hans Krankl, on est tout de suite passés de la dixième à la troisième place. On s’est qualifiés pour la coupe d’Europe et ensuite on a joué le titre et l’Europe chaque année.

Est-ce qu’au fond, le fait que le Rapid ait les mêmes couleurs que les Bohemians n’a pas joué un rôle aussi ?

Non, parce que quand je suis allé au Rapid, je ne savais pas qu’ils jouaient aussi en vert et blanc. Je me suis dit qu’un maillot rouge, bleu, jaune m’irait bien, mais quand je suis arrivé au Rapid tout était vert et blanc. L’avantage, c’est que j’avais l’impression de toujours être chez les Bohemians. C’est comme si le vert et blanc m’était destiné.

Comment se traduisait la vie d’un footballeur tchécoslovaque à l’étranger pendant la période communiste ?

C’était plutôt tranquille. J’étais en Autriche avec ma famille, mes enfants allaient à l’école tchèque, on me laissait tranquille. Je me concentrais uniquement sur le football. C’était très agréable. Quand on avait besoin de quelque chose, on prenait la voiture et en deux ou trois heures on était à la maison et on pouvait vite revenir. En plus, c’était une très bonne période pour moi du point de vue footballistique. On a eu de très bons résultats. Je dirais que c’était la meilleure période de ma vie.

Et vous n’avez pas senti là-bas de pression du régime communiste ?

Non, aucune. J’avais en plus de très bonnes relations avec l’ambassadeur à Vienne. Mais il est vrai que j’ai appris après coup que chaque personne qui vivait comme ça à l’étranger avait son « ange-gardien ». Il y avait quelqu’un qui s’occupait de vous, qui s’intéressait à vous, à qui vous parliez, comment vous vous comportiez, si vous ne faisiez rien de mal… Donc j’avais quelqu’un qui faisait attention à moi. Mais je n’ai jamais eu de problèmes particuliers.

Après quelques années au Rapid de Vienne, vous avez mis fin à votre carrière professionnelle. Vous n’avez jamais voulu devenir entraîneur ?

Non, je ne suis pas fait pour ça. Je n’ai pas les bonnes compétences pour pouvoir être entraîneur principal. Pour ça, il faut savoir être ferme, discipliné, dur… Il faut savoir crier sur les joueurs… C’est quelque chose que je ne sais pas faire. J’ai été pendant quelque temps entraîneur adjoint et c’était un bon rôle pour moi, je pense. Il y avait l’entraîneur principal, c’était le bâton, et moi j’étais la carotte. On se complétait bien comme ça, mais personnellement j’étais toujours triste quand j’annonçais la composition de l’équipe et que je devais dire à quelqu’un qu’il ne jouerait pas. Un entraîneur comme ça, qui n’arrive pas à annoncer des mauvaises nouvelles, n’a aucune chance de succès. En plus, j’ai continué de jouer longtemps dans des petits clubs autrichiens. Quand je me suis arrêté de jouer de manière régulière, j’avais 46 ans.

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30 réflexions sur « Antonín Panenka : « C’est comme si le vert et blanc m’était destiné » »

  1. Toujours aussi bien, cette interview ! Ceci dit, faire Vienne-Prague en 2-3 heures pendant la guerre froide, je demande à voir. Aujourd’hui, sans contrôles aux frontières et avec une belle autoroute, on met 3 h 30. Sur la 2×2 voies tchécoslovaque de l’époque (savant mélange de IIIème Reich et d’ingénierie socialiste), et avec le rideau de fer à franchir, il fallait sans doute disposer d’une Mercedes ou d’une BMW (probable), du passeport qui va bien (probable aussi), et du nom qui permettait de se tirer d’un contrôle de vitesse avec un « ça ira pour cette fois » (certain). Même dans ces conditions, il reste des doutes.

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    1. Même après, c’était compliqué. Début 90’s, compter bon 12 heures (sans tracasserie aucune..auquel cas ça pouvait facilement durer 2 heures de rab) pour faire Berlin-Cracovie (600 bornes), c’était interminable.

      Début 2000’s, je mettais 10 heures environ pour faire Cracovie-Budapest (400kms). Cracovie-Prague même époque : 8-10 heures (500kms?)..et le tout en trains « express », hein! Prague-Ceske Budejovice, c’était un bon 3 heures.. En moyenne et nonobstant quelques exceptions, compter arriver un peu partout à destination à du 50 à l’heure.

      L’Europe centrale resta longtemps un paradis pour voyager en train, réseau extrêmement dense à l’époque…..mais il fallait avoir le temps..et compter que ça allait, dans bon 90% des cas, deux fois plus vite en car!

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    2. Vienne-Prague c’est beaucoup plus court quand la destination n’est pas Prague…
      Il vit dans un village en Bohême et c’était probablement déjà le cas avant. Donc ça raccourcit le trajet.

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    3. Tu te poses des questions que personne d’autre se pose…

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      Au programme
      3e reich
      Bagnole allemande
      Et contrôles de police
      Et si il a le temps c’est pas impossible qu’il nous sorte un comparatif des prix sur les produits essentiels entre carrefour et auchan

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      1. j’ai fait dans le conseil genre McKinsey

        Qu’on le pende!!!

        Enculeyyyyyy !!!!!

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      2. – Le croquemort: Qu’on le pende ! Qu’on le pende ! Qu’on le… (Lucky Luke dégaine) …laisse sortir…

        (Dans « Le juge »)

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  2. Finalement pas joué en Belgique ni Pays-Bas mais c’est tout comme : en Flandre une émission intitulée « Panenka », aux Pays-Bas une publication du même nom et vouée, disons, à la culture « groundhopping »..

    Sans certitude aucune, je verrais bien le FC Bruges ou Lokeren avoir été sur les rangs?

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      1. J’aurais plus volontiers traduit ça par Antoine, non ?
        Anthony, c’est d’ailleurs d’un usage plutôt récent en France, il me semble. Par influence culturelle américaine, sans doute.
        Marcus Antonius, que nous appelons Marc Antoine, est appelé Mark Antony par les anglophones.
        Quant à Antonin, c’est aussi un prénom traditionnel en France. Il fait référence à l’empereur romain du IIe siècle Antonin le Pieux.

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      1. Le diminutif d’Antonín est « Tonda ».
        Sinon « panenka » signifie « poupée ».
        Pour le surnom équivalent à barbu je ne sais pas, mais ça a largement pu m’échapper.

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  3. Ah géniale la partie sur sa vie perso, et j’aime bien le concept détourné de l’ange gardien, qui veille surtout aux intérêts de la mère patrie plutôt qu’à ceux de Panenka !

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  4. En 1981, le Real Murcia venait de descendre en Segunda (avec l’ailier brésilien pataud Bufalo Gil, Buffalo Grill pour Bobbyschanno). Qu’aurait il été faire là bas hormis prendre le soleil ? C’est un peu comme si Nehoda avait signé à 32 ans à Grenoble en D2 française. Impossible 😉

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  5. Ahaha, les Viennois ont déteint sur lui. Lorsqu’il est arrivé au Rapid en 80/81, le dernier titre remontait à 68 et le club avait terminé 5ème lors de la saison précédente. Et il n’y avait que dix clubs en D1. Il a débarqué en compagnie de Frantisel Vesely, qui n’est resté qu’une saison.

    Il est resté 5 ans au club. Autant de bonnes saisons. Les stats parlent d’elles-même. En championnat, 127 matchs et 63 buts. En CE, 23/12. Avec 2 titres de champion, 3 coupes. Un quart de finale de Coupe des Champions en 84, la finale de Coupe des Coupes en 85. Une période où le Rapid et l’Austria se tirait la bourre.

    Il a joué ensuite en 3ème division à St. Pölten puis au Slovan-HAC (pour Hütteldorfer AC, fusion dans les 70’s). Le Slovan, c’était le club de la communauté tchèque, basé initialement à Favoriten, et qui jouait au « České srdce-Stadion ». Il y a toujours un stade à cet endroit, mais c’est désormais celui de l’Austria. Après 89, Panenka joue encore dans deux petits clubs de Basse-Autriche et arrête en 93.

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      1. Oui, quelques podiums, mais globalement mauvaise. Manque de moyens, de talent, nouvelle concurrence de clubs comme Linz ou Innsbruck, choix d’entraîneurs douteux… Quand tu commences la décennie avec un Gerhard Springer sur le banc a.k.a le « Helenio Herrera des Karawanken », c’est que tu n’as pas envie de gagner. Le principal fait d’armes de Springer, c’est d’avoir gagné une médaille de bronze comme joueur aux championnats du monde de… hockey. Et avec son dialecte, les joueurs ne comprenaient même pas ce qu’il voulait.

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  6. Merci encore à Panenka de nous offrir ses souvenirs. Je viens de voir que Masny est également passé par l’Autriche quand il a quitté son pays. Au SC Neusiedl am See…Alors là, inconnu au bataillon pour moi…

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