Où le doyen de notre rédaction, seul représentant des boomers chers (dans tous les sens du terme) à un certain ex-Premier ministre, nous offre la dernière partie de sa cargaison de souvenirs de foot (mais pas seulement) des années 1956-1972.
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Je me souviens de Stade français-Nîmes (5)
Il ne se passe plus rien et je dois subir les remarques de mes voisins. Quand le « traître » Skiba marque, tel un mouton de Panurge, je gueule en même temps que tout le monde « Y est ! », car on ne criait pas « but ! » à l’époque. Sur la photo, on a l’impression que Bernard, qui est tout de même le numéro 1 des Bleus, rentre bien son ventre pour laisser passer le ballon…

Comme c’est la tradition au Parc, quelques minutes avant la fin du match, les gardiens de la paix, sous une bordée de sifflets, entrent et entourent la pelouse.
À la fin du match, quand le speaker égrène les résultats, à l’annonce de « Reims bat Strasbourg 5 buts à 1 », des réactions mitigées, voire des ricanements se font entendre. Je saurai par la suite que l’entraîneur de Strasbourg n’était autre que Robert Jonquet, d’où la suspicion d’avoir levé le pied pour aider son ancien club. C’est seulement chez moi que j’apprends que Reims est champion avec un goal-average de 1,3833, devant le Racing, 1,3651.
Le lundi, en classe je demande à M… pourquoi il n’est pas venu. Il me répond sournoisement, le regard par en dessous : « j’avais mal à la tête ».

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Je me souviens que Di Stéfano avait été enlevé par des bras cassés qui se faisaient passer pour des guérilleros.

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Je me souviens qu’on en pinçait pour Claudia Cardinale, Marina Vlady, et Mylène Demongeot.

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Je me souviens qu’on avait enlevé la mère Dassault (l’épouse de Marcel) dans le XVIe arrondissement, et qu’ainsi le quartier était beaucoup plus propre après, forcément.
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Je me souviens que Le Miroir des sports, sous la plume de Maurice Vidal, avait été le seul media à dénoncer les scandales et les magouilles de la Coupe du monde en Angleterre.
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Je me souviens d’une interview de Monty dans Rock et Folk qui commençait par ces mots : « Monty, si nous parlions un peu rock, comment y-es-tu venu ? » La pinte de rire avec les potes. Un peu comme si on avait demandé à Hallyday :
« Johnny, si nous parlions un peu philosophie, comment y-es-tu venu ? »
« Eh bien, j’dois dire que j’aime bien Bakounine, Heidegger, Kierkegaard et Kant, surtout leurs premiers albums, c’est les plus rock’n’roll. »
Ou s’adressant aujourd’hui à Éric Zemmour : « Éric, comment en es-tu venu à t’inscrire au Parti socialiste ? »
« L’humanisme, l’universalisme, et le multiculturalisme sont des valeurs que j’ai toujours faites miennes, c’est donc pour moi un retour à la maison. »
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Je me souviens que les deux KK foutaient la merde avec leurs histoires de missiles à Cuba, et qu’ils étaient beaucoup moins drôles que Merkin Muffley et son homologue soviétique.
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Je me souviens qu’au début de l’instauration de la notion des buts marqués à l’extérieur en Coupe d’Europe, je croyais, en bon footix des familles que j’étais, que les buts allaient réellement compter double. Ainsi, lors de Celtic Glasgow-Saint-Étienne (à l’aller, les Verts avaient gagné 2 à 0), quand les Écossais menaient 3 à 0, je me suis dit : allez, il suffit que Saint-Étienne marque un but et ça fera 3-2. Ensuite, je suis devenu sans pitié envers les blaireaux qui n’avaient pas assimilé cette notion pourtant évidente.
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Je me souviens que l’ex-lieutenant-colonel Bastien-Thiry, l’organisateur de l’attentat du Petit-Clamart, avait été condamné à mort, non gracié par de Gaulle, et exécuté. Et qu’il est ainsi à ce jour le dernier fusillé de l’histoire de France.
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Je me souviens qu’on essayait de faire de Marcel Cerdan junior un champion du monde : on ne lui faisait rencontrer que des tocards, et tout ça en prime time sur des commentaires de Loys Van Lee, le «Monsieur boxe » de l’ORTF, qui se forçait à lui trouver des qualités pugilistiques.
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Je me souviens avoir écouté à la radio la retransmission de Reims-Austria 1962 et non à la télé (je ne sais plus pourquoi). Le public du Parc des Princes s’était montré particulièrement odieux en sifflant les Autrichiens à chaque touche de balle – attitude inconnue à l’époque, banale aujourd’hui. Je crois qu’à l’aller, il y avait eu une embrouille entre les joueurs et les spectateurs du Prater. La presse fut choquée. J’en m’en voudrai toute ma vie de ne pas avoir vu enfin un grand match de Kopa et du Stade de Reims – à ce jour, leur dernière victoire en Coupe d’Europe -, d’autant plus qu’au tour suivant, ils se feront sortir par Feyenoord à l’issue de deux matchs poussifs (une défaite et un nul). La « routourne » avait fini par tourner.

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Je me souviens que Stefan Kovacs était toujours satisfait de la prestation de ses joueurs, et qu’il ajoutait souvent, de sa voix rocailleuse et de son inimitable accent roumain : « J’ai vu beaucoup de sériosité de la part de mes joueurs. »
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Je me souviens que Georges Boulogne alignait systématiquement Charly Loubet à chaque match. En quelque sorte son chouchou, son Malouda, son Sissoko à lui.
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Je me souviens de la piteuse élimination de Saint-Étienne par la terrifiante équipe de La Chaux-de-Fonds de l’entraîneur-joueur Henri Skiba, au premier tour de la C1 1964-1965.

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Je me souviens que le Monégasque Lucien Cossou, auteur de deux buts ce soir-là, avait été le héros de France-Angleterre 1963 (5-2, rien que ça, seizième de finale retour de l’Euro 64). L’embellie se poursuivra face à la Bulgarie mais s’achèvera en quart contre la Hongrie du futur Ballon d’or Florian Albert. Pas de Final Four pour la France à l’Euro espagnol.
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Je me souviens de ce fameux France-Bulgarie 1963. Nous étions dans un virage, mes camarades de classe et moi, mon cousin – soufflant dans sa trompe comme un malade – étant un peu plus bas avec ses potes. « C’est un clodo, ton cousin », me dit un copain – clodo étant pris dans le sens de clown. D’où nous étions, nous entendîmes plus que nous vîmes. C’est en entendant les clameurs que nous sûmes et devinâmes que des buts avaient été marqués. Nous aperçûmes tout de même Robert Herbin, identifiable à sa tignasse rousse, adresser un véritable caviar à Yvon Goujon, lequel, tel un poisson volant, s’éleva plus haut que tout le monde pour placer la tête du 3-1 libérateur hors de portée du portier bulgare. Le public versatile du Parc qui avait vilipendé le sélectionneur Georges Verriest toutes ces dernières semaines le portait maintenant aux nues, Kopa était oublié, et la foule scandait « un tour ! un tour ! »
Porter en triomphe un joueur, même Herbin, parce que l’on s’est simplement qualifié pour des quarts de finale, il n’y a qu’en France que l’on voit ça.

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Je me souviens que Jean-Claude Pascal avait gagné le concours de l’Eurovision avec Nous les amoureux, chanson aux paroles ambiguës. Il faut ajouter que Jean-Claude Pascal, à l’instar de Luis Mariano et André Claveau, était le chéri de ces dames, mais qu’il ne leur rendait pas forcément.
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Je me souviens que l’assassinat de John Kennedy par Lee Harvey Oswald, lui-même assassiné par Jack Ruby, mort à son tour d’un cancer trois ans après seulement, ça avait fait toute une histoire dont on parle encore aujourd’hui.
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Je ne me souviens plus d’Alain M…, l’homme qui loupa le « match du siècle » à cause d’un prétendu mal de tête.
Pistes de lectures :
Les Grands Récits – Les deux morts de Roger Rivière – Eurosport
20 mai 1962, le jour où tout s’est effondré – Planète Nîmes Olympique
Bonjour chers auditeurs … ou le commentaire sportif
Abdou Séye, médaillé olympique du 200 m en 1960 : «Le sport sénégalais est mort à l’image du pays»
Nord-Isère. Jacky Bouquet, légende du sport des années 70 : l’Ange blond, c’était lui
Les esthètes (3/4) : Jacky Bouquet, l’Ange blond n’en faisait qu’à sa tête – rugbyrama.fr
« O milésimo », ou l’histoire du millième but de Pelé – Eurosport
Mon frangin du Sénégal : Avis et critiques
L’homme qui pédalait à 200 km/h – pinte de foot
Foot et BD (1) : Premières foulées avec les « chics types » de l’après-guerre – Dis-leur !
Si on ouvre toutes les « pistes de lecture », on s’apercevra qu’un célèbre forumeur a laissé deux commentaires . Alors bonne pioche !
On a un peu parlé de Loubet et du système de jeu des Bleus de Georges Boulogne dans l’article sur France-URSS 1972 (P2F du 23/11/24), et aussi en privé avec l’auteur. Jusqu’à l’été 1972, effectivement, Loubet était l’un des chouchous du sélectionneur. Il est ensuite rentré dans le rang (5 sélections seulement durant les deux saisons suivantes) avant de disparaître pour de bon à l’arrivée de Kovacs. Les causes étaient à la fois une certaine baisse de niveau et un changement de système chez Boulogne. Face au manque de qualités offensives de ses latéraux et à l’absence d’un 9 de classe internationale, celui-ci avait abandonné le 4-3-3 avec ailiers de débordement, n’avait pas pu adopter le 4-4-2 (qui n’était de toute façon pas du tout dans la culture footballistique française de l’époque), et avait en conséquence choisi un 4-3-3 sans ailiers (celui des Anglais champions du monde 1966) qu’on appelle 4-3-2-1 de nos jours. C’est flagrant dans ce France-URSS que j’ai visionné en entier pour écrire l’article. Les latéraux sortent le ballon sans quitter leurs zones et les deux « ailiers » théoriques (Bereta et Chiesa) jouent en fait entre les trois milieux et l’unique pointe, Hervé Revelli. Selon le contexte, Bereta et Chiesa tentent (rarement) de déborder, centrent pour Revelli depuis les 16 mètres, ou repiquent eux-mêmes dans l’axe pour épauler leur 9. Loubet ne jouait pas vraiment dans ce registre-là et c’est assez naturellement qu’il est sorti de l’équipe-type.