Le roman du Wunderteam par Rudi Hiden, gardien de but de l’ex-équipe d’Autriche (6/9)

Nous avions donc débuté dans la vie par un échec, l’Allemagne du Sud nous ayant, comme je l’ai rappelé, terrassé par 5 à 0.

Le 6 janvier 1929, il neigeait. Nous étions tous très surpris de voir les Allemands tremper de temps à autre leurs pieds dans une grande bassine pleine d’un liquide spécial.

Sesta me dit :

– Attends, Rudi, je vais leur renverser leur casserole, mais auparavant je voudrais savoir quel est le liquide qu’elle contient.

A la mi-temps, les soigneurs enlevèrent prestement la bassine… et aux vestiaires un goût très prononcé d’essence attira notre attention. Les Allemands trempaient leurs souliers dans du pétrole et ce faisant ils empêchaient la neige d’adhérer à leurs chaussures. Par contre, nous ramassions la neige et nos souliers alourdis entravaient nos courses vers le ballon.

En rentrant à Vienne, Hugo Meisl était triste. Il nous demanda de nous réunir le lendemain et d’étudier les raisons de notre défaite. Le magicien du football autrichien voulait nous persuader que les onze footballers qu’il avait sélectionnés étaient les meilleurs de notre pays.

Il décréta de ne rien changer à notre équipe et de simplement faire permuter Gschweidl et Sindelar, le premier deviendrait inter, le second avant-centre.

Ce n’était rien et cette simple modification fut à la base de la naissance du « Wunderteam ».

L’étincelle

Le match nul – 0 à 0 – que nous avons réussi à Vienne, le 14 mai 1930, contre le team anglais, a été le point de départ du « Wunderteam ». Au lendemain de cette héroïque partie suivie au Hohewarte par quelque 80.000 spectateurs, Willy Schmieger, le radioreporter dont j’ai parlé dans un précédent chapitre, baptisa notre équipe du nom de « Wunderteam ». Le mot allait faire florès, il allait être repris par tous les journaux étrangers. Notre réputation était faite.

Hugo Meisl entra dans une très violente colère et il nous déclara :

– Jeunes gens, il n’y a pas de « Wunderteam » au monde. Vous ne jouez pas mieux, ni plus mal qu’une autre formation nationale étrangère. Baliverne que ce mot de « Wunderteam ». Attention, si nous sommes battus, nous sombrerons dans le ridicule. C’est ce qui nous guette…

Et, pestant, tempêtant, Hugo Meisl claqua la porte du vestiaire, nous laissant surpris et ébahis devant une telle déclaration ! Allons bon ! quand tout a l’air de nous sourire, « v’là que le patron se plaint. Il est rigolo… S’il se figure qu’on va se décarcasser comme nous l’avons fait il y a quatre jours devant l’Angleterre pour se faire eng… uirlander… » s’exclama Sesta quand Meisl fut parti.

Nous voulions tous faire honneur au nom dont la presse nous avait gratifiés et je crois que notre belle tenue est due à cet élément de défi que nous lança Hugo Meisl, le plus fin psychologue du football international.

Je dois avouer qu’à la fin du match Autriche-Angleterre je fus porté en triomphe par mes camarades. Je fis une partie miraculeuse, grâce à la chance, et le jour où Di Lorto tint tête, à lui seul, à l’équipe d’Italie, au Parc des Princes[1], je me rappelais ce terrible match au cours duquel les Bastin, les Alex James – les grands footballers anglais – ne furent pas très tendres pour moi[2].

Gschweidl, trois minutes avant la fin de la partie, avait la victoire au bout de ses souliers : il n’aurait eu à shooter qu’à trois centimètres à gauche pour marquer. La balle frappa la barre verticale et sortit non sans avoir décrit des circonvolutions qui coupèrent le souffle des spectateurs présents.

En toute vérité, il eût été injuste que nous l’eussions emporté. L’Angleterre jouait mieux techniquement et tactiquement que le « Wunderteam ».

L’équipe de Suède, le 16 novembre 1930, fut la première invitée de la saison 1930-1931. Le match eut lieu à Vienne. Sans pousser, nous avons remporté la décision par 4 à 1. Entre temps, le « Wunderteam » troquait son nom contre celui de Vienne. Remarquez que « Vienne » ou « Wunderteam » quant à leur composition étaient identiques, seul jouait une différence de dénomination[3].

Au premier plan, Matthias Sindelar (à gauche) et Karl Sesta (à droite) à l’entraînement en 1936.

La Coupe de l’Europe centrale

L’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Suisse et l’Italie prenaient part à une épreuve dite « Coupe internationale », compétition due à Hugo Meisl.

Cette coupe était disputée par matches aller et retour entre toutes les nations inscrites. Le « Wunderteam » s’adjugea la Coupe 1931-1932 avec 11 points devant l’Italie, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Suisse.

Ce fut d’ailleurs la seule fois que mon ancien pays, l’Autriche, gagna le challenge.

A l’heure actuelle, cette coupe n’existe plus ; elle a disparu après les derniers soubresauts de la politique internationale en Europe centrale[4].

Le 12 avril 1931, nous battons à Vienne la Tchécoslovaquie par 2 à 1. Les Tchèques étaient des adversaires corrects, mais durs, solides, chargeant l’homme épaule contre épaule. Ce n’était pas, je m’empresse de le dire, la même musique avec les Hongrois…

Planicka était l’un de mes meilleurs camarades. Je l’ai vu à la Coupe du Monde et c’est moi qui l’ai soigné le premier lorsqu’à Bordeaux il eut le bras cassé en rencontrant le Brésil. C’est moi qui l’ai conduit à la clinique.

Planicka a joué plus de 40 fois contre moi soit en matches internationaux, soit lorsque nous disputions la Coupe de l’Europe centrale par équipes[5]

Propos recueillis par Louis-L. Monvoisin, Ce soir, 15 février 1939.


[1] Le 5 décembre 1937, France-Italie (0-0).

[2] La mémoire de Hiden semble ici lui jouer des tours : Cliff Bastin et Alex James ne participèrent pas au match Autriche-Angleterre du 14 mai 1930. Bastin ne débuta en équipe d’Angleterre que le 18 novembre 1931 contre le Pays de Galles, et James était Ecossais ! En revanche, ils étaient tous les deux coéquipiers au sein du club londonien d’Arsenal et, chaque année, Arsenal et le Racing se rencontraient dans le cadre d’un match amical. Hiden eut donc l’occasion d’affronter Bastin et James, mais en club et pas en équipe nationale !

[3] Les meilleurs joueurs autrichiens étant alors concentrés dans la capitale, une sélection représentative de la ville de Vienne ou de l’Autriche avait en effet la même composition.

[4] Du fait de l’Anschluss, l’édition 1936-1938 de la Coupe internationale ne put aller à son terme.

[5] Coupe Mitropa : compétition internationale de clubs.

8 réflexions sur « Le roman du Wunderteam par Rudi Hiden, gardien de but de l’ex-équipe d’Autriche (6/9) »

  1. Meisl redoutable psychologue, ok, mais Hiden n’évoque pas ce qu’il demandait aux joueurs en termes de déplacements, positions ou je ne sais quoi, aucune option légèrement singulière qui en ferait un audacieux tacticien. Était il un adepte du WM pur et dur ? On a parlé de tiki taka avant l’heure à propos du Wunderteam, c’est la magie des joueurs ou l’œuvre de Meisl ? Ou faut il le résumer à un meneur d’hommes ?

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    1. Ce qui ressort en général de la presse de l’époque, c’est que le jeu du Wunderteam était en quelque sorte une caricature de celui de l’école viennoise, le Scheiberlspiel (de schieben, pousser, faire glisser). Un jeu de passes courtes, redoublées, avec souvent recherche du jeu en triangle pour mettre l’adversaire hors de position, des attaquants en mouvement, des permutations.

      Je ne sais pas si Meisl avait un plan en tête bien conçu pour créer quelque chose de nouveau ou aboutir à cette qualité de jeu. J’en doute, c’est plutôt par ses choix de joueurs, qu’il y ait indirectement parvenu.

      À l’époque (et en gros de 26 à 39), les 3 principaux clubs sont l’Admira, le Rapid et le First Vienna. Au début des 30’s, le Vienna de Fritdhum connaît ces meilleures années. Ces succès reposent notamment sur une très bonne organisation défensive. L’Admira et le Rapid disposent des meilleures attaques. Une chose intéressante est que bien que ces clubs dominent le foot autrichien, peu de leurs joueurs sont sélectionnés par Meisl au milieu du terrain durant la période Wunderteam. Certes, on trouve Smistik du Rapid ou Hofmann du Vienna au poste de milieu central (l’école viennoise utilise plutôt le WW), mais sur les côtés Meisl optent plus souvent pour des joueurs comme Gall, Nausch, Mock de l’Austria ou Braun du WAC, réputés être de très bons techniciens (ajoutons que Nausch était polyvalent et que Mock jouait plutôt milieu central à l’Austria). Probable que ces choix ont influé sur le jeu pratiqué.

      Tout comme les choix en attaque évidemment. Associer Sindelar et Gschweidl est une idée, qui a du sembler bizarre à l’époque. Dans le jeu viennois les avant-centres décrochaient et participaient souvent à la construction du jeu. Là, Meisl en alignait deux, mais avec des profils très différents. À gauche, la paire Schall-Vogl aimaient aussi multiplier les passes et les combinaisons. Et à droite, Zischek était davantage qu’un ailier (il a fait une saison à 20 buts avec son club, par exemple).

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  2. « Il décréta de ne rien changer à notre équipe ». Euh…

    Il ne souffrirait pas de prosopagnosie le Rudi ?! Dans cette sélection viennoise de janvier 29, il y avait Ferdinand Schreiber, Otto Jany, Karl Kurz, Leopold Danis, Karl Schilling et Anton Pillwein. Danis a eu quelques sélections dans les années, Kurz une trentaine, mais il était quasi en retraite au moment de cette rencontre. À cause des tournées d’hiver, Meisl avait fait un peu les fonds de tiroir pour sa compo.

    Entre le match face à l’Angleterre et celui contre l’Ecosse, qui date le début de la période du Wunderteam, les compos ont souvent varié. Meisl tâtonnait, cherchait des solutions pour remplacer des joueurs vieillissants (les ailiers Siegl et Wesely étaient en fin de carrière, par exemple). Début 31, l’Autriche perd en Italie, puis gagne et fait un nul à domicile contre la Tchécoslovaque et la Hongrie. Rien de déshonorant, mais Meisl ne trouvait pas la bonne formule. Sindelar n’avait plus joué en sélection depuis février 1930. C’est contre l’écosse que Meisl décidé de l’associer à Gschweidl et qu’il fait confiance aux jeunes Zischek et Vogl.

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