Espanhol

Birmingham, Coupe du monde 1966. Paco Gento échange les fanions avec Antonio Rattín, le phare de l’Albiceleste. Et aussi étrange que cela puisse paraître, c’est l’unique confrontation entre ces deux nations dans l’histoire de la compétition. Quand on regarde la rencontre, presque 60 ans plus tard, on ne peut s’empêcher d’être attristé par la prestation calamiteuse de l’ancien ailier supersonique du Real. Engoncé dans son maillot, placé inexplicablement avant-centre, Gento est pataud, constamment à contretemps. On ne comprend pas sa présence sur la pelouse. Quelle mouche a piqué ce jour-là le sélectionneur José Villalonga ? L’Argentine gagne en toute logique, grâce à un doublé du splendide Luis Artime. La Roja est éliminée et ne jouera plus un Mondial pendant 12 ans… En rentrant aux vestiaires, si tous les Espagnols sont dépités, l’un l’est particulièrement. Il a passé de nombreuses années au Brésil, son adolescence et ses premiers pas d’homme. Il s’appelle José Ufarte.

La grande traversée

« Pontevedra de corales, Lugo do cor do aceiro,
Pontevedra de corales, Ourense de limoeiro,
A Coruña de cristal-e
Ai la lelo, ai lala lo
 » A Roda

José Armando Ufarte Ventoso est né à Pontevedra, le 17 mai 1941. Au bout du chemin, du moins de celui du monde espagnol connu. Où les accents se lusitanisent au premier coup de vent, où le queixo do Cebreiro tapisse les lèvres des pêcheurs endolories par la pluie. Étrange contrée que la Galice… Elle ne cesse d’attirer en son sein depuis des siecles, pèlerins ou non, tout en regardant, impuissante, ses filles et ses fils tenter leurs chances le plus loin possible de ses bras. Gabriel García Márquez, Fidel Castro, Simon Bolivar, autant de chromosomes du coin qui ont forgé, modelé durablement l’identité américaine. Comme le fit, plus modestement, l’Uruguayen Pedro Cea en égalisant face à l’Argentine, au Centenario en 1930.

Si son surnom était le Basque, la famille de Pedro Cea était de Redondela, à 21 kilomètres de Pontevedra. J’ignore si José Ufarte connaissait enfant le lien du buteur de Nacional avec sa terre natale. En revanche, il maîtrisait parfaitement le langage des fins de mois difficiles. 14 ans après la fin de la Guerre Civile, le pays, sa region sont toujours exsangues. Son père, un Almeriense venu se réfugier à Pontevedra pendant le conflit, part seul chercher fortune à Rio de Janeiro… Privé de figure paternelle, José se défoule sur les terrains du Club Sportif Peti Lérez. Et le fait plutôt bien… De quoi s’attirer les faveurs du Celta Vigo voisin? Nul ne le saura jamais. Car du côté de la Cidade Maravilhosa, son père mécanicien a fait son trou et souhaite désormais que son unique fils l’aide au garage. La famille suit son fil d’Ariane et plie bagage en juin 1955, direction le Nouveau Monde, à l’exception notable d’une sœur aînée laissée aux soins de ses grands-parents.

Les grilles de l’Estádio da Gávea

José s’acclimate aisément à son nouvel environnement. Le gallego lui permet d’assimiler rapidement le portugais, ses dribbles déroutants font le reste. Devenu pour les gars du quartier l’Espanhol, il écoute les conseils d’un ami et se présente à une journée de détection du prestigieux Flamengo. Une réussite. José, tout juste 15 ans, rejoint les rangs du Mengão. Après deux années avec les équipes de jeunes, Ufarte intègre l’équipe B et partage entraînements et fou-rires avec un des plus grands stratèges de l’histoire du foot canarinha, Gérson. Une amitié solide naîtra entre eux, José ne tarira pas d’éloges sur les qualités du Brésilien car « à 16 ans, il savait déjà tout. »

Ses bonnes performances dans les rangs amateurs ne passent pas inaperçues. L’entraîneur paraguayen du Flamengo, Manuel Fleitas Solich, lance Espanhol dans le grand bain lors d’un tournoi international d’été, en janvier 1961. L’adversité est de qualité. Vasco, São Paulo, Corinthians, Boca ou River… José s’offre une première ligne au palmarès…

Ufarte, accroupi, à gauche toute. Dida et le jeune Gerson sont sur la même ligne, à l’opposé.

Sur sa lancée, Ufarte participe, aux côtés de la gloire Dida, à la victoire au tournoi Rio-São Paulo mais le retour en fanfare de Valence de Joel, imminent membre du Rolo Compressor des années 1950 et champion du Monde de surcroît, oblige notre Galicien à peaufiner ses gammes plus au sud, du côté de São Paulo…

Faz Me Rir

Barré par la présence encombrante de Joel, Ufarte est donc prêté neuf mois au Sport Club Corinthians Paulista. Une immense opportunité de montrer son savoir-faire mais pas le meilleur des timings. Le Timão initie une longue periode d’éclipse, les résultats sont médiocres. Les compagnons de José ont beau se démener, offrir leurs corps à la science, ils n’y gagnent qu’un surnom peu flatteur, Faz Me Rir. Hérité d’un grand succès de la chanteuse Edith Veiga. Si le succès n’est pas au rendez-vous, Ufarte a néanmoins montré sa constance et sa valeur au public du Parque São Jorge. Il semble mûr pour un retour au bercail.

A la tête du Rubro-Negro, Flávio Costa, le coach maudit du Brésil 1950, a remplacé Fleitas Solich. Le vieux technicien replace Joel sur l’aile gauche, Ufarte est aligné face à Madureira. Idem la semaine suivante où le nouveau propriétaire du numéro 7 offre la victoire face à Canto do Rio.

L’année 1963 est la plus aboutie d’Ufarte. Titulaire indiscutable, il livre un nombre incalculable de centres décisifs pour le buteur Aírton Beleza, avant de remporter le championnat carioca qui se refusait à Flamengo depuis huit ans. Un souvenir que José conservera intacte dans sa mémoire. 194 603 spectateurs massés au Maracanã et une prestation héroïque de son gardien Marcial face aux velléités du rival Fluminense. Espanhol retourne sur son continent le temps d’un été. Roumanie, Pologne, Suède, Danemark, Union Soviétique, France, Autriche ou Tchécoslovaquie… Autant de publicité pour le Jogo Bonito que de pays et de publics conquis. Dont l’immense majorité n’imagine pas Ufarte autre chose que brésilien.

Car si il invité à jouer pour une sélection de Rio, où il côtoie émerveillé Carlos Alberto, Brito ou Mané, Ufarte se refuse à renoncer à sa nationalité espagnole. Malgré les appels du pied fréquents de la Fédération Brésilienne. Ironie du destin, sa terre natale ne le considère pas comme un de ses fils. Le Real Madrid tente de le recruter en 1963 mais un alinéa du règlement stipule que si vous n’aviez pas fait votre formation au pays, vous etiez considéré comme un étranger. Evaristo et Lucien Muller occupant déjà les deux places réservées, Espanhol se résout à ne pas découvrir cette partie de la capitale…

Le retour

« Celui qui danse, chemine sur l’eau et à l’intérieur d’une flamme. » Federico García Lorca

En mai 1964, après avoir terminé quatrième du Tournoi Rio-São Paulo, Flamengo part pour une nouvelle tournée à l’étranger. Côte d’Ivoire, Ghana, Liban, Milan, Valence… Au Trofeo Naranja, Flamengo se défait, non sans difficulté, de Nacional Montevideo et des Murciélagos. Ufarte est brillant. Il répond à Waldo lors du dernier match décisif, s’offre un tour d’honneur à Mestalla, avant de s’envoler pour l’Ukraine. Lieu de sa 105e et dernière rencontre avec le Mengão… Car en coulisses, l’Atletico a fait une offre mais la direction du Flamengo refuse d’y prêter attention. Espanhol, d’habitude tempéré, est furieux et menace alors de ne pas monter dans l’avion ! Son obstination s’avérera payante, il quitte ce Brésil qui l’a nourri et en grande partie élevé, non sans une pointe de nostalgie mais conscient que le retour était inéluctable : « Nous voulions rentrer en Espagne. Nous avions laissé une de mes sœurs ici et ma mère ne pensait plus qu’à cela. Ce fut très dur... »

A la suite de ce beguin de jeunesse carioca, José rencontre le véritable amour sportif de sa vie. Sa technique, ses passes précises, sa vitesse diabolique berceront le peuple colchonero pendant 10 ans. De son premier match en 1964, face au Racing Avellaneda, à Buenos Aires, à son dernier officiel, lors de la douloureuse défaite en finale européenne 1974 face au Bayern. 10 ans à cavaler sur son côté droit, numéro 7 dans le dos. A supporter, voire défier les caractères de Max Merkel ou du Toto Lorenzo. L’Atletico aligne alors les trophées, trois Ligas, et renouvelle sa mythologie… La fantaisie d’Enrique Collar ou le sang froid de José Eulogio Gárate. La rigueur d’Adelardo face à la fougue de Ramón Heredia… Luis Aragonés, le Sabio de Hortaleza, sera son inséparable binôme. Quarante ans d’amitié et pas une ride, de leur arrivée commune à Madrid à l’apothéose de l’Euro 2008 en tant que techniciens.

Ufarte revient fréquemment à Rio. Si la ville a changé, il apprécie de croiser les vieux fans. Ces octogénaires qui ne le connaissent que sous le sobriquet d’Espanhol. La parole est légère et dérive régulièrement sur son modèle, Garrincha. Cet Indien insaisissable qui fut bien plus qu’une inspiration : « J’étais un immense admirateur. Quand je suis allé dans l’équipe de Rio, qui était d’ailleurs pleine de champions du monde, il était présent. A mon arrivé à l’hôtel, il m’a dit : « Prépare-toi, tu joues, car je dois aller solliciter une prière pour mon genou. » Il croyait plus au guérisseur qu’aux médecins ! C’était une personne spéciale, sans aucun doute, et plus tard, j’ai eu la chance de l’avoir ici à Madrid car il est venu avec sa femme, qui était une artiste de samba et qui jouait sur la Gran Vía, et je l’ai emmené un jour s’entraîner avec l’Atlético de Madrid. Il était hébergé chez moi, j’avais une grande amitié avec lui. Avec Pelé également, mais différente. Néanmoins, à chaque fois qu’il venait à Madrid, nous nous appelions pour sortir manger et ainsi de suite. J’ai une grande affection pour les gens du Brésil parce qu’ils m’ont merveilleusement traité. J’ai d’ailleurs épousé une Brésilienne. » Une belle jeunesse fait-elle de beaux vieux ?

17 réflexions sur « Espanhol »

  1. Bon, ce n’est pas non plus comme si je connaissais super bien Ufarte.. 🙂

    Mais c’est la première fois que j’entends parler de ce pan, et décisif de surcroît, de son parcours ; merci donc!

    Les appels du pied de la fédération espagnole, c’était sincère? Et/ou avec l’idée de faire grimper sa valeur? Il était si, si bon que ça?? Sur l’aile droite, le potentiel brésilien était déjà extraordinaire en soi à l’époque, non? Ce n’est certainement pas moi qui pourrai être exhaustif, mais : Garrincha, Jair, Julinho………….qui sais-je encore..??………et donc Ufarte??

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      1. Ecoute, j’ai lu cela de sources espagnoles et portugaises. Ufarte n’avait pas le niveau pour devenir un indiscutable de la Seleçao mais peut-être aurait-il chopé quelques capes. D’ailleurs avec l’Espagne, sa carrière sera relativement décevante. Il joue pour la Roja de 1965 à 72 pour uniquement 16 sélections. Il n’a jamais réussi à s’imposer dans une période qui est pourtant bien creuse pour l’Espagne.

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  2. Et ce qui m’intéressait, c’était le parcours rare d’un Européen de l’autre côté de l’Atlantique. Mais si son cas est particulièr puisqu’il a grandi en partie là-bas. Je crois qu’il a finalement chopé la nationalité brésilienne par la suite.

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  3. Parmi les Gallegos uruguayens, il y a Cea dont tu parles mais aussi le patron du milieu, Lorenzo Fernández dont les parents venaient également de Redondela (y a un article des Cuadernos sur le sujet).

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  4. À son sujet, il y a un article de Relaño qui affirme que le Real avait eu l’occasion de l’enrôler mais qu’il considérait Ufarte comme étranger, n’ayant pas été formé en Espagne. Déjà doté d’un ailier droit, Amancio, le Real n’avait manifestement pas mis beaucoup d’énergie pour trouver une solution.

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  5. La Roja face à l’Albiceleste, une rivalité qui n’existe pas. Et pourtant tous les ingrédients sont là. Histoire, langue, influence argentine sur la Liga… Le match de 66 fait chiche en comparaison des affrontements dantesques entre l’Italie et l’Argentine…

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      1. Justement, ll y a un article à rédiger (à moins que quelqu’un l’ait déjà écrit sur le site ?) à propos du tournoi des 150 de l’Indépendance du Brésil, en 1972. Taça da Independência ou Mini-Copa. La France y participa aussi d’ailleurs.

        Du beau monde des deux côtés en finale, avec encore Eusébio du côté de la Selecção, même si Pelé n’était plus de la partie du côté de la Seleção. Il y avait quand même un certain Jairzinho. 😉

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      2. Salut Telmo. J’avais abordé la Taça 1972 dans un de mes premiers textes, Tommy. Mais uniquement autour de la sélection africaine. Une des révélations de cette compétition du côté portugais est le gaucher dribbleur Joaquim Dinis.

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      1. Ah en 66, la Roja est championne d’Europe en titre. Sur ce match, en dehors de la prestation de Gento dont j’ai parlée, Ufarte et Peiro, les ailiers, sont quasi invisibles. Suarez se démène au milieu. Del Sol tente de récupérer un maximum de ballons mais c’est surtout Pirri, dont c’est la première sélection, qui fait illusion. D’ailleurs, il manque un but.

        Sur Footballia, Pirri n’est d’ailleurs pas tendre avec Gento!

        Et du coté argentin, outre le doublé d’Artime, Ermindo Onega de River fait un bon match. Je ne connaissais que de nom mais j’aime beaucoup son style.

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      2. ah ha complètement zappé leur titre… bon bah dans ce cas là sur cette match..)
        (bon après j’en parlais plus globalement, l’Espagne a toujours été perçu un cran dessus que Brésil, Uruguay, Allemagne (rivlaité qui est arrivée après les autres), Italie, et Angleterre dans le cas des rivaux des Argentins). Finalement ce sont peut-être les clubs argentins qui ont le plus d’interactions avec la sélection espagnole de part leurs tournées.

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  6. « Gabriel García Márquez, Fidel Castro, Simon Bolivar, autant de chromosomes du coin qui ont forgé, modelé durablement l’identité américaine »

    Pour El Libertador, c’est vraiment minime ses origines galiciennes, lointaines. Mais par extension, comme a peu près beaucoup de sudaméricains ont des ancêtres gallegos. Les Galiciens ont etaient les plus nombreux à émigrer en Amérique du Sud, devant les Basques.

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      1. Je ne connais pas la Galice mais j’ai beaucoup aimé les Asturies. C’est joli Vigo?

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      2. de la Galice, je connais surtout la côté de Vigo à La Corogne. J’aime beaucoup, encore un pas trop mal préservée de la surfréquentation et de la bétonisation, un côté sauvage, l’atlantique, la mer agitée, les fruits de mer, les empanadas gallegas, les plages, longues étendues ou cachés dans des recoins), l’ambiance plus tranquille (mis à part Santiago, tourisme de masse, foule de pèlerins et adeptes du camino ). Vigo, ville beaucoup plus portuaire et industrielle (l’usine Citroen – qui était sponsor maillot… Lens-Celta, remember !- ), plus populaire aussi, moins « jolie » pour les guides touristiques, mais j’aime bien moi, et sur Vigo, y’a toujours une brume légendaire sur la ville, même en plein mois d’aout elle peut être présente jusqu’au milieu de matinée… Ah, et les îles Cies en face, très belles aussi, … et j’ai même un maillot du Celta floqué Iago Aspas hehe)
        Les Asturies: connait aussi pas trop mal, la côté et les Picos de Europa, ai été faire une rando de 10 jours là bas, pas plus tard que l’été dernier, magnifique.

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