Le roman du Wunderteam par Rudi Hiden, gardien de but de l’ex-équipe d’Autriche (5/9)

Il ne reste plus qu’à me présenter pour que l’équipe des « Merveilles » soit au complet.

Les Parisiens me connaissent. Je suis en France depuis 1933. J’ai joué sept ans au W.A.C.[1]

Ma jeunesse se passa tranquille. Elle fut entièrement consacrée au football. Je débutai dans la vie comme apprenti pâtissier, chez un brave homme de patron dont la boutique était située aux abords du stade du W.A.C.

La clientèle était constituée par la foule anonyme qui, le dimanche ou le samedi, allait assister aux matches. Mon patron était un fidèle supporter du W.A.C. Il était abonné et, à chaque rencontre, il allait s’asseoir à la même place, laissant à sa femme et à moi le soin de tenir la boutique.

Gagné par l’atmosphère du football, je faussais souvent compagnie à… mon travail et j’allais avec tous les gosses du quartier jouer au ballon sur le terrain du W.A.C. Je fus remarqué pour mes qualités de gardien de but. Je grandis et je fus enfin sacré goal titulaire de l’équipe première.

Je n’abandonnais point mon métier. Mon brave employeur était ravi d’avoir dans sa maison le « gardien de but » du W.A.C. et, le lundi, il me donnait congé.

– Tu es fatigué (!), il faut te reposer de tes matches du dimanche, me disait-il.

Il n’a jamais voulu comprendre que le métier de goal keeper n’avait rien d’exténuant[2].

Vingt-sept fois je fus refoulé d’Angleterre

Les amateurs de football ont tous connu Chapman – l’entraîneur manager de l’équipe de football d’Arsenal. La réputation du « Wunderteam » était mondiale, elle n’avait pas échappé à Chapman.

Je reçus un jour sa visite à Vienne. Il me proposa de venir en Angleterre jouer pour le Woolwich Arsenal, devenu aujourd’hui l’Arsenal F.C. Le marché fut conclu, le contrat signé.

– Surtout ne dites rien de notre accord, me dit Chapman dans le tuyau de l’oreille. Vous pourriez avoir des ennuis avec le ministre du Travail anglais.

– Entendu !…

Je ne sais comment la presse anglaise connut le contrat que Chapman avait signé avec moi, toujours est-il qu’un beau jour on put lire dans les journaux londoniens : « Hiden est engagé à l’Arsenal ! »

Je vais en Angleterre, comme c’était entendu entre le manager d’Arsenal et moi. A Douvres, l’Immigration Service me joua un bien sale tour.

Débarqué sur la terre anglaise, on me dit : « Attendez quelques instants. »

Le commissaire de police me tint le discours suivant :

– Vous êtes bien Rudi Hiden ?… Vous venez comme soccer en Angleterre ?

– Ah ! pas du tout ! Je viens étudier la langue anglaise, et peut-être faire du sport.

– Du sport ?

– …Du tennis, peut-être.

Le chef de l’Immigration Service de Douvres, qui ne « marcha pas dans la combine », me pria de reprendre le bateau par lequel j’étais venu. Et depuis ce jour, je suis inscrit sur la liste des « indésirables ». Je peux aller en Angleterre comme je le veux, mais je ne peux obtenir un permis de séjour dépassant quinze jours ! Dans le fond, les Anglais protègent leurs travailleurs, fussent-ils footballeurs… C’est tout ce que je puis dire !

Vingt-sept fois, à Tilbury, à Folkestone, à Croydon, j’ai essayé d’entrer en Angleterre, je n’ai jamais pu fléchir le service d’immigration. Chapman s’était fait fort, une fois dans la place, de me faire jouer à l’Arsenal, mais tout le problème était d’arriver jusqu’à Highbury… ce bourg élevé, si élevé que je ne puis jamais l’atteindre !

Schall, Hiden et Sindelar à l’entraînement à Highbury, le 3 décembre 1932.

Les satellites du « Wunderteam »

A côté des « douze apôtres » du Wunderteam que j’ai énumérés, il y a eu quelques personnages dont je voudrais brosser un rapide portrait.

Le petit Horwath[3], de Simmering (faubourg de Vienne), le remplaçant de Schall, il jouait soit inter droit ou gauche. C’était un bonhomme plein d’avenir qui eut sa carrière brisée à la suite d’un très grave accident de mobylette. Il dut abandonner le football actif : il est maintenant entraîneur de son ancien club. Horvath était l’un des plus sympathiques et des plus populaires footballeurs viennois. Il pérorait des heures entières, allant de café en café « discuter le coup » avec quiconque.

Il y avait aussi le speaker officiel du Wunderteam, le radioreporter Willy Schmieger, professeur dans une école supérieure autrichienne. C’était un ancien international d’avant guerre ; il émaillait ses radiodiffusions d’expressions populaires d’un comique irrésistible. Figurez-vous un « loufoque » parisien 1938 parlant football à la radio !

Un jour, il était en train de faire l’éloge de l’aile Vogl-Schall, il faisait devant le micro l’apologie de ces deux joueurs. Plein de son sujet, il déclamait : « Schall, le plus adroit de tous les foootballeurs, vient de passer à Vogl, le plus intelligent des ailiers. Ah ! mes chers auditeurs, si vous pouviez assister à cette combi… »

Il ne put terminer sa phrase, car l’équipe étrangère marquait au même moment un but contre l’Autriche. « Ah ! m… ! enchaîna-t-il, j’étais dans la lune et je suis obligé de rengainer mon compliment sur Schall-Vogl, l’Autriche vient d’encaisser un but… »

Et tous ceux qui rencontraient Willy Schmieger lui disaient d’un air narquois : « Et Vogl-Schall ? »

Ce « Vogl-Schall ? »… c’est « Où donc est mon armée ? » du maréchal Soubise[4].

Willy Schmieger est devenu rédacteur en chef du « Kronenzeitung », le journal qui avait le plus fort tirage de tous les papiers viennois. Schmieger y donnait chaque jour un éditorial rédigé en style populaire et familier.

L’histoire du pétrole

La première fois que le « Wunderteam » se trouva constitué, ce fut le 6 janvier 1929. A cette époque, l’équipe n’avait pas encore ce nom féerique, elle s’appelait simplement « Niederösterreich »[5]. Son adversaire était l’Allemagne du Sud. Elle fut battue par 5 à 0.

La presse autrichienne prit à partie Hugo Meisl, lui reprochant son incapacité de sélectionneur. Le « magicien », le « chef d’orchestre » fut appelé à comparaître devant le comité de l’Association autrichienne pour se justifier de la mauvaise tenue du Niederösterreich, qui était en réalité l’équipe nationale autrichienne.

Propos recueillis par Louis-L. Monvoisin, Ce soir, 10 février 1939.


[1] Wiener AC.

[2] Le récit que fait Hiden de sa jeunesse laisse penser qu’il est né à Vienne et y a grandi. Il n’en est rien, puisqu’il est en réalité né à Graz en 1909. Il n’a rejoint le Wiener AC qu’à 18 ans, alors qu’il était déjà un gardien de but confirmé.

[3] Johann Horvath, né en 1903, joua 46 matchs avec l’équipe nationale autrichienne. En club, il défendit les couleurs de plusieurs clubs viennois.

[4] Célèbre épigramme visant le prince de Soubise après la défaite de Rossbach en 1757.

[5] La Basse-Autriche, Land entourant Vienne.

17 réflexions sur « Le roman du Wunderteam par Rudi Hiden, gardien de but de l’ex-équipe d’Autriche (5/9) »

  1. Pourquoi Hiden n’évoque-t-il pas sa jeunesse à Graz, bon sang ? Pense-t-il que l’histoire de l’Autriche s’est arrêtée en 1918 et n’a redémarré qu’avec le Wunderteam et le sentiment de fierté nationale qui l’a accompagné ? J’aurais aimé qu’il décrive le climat post-Empire, le sentiment de la population après la perte de la Basse Styrie par exemple. Alors que pour le moment, il nous sert une soupe tiédasse qui peine à nourrir le lecteur matinal.

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    1. Vilain !

      Hiden, c’est pas un sociologue, hein !
      Ce soir, c’est un journal du soir pour les classes moyennes et populaires, pas une publication universitaire.

      Il ne parle pas de Graz sans doute parce que cela ne dirait rien au lecteur français. Vienne, c’est autre chose… La carte postale est magnifique ! Et le football autrichien, c’est le football viennois. On s’en branle de Graz !

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      1. Voilà, la carte postale !
        Et encore, ce 5e épisode n’est pas le plus lénifiant, je le reconnais. Je dirais même qu’il a fallu patienter 5 épisodes pour qu’il donne un peu de lui-même.

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      2. Mais qu’il est vilain !
        Bouh… Je te parle plus pendant au moins 10 minutes.

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    2. Si tu veux de l’histoire avec un grand H, il faut sachoir que le premier match de football en Autriche a été joué à Graz, le 18 mars 1894. C’est un certain Georg August Wagner, lequel deviendra par la suite un médecin gynéco célèbre, qui introduisit, semble t-il, le football auprès de ces camarades étudiants. Et dans son équipe ce jour là figurait un certain Fritz Pregl, futur prix Nobel de chimie.

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      1. Merci !
        Si je suis (un peu) déçu par les propos d’Hiden, j’apprécie les compléments que tu apportes là où Bobby se contente de reproduire paresseusement le texte original (attaque gratuite eh eh).

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      2. Salaud ! J’y peux rien si Poster s’y connait mieux que moi en foot autrichien…

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  2. Ça ressemble à l’histoire d’Albert Guðmundsson qui était parti à Glasgow pour étudier, il a peut-être quelques matchs avec les Rangers, mais n’avait pas eu son visa pour jouer en compétition avec Arsenal par la suite. Mais les sources different sur le sujet.

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    1. Oui, problème de visa de travail pour lui aussi.
      Bon, Hiden en rajoute : d’autres fois, il raconte qu’il a été refoulé 14 fois, etc. Bref !
      En tout cas, le coeur de l’histoire est là : Chapman le voulait, après l’essai infructueux du Flying Dutchman Keizer. Pourquoi des gardiens étrangers plutôt que des Britanniques ? Sans doute pour un problème de coût, le transfert de Hiden étant (je crois me souvenir) 2 ou 3 fois moins onéreux que celui de Hibbs, par exemple. Chapman avait déjà fracassé sa tirelire pour recruter ses inters, il manquait sans doute d’un peu de liquidités pour s’offrir une star locale à mettre dans les bois.

      Mais Hiden voulait partir. Alors devant l’échec d’Arsenal, Lévy s’est précipité sur l’occasion et lui a proposé la forte somme pour rallier la France. Quelques mois à peine après que le transfert vers l’Angleterre fut enterré, Hiden signait à Paris.

      Quels pays à l’époque proposaient des conditions financières avantageuses aux footballeurs d’Europe centrale ? Le Royaume-Uni était sourcilleux, l’Italie avait fermé ses frontières, l’Allemagne ou le Benelux étaient encore officiellement amateurs… Restait la France, en fait. A partir du passage officiel au professionnalisme en 1932, les clubs recrutèrent donc en masse des Sud-Américains, bien sûr, mais encore plus des Hongrois, des Autrichiens et des Yougoslaves. Moins de Tchécoslovaques, cependant. Les plus grandes stars (Sindelar, Sarosi, Nejedly, etc.) restèrent tout de même au pays : elles devaient y être suffisamment bien traitées…

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      1. Les vedettes y etaient tres bien traitees, meme.

        Raymond Braine avait l’embarras du choix quand il joua en CZ, suffisamment meme que pour bien vivre du foot tout en se rapprochant de sa chere mais ingrate patrie..mais puisqu’à Prague il etait deja l’un des joueurs les mieux payés d’Europe : à quoi bon.

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  3. Aha, la vie romancée de Rudi plutôt que le roman du Wunderteam. On découvre qu’à l’époque l’ÖBB était si efficace et rapide que le Rudi pouvait faire l’aller-retour Graz-Vienne pour aller jouer avec les gamins du côté du Prater.
    Johann horvarh, un jeune plein d’avenir…, qu approchait déjà la trentaine à l’époque du Wunderteam.

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    1. De Horvath, on connaît aussi sa caricature réalisée par Max Leuthe. Leuthe, ancien joueur international, journaliste et caricturiste a fait partie de ses personnages, qui ont contribué à rendre populaire les joueurs.

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      1. Le Leuthe avait du talent comme caricaturiste. Ces plus connues sont celles de joueurs du Rapid. Horvath, Wesely, Nitsch.

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  4. C’est une sélection estampillée Wien, qui se ramasse en janvier 29 sous la neige. On y croise quelques joueurs du futur Wunderteam, mais aussi d’autres moins talentueux. Quelques clubs viennois étaient en tournée d’hiver et leurs joueurs donc indisponibles. Dans la compo, on trouve plusieurs joueurs du WSC, qui finit la saison juste devant les clubs relégués.

    Je m’interroge toujours sur les qualités de sélectionneur de Meisl, sur ces compos. Si on compare avec la Hongrie ou la Tchécoslovaquie, il est probable que les meilleurs joueurs autrichiens étaient dispersés dans davantage de clubs, ce qui devait compliquer un peu la tâche pour créer un collectif. Mais suis un peu dubitatif. Début 30’s, l’Austria navigue entre la 4ème et la 6ème place, et Meisl sélectionne des Sindelar, Nausch, Gall ou Mock, alors que les clubs dominants comme l’Admira ou le Rapid (qui disposent des meilleures attaques) sont relativement peu représentés.

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