Don Quichotte à Pescara

Le match du jour oppose Pescara à la Juve Stabia en Serie C. Pourquoi ce match ? Parce que Zdeněk Zeman, bientôt 76 ans[1], enfourche à nouveau une monture en détresse, en l’occurrence le Delfino Pescara 1936.

Fidèle à ses habitudes, Zeman revient sur des terres déjà conquises puis abandonnées après que la matérialité des faits l’a tristement rattrapé[2]. Comme à Foggia ou à Lecce, il a naguère triomphé le long des plages des Abruzzes avant de cuisamment chuter et s’il se lance dans une nouvelle confrontation avec la réalité, c’est parce que son univers imaginaire lui commande de le faire. Il y a évidemment une forme de folie dans l’obstination de ce vieillard ne cédant à aucune mode, aucune forme de contrainte venue de quelque autorité supérieure, définitivement solipsiste.

Plus le temps passe, plus il est évident que Zdeněk Zeman est un Don Quichotte dont le roman débute à la fin des années 1980, dans le Tavoliere delle Puglie cernant Foggia, cette immense plaine agricole peuplée d’éoliennes à perte de vue dans une représentation contemporaine de la Mancha de Cervantès. Emu par les hiérarchies cadenassées du calcio, il endosse l’armure du justicier dont la mission consiste à parcourir l’Italie pour combattre les traditions et les privilèges, au service des plus modestes, hier les Satanelli de Foggia ou les Salentini de Lecce, petites società des Pouilles sans noblesse, aujourd’hui Pescara, la belle déclassée.

Au début des années 1990, avec Foggia.

Fanatisé par son rêve d’absolu, Zeman ne peut échapper à ses visions, celles qui guident depuis 40 ans son long voyage d’insoumis dans une expression moderne de l’idéal chevaleresque. Ses hallucinations fondent ses croyances, des hérésies au contact desquelles les schémas parcheminés se consument, autodafés sacrilèges selon les praticiens rigoristes. Ce qu’il réalise avec Foggia relève du prodige – ne parle-t-on pas de Foggia dei  Miracoli ? et seul un illuminé peut monter au front avec une équipe de Sancho Panza, de modestes joueurs de province contaminés par sa parole, prêts à l’accompagner partout et à attaquer jusqu’à l’outrance.

A l’entrainement, durant la semaine.

En le réarmant, cinq ans jour pour jour après l’avoir dégradé[3], Daniele Sebastiani, le président du Delfino, attend de Zeman qu’il se lance dans de nouveaux combats, en l’occurrence ceux décisifs du Girone C de la Serie C, le groupe des società méridionales, le plus mystérieux, le plus abstrait. Catanzaro est déjà promu, ou presque, Crotone est le dauphin désigné, il appartient maintenant à Zeman de préserver la troisième place de Pescara afin de lui simplifier (un peu) le parcours en play-offs. Ces phases finales sont des moments de bravoure : 27 équipes vont concourir et une seule sera élue[4]. Un défi presqu’impossible à relever, un défi pour « le Chevalier à la triste figure »[5], Tchèque errant dont le visage témoigne cruellement des effets du temps.

Nous pensions au printemps dernier que le parcours de Zeman venait de s’achever sur un échec avec les Satanelli dans ces terribles play-offs de Serie C[6]. Comme ceux qui veulent mourir à l’endroit où ils sont nés, il aurait été si simple de faire de Foggia son tombeau… Apaisé, nous l’avions aperçu à Trieste en janvier dernier pour la 34e édition du « Trieste Film Festival » où l’Eastern Star Award lui a été décerné, rare privilège pour une personnalité n’appartenant pas à la sphère cinématographique. Une illusion. Il a suffi que Sebastiani le sollicite pour qu’il soit à nouveau confronté à ses obsessions, des troubles altérant son jugement et le convaincant d’enfiler encore une fois le costume du sauveur.

Au festival cinématographique de Trieste de janvier dernier et ce n’était pas pour le film « The man who killet Don Quixote » ni même « Lost in la Mancha ».

Quelle sera la suite ? Refusant tout compromis susceptible d’affecter sa croyance dans les vertus de la prodigalité, il va probablement faire de Pescara une équipe généreuse, la plus excitante à regarder. Ses joueurs, des sans-grades, vont le suivre comme s’il s’agissait d’une procession destinée à combattre le mal, révélant des ressources insoupçonnées. Et puis la saison s’achèvera, plus ou moins rapidement. L’issue, Zeman la livre lui-même : « J’ai pris quatre équipes en cours de saison. Cela s’est toujours mal terminé en raison de désaccords avec le club. » Puisse-t-il se tromper, pour que le roman de Don Quichotte dure encore un peu.


[1] Il est né le 12 mai 1947 à Prague.

[2] Quatre expériences avec Foggia, deux avec Lecce et la Roma. Et donc trois avec Pescara.

[3] Lors de son second passage à Pescara, Zeman avait été démis par Sebastiani le 4 mars 2018 après une défaite à Cittadella.

[4] Les premiers des groupes A, B et C sont promus. Les clubs classés de la quatrième à la dixième place de chaque groupe disputent des matchs à élimination directe dont deux accèdent aux quarts de finale où ils retrouvent les deuxièmes et les troisièmes. Il faut alors enchaîner quart, demie, finale en matchs aller et retour pour gagner le quatrième et dernier sésame pour la Serie B.

[5] Surnom de Don Quichotte.

[6] Septième de son groupe, Foggia avait rapidement été éliminé.

16 réflexions sur « Don Quichotte à Pescara »

  1. En pensant à Zeman, je pense à Immobile. Dont on ne peut que saluer le parcours en Serie A sans pouvoir oublier qu’il n’était pas un top attaquant européen. Faudra que les futurs historiens de ce sport intègrent le contexte pour réellement considérer son cas. De folles statistiques dans un championnat en net recul. Donc pas au niveau des plus grands attaquants italiens.

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    1. Oui, il est dans le top 10, mais avec Di Natale et Signori, il ne peut être comparé avec les autres membres de ce cercle.
      Quand il s’agira de faire le bilan des meilleurs attaquants de la Lazio, Immobile ne pourra prétendre devancer Piola, évidemment. Et s’il a marqué plus de buts que Chinaglia et Giordano, je le classerai derrière ces légendes biancocelesti. Sauf s’il gagne un scudetto sur le tard en étant le fer de lance d’une Lazio guidée par Sarri…

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      1. Quand je vois Icardi, deux fois meilleur buteur italien, ça pique…

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      2. Di Natale et Signori (excepté, pour ce dernier, son passage durant les belles heures de la Lazio) ont quand même atteint le Top 10 en étant des attaquants de clubs de campagne, de secondes zones, des « provinciali » comme disent les italiens (Immobile aussi en quelque sorte)… Je trouve que ça rend tout de même la performance significative.

        À moindre mesure mais tout aussi symbolique selon moi, et par conséquent important à souligner: ont trouve Gilardino, Di Vaio… Montella ou encore Toni pas très loin derrière, pour ne citer qu’eux et en restant bien sûr concentrer ici spécifiquement sur les buteurs de provinces… Évidemment, tous ou presque sont passés par un plus gros club du Calcio à un moment donné de leur carrière mais la grande majorité de leurs buts ont été inscrits avec des plus petites équipes).

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      3. Calcio
        Je mets les performances de Signori ou même Di Natale a un niveau supérieur que celui d’Immobile. Simplement pour la question du niveau du championnat. Gagner 3 titres consécutifs de meilleur buteur dans les années 90 comme l’a fait Signori, ce n’est pas la même chose que ce que fait Immobile.

        Et tu fais bien de souligner qu’il n’évoluait pas chez les plus puissants. Signori se fait lourder juste avant la grosse equipe de la Lazio.

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  2. La Série B, la Série C sont des enfers à ciel ouvert pour monter. Pléthore de clubs et des play-offs interminables (la Segunda et Segunda B du même acabit en Espagne) où se mêle des clubs historiques déclassés, refondés, sans le sous; des clubs de provinces anonymes et même des nouveaux improbable…
    Zeman qu’est ce qu’il le pousse à continuer là-dedans, à repartir pour un tour, qui semble totalement voué à l’échec ? La passion qui le guide, rien de plus. Pour cette raison que cet homme aura toujours ma reconnaissance dans le football.

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  3. C’est vraiment Papy fait de la résistance, et dans tous les sens du terme, le vieux Zeman.

    Le truc que j’aimerais savoir, c’est : pourquoi s’est-il toujours comporté en maverick? Voire surtout où il aura trouvé l’énergie de nager à ce point à contre-courant – et où il la trouve encore.

    Absolument pas pour me déplaire, peu de sympathie pour le conformisme et moins encore pour les ersatz d' »anti-conformismes » promus par la matrice. Mais que d’énergie tout cela doit (avoir) exiger…………. Bon, j’imagine qu’à son âge, désormais : il doit avoir gagné de prendre tout cela moins à coeur, et de vouloir se faire plaisir surtout, faire ce qui lui plaît et basta..?

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  4. J’ignorais que Zeman était de la meme famille que Čestmír Vycpálek et que c’est une visite à Palerme pour voir Vycpálek en plein printemps de Prague qui le fit rester en Italie.

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    1. Vycpálek est un joueur clé de Palermo dans l’après guerre (époque Raimondo Lanza di Trabia dont je parlais il y a peu sous un texte de Calcio Calabria) mais aussi le coach de la Juve quand Armando Picchi est rattrapé par la maladie. Il est champion à deux reprises : en 73 grâce à l’effondrement du Milan contre le Hellas (c’est le Fatal Verona) mais aussi en 72 grâce à des décisions arbitrales pénalisant le Milan (Rivera piquera une crise !) et le Torino de Giagnoni. Un titre que son neveu Zdenek, grand pourfendeur d’injustices, n’a pas dû apprécier.

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  5. j’aime beaucoup ton écriture sur ce genre d’article Verano et fort bel hommage à ce fou! c’était dingue son Pescara ultra offensif avec Immobile Insigne et Verratti (où le psg le repère )!
    forcément chez les grand ça peut pas fiter trop extrême même si la Roma et la Lazio ont fait appel à lui

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