Je me souviens… (deuxième partie)

Où le doyen de notre rédaction, seul représentant des boomers, chers (dans tous les sens du terme) à un certain ex-Premier ministre, nous offre une nouvelle cargaison de souvenirs de foot (mais pas seulement) des années 1956-1972.

30

Je me souviens de Stade français-Nîmes (3)

Un camarade de classe, Alain Maresqual (ou un nom dans le même genre, je ne sais plus trop), un cancre qui ne pourra même pas être admis en quatrième et supporter du Stade français – il rêvait d’y être licencié, mais il devra se contenter de jouer à l’AS Drancy – me propose d’aller au Parc ce dimanche 20 mai 1962. Je dis OK mais au lieu de partir ensemble, idée bizarre, il préfère qu’on se retrouve sur place devant la tribune E ou F. J’aurais dû sentir le piège…

Je pars très en avance. Pour aller de Drancy au Parc des Princes, c’est toute une expédition. Il faut, en partant de la caserne de la Muette, traverser la Cité de la Muette – de sinistre mémoire – jusqu’à la station de bus, ensuite se taper en métro la traversée de Paris – mais sans cochon dans une valise cette fois-ci, et encore sans RER – de Porte de Pantin à Porte de Saint-Cloud. J’arrive devant la tribune en question ; je poireaute, puis ayant compris qu’une fois de plus, il avait merdé, je rentre. Je me trouve entouré de types bas de plafond et ras la casquette. Je ne suis pas au bout de mes surprises.

À suivre…

31

Je me souviens de « L’impossible remontée » du Real Madrid en quart de finale retour de C1 contre Benfica, le 17 mars 1965. À l’aller, les Madrilènes avaient subi une déroute à Lisbonne, 5 buts à 1. Les 100 000 spectateurs de Bernabéu – Bernabeu comme dans bœufs, prononce Thierry Roland – sont chauffés à blanc, promettant l’enfer aux Lisboètes. Il faut 4 buts au Real pour espérer disputer un match d’appui (les buts à l’extérieur ne comptant pas encore).

La tension est palpable entre Espagnols et Portugais. Je ne parle pas du stade Santiago Bernabéu, mais bien plus prosaïquement de la salle de télé du Centre d’hébergement de la Coudraie, dont mon père était le directeur – le domaine de la Coudraie étant situé à 3 km de la gare de Poissy et à 7 km de celle de Saint-Germain-en-Laye, autant dire au milieu de nulle part.

Ce centre hébergeait Français, Espagnols, Portugais et Maghrébins, la grande majorité travaillant aux usines Simca, marque emblématique des Trente Glorieuses devenue Chrysler, puis Talbot, puis… disparue.

La salle est pleine à craquer, les plus chanceux arrivant de bonne heure pour être assis dans les premiers rangs, les autres se contentant d’une place debout dans le couloir, espérant apercevoir un bout d’écran, tout en captant de loin la douce voix métallique de Thierry Roland. La délivrance arrive dès la 10e minute par Grosso sur une passe lumineuse de Ferenc Puskás qui, malgré ses presque 38 ans et son début d’embonpoint, a de fort beaux restes. L’exploit est en marche ! À chaque occasion manquée, c’est l’explosion de frustration chez les Espagnols et le soulagement chez les Portugais, les Français observant pour l’occasion une neutralité quasi-helvétique. Le Real manque de réussite et ce qui devait arriver arrive : Benfica égalise par l’intermédiaire d’Eusebio. C’est la consternación.

Amancio manque beaucoup et Gento n’a plus ses accélérations foudroyantes d’antan. En deuxième période, Puskás manque un penalty en tirant mollement sur Costa Pereira. À partir de là, le Real n’y croit plus. Les fautes se multiplient. L’énervement est à son comble. Une poignée d’excités jettent des bouteilles sur le terrain. À chaque accrochage, ça s’envenime dans la salle, on frôle l’incident. Le joli de but de Puskás calme un peu les esprits. C’est fini, Benfica jouera les demi-finales, puis perdra en finale contre l’Inter. Dans un an, grâce aux « Yé-Yé », les supporters madrilènes auront oublié ce match.

32

Je me souviens que, bien qu’il s’appelât René Ferrier, l’infatigable milieu de terrain stéphanois ne chômait jamais sur un terrain, tellement il était dur au labeur.

33

Je me souviens des doubleurs qui prêtaient leurs voix – reconnaissables au premier mot – aux acteurs américains : Marc Valbel (Randolph Scott, Gregory Peck), Hubert Noël (Tony Curtis, Elvis Presley), Roger Rudel (Kirk Douglas), Jean Davy, André Falcon, Jacques Dacqmine, Claude Bertrand (Burt Lancaster), Raymond Loyer (John Wayne) Georges Aminel (Yul Brynner et plus tard… Dark Vador), Maurice Dorléac (Alan Ladd), Roland Ménard (Glenn Ford), Michel André (William Holden), Raoul Curet, Jacques Erwin (Victor Mature), Michel François (James Dean, Montgomery Clift, Anthony Perkins), André Valmy, Jacques Berthier, Jean Martinelli, Roger Tréville (James Stewart et Robert Mitchum), Jean Clarieux (Anthony Quinn), Claude Péran (Humphrey Bogart), Jean-Claude Michel, Jean-Pierre Duclos (les premiers Sean Connery), Roger Dynam (Jerry Lewis), Jacques Deschamps (Robert Stack, Clint Eastwood), Jacques Thibaut (Steve McQueen), Marc Cassot (Paul Newman), René Arrieu, Serge Nadaud (Spencer Tracy, Edward G. Robinson), et bien d’autres. En revanche, Il n’y avait que quatre ou cinq doubleuses dont Jacqueline Porel, Claire Guibert et Lita Recio qui doublaient toutes les actrices, et ça, c’était très gênant : du grand n’importe quoi.

34

Je me souviens qu’hormis Johnny Hallyday, « l’idole des jeunes », les « stars » du rock (ou plutôt un ersatz de rock and roll), dont l’amateurisme le disputait à la ringardise, avaient pour noms évocateurs :

Eddy Mitchell et Les Chaussettes noires, Dick Rivers et Les Chats sauvages, Danyel Gerard (qui ne portait pas encore son chapeau à la con), Billy Bridge (le « Prince du madison »), Lucky Blondo et les Lucky Stars, Long Chris et Les Dalton, Danny Boy et ses Pénitents, Dany Logan et Les Pirates, Vic Laurens et Les Vautours, Moustique, Vigon (le « Little Richard français »), Rocky Volcano et ses Rock ‘n’ rollers, El Toro et Les Cyclones (avec un jeune guitariste nommé Jacques Dutronc), Frankie Jordan et Les Jordanettes, Dany Fisher (nom d’Elvis dans King Creole), José Salcy et Ses Jam’s, Larry Greco, Bobby Chano et ses Channettes, dont l’unique 45 tours Le Rock crépusculaire / Vivre en immersion / Modiano twist / Mes amours danubiens et rioplatenses, se vendit à 500 exemplaires. L’enregistrement est aujourd’hui introuvable, même sur les plateformes de streaming les mieux achalandées.

35

Je me souviens que la première émission des Dossiers de l’écran traitait des criminels de guerre nazis et que le film choisi pour l’occasion ce soir-là était Les maudits de René Clément. Pour le débat (très orienté) n’avait été invité aucun ancien nazi.

C’est pendant la diffusion de L’homme de Kiev, toujours dans le cadre des Dossiers de l’écran, mais bien plus tard, qu’un bandeau défilant en bas de l’écran nous apprit la mort de Georges Pompidou.

Son corps était encore chaud que déjà Jacques Chaban-Delmas annonçait, sans la moindre décence, sa candidature à la future élection présidentielle. Bien mal lui en prit car il se ramassa une casquette mémorable, lui, l’ancien tennisman et trois-quarts aile bordelais qui compte quand même une sélection avec le XV de France contre l’équipe des forces armées de l’Empire britannique, en 1945.

36

Je me souviens que sous de Gaulle, l’opposition avait droit à son quart d’heure mensuel à la télévision.

37

Je me souviens que dans La femme à abattre, Martin Ferguson, l’attorney interprété par Humphrey Bogart (doublé par Claude Péran), lançait cette dernière réplique :

« Ça y est, Miss Vetto, vous pouvez sortir. Nous avons rendez-vous, tous les deux, au tribunal. Je veux voir enfin s’effacer le sourire de Mendoza quand il reverra vos grands yeux bleus. » 

38

Je me souviens que Roger Lanzac, le mythique présentateur de La piste aux étoiles, était surnommé « Télé-poches » en raison des énormes « valises » qu’il avait sous les yeux.

39

Je me souviens que Dalida, Gloria Lasso, Maria Candido, Dario Moreno, Los Machucambos et Bob Azzam apportaient une touche exotique de pacotille, essentielle pour les après-midi-dansants.

40

Je me souviens de Stade français-Nîmes (4)

Mais qui a eu l’idée saugrenue d’organiser avant ce match décisif, le championnat de poursuite sur piste ? Que ce fut long, surtout l’épreuve de demi-fond où les poursuiteurs roulaient derrière des espèces de bécanes qui font un boucan d’enfer… Paraît que ça s’appelait des stayers.

Vient enfin le match. Dès le début, on sent que quelque chose ne tourne pas rond chez les Nîmois. On les sent inhibés. Ils ont dû jouer ce match dans leur tête à maintes reprises pendant les trois semaines d’interruption. Ils semblent cloués au sol. Les Stadistes, pourtant pas des foudres de guerre, jouent à la « pépère » sans leur meneur de jeu suisse Norbert Eschmann, déjà parti au Chili. Antoine Bonifaci, qui a tendance à s’empâter, a de plus en plus de mal à traîner sa caravane – et les caravanes de l’époque, c’est pas le confort de maintenant. Même Bettache semble timoré : quelques tacles plus ou moins appuyés, pour ne pas ternir sa réputation et histoire de recevoir sa bordée de sifflets habituelle, et c’est tout.

 À suivre…

41

Je me souviens du fan club Elvis, à St-Ouen. On était une bande de jeunes qui se fendaient la gueule. Tous les samedi après-midi, on se déchaînait et s’éclatait sur du rock, et c’était à qui avait le meilleur jeu de scène Presley. A cet exercice, je n’étais pas le moins habile.

42

Je me souviens que les fans d’Elvis les plus lucides éprouvaient souvent la honte devant ses films (on employait aussi le mot hachma).

Quand j’étais allé voir King Creole pour la première fois – le seul film que les vrais sachants sauvaient – dans un cinéma de semi-loubards à Edgar Quinet, en arrivant sur le quai du métro, j’ai voulu frimer et descendre en marche. Je me suis ramassé un de ces gadins… et un gadin de Paris, c’est tout un poème, évidemment !

Sur les légendaires rames Sprague (retirées du service en 1983, ici en 1971 sur la ligne 6 pas encore sur pneus), le voyageur chevronné (et habile…) pouvait forcer la fermeture pneumatique des portes et descendre un peu avant l’arrêt complet. Un plaisir impossible de nos jours !

43

Je me souviens que Daniel Filipacchi, qui animait l’émission Salut les copains, avait organisé un concert place de la Nation pour fêter les 20 ans de Johnny Hallyday. Mais il ne s’attendait pas à ce qu’une centaine de milliers de jeunes convergeât vers ce lieu chargé d’histoire. Les spectateurs s’installèrent un peu partout : sur les toits des bagnoles en stationnement, debout sur des chaises de bistrots, sur les toits des immeubles, dans les arbres, ou carrément chez les habitants dont les fenêtres donnaient sur la place. Evidemment, le lendemain, la presse de droite, pour quelques dégâts matériels, compara les jeunes à des sauvages, voire à des hordes de nazis. C’est après cet évènement qu’Edgar Morin créera le terme de « génération yé- yé ». Comme tout le monde n’était venu que pour Johnny, les autres artistes – peu aidés par une sono catastrophique – furent sifflés du début à la fin, en particulier, Richard Anthony, qu’on surnommait le « Tino Rossi du Twist » – c’est dire la mobilité et le dynamisme du bonhomme – et la pauvre Sylvie Vartan, qui chanta constamment faux. (Mais comment a-t-on pu en faire une vedette ?) Seul Johnny paya de sa personne, comme d’habitude.

44

Je me souviens de l’Allemand Armin Hary, premier sprinter à courir le 100 mètres en 10 secondes pile au chronométrage manuel. Il avait la réputation de « voler » souvent ses départs en partant dans le coup de feu du starter, chose désormais impossible avec le chronométrage électronique apparu en 1968. A Rome, il devint même le premier Européen vainqueur d’un 100 m depuis le Britannique Liddell en 1924 (évoqué dans le très surfait Les Chariots de feu).

45

Je me souviens que Peter Snell, un des plus grands coureurs de demi-fond de tous les temps, champion olympique du 800 mètres à Rome, réalisa à Tokyo le doublé 800-1500 m, exploit jamais réédité depuis. Il terminait généralement ses courses tout juste essoufflé, avec 5 à 10 mètres d’avance sur ses concurrents carbonisés. Il fut désigné « athlète néo-zélandais du siècle ».

46

Je me souviens, aux Jeux olympiques, de Bob Hayes, véritable obus humain, de l’élégant Roger Bambuck, de la grande Colette Besson, du fantastique Tommy Smith, de Valeri Brumel, prince du ventral, du saut d’extra-terrestre de Dick Fosbury, de Valeri Borzov qui battit les sprinters américains à Munich, d’Al Oerter quatre fois de suite médaille d’or au marteau, de la légende du marathon Abebe Bikila, des sœurs Goetschel, de Jean-Claude Killy, du bond prodigieux de Bob Beamon, de Peggy Fleming, la reine de la glace, et de Wilma Rudolph, la « Gazelle noire », championne olympique des 100 m, 200 m et 4×100 m, à la foulée d’une amplitude phénoménale.

47

Je me souviens de la foulée majestueuse de Michel Jazy. Vice-champion olympique du 1500 mètres à Rome et sociétaire du CA Montreuil, il aurait mérité mieux qu’une seule médaille olympique vu son immense talent. Il se « contentera » de deux titres européens, sur 1500 m en 1962 et sur 5000 m en 1966.

48

Je me souviens d’Abdou Seye, un sprinter d’exception, le seul qui fut à la fois recordman de France du 100 m, du 200 m, et du 400 m. Désigné favori du 200 m de Rome par son idole et ami Jesse Owens, il ne supporta pas le poids des responsabilités, décrochant seulement la médaille de bronze de l’épreuve remportée par l’Italien Livio Berruti dans l’ambiance de folie que l’on devine. Il devint à la fois le premier sprinter français et le premier athlète d’origine sénégalaise à décrocher une médaille olympique. Ironie de l’histoire, il aurait pu courir pour le Sénégal, indépendant depuis peu, mais le nouveau pays n’avait pas encore de Comité national.

Quelques années plus tard, il deviendra ministre des Sports du Sénégal.

49

Je me souviens de la joie indescriptible qui s’empara des hockeyeurs tchécoslovaques après leur victoire contre l’URSS à Grenoble. Joie qui n’eut d’égale que la folie des basketteurs soviétiques après leur panier victorieux au buzzer contre les États-Unis à Munich.

5 réflexions sur « Je me souviens… (deuxième partie) »

  1. Entre l’absence du moindre ancien nazi pour le débat, mais la présence déjà de je ne sais quel Eichmann en Amérique du Sud : c’est chaud!

    Wilma Rudolph, sans doute la figure qui m’avait le plus marqué en feuilletant enfant un ouvrage de mon père.

    T’es où dans l’arbre??

    0
    0
    1. Quelle galère pour se reconnecter. Mot de passe oublié. Tenté 7 fois un nouveau mot. On m’impose un mot de passe complètement invraisemblable.
      Je m’aperçois que le 42 n’a pas été corrigé. Il faut enlever la dernière phrase, c’était une remarque de ggg. J’espère qu’il n’y a pas d’autres coquilles, à part le fait que l’article est signé Modrobilly, et que ça va beaucoup moins bien marcher, forcément !

      0
      0
    2. A un moment, avec mon cousin et d’autres quidams, nous étions sur le toit d’une bagnole. Position inconfortable, nous sommes rapidement redescendus.
      J’ai oublié de dire que j’avais loupé le dernier métro et le dernier bus. De ce fait j’ai couché chez mon cousin. Et Nation-Rue Navier (Guy Moquet) c’est une sacrée trotte. Pendant tout le trajet on n’a pas arrêté de chanter (rien à foutre des gens). On chantait du Johnny évidemment, mais aussi du Anthony et du Aznavour, ce qui fait que cette mini-traversée de Paris s’est faite avec allégresse (Allez Gress !).

      0
      0
  2. La victoire des basketteurs soviétiques en 1972 est entachée pour l’éternité de forts soupçons de corruption arbitrale (au moins autant que la « célèbre » finale de C2 AC Milan – Leeds United en 1973). La comparaison avec le « Miracle on ice » de 1980, où une équipe d’universitaires purement amateurs (pas encore de stars de NHL en ces années-là) avait terrassé à la loyale (4-3) les Tretiak, Mikhailov, ou autres Kharlamov qui formaient sans doute la meilleure équipe du monde, aurait été mieux venue.

    0
    0

Laisser un commentaire