Ballade irlandaise (7)

De l’Irlande, on admire la beauté des paysages, la chaleur humaine des habitants, la richesse des traditions, la beauté des mélodies, et la magie des légendes. On est curieux devant ces sports centenaires que sont le foot gaélique et le hurling. On connaît même sa fête nationale, la Saint Patrick, que le monde entier aime célébrer. Mais que sait-on vraiment de son histoire ? L’Irlande porte en elle les traces d’un passé tourmenté, marqué par les batailles, les invasions, et les soulèvements. Mais l’histoire ne s’efface jamais vraiment. Elle survit dans les noms des villes, dans la ferveur de ses habitants et… dans les symboles des clubs de football.

Dans cette série, chaque club du championnat irlandais nous plongera au cœur d’un épisode de ce récit mouvementé. Et parce qu’en Irlande, la mémoire se transmet en musique, chaque étape sera accompagnée d’une mélodie, un écho aux joies et aux blessures d’un peuple qui n’a jamais cessé de chanter ni de se battre.

De la faim à la flamme

La Grande Famine s’achève, mais l’Irlande reste meurtrie. Dans les campagnes, les sillons paraissent plus profonds que la terre : ce sont les cicatrices laissées par la faim, l’exil et la mort. Les bateaux continuent de partir vers l’Amérique, remplis de visages jeunes et déterminés, fuyant un avenir trop étroit. Mais sur l’île, la colère gronde déjà. En 1858, dans la clandestinité, naissent l’Irish Republican Brotherhood, fondée à Dublin, ainsi que la Fenian Brotherhood, fondée à New-York et dont les membres sont plus connus sous le nom de Fenians. Ces militants nationalistes se fixent un objectif clair : rompre définitivement avec Londres par la lutte armée. Ils recrutent en Irlande comme dans la diaspora, accumulent des armes et des fonds. Leur tentative d’insurrection en 1867 échoue, mais leur idéologie se propage, tissant un fil rouge entre générations militantes.

À partir des années 1870, la question de la terre devient centrale. La Land League, menée par Michael Davitt et Charles Stewart Parnell, organise boycotts, refus de loyers, campagnes légales pour réduire le pouvoir des grands propriétaires. Progressivement, des lois foncières permettent aux fermiers de devenir propriétaires. Ce bouleversement transforme la société rurale et érode l’influence des élites foncières anglo-irlandaises. En parallèle, à la fin du XIXᵉ siècle, un vaste mouvement de renaissance culturelle balaie l’Irlande : langue, musique, sports et traditions gaéliques retrouvent vigueur. En 1876, Douglas Hyde cofonde la Society for the Preservation of the Irish Language, première pierre de la Gaelic League fondée en 1893 par Eoin MacNeill. Cette organisation, ouverte aux femmes — une première dans le paysage culturel — promeut l’usage du gaélique et la préservation du folklore, des arts et des sports traditionnels. Des réunions hebdomadaires permettent d’apprendre et de pratiquer la langue, de débattre et de renforcer l’identité nationale face à l’anglicisation. Dans le même élan, la Gaelic Athletic Association (GAA), créée en 1884, ravive et codifie les sports irlandais comme le hurling et le football gaélique, affirmant leur place au cœur de la vie communautaire. Ensemble, ces initiatives réintroduisent l’irlandais dans les écoles, où il avait été proscrit depuis l’époque des lois pénales, et contribuent à ancrer la culture nationale dans le quotidien.

Affiche faisant la promotion d’une collecte en faveur de la langue pour la Gaelic League en 1913.

La question politique prend une nouvelle dimension avec le mouvement pour le Home Rule. Ce projet vise à doter l’Irlande d’un parlement autonome à Dublin, tout en restant sous la couronne britannique. Parnell puis John Redmond mènent cette bataille parlementaire. Après deux tentatives infructueuses au XIXᵉ siècle, le Home Rule Bill est enfin adopté en 1914. Mais son application est suspendue par le déclenchement de la Première Guerre mondiale. En Ulster, les unionistes, hostiles au Home Rule et attachés à l’union avec Londres, organisent une résistance armée. À l’inverse, une partie des nationalistes accepte de soutenir l’effort de guerre britannique, espérant que l’autonomie suivra. Pour d’autres, au contraire, la guerre est l’occasion rêvée de rompre avec la Grande-Bretagne sans attendre. Au début des années 1910, Dublin est un creuset politique. James Connolly, syndicaliste révolutionnaire, défend l’idée que l’indépendance doit aller de pair avec la justice sociale. Il fonde l’Irish Citizen Army, une milice ouvrière disciplinée. Les Irish Volunteers, eux, regroupent nationalistes modérés et radicaux prêts à l’action armée. Parmi eux, on remarque Michael Collins, jeune officier ambitieux à l’organisation méthodique et Éamon de Valera, un professeur de mathématiques. Les tensions internationales, la division entre modérés et radicaux, et l’inaction forcée du Home Rule créent un climat électrique.

Les Pâques sanglantes de 1916 — Six jours dans le feu

Une voix s’élève, grave et claire, portée par un souffle ancien. Dans The Foggy Dew, Sinéad O’Connor chante l’histoire de jeunes Irlandais partis affronter l’Empire britannique non pas sur les champs de bataille de la Somme, mais dans les rues de Dublin. Sa voix glisse comme un écho sur les pavés mouillés, se faufile entre les façades noircies, et nous ramène au printemps 1916.

Ce lundi de Pâques, Dublin est calme au matin. Les cloches appellent aux offices, les tramways avancent au rythme lent des jours fériés. Mais au détour de Sackville Street, un mouvement inhabituel se dessine. Des hommes et des femmes en uniforme vert se rassemblent, fusil à l’épaule. Les passants s’arrêtent, perplexes. Certains rient, pensant à une parade. Ils ne savent pas qu’en quelques heures, la ville entière se figera dans le fracas. Au centre, Patrick Pearse avance vers les marches du General Post Office. Son manteau flotte sous le vent frais d’avril. Dans sa main, un document plié avec soin — les mots qui vont changer l’histoire pense t’il. Pearse se place face à la petite foule, encadré par James Connolly et Thomas Clarke. Sa voix, posée mais ferme, fend le silence :

« En ce jour sacré de Pâques, au nom de Dieu et des générations disparues, nous proclamons la République irlandaise, souveraine et indépendante. »

Un murmure parcourt la rue. Des enfants se hissent sur des caisses pour voir. Des hommes, main sur la casquette, écoutent, bouche entrouverte. Connolly garde les yeux aux aguets, surveillant les façades. Michael Collins, observe tout : les visages, les ruelles, les réactions. Il sait que la bataille qui s’ouvre se gagnera autant par la mémoire que par les armes.

Pearse achève :

« Nous déclarons le droit du peuple d’Irlande à la possession de l’Irlande, et à en décider le destin, sans entraves ni ingérence. Nous tendons la main à nos compatriotes du Nord, trop longtemps séparés de nous par des malentendus et des injustices.»

Puis il replie le document. Le silence dure encore quelques secondes avant que les ordres tombent. Les positions sont prises, les barricades se dressent. Pendant près d’une semaine, Dublin se transforme en champ de ruines. Retranchés dans le General Post Office et d’autres points stratégiques comme à Boland’s Mill occupé par un bataillon dirigé par De Valera, les insurgés résistent avec une détermination farouche. Les tirs claquent, les flammes lèchent les façades, l’artillerie britannique écrase O’Connell Street sous un déluge de feu. Connolly, grièvement blessé à la jambe, continue de commander depuis un lit improvisé, tandis que Michael Collins assure les liaisons dans une ville désormais envahie par la fumée et les gravats. Peu à peu, les positions tombent, les munitions s’épuisent, et Pearse, voyant les civils payer le prix le plus lourd, ordonne la reddition. Les jours qui suivent sont marqués par la rigueur implacable de la justice militaire britannique : seize chefs rebelles sont exécutés à Kilmainham Gaol dont Pearse et Connolly, qui, incapable de tenir debout, est attaché à une chaise et exécuté assis. De Valera, quant à lui, échappe à la sentence capitale — son commandement à l’est l’a tenu à l’écart des figures les plus visibles, et son statut de citoyen américain par naissance incite Londres à la prudence, ne voulant froisser la diplomatie américaine. D’abord perçus comme des fauteurs de troubles ayant plongé la ville dans le chaos, les insurgés voient leur mémoire se transformer : la brutalité des représailles fait d’eux des martyrs, et leurs visages, bientôt, s’imprimeront sur les drapeaux de la liberté irlandaise.

Bohemian F.C.

Après avoir évoqué les événements de l’Easter Rising à Dublin, il est naturel de se tourner vers un club qui a grandi au cœur de cette ville. Aujourd’hui, je vous propose de plonger dans l’histoire des Bohemians, l’un des plus anciens et emblématiques clubs du championnat irlandais, solidement ancré dans sa communauté. Les archives et témoignages abondent, et je ne pourrai pas tout raconter ici – l’histoire est trop vaste – alors plutôt que de tenter de tout couvrir, je propose un détour par quelques histoires comptant parmis mes préférées.

6 septembre 1890, Phoenix Park. Dans un petit pavillon de garde, un groupe de jeunes se réunit. Quelques étudiants, des civils ambitieux, et des orphelins de soldats britanniques formés à la Royal Hibernian Military School. L’idée est simple : fonder leur propre club. Reste à trouver un nom. Assurément, le terme « bohémien » était fréquemment employé dans le langage culturel et social dublinois de l’époque. Le théâtre semble également avoir influencé ce choix, notamment avec l’opéra « The Bohemian Girl » de Balfe, extrêmement populaire et souvent cité dans la culture populaire. Un jeune du groupe, Frank Whittaker, aurait fait une blague dans laquelle il proposa le nom « Bohemians » parce que les errances des joueurs à la recherche de lieux de réunion et de terrains de jeu faisaient penser à une bande de « Tinkers » (nomades), et qu’ils étaient véritablement « bohèmes dans l’esprit ». Il n’est en effet pas facile de trouver un terrain de jeu et le jeune club passe de terrains en terrains, Phoenix Park, puis Jones Road, puis Whitehall. Une vie de club itinérant, à l’image de son nom. Dalymount deviendra leur maison en 1901, mais l’esprit vagabond reste inscrit dans leur nom à vie.

Dans le même temps, l’Irlande vit un moment charnière. Parnell, figure charismatique du Home Rule, agite le parlement et nourrit l’espoir d’une autonomie politique. Sa mort laisse un vide immense, mais aussi un terreau fertile pour de nouvelles initiatives. Les Bohemians émergent dans ce contexte, rassemblant des jeunes issus des mêmes milieux scolaires et administratifs, portés par cette énergie nouvelle. Le football s’organise aussi. La Leinster Football Association naît en 1892, les Bohemians disputent leur première finale de Coupe du Leinster en 1894 face à Dublin University, et l’emportent. En 1895, ils deviennent le premier club de Dublin à se hisser en finale de l’Irish Cup. Linfield les écrase 10-1, symbole d’un fossé qui dépasse le terrain. Belfast, industrialisée, attire déjà les meilleurs joueurs avec un début de professionnalisme assumé. À Dublin, on reste fidèle à l’amateurisme, avec une vision morale : le sport pour l’amélioration de soi, pas pour l’argent.

À cette époque, plusieurs figures composent cette première équipe, dont Oliver St. John Gogarty. Qui deviendra par la suite un poète, écrivain et sénateur de l’État libre d’Irlande. Célèbre pour son esprit et sa personnalité, il inspire le personnage de Buck Mulligan dans Ulysses de James Joyce. Et puis il y a surtout John Curtis. Un attaquant qui, en 1898-99, claque 21 buts en 18 matchs. Placement chirurgical, frappe sèche, il renverse les défenses du Leinster et emmène les Bohemians jusqu’en finale de Coupe d’Irlande, une nouvelle défaite 2-1 face à Clinftonville ou il marquera les buts des Gypsies. Apres sa carrière, Curtis devient révérend, part en Chine comme missionnaire, revient en Europe pour servir comme aumônier pendant la Grande Guerre, repart ensuite à Hangzhou, reste au milieu des guerres et des invasions, il vit la chute du dernier Empire Chinois et est même interné pendant l’occupation japonaise. Il reprend sa mission jusqu’en 1950, avant de finir sa vie en Angleterre. Ses performances sportives vont se perpétrer dans sa lignée: son fils Arthur joue pour l’Irlande en rugby en 1950, son petit-fils David dispute la Coupe du monde 1991, et ses arrière-petits-fils Graham et Angus continuent de porter le maillot vert, en équipe d’âges ou à 7.

Leinster Senior Cup Winners 1900–1901
H. C. Crozier, D. Fulton, J. Curtis, W. Crane, D. Kent, J. Houlihan, W. J. Sanderson (Hon. Treas.), J. Hare, L. J. Farrell,
G. Sheehan, Dr McCausland, R. M. Hooper, H. A. Sloan, Capt. J. Spencer (Vice-President)

Survivre à travers les conflits

Le 7 septembre 1901, Dalymount Park ouvre ses portes. Les Bohemians y battent Shelbourne (leur rivaux Dublinois) 4-2 devant cinq mille spectateurs. Harold Sloan inscrit le tout premier but de ce nouveau stade, qui devient rapidement le cœur sportif et social de Phibsborough (quartier du club). En 1908, le club se fraie un chemin jusqu’à la finale de l’Irish Cup après un parcours éreintant, jalonné de matchs rejoués contre Glentoran, Linfield et Belfast Celtic. La finale est 100 % dublinoise face à Shelbourne. Le gardien remplaçant O’Hehir arrête deux penalties et ses coéquipiers assurent une victoire historique. Le club remporte ainsi l’un des trophées les plus prestigieux de son histoire. Harold Sloan, le premier buteur de Dalymount est une véritable vedette de son époque, il prendra ensuite un autre chemin. Comme plus de deux cent mille Irlandais, il s’engage dans l’armée britannique pendant la Première Guerre mondiale. En 1916, il rejoint le Royal Garrison Artillery comme sous-lieutenant. Quelques mois plus tard, en janvier 1917, il tombe à Combles, près de la Somme. Il avait trente-sept ans. La guerre frappe durement le club. La revue Sport de décembre 1914 note que quarante Bohemians sont partis au front.

En avril 1916, au terme d’une saison perturbée par la guerre, le club remporte sa quinzième Leinster Senior Cup en vingt ans, une nouvelle fois face à Shelbourne. Mais aucun club de Dublin ne dispute la Ligue irlandaise cette année-là. Plusieurs joueurs sont mobilisés et certains stades sont réquisitionnés pour des secours mais Dalymount, lui, par chance, reste ouvert et offre à tout le quartier une bouffée d’oxygène. L’équipe compte alors deux internationaux, Billy McConnell et Johnny McDonnell.

Le lundi de Pâques 1916, les Bohemians vont jouer un amical à Athlone. L’ambiance est détendue. McDonnell et Hannon enfilent même le maillot d’Athlone, qui aligne une équipe formée de plusieurs officiers de l’armée. Sous une pluie battante, le match tourne à l’avantage des Bohemians, vainqueurs 3-2. À la fin de la rencontre, les joueurs n’ont aucune idée de ce qui se passe à Dublin. Pearse vient de proclamer l’indépendance, la ville est en état de siège. Le retour s’annonce cauchemardesque. Certains joueurs mettront six jours à regagner leur domicile, situé en plein cœur des zones de combats. Aucun joueur des Bohemians ne prend part aux Pâques sanglantes. Certains, en revanche, travaillent pour l’administration britannique. C’est le cas d’Andrew P. Magill, membre fondateur du club et secrétaire particulier d’Augustine Birrell, Secrétaire en chef pour l’Irlande. (Birrell démissionnera en mai 1916, après avoir échoué à anticiper l’insurrection.)

La délégation pour le match à Athlone le jour du soulèvement de Pâques

Bloody Sunday, guerre d’indépendance et deuxième guerre mondiale

Le 21 novembre 1920, est une date marquée au fer rouge dans l’histoire Irlandaise, c’est celle du Bloody Sunday. Dalymount Park n’est qu’à quelques minutes de marche de Croke Park. Dans les rues de Dublin le matin comme dans l’enceinte de Croke Park l’après-midi, on retrouve des hommes qui sont, ou seront, joueurs, entraîneurs, dirigeants ou supporters du club.

Au petit matin, Charlie Dalton prépare une opération. Il n’a que dix-sept ans et est membre des Bohemians, qu’il fréquente dans les équipes réserves. Originaire de Drumcondra, officier du renseignement de l’IRA, il vise la maison du 28 Pembroke Street. À neuf heures, Dalton et plusieurs volontaires font irruption. Lui doit récupérer des documents. Ses camarades tirent. Le lieutenant Dowling et le capitaine Price sont abattus dans leur lit, le colonel Montgomery meurt dans le couloir. Un autre gamin de Dublin agit aussi ce matin-là, c’est Sam Robinson un futur joueur des Bohs. Il a quinze ans quand il rejoint l’IRA en 1919, en mentant sur son âge. Son ami Vinny Byrne, proche de Michael Collins, et membre de son célèbre « Squad » le fait entrer malgré tout. Collins lui-même lui balance qu’il ne dirige pas une garderie en le voyant. Mais Sam insiste. Byrne et Paddy Daly se portent garants, et le gamin reste. Ce 21 novembre, Sam est guetteur pour Byrne. Leur cible : 28 Upper Mount Street, où logent les lieutenants Aimes et Bennett qui sont abattus froidement dans leur lit. L’opération tourne mal, le vacarme alerte les soldats voisins. Des tirs éclatent dans la rue, la troupe se disperse. Sam et les autres filent vers la rivière, évitent les ponts, prennent un ferry de fortune et se perdent dans le labyrinthe du nord de la ville.

Toutes ces attaques visent le même objectif : paralyser le renseignement britannique. Mais la réponse tombe l’après-midi même, Froide et brutale à Croke Park. Pendant un match de football gaélique opposant Dublin et Tipperary, la RIC, les Black and Tans, les Auxiliaries et l’armée ouvrent le feu sur la foule. Treize spectateurs meurent dont le joueur Michael Hogan. Parmi les victimes, un nom proche des Bohs, William “Perry” Robinson, cousin de Sam, est fauché par une balle dans la poitrine alors qu’il s’était perché dans un arbre au bord du canal. Il a onze ans et est la deuxième plus jeune victime du massacre. Les liens avec les Bohemians ne s’arrêtent pas là. Christopher “Todd” Andrews, passionné du club et futur haut fonctionnaire, participe aux attaques du matin. Son frère Paddy portera plus tard le maillot des Bohs et celui de l’équipe nationale. À Croke Park, Charlie Harris, ancien champion d’athlétisme devenu entraîneur des Bohemians depuis 1916, est aussi coach du club O’Toole’s, dont beaucoup de joueurs sont alignés pour Dublin ce jour-là. Harris assiste la sélection depuis la touche, et figure probablement parmi les hommes brièvement arrêtés par la RIC. Enfin, Joe Stynes, joueur polyvalent des Bohemians et membre de l’IRA, assure la sécurité lors du match. Quand les tirs éclatent, il aide à évacuer des armes avant de fuir le terrain.

Ticket du tristement célèbre match de foot gaélique Tipperary – Dublin

Peu de temps après le Bloody Sunday, Sam devient membre à plein temps de la Squad, renforcée en mai 1921. Quelques semaines plus tard, il prend part à l’une des plus grandes opérations de l’IRA : l’attaque sur le Custom House, centre de l’administration britannique, et dépôt d’une immense quantité de documents officiels. L’opération vise à frapper un symbole du pouvoir britannique en Irlande. Les hommes sont mal équipés. Ils n’ont que des revolvers et peu de munitions, mais ils disposent de grandes quantités d’essence et de ballots de tissu pour incendier les archives. Le bâtiment s’embrase et brûle pendant cinq jours. Rapidement, une brigade d’Auxiliaries se rapproche. Les républicains se rendent compte qu’ils sont encerclés et à court de munitions. La majorité se rend, quelques-uns s’échappent, d’autres sont tués en tentant de fuir. Parmi les plus de soixante-dix membres capturés se trouve Sam Robinson. Sa détention est courte : deux mois plus tard, le cessez-le-feu est annoncé et les négociations du Traité commencent. Sam est libéré à Noël 1921. À sa sortie, il rejoint la nouvelle armée de l’État libre. Lors du recensement militaire de 1922, il est inscrit comme lieutenant et prend part à la guerre civile. Il se trouve au Imperial Hotel à Cork avec d’autres officiers pour prendre le petit-déjeuner avec Michael Collins le jour où celui-ci est abattu. Collins, au départ sceptique à l’idée de recruter ce jeune homme, lui aura finalement donné toute sa confiance et Sam Robinson devint un fidèle admirateur du « Big Man ». Il sera profondément attristé par sa mort à Béal na Bláth. Une autre coïncidence lie encore les Bohemians à cette histoire. L’homme qui s’occupe de Collins à sa mort est le général Emmet Dalton, frère de Charlie Dalton, impliqué dans les évènements du 28 Pembrooke Street le jour du Bloody Sunday. Ancien vétéran de l’armée britannique, il a rejoint l’IRA et les Bohemians. Il joue comme avant-centre et devient président du club en 1924, prolongeant les liens entre le football et ces événements historiques qui marquent Dublin.

Sam, arrêté au Custom House, est le quatrième en partant de la droite, les mains sur la tête.

Après la guerre d’indépendance, l’Irlande devient l’État libre d’Irlande en 1922, amputée de l’Ulster. Un an plus tôt, le football faisait déja de même : la FAI était crée en 1921, séparée de l’IFA à Belfast. Le championnat se divise donc en deux, entre l’Irlande du Nord et l’État libre. Huit équipes dublinoises participent au nouveau championnat, dont les Bohemians, qui restent aujourd’hui le seul club à avoir toujours évolué au plus haut niveau, malgré un statut amateur jusqu’en 1969. Les premières saisons voient les Bohemians flirter avec la victoire sans jamais s’imposer. La saison 1923-24 change la donne : Dalymount Park célèbre un doublé historique, championnat d’Irlande et Shield. Le succès repose sur un mélange d’expérience et de sang neuf. À l’avant, l’Anglais Dave Roberts, ancien de Walsall et Shrewsbury Town, termine meilleur buteur avec 20 réalisations. Christy Robinson, frère de Sam, inscrit 12 buts. Le capitaine, Billy Otto, apporte lui aussi sa touche : né sur l’île de Robben au large de l’Afrique du Sud, vétéran de la Somme et fonctionnaire à Dublin, il inspire l’équipe par son parcours singulier et son charisme.

Sam Rob5
Christy, Lizzy et Sam Robinson

Quatre ans plus tard, en 1927-28, l’équipe entre dans l’histoire. Les Bohemians remportent tout : championnat, FAI Cup, Shield et Leinster Senior Cup. Sam Robinson, demi-arrière athlétique et nul autre que notre ancien combattant de l’IRA, raconte que ses coéquipiers ne doutent jamais : la seule question est « de savoir combien de buts ils vont marquer ». Le bilan de la saison est impressionnant : 36 matchs, 29 victoires, 5 nuls, 2 défaites, 108 buts marqués, 35 encaissés. Lors de la finale de la FAI Cup, les Bohemians battent Drumcondra 2-1 devant 25 000 spectateurs. Sam risque de manquer le match à cause d’une brûlure à la jambe, mais le médecin du club, Willie Hooper, le déclare apte et il contribue au triomphe. Les deux frères Robinson (Sam et Christy) jouent ensemble et deviennent la première fratrie à représenter l’Irlande au niveau international.

Le commité de direction du club ainsi que 12 joueurs posant fièrement devant la moisson de trophées

Comme dans les décennies précédentes, les Bohemians se retrouvent mêlés à l’Histoire dans les années 1930, alors que la montée en puissance du nazisme inquiète l’Europe. En avril 1937, le cuirassé allemand Schleswig-Holstein fait escale à Dun Laoghaire. La visite est officielle : salves de canons, réception de diplomates et rencontre avec le taoiseach (premier ministre) Éamon de Valera (notre ancien combattant de l’Easter Rising, épargné grâce à son passeport américain). L’équipage découvre Dublin, Glendalough, Newgrange, assiste à des concerts et à des séances de cinéma. Fritz Brase, chef d’orchestre de l’armée irlandaise, dirige même une prestation musicale. Le moment le plus marquant reste le match de football disputé par l’équipage du navire contre les Bohemians. Malgré un match joué la veille contre les Shamrocks, les Bohs alignent plusieurs internationaux et l’emportent 2-1 grâce à Barry Hooper et Kevin O’Flanagan. Les marins allemands, pourtant novices, impressionnent par leur condition physique. La visite se termine par une cérémonie d’adieu, avec Deutschland über alles suivi de l’hymne irlandais, acclamés par la foule, puis un banquet officiel. À l’époque, tout semble anodin. Mais avec le recul, ce moment devient un fragment lourd de symboles, car deux ans plus tard, le 1er septembre 1939, le Schleswig-Holstein a tiré ce qui est considéré comme le premier coup de canon de la Seconde Guerre mondiale en ouvrant le feu sur Dantzig (aujourd’hui Gdansk), marquant l’invasion de la Pologne.

La fin de l’amateurisme et l’arrivée du génie Billy Young

Après la guerre, le Bohemian F.C. reste fidèle à ses principes, mais l’écart se creuse avec ses rivaux. La succession de saisons sans titre traduit l’impasse qu’est la poursuite de l’amateurisme absolu. En 1969, après 79 ans de fidélité à ce credo, le club cède enfin et franchit le pas vers le professionnalisme. Cette décision, longtemps repoussée, change radicalement le destin du club. Le symbole de cette bascule a un nom : Tony O’Connell. Premier joueur à signer un contrat professionnel avec les Bohs, il incarne l’entrée dans une ère nouvelle. Et l’histoire s’écrit dans la lumière : en 1970, O’Connell inscrit le but décisif en finale de FAI Cup, mettant fin à 34 ans sans trophée majeur.

En 1973, Billy Young prend les commandes de l’équipe. Il a fait ses premiers pas en équipe première le 26 novembre 1960 contre Dundalk, et aura toujours porté les couleurs du club avec une constance rare. Devenant rapidement un défenseur reconnu — tenace, solide — capable d’évoluer à tous les postes de la défense selon les besoins, toujours au service d’un club qui compte sur lui véritablement. Petit à petit, il développe un goût prononcé pour le coaching : il s’implique dans les entraînements, organise des séances d’anticipation, gagne la confiance de ses coéquipiers. Ces premières années forgent la base de son futur style d’entraineur.

Billy arrête de jouer relativement jeune, sans blessure ni désillusion, simplement parce qu’il est de plus en plus attiré par l’entraînement et le développement. « J’allais à tous les cours, à tous les séminaires possibles : psychologie du sport, préparation physique, tactique, tout ce qui pouvait enrichir le jeu. Quand le moment est venu, on m’a proposé le poste aux Bohs et j’ai accepté avec enthousiasme ». Il comprend l’importance du timing des séances : en tant que manager, il rompra avec les traditions, introduit un entraînement le samedi, moins éloigné du match de dimanche, et expérimente l’usage des poids dans la préparation — innovations presque révolutionnaires dans un club aux finances limitées. il infuse une nouvelle énergie. Il mise sur une préparation physique moderne et une structuration tactique digne des meilleurs. La mayonnaise prend très vite et il remporte deux titres de champion (1975 et 1978), une FAI Cup (1976), deux League Cups (1975 et 1979), ainsi que d’innombrables Coupes de Leinster et President’s Cups. Pourtant, Young ne dispose pas des moyens d’autres clubs. Il compose avec un budget serré, perd souvent ses meilleurs joueurs partis en Angleterre, et puise dans le vivier local scolaire pour recruter de jeunes talents. Il en fait une force, dénichant des pépites que personne ne voit venir, des joueurs qu’il façonne, forme et propulse jusqu’à l’équipe nationale ou vers des clubs plus nantis. « Quand on atteint ce niveau de succès, les autres viennent chercher vos joueurs. Il n’y avait rien que je puisse faire. On leur proposait des sommes énormes, et c’étaient de jeunes hommes, souvent avec des familles, qui essayaient de se lancer dans la vie. Je ne pouvais pas les retenir. L’un d’eux a reçu une offre de 10 000 £, je n’en croyais pas mes oreilles.Nous n’avions tout simplement pas les moyens de les retenir, ni d’améliorer les infrastructures comme je l’aurais voulu. »

Billy Young coach son équipe

À ceci s’ajoute un aspect moins connu, mais tout aussi révélateur de son ouverture : ses échanges avec des entraîneurs de renom comme Bob Paisley, Tommy Docherty et Sir Alex Fergusson. Dans l’esprit de dynamiser le club pour les compétitions européennes, il discute, échange tactiques et méthodes avec ces figures du football anglais. Paisley, connu pour sa rigueur à Liverpool, et Docherty, adepte du jeu offensif et d’un management humain, inspirent Young. Ces contacts nourrissent sa vision : il transforme les Bohs en équipe ambitieuse, exigeante, capable de briller malgré les contraintes. Tout au long des années 70 et 80, il reste fidèle sur le banc, guidant le club durant seize saisons. Il bâtit une identité : courageuse, créative, enracinée dans la communauté. Il forme, conseille, soutient, transmet ses idées — et reste un mentor pour les entraîneurs qui lui succèdent.

Young n’hésite pas non plus à sortir des sentiers battus. Il emmène une sélection des meilleurs joueurs du championnat en Libye (en réalité il s’agit uniquement de joueurs du St Patrick’s Athletic et du Bohemian F.C.), sous le régime de Kadhafi, pour une tournée qui confronte ses joueurs à un football lointain et des réalités géopolitiques inédites (cette épisode est raconté plus en détails ici ). En 1979, il conduit une autre sélection de la ligue au Pays basque pour affronter l’Athletic Bilbao à San Mamés. C’est la première rencontre officielle du XI basque depuis la mort de Franco : la charge symbolique est immense mais non sans quelques critiques sur l’île. Le journaliste sportif Peter Byrne (Irish Times) a critiqué l’acceptation de l’invitation en raison des engagements déjà pris par la Ligue d’Irlande : un match amical a déja été accepté contre Liverpool tandis que le champion en titre, Dundalk garde son coach et ses joueurs pour préparer un match de Coupe d’Europe face à Linfield. La responsabilité revint donc à Billy Young, qui, malgré les contraintes, réussit à former une équipe équilibrée, mêlant jeunesse et expérience, avec quatre internationaux et plusieurs joueurs de son club.

Au stade San Mamés, la sélection basque Euskadiko Selekzioa retrouve pour la première fois depuis 1938 la scène internationale. Plus qu’une rencontre amicale, ce match marqua un moment charnière de l’histoire politique et culturelle de la région. L’Espagne vivait alors une période de transition délicate après la mort de Franco (1975). Si la Constitution de 1978 venait de reconnaître l’autonomie du Pays basque, les tensions restaient vives : la violence de l’ETA secouait la société, Madrid hésitait à accorder une pleine reconnaissance culturelle, et le football devint ce soir-là une vitrine politique. La fédération espagnole interdit que l’hymne basque, Gernikako Arbola, soit joué avant le coup d’envoi. En signe de protestation, le Lehendakari Carlos Garaikoetxea et plusieurs représentants politiques quittèrent la tribune officielle. Ce geste transforma la rencontre en acte de revendication nationale. Le match servit aussi de levée de fonds pour la campagne linguistique “Bai Euskarari”, symbole de la lutte pour la survie de l’euskara, langue longtemps réprimée sous la dictature. Comme un clin d’oeil à l’histoire irlandaise… Le coup d’envoi symboliquement donné par les anciens internationaux basques Iragorri et Lángara, survivants de l’équipe de 1937 en exil, veut faire le lien entre mémoire et avenir. Portée par une génération talentueuse issue de l’Athletic Bilbao et de la Real Sociedad, la sélection basque domine largement, victoire 4-1 : doublé de Dani Ruiz-Bazán, buts de Jesús María Satrústegui et Jesús María Zamora. Le légendaire gardien José Ángel Iribar, capitaine, reçut une ovation lorsqu’il céda sa place à Luis Arconada, son successeur naturel. L’Irlande sauve l’honneur par un but du jeune Ronnie Whelan, alors âgé de 17 ans, futur cadre de Liverpool.

Grâce aux résultats acquis sous le règne de Billy Young, les Bohs vont se qualifier à plusieurs reprises en coupe d’Europe et hors de question pour le légendaire coach de préparer ça à la légère. Billy est le premier entraîneur à conduire les Bohs en Coupe d’Europe des clubs champions, face à l’ogre des Glasgow Rangers. Young dira au sujet de ce match « Willy Waddell était le manager des Rangers et Jock Wallace l’entraîneur en 1975, un homme dont je devins par la suite un grand ami. Waddell, lui, c’était une brute. Je me souviens avoir été invité à observer les Rangers. Le président est venu me chercher dans sa Rolls Royce verte avec chauffeur. Mais à quelques kilomètres d’Ibrox, il s’est arrêté pour changer de voiture et passer dans une Mercedes banale. Il ne voulait pas que “les pauvres” se sentent jaloux de son luxe. » Forts d’une deuxième place la saison précédente, les Bohs sont qualifiés pour la Coupe UEFA 77-78 où ils affrontent Newcastle au premier tour. Un tirage chaleureusement accueilli, bien que difficile, les Magpies sont appréciés à Dublin et le déplacement retour reste abordable financièrement. Billy rappelait que tous les voyages étaient organisés par une agente de voyages, « Madame Chisholm ». Elle ne trouvait pas toujours les trajets les plus directs, mais toujours les moins chers ! Pour se rendre à Newcastle, l’équipe dut ainsi prendre un vol pour Leeds, puis, un car pour rejoindre Newcastle. Pour l’aller à Dalymount. Le club aligne un effectif talentueux mêlant expérience et jeunesse, avec des joueurs comme Mick Smyth dans les buts, Eamonn Gregg et Fran O’Brien en défense, Pat Byrne et Gerry Ryan sur les ailes, et le redoutable buteur Turlough O’Connor en attaque. Pour garantir une affluence record, le comité des Bohs décida de réduire le prix des places : de 2 £ pour une place assise à seulement 50 pence pour la terrasse. Le journaliste Noel Dunne alla jusqu’à dire que les Bohemians offraient « le football le moins cher d’Europe ». La stratégie fonctionna, et près de 25 000 spectateurs se pressèrent à Dalymount pour le match aller.

Les Bohs font mieux que résister et les deux équipes se rendent coups pour coups, Gerry Ryan se montre dangereux à deux reprises tandis que Smyth doit sortir deux parades devant les attaquants anglais. Pourtant, la qualité du jeu passa vite au second plan. Alors que le score restait de 0-0 à la pause, des troubles éclatèrent au retour des joueurs de Newcastle sur la pelouse. Alors que le gardien de Newcastle, Mike Mahoney, prend place dans ses buts devant le côté de l’école du stade, une pluie de projectiles s’abat sur lui et il est touché à la tête par une canette de bière. Le jeu est suspendu pour qu’il puisse recevoir des soins, mais ce n’est que le début. Des incidents éclatent entre les supporters des Bohs et ceux de Newcastle dans la tribune principale : chants, provocations et projectiles volent dans les deux sens. John Gibson, journaliste pour le Newcastle Chronicle, affirme que l’étincelle provient du déploiement d’un drapeau britannique par des fans de Newcastle, accueilli par des chants anti-britanniques des supporters locaux, suivis de jets de projectiles. Après seulement quatorze minutes dans la seconde mi-temps, l’arbitre renvoie les joueurs vers la relative sécurité des vestiaires. Lorsque l’ordre est à peu près rétabli, les joueurs retournent sur le terrain pour finir la rencontre qui s’achève sur un score vierge 0-0.

Comme souvent pour les clubs irlandais en Europe, un bon résultat à domicile ne suffit pas pour se qualifier. Le vol pour Leeds et le retard pour rejoindre Newcastle font que l’équipe arrive tard la veille du match retour, une préparation loin d’être idéale. Le car s’arrête également pour prendre Tommy Docherty, ami de Young et manager de Derby County. Docherty, personnage haut en couleur et très populaire, avait remporté la FA Cup l’année précédente avec Manchester United avant d’être licencié pour sa relation avec Mary Brown, épouse du kiné du club. Il manifeste son intérêt pour deux joueurs des Bohs, le latéral gauche Fran O’Brien et l’ailier Gerry Ryan, tous deux très sollicités, y compris par Newcastle. Pour séduire les joueurs, Docherty ajoute une touche personnelle : il demande à Billy Young s’il peut leur offrir un verre, ce que ce dernier accepte. Nul ne sait si Billy commit la une erreur mais le lendemain les Bohemians s’inclinent sèchement 4 à 0. Peu après, Ryan et O’Brien signèrent pour Derby County, O’Brien, connaîtra finalement une carrière brillante aux États-Unis, tandis que Ryan partira à Brighton, devenant un pilier et international irlandais jusqu’à ce qu’une blessure mette fin à sa carrière à 29 ans. En Coupe UEFA, Newcastle perdra son prochain tour face à Bastia, avec un véritable récital du Néerlandais Johnny Rep à St. James Park et terminera sa saison avant dernier et relégué. Quant aux Bohemians, la saison se termine de manière diamétralement opposée à celle de leurs adversaires : ils terminent en tête du championnat, devançant Finn Harps et voyant Turlough O’Connor finir meilleur buteur du championnat. Cette victoire leur assure également une qualification pour la Coupe d’Europe de la saison suivante, mais les incidents lors du match contre Newcastle auront des conséquences pour le club.

Le ministre de la Justice, Gerry Collins TD, exige une enquête sur le match. Les conclusions sont sévères envers le club qui n’aurait pas employé « suffisamment de Gardaí (policiers) ». An Garda Síochána déclare que Dalymount n’est plus adapté pour des matchs de ce type, que « le toit de la tribune St. Peter’s Road est en danger d’effondrement » et que « le grillage autour du terrain est coupé à plusieurs endroits et des projectiles sont facilement accessibles dans les zones de déchets du stade ». L’UEFA se montre tout aussi critique, pointant le « comportement dangereux et violent des supporters », faisant référence notamment à la blessure du gardien Mahoney. L’UEFA décide que les matchs de la prochaine campagne de Coupe d’Europe devront se jouer loin de Dalymount. Les rencontres « à domicile » devront se tenir à au moins 150 kilomètres de Dublin…

Auréolé de leur titre de champion, les Bohs disputent la C1 pour la deuxième fois de leur histoire et affrontent les chypriotes de l’Omonia Nicosia dans une ambiance particulière, depuis 1974 le pays est coupé en deux, par une « ligne verte » surveillée par la « Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre » suite à l’invasion turque à Chypre Nord en réponse au coup d’état du mouvement paramilitaire pro-grec EOKA-B. En arrivant à Chypre, la principale préoccupation de l’entraîneur des Bohemians, Billy Young, en plus de savoir comment contenir la star locale Sotiris Kaïafas est de s’assurer que son effectif ne s’adonne pas trop aux bains de soleil sous la chaleur étouffante de septembre. Les conditions climatiques représentent l’un des plus grands obstacles pour l’équipe, l’Irish Independent s’inquiétant de voir les joueurs « lutter contre la chaleur et l’humidité ». Les Bohs domineront le match mais s’inclineront 2-1. Mais c’est ce qui se passera juste après que l’on retiendra, la délégation des Bohemians est conviée à une réception organisée par la force du maintient de la paix. Ils invitent l’équipe et les officiels au mess des officiers pour partager repas et boissons. Une offre que les Bohemians acceptent avec gratitude. Les joueurs remarqueront vite que le prix des consommations au bar du mess des officiers est incroyablement bas… Selon Billy Young, une bouteille de whisky écossais peut s’acheter pour une livre sterling seulement. Ce dont toute l’équipe profitera , rentrant en Irlande les mains pleines.

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Quelques joueurs des Bohs après le passage au « Duty Free » de l’ONU

Le match retour se joue à Cork, en raison des sanctions infligées à l’équipe, cette fois ci se sont les Chypriotes qui dominent mais les Bohs vont l’emporter 1-0, se qualifiant ainsi (à la faveur du goal à l’extérieur) pour la première fois de leur histoire en huitième de finale de C1 ! L’opposition est cette fois bien plus redoutable, le club Est-Allemand du Dynamo Dresden. Lors du match aller disputé dans l’antre de Dundalk, Oriel Park, les Bohs résistent et arrachent le match nul 0-0. Billy Young pourra d’ailleurs remercier son ami Bob Paisley de l’avoir tuyauté de quelques informations après que son Liverpool ait éliminé le Dynamo l’année précédente. Le retour sera plus compliqué dans une atmosphère militaire, l’équipe loge dans des chalets isolés à l’extérieur de la ville et placés sous la surveillance constante d’une garde armée. On assure aux Bohemians que cette présence est destinée à leur protection. L’effectif dispose également de chaperons officiels en civil, chargés de les assister mais aussi de les surveiller durant leur séjour. Les gardes armés et les divers accompagnateurs officiels censés « protéger » l’équipe se montrent dans l’ensemble plutôt amicaux, bien que leur anglais soit limité. D’après Billy Young, ils acceptent même de laisser un peu de liberté aux joueurs, à condition de recevoir en retour une bouteille de whiskey Jameson. En réalité, les joueurs semblent jouir d’une certaine marge de manœuvre : Tommy Kelly, Joe Burke et Eamonn Gregg – surnommés « le KGB » – réussissent à s’éclipser deux jours avant le match pour boire une pinte et manger dans un restaurant local, avant de devoir se cacher derrière un rideau au fond de la salle quand Billy Young et le journaliste Noel Dunne y font irruption. Ce qui frappe la délégation dublinoise c’est la qualité et la grandeur des infrastructures du Dynamo, tout est gigantesque et très professionnel pour un club au statut « amateur ». Le Dynamo Dresden ne fera qu’une bouchée des irlandais au retour, un cinglant 6-0.

Cela fait déja maintenant quelques paragraphes que je m’étends sur les talents d’entraineur de Billy Young et les épopées européennes des Bohs mais c’est un match de 1984 qui reste gravé dans les mémoires. Les Bohs renversent alors les Glasow Rangers 3-2 en coupe UEFA à Dalymount, grâce à un doublé de Rocky O’Brien et une merveille signée Gino Lawless, avant de céder cruellement au retour, sur un but improbable, dans les ultimes instants à Ibrox. Cette élimination en Coupe UEFA est restée comme une immense déception, mais aussi comme une soirée mythique. Billy en souriait encore : « Curieusement je me rappelle peu de cette nuit. J’étais tellement absorbé dans le match que je n’ai pas réalisé la portée de l’événement. Ce dont je me souviens, c’est qu’on aurait pu l’emporter avec une plus grande marge. Et puis là-bas, nous avons été terriblement malchanceux. Un ballon anodin a heurté une flaque juste au moment où Dermot O’Neill sortait. Le ballon a glissé et c’est devenu un but gag. Jackie (Jameson) aurait même pu marquer en fin de match et nous qualifier. Cela reste un immense regret, car derrière, c’était l’Inter Milan de Liam Brady qui nous attendait. Mais cette victoire a galvanisé nos joueurs, leur a donné une confiance folle. Jock Wallace (le coach des Rangers) m’a souvent dit que je lui avais presque coûté son poste ! »

Dans une interview, Young évoquera une autre légende des Bohs, Jackie Jameson. « Pour moi, le plus grand match de Jackie avec les Bohs, ce n’est pas contre les Rangers mais l’année suivante à Tannadice contre Dundee United. Ils défendaient bec et ongles leur invincibilité à domicile, et nous étions à 2-2. Jackie était tout simplement phénoménal. Les supporters écossais se pressaient ensuite à l’hôtel pour le rencontrer. C’était quelqu’un de formidable, toujours joyeux, jamais un problème, jamais une dispute sur un contrat. Il aimait le club, acceptait toutes nos propositions. Jackie aurait pu toucher bien plus ailleurs, mais il re-signait toujours avec nous. Barry Murphy, pareil, d’une loyauté sans faille.»

Toutes les bonnes choses ont une fin, mais pour Billy pas d’amertume. La fin de l’aventure comme manager, en 1989, n’a jamais signifié une rupture. Même en quittant son poste, il garde un lien viscéral avec Dalymount, où il revenait encore très régulièrement, même au crépuscule de sa vie.

Un club unique dans le paysage mondial

Le 17 avril 2025, Billy Young s’est éteint paisiblement à 87 ans. Le 18 avril, le club annonce son décès avec émotion : sa carrière coule sur trois décennies, que j’ai essayé de vous décrire au mieux, tant en tant que joueur que manager. Il est salué comme le plus grand et le plus fidèle des managers. Les hommages affluent — supporters, joueurs, dirigeants évoquent sa passion, son dévouement, ses soirées légendaires à Dalymount.

Dalymount Park

Ce qui frappait Billy, c’est l’esprit qui règne autour du club. « J’adore l’ambiance chez les supporters, leur manière d’applaudir les joueurs, de les remercier qu’ils gagnent ou qu’ils perdent. Je trouve ça formidable. Ceux qui travaillent en coulisses font un travail brillant, il y a une effervescence que moi je n’ai jamais vraiment réussi à créer. Tout ce qu’ils entreprennent, ils le font sans rien attendre d’autre que le bonheur de voir Bohs prospérer. C’est un dévouement extraordinaire ». Un esprit unique dans le monde football. Il existe des clubs qui refusent de céder à la tentation du clinquant et les Bohemians sont de ceux-là. Ici, le ballon n’est pas seulement un jeu : c’est une boussole sociale, un étendard de valeurs, une façon de faire communauté. Le club n’a jamais renié ses racines ouvrières ni son indépendance. Les Bohs, longtemps amateur et puis professionnels sans argent appartiennent toujours à leurs supporters. Cette particularité change tout : elle nourrit une relation viscérale entre le club et sa ville, elle ancre chaque match dans une histoire collective qui dépasse le rectangle vert. On vient autant à Dalymount pour le football que pour l’esprit qui s’en dégage. Les fresques murales aux messages sociaux, l’hymne partagé, les initiatives solidaires pour les réfugiés, les sans-abris et la Palestine : chaque action traduit une conviction simple, mais puissante : le sport doit unir, pas diviser. Ici, la solidarité n’est pas un slogan, c’est une pratique quotidienne. Être Bohs, c’est défendre une identité faite de tolérance, d’ouverture et de combat pour la justice sociale. C’est croire qu’un club peut être un catalyseur de changement, une tribune pour les voix trop souvent étouffées. Pour Billy Young, le Bohemian F.C. n’a jamais été seulement une équipe ni même un club : c’est une communauté soudée, façonnée par des bénévoles, des entraîneurs, des joueurs, des supporters qui, ensemble, traversent joies et épreuves sans jamais rompre le fil. « Il y a toujours eu de grandes personnes au club, et c’est un vrai bonheur d’y retourner encore. »

Une façon d’être qui a permis au club de devenir le troisième le plus titré du pays, non sans heures sombres passées au bord du précipice mais jamais vécues seules. Malgré les défits du foot actuel ou l’argent est roi, les Bohs résistent, aux portes de la rélégation il y a peu, les Dublinois sont actuellement deuxième du championnat et à la poursuite d’un titre qui leur échappe depuis 2009, portés par la mémoire de Billy Young et tant d’autres, sur le terrain ou en dehors.

Je ne saurai faire sans mentionner l’excellent blog : https://abohemiansportinglife.com/ qui m’a permis de découvrir toujours plus d’anecdotes sur ce merveilleux club.

25 réflexions sur « Ballade irlandaise (7) »

    1. En lisant le texte, j’y ai évidemment pensé moi aussi. Je ne vais pas me faire des amis mais je n’ai pas aimé du tout, surtout la 1ere partie du film. Je trouve que ça sonne faux, que tout est excessif, des acteurs en costume mal à l’aise aux dialogues prononcés en hurlant. Ça crie en permanence ! Je ne conteste pas le témoignage historique, le parti pris de Loach, mais la forme me pose problème. Énorme déception et palme d’or généreuse selon moi (je ne sais pas ce qu’il y avait en compétition cette année là).

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      1. Idem, j’avais été un peu déçu. Dans cette visée historique, je préfère Land and Freedom même si ce n’est pas dans ce style que je préfère Loach.

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      2. J’ai eu du mal aussi, pas mon préféré… Et Michael Collins avec Liam Neeson vous l’avez vu ? J’ai mis quelques passages du film en lien dans l’article.

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      3. Du point de vue cinématographique, chacun ses opinions bien sur.

        Du point de vue historique, il est par contre très bien fait et montre bien les nuances à l’intérieur du mouvement nationaliste, incluant notament la question sociale le role des femmes. La deuxième partie, sur la guerre civile, retranscrit bien les évenements.

        Le problème de Loach ici, c’est qu’il a voulu à la fois faire une histoire de la période 1918-23 accessible à un grand public international (le coup du match de hurling, le système de justice paralelle, Kilmichael) et aussi intégrer les nouvelles données du conflit, nuancé et au multiples visages. J’ai adoré le moment ou Cillian Murphy apprend la nouvelle du cessez-le-feu avec sa copine au cinéma. Parce que c’était exactement ca!

        Parc ontre oui, il a le cul entre deux chaises et des fois ca fait un truc un peu plon plon.

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      4. Suis pas fan des biopics en général et j’en conserve un souvenir assez neutre, une grosse production sans surprise. De Neil Jordan, j’avais préféré The Crying game avec le grand Forest Whitaker, un film bien plus complexe même si je ne suis pas certain d’avoir pigé tous les messages.

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      5. Des Irlandaises et de la lutte pour l’Indépendance, je lisais il n’y a pas bien longtemps un dossier sur l’engagement des féministes irlandaises dans ce combat……….et de la douche froide que ce fut ensuite, à mesure qu’au joug anglais se substituait pour elle celui des positions sociétales de de Valera et de ses successeurs ; pour elles, le combat aura été beaucoup plus long.

        Je crois d’ailleurs qu’est des plus récentes la reconnaissance du rôle des femmes dans les insurrections du début du siècle??

        Pour le reste : je ne saurais que remercier pour cette série et tout ce que j’y ai appris.

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    1. M’en parle pas, c’est tellement triste … Et pas révélateur. Un plafond de verre psychologique, en 2023, ils font le plus dur et sont les seuls à battre les sudaf et puis ça se joue à rien face aux néo zélandais, une nouvelle fois… J’ai vraiment eu du mal sur ce match, c’était la meilleure équipe du monde en 2023… Mais le plus gros couac reste probablement le match de 2015 contre l’Argentine..

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    1. Je compte faire ma prochaine série sur le foot chypriote justement. Il y a énormément de choses à dire. Comme le Pafos FC ancêtre du Athlitikos Syllogos Evagoras Paphos, (les clubs de Pafos n’étant jamais compétitif et rarement en D1 pour une grand ville du pays, de fusions en fusion le Pafos FC est né), le nom vient d’ Evagoras Pallikarides qui a toujours été sur le blason du club, et qui est aujourd’hui présent sur le blason de Paris, poète et révolutionnaire d’EOKA, il sera pendu par les anglais en 57. Et puis il y a aussi le championnat de Chypre Nord, isolé de tous et non reconnu qui continue de vivre dans la ferveur. Dedans, le Çetinkaya un des plus vieux clubs du pays et le seul chypriote turc à avoir gagné le championnat quand l’île n’était pas encore divisée en 1950-51.

      C’est en préparation 😉

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  1. Bravo pour l’article,

    Pas le plus difficile à écrire vu la quantité de documents disponible. Gerry Farrell est excellent en tant que gardien du temple et son role d’historien (non-)officiel du club lui convient à merveille. Son père a joué pour les Bohs si je me souviens bien.

    Egalement excellent, et gratuit :https://bohemianfc.com/wp-content/uploads/2020/03/The-Enduring-Legacy-of-an-Idle-Youth-2nd-Ed-2020.pdf

    Deux anecdotes pour ma part qui ouvrent et referment le chapitre:
    1. 7 Septembre 1901: la presse locale fait mention de deux pubs in Phibsborough (the Hut et Dunphy’s) qui ont décidé de renouveller leur licence d’exploitation avant que celles-ci n’arrivent à terme. Deux semaines avant, les Bohs ont signé le bail les liant à un terrain de foot juste à coté, et les patrons ont bien compris qu’ils auront des centaines de clients en plus toutes les deux semaines. Le terrain est devenu Dalymount Park, the Hut existe toujours et Dunphy’s est devenu Doyle’s peut après. Mais les fans de 1901 et ceux de 2025 font exactement le meme trajet pour aller au stade et boivent leur pintes au meme endroit!

    2. 16 Aout 2025. Oasis joue à Croke Park. Bohs organise l’avant concert à Dalymount avec notament Bobby Gillepsie de Primal Scream. Un maillot spécial est concu pour l’occasion (https://oasis-bohemianfc.com/) qui rappelle un peu celui qu’ils avaient fait avec Bob Marley. Les profits sont redistribués à l’aide médicale pour Gaza.

    Le club depuis un quinzaine d’année suscite une vague de sympathie (sauf chez les fans de Rovers et Shels) notament due à leur engagement civique – décuplé depuis deux ans avec la guerre à Gaza. Un match féminin Bohs v Palestine a meme eu lieu l’année dernière.

    Guerre civile pour le prochain article? Et quel club aussi? Il te reste Shels, Cork et Derry (lui, c’est les Troubles).

    Bonne chance, tu y es presque!

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    1. Merci pour les anecdotes en plus !

      J’ai quand même l’impression que même hors Dublin le club est un peu la victime facile pour les autres supporters suite à ses actions sociales. Souvent pris à partie pour faire de la récupération sur tout afin de garder son image « sympa ».

      Concernant la saison actuelle, je ne les vois malheureusement pas aller chercher le titre, les Rovers sont plus constant et déjà trop d’avance.

      Alors, prochain épisode où je parle un peu plus de la guerre d’indépendance et de l’incendie des Black and tans pour aborder Cork, ensuite guerre civile pour Shelbourne , avant de finir avec Derry !

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      1. Ouais, t’as peut etre raison, l’image bobo-woke ne doit pas plaire à tous les fans de foot, mais ca cartonne auprès des médias généralistes.

        Ca serait intéressant de voir aussi comment les supporters des Bohs voient cet engagement social et clairement anti-raciste, quand la grande majorité de ces supporters viennent des quartiers populaires du ‘north inner-city centre’, justement là où il y depuis trois quatre ans un gros regain de support pour l’extrème-droite. Du pain béni pour un sociologue.

        T’as raison, dur de voir comment le titre peut échapper au Rovers, une dizaine de matches à jouer, six points d’avance (et deux matches en moins), ca semble rédhibitoire. Leur seule chance était que Rovers lache des points avec leur campagne européenne et que Bohs fasse carton plein. Mais ce n’est pas le cas. Arriver en Europe est vraiment leur objectif cette saison. Ils ont eu un passage excellent au printemps et là ils piochent depuis ceux mois. Il va falloir s’accrocher pour éviter de voir un retour de Drogheda et St Pat’s.

        Bonne continuation. Y’aura du George Best dans ton prochain article donc!

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  2. Lecteur depuis plusieurs mois (en particulier grâce à la découverte de ces Ballades irlandaises), je me dois d’ajouter un commentaire à propos des Bohemians.
    Tu as déjà beaucoup dit sur l’histoire du club et Gerry Farrell (et son blog) sont une source aussi intarissable que très accessible (j’avais des questions sur le club pour un article à rédiger, il m’a accordé plus d’une heure en visio).
    J’ajouterais qu’une des particularités du club est de ne pas avoir un palmarès très impressionnant. Bien sûr, c’est le 3e d’Irlande, mais pour un club aussi historique, ce n’est pas si glorieux que ça. Les trous d’air sont fréquents et ces dernières années en font partie. Pas le moindre titre depuis 15 ans, il n’y en aura pas cette année non plus (piteuse élimination en coupe et trop d’écart avec les Shamrock Rovers pour espérer un miracle). Pourtant, la ferveur est toujours là et est même croissante. Le nombre de membres (qui détiennent le club) a plus que triplé ces dernières années et continue à augmenter. Chaque match de championnat se joue à guichets fermés (4300 places dans la configuration actuelle, ça fait relativiser), en attendant la reconstruction prévue pour ces prochaines années et un stade agrandi.
    Comme quoi, ce ne sont pas les résultats qui attirent.
    Le club gagne en financement avec ces membres supplémentaires, mais aussi avec un « marketing social » (je ne sais pas si on peut appeler ça comme ça), avec des maillots vendus à travers le monde, en lien avec des causes sociales ou humanitaires : partenariat avec Amnesty pour un maillot « Refugees welcome », fondation Marley, Fontaines DC/Palestine… C’est ce côté social qui assure le maintien du club et de ses finances quand d’autres équipes ont des sugar daddy (à l’échelle irlandaise).
    En tout cas, un grand merci pour toutes ces infos distillées au gré de cette ballade super intéressante. Grâce à elle, j’ai trouvé une nouvelle maison

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    1. Merci pour ton retour ! Avec plaisir et ravi de te compter parmi les lecteurs du site!

      C’est aussi parce que le club a longtemps été un des plus pauvres du pays je pense… Dur de faire des miracles. J’espère que la rénovation à venir ne va pas dénaturer le stade. Il faudrait que j’y passe avant.

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      1. Il était question de quitter Dalymount cet hiver, mais un report de plusieurs mois a déjà été annoncé. Tu devrais avoir au moins jusqu’à l’été prochain. Ensuite, à peu près deux ans de travaux. Sur le papier, le projet a l’air de respecter l’original, mais bon… Curiosité, la terrain va être dans un autre sens (en gros, nord/sud au lieu d’est/ouest en ce moment). Il y a un attachement fort des supps à quelques emblèmes, comme les projecteurs (inaugurés pour un match contre Arsenal si je me souviens bien), qui seront difficiles à garder.

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      2. Top, merci pour l’info ! Oui d’ailleurs « à cause de  » ce match contre Arsenal il y a cette fausse légende comme quoi les projecteurs viennent d’Highburry alors que c’est faux.

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      3. Alors j’entend ce que tu veux dire avec ‘un des plus pauvres du pays’, mais il y a aussi le fait que le club ne passe professionel qu’à la fin des 1960s (Shels en 1907 si je me souviens bien, James’s Gate, Fordson, Rovers dans les 20s je crois).

        A ses débuts (1890), Bohs est un club pour joueurs de la class moyenne. On y retrouve des étudiants qui vont devenir instituteurs, des marchands de tabac, des chirurgiens, des greffiers, des ingénieurs éléctrique, des dandys (St John Gogarty), aussi bien que des mecs qui travaillent dans des épiceries etc etc… D’ailleurs Phibsborough est un quartier plutot classe moyenne (lower-middle class) en 1900. Des clubs comme Rovers ou Shels, crées dans le quartier ultra-populaire de Ringsend, ont eux des joueurs issus de la class ouvrière.

        Par conséquent, Bohs a été moins enclin à devenir pro, parce que justement, ses joueurs gagnaient plus avec leur activité professionelle qu’avec le foot, d’où leur difficulté à attirer les meilleurs joueurs, souvent issus de la classe ouvrière. Entre 1936 et 1969 – précisement quand le foot en Irlande se commercialise – ils ne gagnent rien. Ils passent pro, et bim, le succès (tout relatif) revient.

        Mais oui, leur palmarès est assez maigre et reflète mal leur importance dans le dévelopement du foot à Dublin fin 19ème, et surtout leur actuelle popularité.

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  3. Encore top.
    Je sais pas parmi les sources que tu as utilisé camarade, mais j ai lu par le passé « L Irlande en révolutions » d Olivier Coquelin. Livre très académique (issu de sa thèse universitaire) mais livre bien expliqué et solide, qui retracetoute l histoire du mouvement nationaliste et indépendantiste irlandais jusqu en 1923.

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