A la fois écho et fer de lance des mouvements féministes des années 1920, elle fut la première footballeuse professionnelle d’Espagne.
Elle pose adossée à un poteau, léger sourire aux lèvres et rayonnante de fierté. Elle porte un maillot blanc, une jupe et des chaussettes noires et des crampons, et elle maintient le ballon fermement bloqué sous sa semelle. Derrière elle, le public se masse le long de la main courante. Sa place sur le terrain ne fait aucun doute : elle participe à la rencontre du jour, probablement en tant que gardienne. Elle, c’est Irene González Basanta.
Sa place sur le terrain n’a pourtant rien d’une évidence. A l’époque, il est mal vu pour une femme de faire du sport. C’est au mieux indécent, au pire carrément vulgaire. Les femmes doivent être féminines avant tout, et jouer au football ne correspond pas à l’idée que l’on se fait d’elles. C’est ce que précise par exemple le journal de Vigo El Pueblo Gallego dans son édition du 18 juillet 1926 : « La galanterie est en conflit avec la femme sportive et, quoi qu’on en dise, la galanterie est le début de l’amour. C’est pourquoi nous demandons que la femme sportive ne cède pas. »
En 1926, cela fait déjà un petit moment que les exploits d’Irene González sur les prés galiciens cristallisent les débats. Née en 1909 à La Corogne, Irene joue au football avec ses frères dans la rue. En grandissant, elle défie l’autorité parentale – et particulièrement de son père policier – et joue comme attaquante au Barcelona FC, un club de quartier de sa ville natale. Elle joue ensuite au Racing Coruñés.
Irene Football Club
Seule femme parmi les hommes, sa présence étonne souvent. Certains sont choqués par sa présence dans un sport tout à fait masculin, d’autres sont surpris par la qualité de ses performances. Irene s’est faite gardienne de but et ses plongeons téméraires attirent tout particulièrement l’attention.
L’année 1924 marque un tournant dans sa carrière. Lassée par la mauvaise organisation des petites équipes avec lesquelles elle évolue, elle décide de fonder son propre club. C’est ainsi que naît, en janvier 1925, l’Irene FC, où Irene est présidente, capitaine, gardienne de but… et la seule femme de l’effectif. Elle a alors 16 ans.
Grâce à ce club, elle devient aussi la première Espagnole footballeuse professionnelle. Elle organise les tournées de matches amicaux de son équipe à travers la Galice, mais aussi dans d’autres régions d’Espagne. Et ces rencontres attirent un public curieux de la voir évoluer, au point que sa présence sur le pré devient obligatoire pour assurer la tenue des matchs. Elle organise même un tournoi rassemblant 18 équipes pendant l’été 1925. Pour Irene, il est hors de question de jouer sans être payée. Et c’est cette intransigeance qui la fait rentrer dans l’histoire de l’Espagne comme première footballeuse professionnelle, à une époque où les hommes eux-mêmes jouaient le plus souvent gratuitement.
Ce sont les femmes, surtout, qui soutiennent Irene. Beaucoup d’entre elles voient une façon de faire évoluer la société. Si une adolescente parvient à jouer avec des hommes, pourquoi les autres femmes ne pourraient-elles pas l’imiter ? Cris d’effroi des plus conservateurs, cris de joie des plus progressistes, le débat est vif sur la place des femmes dans la société.
Une épopée sans lendemain
La carrière d’Irene sera malheureusement trop brève pour avoir marqué une véritable trace dans l’histoire du football espagnol. Traitée de garçon manqué, vue comme « grossière » ou « indécente » par la frange conservatrice de la société, elle ne se laisse pas démonter pour autant. Mais c’est une épidémie de tuberculose qui aura raison de la jeune gardienne. La maladie, qui a fait 14 704 victimes en Galice entre 1924 et 1927, emporte d’abord ses parents ainsi que ses frères et sœurs. Puis Irene s’éteint à son tour en 1928.
Malgré ses efforts, sa présence sur les terrains de football n’a pas eu d’effet boule de neige en Espagne. La jeune femme n’avait pourtant pas été la première à fouler les pelouses. Pendant l’été 1914, le Spanish Girl’s Club promouvait le football féminin, mais sans être payé pour jouer.
Le parcours d’Irene sur les pelouses fait écho aux différents mouvements féministes de l’époque. Las Sinsombrero, des artistes ayant décidé de sortir tête nue (privilège alors réservé aux hommes uniquement), mais aussi le Lyceum Club sont les fers de lance du progressisme, qui aboutira à l’obtention du droit de vote pour les femmes sous la Deuxième République, en 1931.
Mais l’arrivée au pouvoir de Franco, en 1936, met fin aux progrès sociaux en faveur des femmes ainsi qu’à toute volonté de promotion du football féminin. Le premier tournoi a lieu en Catalogne en 1971, mais le football féminin n’est reconnu par la fédération qu’en 1980. Et le premier championnat national voit le jour lors de la saison 1988-1989. Mais il faudra attendre encore jusqu’à 2020 pour que le championnat espagnol soit entièrement professionnel.
Bel article sur un beau personnage.
Merci Modro. Un de tes meilleurs textes. Forme, contenu et originalité. Bravo!
Le foot espagnol au féminin, si il est de haut niveau aujourd’hui, a mis du temps à se développer. La section féminine est absente lors des premières Coupes du Monde et ne joue pas de rôle particulier en Europe. On peut souligner son émancipation depuis une quinzaine d’années.
Très bel article, merci.
Il y a aussi le cas de « Veleta », Ana Carmona Ruiz, une femme qui se faisait passer pour homme et jouait avec le Sporting Club de Málaga dans les annés 1920.
Sa page wikipedia : https://es.wikipedia.org/wiki/Ana_Carmona_Ruiz
Cette page cite plusieurs articles sur elle, parmi ceux-ci le plus intéressant est (en espagnol, bien sûr) : https://www.publico.es/sociedad/veleta-jugador-futbol-mujer-malaga.html
Désolé Bison. Ton post était passé en indésirable. Ça arrive parfois quans on met plusieurs liens sur un post!
No pasa nada.
!! Fake news !! Elle a un maillot des girondins, et le scapulaire n’apparait qu’en 1939, soit 11 ans après sa mort.
OVNI?
Très bon article, On avait travaillé ensemble sur Marcel-Saupin qui était le meilleur, celui-ci prend le relais. Aussi beau qu’une mine au premier poteau sur corner direct.
En parlant de foot féminin, Marta doit arrêter la sélection après les J.O. Vous la voyez comme la plus grande de l’histoire ?
C’est pas Wendy Renard la plus grande ?
Marta effectivement dans le genre légende c’est quelque chose. C’est impressionnant d’avoir une telle longévité.