Il était un stade, une fois (1/3) : La Flandre

Un Roi, trois régions, trois communautés institutionnelles, six gouvernements, 10 provinces, 54 ministres et secrétaires d’Etat, 60 sénateurs, 300 fromages, 382 députés, 398 conseillers provinciaux, 541 jours sans gouvernement, 1 600 bières, 1 800 clubs de football, plus de 13 000 conseillers communaux, plus de 425 000 footballeurs officiellement référencés, 160 ans de football…

Et à raison de quelque 700 millions d’euros pour faire tourner chaque année cette démocratie boiteuse d’à peine 11 millions d’habitants, et de droits TV annuels huit fois moindres qu’en France : évidemment bien peu dans les caisses des clubs ou de l’Etat pour subvenir aux structures stadiales du ci-devant Royaume de Belgique, conséquemment datées et d’autant singulièrement conservées dans leur jus (ou ce qu’il en reste), pour le plus grand bonheur des amateurs de football-vintage.

Tantôt bancal, anachronique, absurde, surréaliste… et quelques fois même tout simplement beau, aux antipodes des arènes post-modernes de la consommation : c’est ce paradis du groundhopping, car de la vétusté, de la résilience et du bricolage, que nous vous proposons cette fois de découvrir, du Nord au Sud et d’Ouest en Est. De Flandre en Wallonie et depuis la Mer du Nord jusqu’aux Ardennes belges.

Au menu aujourd’hui : la Flandre.

1. L’iodé

Entre la superbe De Haan et la petite station balnéaire de Wenduine, s’étend une plage de sable fin de 12 kilomètres de long et de 55 à 80 mètres de large, qu’absolument rien ne vient interrompre : de bout en bout préservée, sauvage et immaculée. Rien? Pas tout à fait : au kilomètre 0,20 et au départ de Wenduine, après avoir fait l’ascension de la seconde plus haute dune du littoral (dite du… »Spionkop »!), un pavillon blanc au toit rouge prodigue soudain une vue imprenable sur la mer, les bois, les dunes…et plus improbablement sur le seul véritable stade marin du Royaume : ledit KSK Stadion.

En haut à droite : le Spionkop.

Aménagé au cœur du cordon de dunes en 1933, à hauteur du très pittoresque moulin Hubert, ce terrain en tous points miraculeux reste toutefois chroniquement menacé par l’appétit de promoteurs qui, partout ailleurs sur la côte, sont hélas parvenus à saturer l’espace de béton et de clapiers à lapins… A l’instar d’autres stades jadis, auront-ils raison aussi du Wenduine Stadion ? A moins que ce ne soient bien plutôt des écologistes, qui finiront un jour par avoir sa peau ?

En direction du Sud-Est, depuis le front de mer : la buvette et les vestiaires du KSK Wenduine. Sur la gauche, au second plan : les ailes du moulin Hubert.

En dépit des près de 900 kilomètres de côtes néerlandaises (soit près de 14 fois la longueur du littoral belge), lesquelles aux Pays-Bas sont cependant souvent invisibilisées derrière de hauts murs de béton, ce stade marin reste un spectacle rarissime parmi les écrins footballistiques des Plats Pays. Et devrait d’autant convaincre l’amateur de football de privilégier ce bout de mer béni des dieux lors de son séjour en Belgique.

Perspectives de survie : 3/5.

2. Comme un parfum de Louisiane

A une demi-heure de route Plein Sud, après avoir passé Bruges et parvenus au coeur du triangle d’or de l’industrie drapière, c’est un miracle encore qui nous attend, au lieudit du Sint-Pietersveld – en Français : au « champ de Saint-Pierre ».

Constellé de drèves parcourant en tous sens le « Bois du Purgatoire », c’est sans conteste que ce site hors du temps, longuement voué à l’aide à la jeunesse, à la réclusion pénitentiaire et aux services radio maritimes, justifie la visite et son classement à l’inventaire du patrimoine, délivré en 2002 tant pour son unicité historique (bâtiments et reliques intacts) et socioculturelle (traces diverses laissées par les communautés l’ayant occupé), que pour sa valeur scientifique ou surtout esthétique, en cette harmonieuse succession de paysages alternant forêts, sols sableux, mares remarquables… et ce terrain de football donc, agrémenté de cette délicieuse tribune que l’on pût croire sortie de quelque Sud profond, à l’examen de ses belles lignes antebellum.

Débordant sur les communes de Aalter, Ruiselede et Wingene, et quoi que son isolement puisse suggérer : ce terrain anonyme, surtout, n’est pas réellement un terrain perdu. Certes orpheline de feu son club-résident de l’Eendracht Sint-Pietersveld, disparu dans le courant des années 1970, mais propriété désormais d’un monumental établissement scolaire sis de l’autre côté de la route, cette pelouse propice à la rêverie en héberge désormais les débats interscolaires, parmi le doux murmure du vent et la croissance croirait-on éternelle des fleurs et des libellules.

Perspectives de survie : 5/5.

3. Le destroy

Trente minutes vers le Nord-est cette fois, direction Maldegem, à mi-chemin du vaste delta de l’Escaut. Et à destination donc de cette commune frontalière des Pays-Bas, sise d’entre ports maritimes de Zeebruge et de Gand-Terneuzen, et qui abrite depuis 1990 le siège d’un train touristique à vapeur, s’ébrouant quotidiennement vers la ville voisine d’Eeklo.

En dépit d’une collection très riche, la gare de Maldegem n’est toutefois pas le seul endroit de la ville où dénicher des ancêtres des voies ferrées : parcourir 500 mètres à peine vers l’Ouest, puis bifurquer sur la gauche au début de la Bogaardestraat, et c’est alors que se dévoile le spectacle extraordinaire dudit Stadion Edelhert De Lille… ou de ce qu’il en reste.

A raison de 30 matchs par saison, le club résident du FC Sobemai y dispute une compétition anonyme des provinces de Flandres orientale et occidentale, strictement amateure, et d’ailleurs pas même affiliée à la Fédération royale belge de football. Il s’agit ici du football dans son acception la plus brute, la plus pure : le « caféploeg voetbal ». En français : le « football des clubs de café ». 

Mais ce qui rend ce lieu particulièrement unique, c’est que le terrain est entouré de vieux wagons, de locomotives et d’équipements industriels surannés faisant çà et là penser aux tripodes de la Guerre des Mondes. Initialement collectés par Edelhart De Lille, à fins de réalisation d’un parc à thème qui ne vit jamais le jour, ces géants mécaniques furent tout au plus déplacés de part et d’autre d’une pelouse, en 1973, de sorte de libérer l’espace nécessaire aux joutes du susmentionné FC Sobemai, pour sa part créé sept ans plus tôt. Depuis lors, et en dépit de la faillite de son entreprise, l’amour du football d’Edelhert De Lille était tel qu’il autoriserait même le FC Sobemai à occuper le site indéfiniment, en contrepartie d’un loyer symbolique.

Est-ce la Flandre ? Ou bien plutôt un film de Guy Ritchie ?

En 2015 toutefois, la fascinante collection de locomotives, d’engins et de wagons se mettait en branle. La fille d’Edelhart De Lille et ses frères avaient en effet décidé, après quarante ans passés autour du terrain de football, qu’il était temps de reloger les anciennes reliques. Premiers visés : deux wagons et une locomotive de 37 tonnes, d’ores et déjà déplacés vers la Fondation Verbeke à Stekene. Il est vrai que ces deux wagons occupent une place importante dans l’Histoire : tous deux fabriqués en Allemagne, tous deux commandés par Hermann Göring, et tous deux affectés aux déplacements du Général Dwight D. Eisenhower lors de ses visites européennes. 

Ne subsistent désormais plus, encadrant le Stade Edelhert De Lille, que les voitures saisies jadis par Hitler lors de l’annexion de la Lituanie, que des industriels avaient rachetées à l’Allemagne avant de les rénover entièrement. Après-guerre, l’on sait que la Reine Elizabeth y eut recours lors de visites d’Etat, et qu’elles étaient décrites comme étant luxueusement équipées. 

Les numéros de série de ces wagons ont confirmé leur origine, si bien que les héritiers d’Edelhert De Lille espèrent, désormais, qu’ils pourront être restitués à la Lituanie, pour y être conservés dans leur musée national du train. De Lille et ses frères ont créé un site Internet pour débarrasser tous les autres équipements ferroviaires, voitures anciennes, vieux camions de pompiers et grues récupérés par leur défunt père pour le moins excentrique. Après 40 ans durant lesquels ce site extraordinaire resta parfaitement dans son jus, le paysage du terrain du FC Sobemai évolue donc rapidement – une bonne raison de plus pour découvrir cet endroit le plus rapidement possible !

Perspectives de survie : 0/5… ou alors faudra-t-il déplacer la pelouse avec les trains, jusqu’en Lituanie.

4. Sauvé par le kop ?

Pour la première fois depuis la pandémie du Covid 19, il y a à nouveau du mouvement dans la cuisine du « Chalet », taverne des plus plaisantes du stade de Berchem Sport, dit « le Rooi ». Certes l’intérieur de la taverne, harmonieusement dominé par les tons jaune et noir, a-t-il changé de look depuis la crise du coronavirus, et pour cause : certains partisans, ceux-là même qui portèrent le projet de rénovation de la porte d’entrée historique, l’ont désormais transformée en un petit musée :

Le chalet.

« C’est vrai que le temps semble parfois s’être arrêté à Berchem Sport, et c’est le cas ici aussi, au Chalet », s’en explique le chef Pieter. « Mais croyez-moi, il n’est pas désagréable de venir manger ici, parmi ces souvenirs témoignant du riche passé du club. D’ailleurs, regardez (du doigt, il désigne une photo de l’icône locale) : même l’épicurien Ludo Coeck, « l’Italien », a compris que c’était une bonne adresse.»

Jadis, Berchem Sport fut une équipe émargeant à l’élite. Mais désormais, ce sont et le club et son stade qui sont chroniquement menacés de disparition. Le portail restauré, cependant, est déjà une réussite et une première victoire sur le destin, grâce aux bénévoles qui ont réalisé les travaux sous la supervision du supporter et plombier Tim Van Den Brande :

Le portail, durant les travaux de restauration qui le dépouilleraient, enfin, de la gangue noire où il se trouvait prisonnier.

« Le portail était en déshérence depuis des années, ce qui, pour nous autres supporters, était devenu insupportable, alors nous nous sommes mis au travail. J’ai fait à peu près tout ici : le sablage, le nettoyage haute pression, la peinture, le lettrage… Pour être honnête, deux ans plus tard, je suis surpris du résultat final. Il s’est avéré que c’était bien plus beau que ce que j’avais osé espérer : une véritable porte céleste. »

Tim estime également que ce portail mériterait de redevenir l’entrée principale du stade : « Mais alors : avec un pont digne de ce nom pour y accéder, et en remettant au goût du jour les différents kottekes où étaient jadis vendus les billets pour les places assises et debout. C’est le rêve. Mais surtout, surtout ; la grande tribune latérale doit également être sauvée. »

Orphelin déjà de son aigle, le Rooi conserve en effet pour l’heure une grande et belle tribune, dotée de superbes pignons de bois. Mais trop longuement laissé à l’abandon, ce témoin des années de gloire se trouve désormais dans un état épouvantable, et pourrait être démoli. « Le dossier que nous avons introduit pour la sauver a été rejeté par la ville, mais nous ferons tout notre possible pour qu’il soit revenu sur cette décision. Après la restauration du portail, ce serait la suite logique de l’histoire. Il y a beaucoup de gens qui aiment le club et qui sont prêts, comme moi, à se retrousser les manches. Si nécessaire, ils prendront congé ou viendront travailler en dehors de leurs heures de travail, peu importe : il faut sauver ce stade. »

Cette superbe tribune, vestige des heures de gloire du Berchem Sport, est en mauvais état et pourrait être démolie. Mais pas si l’on laisse faire les fans.

Mais revenons-en au portail : réinauguré en septembre 2023, en prélude à une rencontre opposant Berchem Sport aux voisins de Rupel Boom, il serait même honoré par la présence de la fille octogénaire du très inspiré Frans Peeters qui, en 1928, avait dessiné les plans de ce stade aussi monumental qu’élégant. Ce n’est toutefois pas à elle, mais à un supporter âgé lui aussi de 88 ans, l’ancien joueur de première division John Vercammen, que fut demandé de couper le cordon :

« C’est vraiment magnifique. C’était l’entrée principale à l’époque, avec les kottekes juste derrière, où l’on pouvait notamment acheter les billets d’entrée. A l’époque, Berchem Sport était une équipe du plus haut niveau, mais malheureusement nous allons moins bien maintenant. Et pour autant : ces petites tribunes ne valent-elles plus rien ? Fort heureusement, le portail restauré est déjà une véritable réussite, grâce à tous ces bénévoles qui ont réalisé les travaux. Je viens toujours voir tous les matchs à domicile et j’espère pouvoir un jour à nouveau entrer dans le stade par cette porte. C’est un véritable monument. »

La porte céleste, au pied de laquelle trônait jadis un aigle magnifique.

La fille de l’architecte, Luttgard Peeters, témoigne : « Mon père était connu comme un bon architecte. Mais sa spécialité allait plutôt vers les maisons, les églises ensuite… Dans le cas d’espèce, je pense qu’il l’a fait surtout pour le plaisir et pour l’honneur car mon père, à l’instar de tous ces braves gens, était en fait un supporter inconditionnel de l’équipe. Même si, à cette époque, on ne l’appelait pas encore stade Ludo Coeck, mais stade de Berchem. »

Luttgard est également impressionnée par le portail restauré : « Un travail remarquable, il est toujours aussi reconnaissable. La structure d’origine a été conservée, même si à l’époque elle n’avait pas encore de couche de peinture. À l’époque, c’était juste du béton brut. »

Perspectives de survie : 2/5, de premiers engins de démolition ayant investi les lieux à l’automne dernier… Mais les supporters de Berchem Sport n’ont pas dit leur dernier mot.

5. La montagne du loup

Le Wolvenberg, dans toute sa splendeur…passée, et bientôt irrémédiablement perdue ?

Vouée à une implacable, mais pour l’heure impossible destruction, cette tribune monumentale et désormais unique en son genre est ni plus ni moins que l’une des plus légendaires de l’Histoire du football européen, sise au-delà de tout superlatif au regard tant de sa structure que de l’Histoire exceptionnelle qu’un siècle durant elle aura abritée.

Angle Sud du Bosuil. A droite : l’ancienne tribune principale, datée de 1923 et dont la destruction en 2017 acta la fin programmée, à terme, de la mythique tribune du Wolvenberg.

Mais le plus simple car le plus juste, à ce stade du récit, est assurément de laisser la parole à l’un de ces hommes que, parmi ses compatriotes néerlandais et des décennies durant, cette tribune aura voués au diable non moins qu’elle n’y trouvait sa raison, sa justification. Et cédons donc la parole au très jeune et passionné Jeroen Theunis :

« L’été dernier, j’ai vécu une expérience unique en visitant le Stade du Bosuil, antre de l’Antwerp FC. Ce stade m’a tellement fasciné que je n’ai pas pu m’empêcher d’écrire quelque chose à son sujet. Comment se fait-il qu’un stade de football puisse susciter autant d’émotions chez une personne ?

« D’abord il y eut ce fidèle supporter dudit Antwerp qui, quand je lui demandai de m’en indiquer le chemin, me répondit ulcéré : « C’est une honte éternelle, mais qu’importe : il fait et fera toujours partie intégrante du Royal Antwerp! » Intrigué par ce Belge étrange, ce n’est qu’en arrivant que je compris que ce « il » faisait référence au Stade du Bosuil, situé dans la partie belge de la Campine, dans la banlieue Nord d’Anvers. Un endroit et un jour que je n’oublierai jamais. Au départ à dire vrai, il n’était pas du tout prévu que je visite ce stade : c’est à un match de football des jeunes de Willem II que je dois d’avoir été amené en ce lieu, que je suis très reconnaissant d’avoir vu avant qu’il ne disparaisse. »

A gauche : la grande tribune latérale du Wolvenberg : dernier des Mohicans du Bosuil antique, qu’écrase peu à peu l’inéluctable progression du chantier de reconstruction du stade.

« C’est que, la semaine dernière, j’apprenais en effet que le dernier pan nostalgique du Bosuil historique serait lui aussi démoli. Un mal semble-t-il plus que nécessaire, tant la sécurité des spectateurs qu’hébergeait cette tribune était engagée depuis des années. Et je dois dire qu’à moi aussi, cette nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Mais la colère ressentie s’est bien vite transformée en fierté : fier d’avoir pu faire de près l’expérience de ce morceau d’Histoire du football, tant le surnom de « Grand Vieux », comme l’on surnomme le club de l’Antwerp, convient parfaitement à ce terrain sacré, et pour tout dire royal. »

« Rétrospectivement, je me rappelle m’y être senti comme un poisson dans l’eau. La célèbre Tribune 2, autre nom du Wolvenberg, est un labyrinthe et, dans le même temps, c’est aussi un paradis pour tout amateur de nostalgie et de football. Le moindre morceau de béton, la moindre poutre en bois, le moindre millimètre de cette tribune respirent l’Histoire. Durant tout le temps que dura la visite, mon attention ne cessa jamais d’être attirée par cette structure fascinante ; comment diable avait-il été possible de construire une chose pareille ? Le sentiment est palpable à chaque recoin du Wolvenberg : cette tribune a déjà traversé énormément de choses… Et surtout : que dire des matches internationaux héroïques qu’y livrèrent Diables Rouges et Elftal des Pays-Bas ! Ce n’est pas pour rien si ce stade fut surnommé « L’Enfer de Deurne-Nord » : ici, cela fait plus d’un siècle que l’on vient se frotter à la folie du football – c’est-à-dire à ce pour quoi, également, ce sport a été inventé. »

Dans les entrailles du labyrinthique Wolvenberg : l’entrelacs des escaliers.

« Parmi tous les sentiments éprouvés lors de ma visite, je fus profondément touché lorsqu’un visiteur venu assister à un match de jeunes, disputé sur l’un des terrains de football voisins, me lança « Ah, tous ces vieux trucs… Dieu que cette nouvelle tribune est belle, j’adore ces stades modernes. » Ses propos me frappèrent au plus profond de moi-même. Et quoi : que faire alors de toute cette Histoire, de cette nostalgie ? Mais ces mots et ce qu’ils signifient ne figuraient probablement pas au répertoire de cette chère personne. »

« Et peu importe après tout, car quel plaisir ce fut de passer quelques heures à explorer et à parcourir ce Stade du Bosuil. Impossible de m’en lasser, une pièce aussi unique de l’Histoire du football ne devrait et ne pourra jamais être perdue. Et cependant les passionnés, les supporters et les admirateurs doivent se faire une raison : dans quelques mois, la Flandre perdra définitivement ce chapitre physique de l’Histoire du jeu. Et les bancs en bois de la tribune 2 vivront alors pour toujours quelque part, dans une poubelle anversoise. »

Perspectives de survie : 0/5 (tribune condamnée par son état structurel, et plus encore par les ambitions de l’entrepreneur et milliardaire Gheysens… quoique ! Le Wolvenberg semble désormais et durablement en sursis, des suites d’un imbroglio juridique entre le propriétaire foncier de la tribune et ledit promoteur Gheysens, de ses soudaines difficultés financières… et de son désinvestissement bientôt des choses du football ?).

6. Le théâtre des audaces

Sise à mi-chemin de Bruxelles et d’Anvers, la commune de Boom héberge depuis bon vingt ans, sur une immense et vallonnée esplanade herbeuse au bord du Rupel, ce qui passe tout à la fois pour le « meilleur événement musical de l’année », et pour le « festival de musique électronique le plus connu au monde ». Et cependant est-ce aux antipodes de son territoire, et de la pompeuse mascarade donc dudit Tomorrowland, que l’amateur de belles ambiances serait surtout inspiré de se diriger, en l’espèce : en la charmante enceinte du Stade du Parc communal, antre du club de Boom et théâtre fugace, jadis, de joutes parmi les plus extraordinaires jamais vues en première division.

Parfaitement dans son jus, et en tous points identique à ce qu’elle fut du temps de la très offensive saison 1992-1993 : l’antre du Royal Rupel Boom FC.

Objectivement, et en dépit du cachet certain que lui gagnent le cadre arboré et la grande tribune latérale aux allures de boîte à bonbons, ce stade n’avait peut-être pas tout à fait sa place parmi ces sept élus, et l’usurpe peut-être à celui de Dendermonde. Mais la petite histoire qui s’y écrivit sous la plume du phénoménal James Storme, il y a désormais plus de trente ans, mérite mille fois plutôt qu’une que l’on s’y attarde.

Et plongeons-nous donc en 1992 quand, miraculeusement promu dans l’élite, ce club se trouva aussitôt rattrapé par ses créanciers, et d’autant contraint à vendre au plus offrant la poignée de ses joueurs de qualité, parmi lesquels le très prometteur international Espoirs Glenn De Boeck – si fort, selon Storme, qu’il avait pu se « permettre, pendant toute la saison en division 2, de n’évoluer en défense qu’avec deux arrières ».

James Storme, durant ses années folles au Standard.

A telle débandade, n’importe quel entraîneur se serait effondré, ou aurait aussitôt pris ses jambes à son cou. Mais le dénommé James Storme, transfert-record du Standard trente ans plus tôt, en ce temps lointain où avait été commun et opportun de l’appeler « James Bond », n’était pas un entraîneur comme les autres – et d’ailleurs, à dire vrai : avant d’arriver à Boom, c’est à peine s’il avait déjà entraîné de sa vie.

Et c’est donc fidèle en toutes choses à son style belmondesque, qui lui avait gagné jadis l’halluciné compagnonnage du mythique Roger Claessen, que Storme décida que, foutu pour foutu, le plus simple serait encore que son équipe jouât au moins à son image : sans le moindre complexe, dans le refus effréné d’adapter sa tactique à celle de l’adversaire, et en comptant bien démontrer que le football était davantage une histoire de confiance en soi que de tableau noir – ou ainsi qu’il résumerait également l’affaire, avec un bon sens certain : « Quand on est faible il faut être malin, et ne surtout pas faire comme les autres. »

Alors certes, s’il pilotait déjà une criarde Ferrari Testa Rossa jaune dans la vraie vie, il en allait tout autrement du noyau mis à sa disposition, que son statut de « membre éternel du Standard » lui permettrait cependant d’étoffer vaille que vaille, en obtenant le prêt de moult joueurs rouches en déshérence du côté de Liège, parmi lesquels Ernst, Delcampe, De Meersman, Snow, Tykva…et, le plus célèbre quoique des moins doués d’entre tous : le dénommé Stalin Rivas.

Quoique incomplet : le groupe des joueurs et le staff, saison 1992-1993.

Désormais enrichi – mais tout était relatif – par l’arrivée de cette demi-équipe de semi-réservistes, le flamboyant Storme pouvait enfin entreprendre la mission de sauvetage la plus invraisemblable de l’Histoire du football belge laquelle, contre toute attente et en dépit d’un nombre jusqu’alors jamais vu de buts encaissés, verrait le Petit Poucet des bords de Rupel tenir miraculeusement bon, avec un panache exceptionnel, jusqu’à deux journées du terme de la saison.

Avec sa Pépette.

Dans la foulée, il tiendrait sept ans encore dans ce milieu, « un monde où la mafia et le charlatanisme règnent en maîtres. Je suis sidéré par les sommes qu’on y dépense, pour des entraîneurs souvent nuls, archi-nuls sur le plan tactique. J’ai eu honte de voir jouer le Standard à l’Antwerp. Haan s’est d’abord plaint d’avoir cinq titulaires absents. Puis s’est déclaré après coup satisfait du comportement de ses joueurs… »

« On devrait lui infliger une lourde amende pour avoir osé dire des stupidités pareilles. Anderlecht n’a pas fait mieux la veille. Tous ces entraîneurs évoluent avec la peur au ventre. Qu’on me donne un jour leurs moyens, et je vous jure qu’on verra du spectacle. Je suis prêt à passer la main, dans mes affaires, pour me consacrer essentiellement à cette mission. Mais il faudra évidemment me donner d’autres arguments qu’à Boom, où nous n’avons d’autre issue que de lutter pied à pied pour sauver notre peau. (…) Quel dommage que je n’aie pas ici le matériel pour appliquer mes idées. »

Pour de bon rangé du petit banc au tournant de l’an 2000, au profit d’une carrière prodigieuse dans le négoce des métaux, qui le rendit immensément riche : qui sait ce qu’eût pu advenir du football belge, si de plus déraisonnables moyens avaient été confiés à cet homme d’évidence doué pour transformer ce qu’il toucha en or ?

Perspectives de survie : 4/5… et que le Tomorrowland reste bien où il est !

7. Little Ireland

Sommes-nous toujours en terres belges, ou bien plutôt déjà en cette Angleterre dont la Flandre était (et reste?) le « pistolet braqué sur le continent » ?

Mais il se pourrait aussi que nous soyons déjà en Irlande, et en celle du Nord plus précisément, ainsi que semblent le suggérer les moult fresques murales aux dominantes vertes et blanches, qui ceinturent et égaient le stade sur le moindre de ses murs dressés.

Et cependant, ici : c’est bien la Belgique. Et même son siège religieux, car nous voici parvenus à Malines. Terminus de cette randonnée parmi la Flandre des stades… mais quel stade que celui-ci !

En fait de peintures murales, c’est dès le portail passé que se dévoile sans doute la plus belle d’entre toutes : le portrait d’Oscar Vankesbeeck, ancien joueur et président du club. Qui dès ses 18 ans avait accédé à la Présidence du Racing Malines, avant de cumuler cette fonction avec une carrière politique remarquée puis la Présidence de l’Association Royale Belge de Football. 

Rattrapé par la folie des hommes, le patriote Vankesbeeck serait arrêté par les Allemands en 1942, et aussitôt emprisonné dans le camp de concentration voisin de Breendonk. Un an plus tard, enfin libre mais irrémédiablement brisé, le grand homme mourrait d’une maladie du foie, contractée des suites des mauvais traitements reçus.

L’accès aux tribunes, explicite : « Bienvenue en l’enfer du Racing Malines. »

Sinon en sa tribune principale, les gradins du Stade Vankesbeeck sont pour l’essentiel en configuration debout, et peu portés à l’élévation. Bien que les fresques pullulent où que l’on soit, et justifient amplement d’effectuer un tour complet du stade, le doute n’est bientôt plus permis : c’est surtout aux abords de la tribune principale que cela se passe, encombrée de détails naïfs, touchants et cependant des plus harmonieux.

Pour le reste, il est superflu de s’attendre à du football de haut niveau : en cette atmosphère d’essence viscéralement britannique, c’est le long-ball qui prime! Et c’est bien sûr aux soirs de derby, face au rival illustre et honni du KV Mechelen, qu’est tout particulièrement recommandé d’assister ici à une rencontre. Mais c’est, alors, qu’il vaut probablement mieux ne plus trop tarder…

La tribune principale, splendide et arborant la devise du club : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin. »

La direction du Racing, en effet, escompte depuis 2022 que soit construite une nouvelle enceinte, qui remplacerait radicalement la moindre particule de ce cénacle aux accents irlandais. Prévu pour 2026, son érection pourrait toutefois traîner conséquemment, au rythme de ces recours divers et variés dont est coutumière la Belgique.

Extinction des lumières, sous les auspices du monumental blason du club.

Aussi, qui sait : le Stade Vankesbeek trouvera-t-il quelque bienvenu répit, à ces possibles tracasseries posées sur le chemin de la modernité ? C’est tout le mal qu’on souhaite à ce vénérable ancêtre, sénilement doué de l’âpre et héroïque saveur des footballs d’autrefois.

Perspectives de survie : 1/5 ; l’universel appétit des promoteurs n’ayant probablement d’égal, qu’aux détours kafkaïens de la bureaucratie à la belge.

Eussent pu, voire dû, être cités :

Tribune principale du Maccabi Hoboken, dans la banlieue Nord d’Anvers. Assez contre-intuitivement, ce n’est pas dans ce stade, mais dans celui plus au Sud de Berchem, que se disputèrent les rencontres de football des célèbres Maccabiades anversoises de 1930.
A Courtrai, tribune typique des structures dites « Elascon » – dont nous reparlerons bientôt !
S’il est un stade qu’il est regrettable de n’avoir plus amplement développé : c’est alors assurément celui-ci, à Termonde et au confluent de l’Escaut et de la Dendre! Stade unique, récipiendaire notamment d’une tribune atypique en chêne, datée de 1925, le Stade dit « du Ros Carillon » ou « du Cheval Bayard » est un must pour tout visiteur d’entre Anvers et Gand! Auquel cas l’idéal est si possible d’en calquer la visite sur l’extraordinaire procession du même nom qui, tous les 10 ans, transforme la bonne ville de Termonde en incontestable capitale mondiale du folklore.
Le très britannique « Schiervelde », à Roulers. Empreint d’un beau caractère.
Stade du FC Mallo Zonhoven, là même où feu Roger Nilis fonda jadis une école de football. Et où son illustre fils, le dénommé Luc, effectua ses premiers pas.

22 réflexions sur « Il était un stade, une fois (1/3) : La Flandre »

  1. Je vais encore être dans la dithyrambe… Magnifique article, plein de poésie, nous guidant vers des lieux inconnus ou chargés d’histoire.
    À propos du Bosuil et de sa tribune principale, tu indiques qu’elle fut édifiée en 1923, soit après les JO d’Anvers ? Tu en connais les raisons ?

    0
    0
    1. Trop d’honneur votre honneur.

      Bosuil, JO..? Je crois distinguer un malentendu, apporter donc cette précision dans le doute : ce n’est pas au Bosuil (antre de l’Antwerp) mais au Kiel (antre du Beerschot, au Sud de la ville) qu’eurent lieu les JO de 1920 – quoique, pour ce qui fut du tournoi olympique de foot et nous y viendrons : d’autres terrains aussi furent mobilisés (dont le plus beau d’entre tous, bientôt).

      Pourquoi ce développement, et même cette inflation stadiale, du Bosuil dans les 20’s et 30’s? Là-dessus il n’y a aucune ambiguïté possible, c’est archi-documenté : pour répondre aux besoins du derby des Plats Pays! (NB : la deuxième photo associée au chapitre « Wolvenberg » se passe de commentaires)

      Idem du reste concernant l’érection du Kuip à Rotterdam : il s’agissait de construire des enceintes susceptibles de satisfaire vaille que vaille au succès populaire de cet affrontement annuel.

      Dont acte : 60.000 places…….officiellement ; en fait il est à peu près certain qu’il y eut plus de monde que cela en tribunes.

      0
      0
      1. Bah voilà, je croyais qu’il s’agissait également du stade olympique… je me suis laissé avoir par la piste en cendrée. Capito !

        0
        0
  2. Superbe !
    A propos d’Antwerp ou Anvers (ville qui m’a toujours déplu et laissé indifférent pour te le dire sincèrement).. Donc le Royal Antwerp (ça se dit toujours « royal ») c’était bien eux qui etaient en « partenariat » avec MU ? En tous cas, ça sentait la magouille ce truc… Sinon spn rival Germinal Beerschoot, il me semble que ce club a ete et « refondé » ?

    Et quitte à parler d’Anvers, de Malines, du riche football anversois … quid de Lierse ? Club disparu/refondé lui aussi ?

    (PS: Derniere question, Anvers toujours. Tu evoques le Maccabi Hoboken, c’est (toujours ou cela ne l a jamais été) un club (strictement/majoritairement) communautaire ?)

    0
    0
    1. Fissa avant de partir au resto à Saint-Trond!

      Anvers : j’aime bien mais je comprends, mentalité et atmosphère brin prétentieuses, l’impression d’ensemble est froide et ce n’est pas qu’une impression. Mais il s’y trouve de ces endroits, parfois hors les sentiers battus certes..et, surtout : offre culturelle inégalée en Europe pour une ville de cette taille, le bagage et les potentialités d’une mégapole dans les murs d’une agglo de 800.000 habitants, sur ce plan-là c’est extrêmement riche et dense..avec des plages géniales à une heure de route, gastronomie au top.. ==> Qualitativement c’est top.

      Antwerp-United, oui..mais la vraie, grosse quenelle : ce fut Beerschot-Ajax, les « Ratten » (surnom des Beerschotman) se sont bien faits baiser, eux.

      Germinal Ekeren? Ah ben eux ont été baisés par le Beerschot, lol.. ==> C’est une chaîne alimentaire, le foot pro.. C’était un chouette club le Germinal, destin bien regrettable..

      Maccabi Hoboken? Hier très certainement..et aujourd’hui encore il me semble : un club communautariste, oui. En tribune, j’ai souvenir de deux-trois gravures ou photos ou ???, témoignant de ces Maccabiades qui ne s’y sont donc pas déroulées (ce que je n’ai appris qu’il y a un ou deux mois environ).

      Le Lierse………. : c’était l’un de mes clubs préférés, disparition douloureuse…… ==> Je lui consacrerai un article à part entière, le plus grand des petits clubs belges : un gros morceau par chez nous!

      1
      0
    1. Ca n’a absolument rien changé à ma vie – ni à celle de mes compatriotes, a priori??

      Il me semble que les NL sont en train de ou ont tout bonnement battu ce record?? Vaguement entendu parler de ça en écoutant l’une de leurs stations, mais..??

      Je vous assure en tout cas qu’on y survit, ni plus ni moins que d’habitude 😉

      0
      0
    1. Tous. Soit à l’occasion de matchs officiels (ici : Wenduine, Antwerp et Boom). Soit comme badaud (les autres).

      Concernant ce premier volet, il en est deux que j’ai vus, revus et rerevus : Wenduine d’abord, car j’ai mes habitudes dans le coin (je ne goûte guère la côté belge, mais De Haan est vraiment une très, très belle station balnéaire, et les plages sont formidables dans ce coin-là – le reste : globalement à oublier)…..et Berchem ensuite, que j’ai pu voir des dizaines de fois en train (la ligne Bruxelles-Anvers le longe peu avant l’arrivée à Anvers), avant d’y aboutir enfin en me promenant à pied.

      Par contre presqu’aucune photo ne sera de moi : je n’en prends jamais, pas le temps d’y retourner pour vos beaux yeux.. ==> Les crédits suivront.

      0
      0
  3. Ah, pour Dip, j’oubliais! J’ai été incapable d’en retrouver la moindre photo, mais le Racing Malines ci-abordé fut entraîné il y a un quart de siècle par l’un de tes, si pas tout bonnement par ton (??) joueur préféré……….

    Lubanski aussi est passé sur leur petit banc.. J’aurai plus l’occasion de développer le passage d’un troisième grand nom du foot mondial plus tard, l’occasion fera le larron.

    0
    0
      1. Un Géorgien à moitié chauve, nondidjoss.. ==> Il a entraîné le Racing Malines, a priori sa seule expérience à l’Ouest.

        1
        0
      2. J’ai pensé à lui, mais j’aurais jamais deviné ^^
        Je ne pensais pas qu’il avait eu une expérience à l’ouest justement. Merci pour ma culture 🙂

        0
        0
      3. De mémoire c’est une histoire bizarroïde, des investisseurs et/ou des fonds géorgiens??? Le fait est que l’entraîneur Kipiani faisait partie du deal/package. Mais il subsiste extrêmement peu d’infos là-dessus, pourtant ce n’est pas si vieux comme histoire, étonnant..et ce pourquoi j’ai préféré faire l’impasse là-dessus cette fois-ci, peut-être que si je tombe sur un truc un jour..??

        Je compte bien retourner au Racing (mais pour un match, cette fois!) avant qu’ils ne détruisent cette extraordinaire tribune, je demanderai à l’occasion.

        1
        0

Laisser un commentaire