Čestmír Patzel, un Allemand avec le maillot tchécoslovaque

Dans les années 1930, les Sudètes sont au centre de toutes les attentions. Territoires germanophones en Tchécoslovaquie, elles seront annexées par l’Allemagne d’Hitler. Mais avant cela, l’un de leurs habitants connaîtra la gloire avec son pays de résidence.

Il se disait Allemand mais a porté le maillot de la sélection tchécoslovaque. Čestmír Patzel, ou Ehrenfried Patzel pour la version allemande, était un gardien de but. Il est né à Chabařovice (Karbitz en allemand), une petite ville au nord de la Bohême et à moins de 10 kilomètres de l’Allemagne à vol d’oiseau. Si sa mère était Tchèque, son père était Allemand. Maîtrisant les deux langues, il a les deux citoyennetés. Mais au moment d’officialiser sa nationalité, il choisit celle de son père.

Il débute au DFK Karbitz au poste d’attaquant, mais ses frappes manquent de puissance et il recule sur le terrain jusqu’à occuper les buts. Il progresse rapidement et rejoint le FK Teplitzer tout proche, où il est titulaire en première division à 18 ans. Ses performances ne laissent personne indifférent et, deux ans plus tard, il est sélectionné avec la Tchécoslovaquie pour participer à la Coupe du monde 1934, en Italie.

Vice-champion du monde à 20 ans

Sa présence dénote dans un groupe habituellement composé en très grande partie de joueurs du Sparta et du Slavia. Le Teplitzer FK n’est qu’un club de milieu de tableau, incapable de rivaliser avec les « S » praguois. Mais lors de la saison 1933-1934, le club de la ville de Teplice finit le championnat avec le deuxième plus petit total de buts encaissés, derrière le Slavia. Une performance forcément due en partie aux prouesses de son jeune gardien de but.

Mais bien qu’extrêmement talentueux, Patzel doit se contenter de cirer le banc : il est le remplaçant de la légende František Plánička, l’un des meilleurs gardiens du monde à l’époque. C’est donc depuis le bord du terrain que Patzel assiste à la défaite des siens contre l’Italie en finale (2-1 après prolongations), dans un match que la Squadra Azzurra ne pouvait pas perdre.

L’Allemand des Sudètes attendra l’automne 1934 pour revêtir enfin le maillot de la Reprezentace. C’est face à la Yougoslavie, que la Tchécoslovaquie bat 3-1. Il ne comptera au total que quatre sélections, donc l’une historique face à l’Autriche, en 1935. Plánička se blesse et Patzel entre en cours de jeu pour le remplacer. Il affronte notamment Josef Bican, qu’il tient en échec. C’est (déjà) son dernier match international.

La carrière de Patzel aurait pu prendre son envol, mais la réalité politique a raison de ses ambitions sportives. En 1938, après les accords de Munich, il est fortement recommandé aux clubs de football situés dans les Sudètes de ne pas prendre part au championnat tchécoslovaque. La saison 1938-1939 sera d’ailleurs la dernière du championnat tchécoslovaque, remplacé la saison d’après par celui du Protectorat de Bohême-Moravie.

Une carrière forcée en Allemagne

Patzel doit donc poursuivre sa carrière dans le championnat allemand, ou plus précisément dans le championnat régional des Sudètes (Gauliga Sudetenland). Le Teplitzer FK est devancé par le Warnsdorfer FK, qui gagne le droit de disputer le championnat national allemand.

En 1939, Patzel rejoint Iéna, dans la Gauliga Mitte. Champion invaincu au niveau régional (13 victoires et un match nul), le 1. SV Iéna dispute le championnat d’Allemagne, où il termine dernier de son groupe (le championnat est alors divisé en quatre groupes de quatre, dont les vainqueurs s’affrontent en demi-finale).

La saison suivante, Iéna domine de nouveau son championnat régional (encore 13 victoires, mais une défaite cette fois-ci) et se fait devancer par le Hamburger SV au niveau national.

Patzel reste au club une saison supplémentaire, avant d’évoluer chez les Kickers Offenbach. Le championnat a entre-temps changé de format et se résume à une coupe à élimination directe rassemblant les 29 champions régionaux. Offenbach est éliminé dès son entrée en lice à deux reprises, avant que le championnat d’Allemagne ne soit interrompu par la guerre.

C’est lors de la saison 1947-1948 que la compétition reprend ses droits, rassemblant huit équipes issues des quatre zones contrôlées par les puissances étrangères (France, Royaume-Uni, Etats-Unis, URSS). Offenbach n’en fait pas partie et se contente d’évoluer au niveau régional. L’Oberliga Süd a un niveau relevé et Patzel n’a plus l’occasion de briller. Il met un terme à sa carrière en 1948, après une blessure. Les Kickers remportent l’Oberliga Süd la saison suivante et finissent à la quatrième place du championnat national allemand.

Une fois retraité, Patzel ne s’éloigne pas du football puisqu’il devient arbitre. Et il choisit de rester en Allemagne jusqu’à la fin de ses jours, en 2004.

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12 réflexions sur « Čestmír Patzel, un Allemand avec le maillot tchécoslovaque »

      1. Haha. Après si on fait un comparatif des parcours, celui de la Tchécoslovaquie paraît plus costaud. Roumanie, une Suisse consistante, l’Allemagne et surtout la défaite en prolongations face aux Italiens. Dans les circonstances que l’on connaît…

        Pour les Hongrois en 38, c’est quand même plus aisé. Une faible Indonésie au premier tour. Une très bonne équipe suisse. La Suede en demi-finale qui doit surtout sa présence dans le dernier carré à sa confrontation avec Cuba en quart. Même si leur finale est valeureuse

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    1. Dans les années 1930, la Hongrie et la Tchécoslovaquie se tiennent à peu près.
      Difficile de dire si l’une des deux sélections est au-dessus de l’autre. Elles ne sont pas chacune en finale par hasard. Et pour les vaincre, il faut à chaque fois une Italie dopée à l’espionnage sportif sud-américain (et aussi, en 1934, un coup de pouce de l’arbitrage).

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  1. Jamais entendu parler, merci.

    Par contre je « connaissais » (c’est vite dit..) le dénommé Rudolf Krcil, tout bonnement parce qu’il est de la finale de WC34..et dont je découvre qu’il fut l’équipier de ce Pratzel en club.. Un Sudète allemand, lui aussi?

    Karlovy Vahry, Loket, Marienbad, Cheb.. C’est toujours les Sudètes aussi, non?? Aujourd’hui encore, ma femme me maudit pour deux marches consécutives de 25-30 kms chacune effectuées à l’arrache dans le coin.

    Et la Sumava?

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    1. Je ne sais pas pour Krčil.
      Les villes que tu cites sont bien dans les Sudètes sauf erreur de ma part, tout comme une partie de la Šumava.
      Il y a d’autres parties du territoire tchèque (au Nord et au Sud) qui fait partie des Sudètes historiques. Ça englobe quasiment toutes les frontières avec l’Allemagne, l’Autriche et la Pologne en fait.

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      1. Tiens, réciproquement et quitte à évoquer la Pologne : y a-t-il à ta connaissance un qualificatif de type « sudète », pour désigner les régions peuplées (jadis??) de Polonais/polonophones sur l’ex-territoire tchécoslovaque?

        Je ne t’apprends sans doute rien, et ce d’autant moins que tu sembles en vivre non loin, mais je pense particulièrement aux revendications et annexions en cascade qui eurent cours dans la région de Tesin au cours du XXème siècle, par ailleurs peuplée (historiquement) de pas mal d’Allemands aussi je crois……… ==> C’était « sudète » aussi? Et sinon?

        Par nostalgie, je réalise que Cheb est la région natale de Nedved, alors que je l’aurais plutôt cru originaire d’un pan plus oriental, du côté de la frontière hongroise, aux antipodes du territoire en somme..mais pas du tout!

        Pas un bon souvenir de Cheb, d’ailleurs c’est la dernière fois que je me suis fié à un guide (Le Routard??) : vite fait le tour et j’en garde le souvenir d’un bled plutôt sinistre – le moindre hôtel avait une ambiance de lupanar, j’avais intuitivement mis ça sur quelque tourisme sexuel en provenance de Bavière, mais..?? Ca a peut-être changé, la Rep tchèque venait de rentrer dans l’UE..bientôt 20 ans??

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    2. Concernant les zones « polonophones » en Tchéquie, je ne crois pas qu’il y ait un terme équivalent aux Sudètes. Ca correspond à une partie de la Silésie (qui est en grande majorité polonaise) et les habitants du coin aiment bien souligner le fait qu’ils sont certes Tchèques, mais ni Bohémiens ni Moraves.

      Concernant la région de Cieszyn/Český Těšín, ce sont aussi les Sudètes effectivement.

      Cheb c’est pauvre, comme toute la région de Karlovy Vary ils vivent du tourisme en attirant les Allemands dans les villes thermales (et les Russes, mais depuis quelques années il n’y a plus de Russes et à la place il y a des faillites en cascades). Concernant les bordels et lupanars juste derrière la frontière, rien n’a changé. C’est le cas aussi en Bohême du Nord. J’ai des amis qui ont une maison dans un gros village à 2 km de la frontière, ils ont un bordel juste à côté de chez eux. Apparemment ils n’ont pas de nuisances particulières.

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      1. Ah, la pauvreté ne m’y a jamais marqué. Bon souvenir même, je trouvais ça charmant et peinard. Beaucoup de Russes à l’époque en effet (mes premiers voyages là-bas datent du début des 90’s), mais l’impression que les hôtels à l’ambiance interlope (à Carlsbad aussi, oui) sont arrivés plus tard.

        Assurément pas le plus beau coin de Tchéquie, Sumava et Paradis tchèque sont deux crans au-dessus..mais pas le pire que j’aie vu non plus.

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  2. Je connais vraiment mal l’évolution des sélections tchécoslovaque et allemande à l’époque, mais comme ça ça donne l’impression que l’Allemagne a bien moins pioché dans les viviers CZ progressivement annexés que dans l’autrichien – avec les Autrichiens, on peut parler d’un Anschluss qui fut aussi footballistique..mais pour ce qui fut des footballs sudète puis tchécoslovaque, bof??

    Je viens de regarder sur RSSSF : en confrontations directes (mais furent-elles « fair »?), de mid-30’s jusqu’au dépeçage accompli de la CZ, l’Allemagne semblait être passée devant..et cependant c’est plutôt la CZ qui semble avoir donné la meilleure impression en WC38.. Compliqué de se faire un début d’avis….., tout apport sera bienvenu.

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    1. Avant la Coupe du monde en France, l’équipe d’Allemagne monte effectivement en puissance sous la houlette du nouveau sélectionneur Herberger (qui a remplacé Nerz, suite à la déconvenue des Jeux de Berlin).

      De 1937 jusqu’au début de la Coupe du monde, l’Allemagne ne perd qu’un match : le 14 mai 1938, à Berlin, contre les Anglais. Le fameux match où les Anglais font le salut nazi…

      En particulier, le 16 mai 1937 à Breslau, les Allemands infligent un cinglant 8-0 aux Danois. C’est la naissance du Breslau-Elf : Herberger a trouvé son équipe. Mais l’Anschluss va tout changer : le pouvoir nazi impose au sélectionneur d’intégrer cinq anciens Autrichiens dans son XI. La machine se détraque et les Allemands sont incapables de marcher sur la Suisse lors du premier tour de la Coupe du monde.

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