Jorge Mendonça, le vrai

Le 7 mars 1965, un homme élancé lève les bras. Élégant en diable dans sa tunique rojiblanca. C’est Jorge Mendonça. Il vient d’offrir la victoire dans l’éternel derby. Les joueurs du Real Madrid rentrent aux vestiaires, têtes basses. C’est leur première défaite à domicile en championnat depuis plus de huit ans.

Jorge et ses frères

Mendonça est tout bonnement la première réussite portugaise à l’étranger, le deuxième fleuron africain des Colchoneros après le mage Larbi Ben Barek. Il est né à Luanda en 1938, terre qui vit naître les Peyroteo, Jose Águas ou Rui Jordão. Des talentueux… Enfant, il intègre les rangs du Sporting local, club fondé par son paternel. C’est donc tout aussi logiquement qu’il fait le grand saut à 17 ans vers Lisbonne et le Sporting. Mais la concurrence de deux des fameux Cinco Violinos, José Travassos et Manuel Vasques, est féroce et semble lui boucher l’horizon, il part en prêt au Sporting Braga.

A Braga, Mendonça trouve une famille, ou plutôt retrouve la sienne puisque deux de ses frères font partis de l’effectif. Aux cotés de João et Fernando, Jorge enflamme l’année 1958. Braga finit à une brillante quatrième place, la fratrie se permettant le luxe d’une victoire de prestige en demi-finale de coupe face à Porto, où chacun des Mendonça inscrira son but. Jorge score 14 buts en championnat, sa carrière est lancée.

Les frères Mendonça en première ligne

Les dirigeants du Deportivo La Corogne profitent d’une interruption précoce du championnat voisin pour engager Jorge et Fernando. Le club galicien est au plus mal, menacé de relégation en troisième division. L’apport des deux Portugais marque le début d’une folle remontée. Mendonça attire aussitôt le regard de Ferdinand Daučik, beau-frère de Kubala et entraîneur du puissant Atlético Madrid.

D’anonyme à figure

Sous l’insistance du technicien slovaque, champion avec le Barça et l’Athletic, l’inconnu Mendonça arrive au Metropolitano en compagnie du frais champion du monde Vavá. Les supporteurs sont sceptiques. Que vient faire Mendonça aux côtés des perles Enrique Collar et Joaquín Peiró ? Il restera neuf ans, laissant derrière lui un héritage bien plus lumineux que celui de son illustre coéquipier brésilien. Jorge participe dès sa première saison à l’épopée européenne colchonera jusqu’en demi-finale de la Coupe des Clubs Champions face à l’ogre madridista. Un affrontement à la mort où Mendonça se fait surtout remarquer par son absence lors du match d’appui joué à Saragosse. Disparu de la circulation depuis plusieurs jours, il est vu errant le jour du match capital à Braga. Histoire d’amour, d’argent… Jorge ne donnera jamais d’explication. Bien heureusement pour lui, la direction du club ne lui en tiendra pas rigueur.

José Villalonga, ancien coach du Real et futur vainqueur de l’Euro 1964 avec l’Espagne, remplace Daučik en 1959. Sous sa direction, l’Atlético pose les sillons de ses succès à venir. Une défense solide et tenace où brilleront les Rivilla, Callejo ou l’Argentin Griffa. Des ailes tenues par les joyeux funambules, Peiró ou Collar. Voire Miguel Jones, celui qui aurait pu être le premier joueur noir de l’Athletic. Enfin en attaque, Mendonça en soutien de Vavá.

Mendonça est une figure déroutante. Facilitateur de jeu, aisance technique et sens du rythme, c’est lui qui lance les folles cavalcades de Collar et Peiró. Loin d’être aussi létal qu’un Puskás à la même époque, il personnifie l’altruisme. Son meilleur score en championnat ne dépassera d’ailleurs jamais les 14 buts. Une personnalité entièrement vouée au collectif qui en fait un des chouchous des fans de l’Atlético.

Les Colchoneros sont redoutables en format coupe. Deux années d’affilée, ils terrasseront leurs rivaux madrilènes en finale de Copa, à Chamartín de surcroît ! Mendonca s’offrant une prestation majuscule en 1961 lors d’une grande victoire 3 à 2. Idem en Europe en 1962. Dans la toute récente Coupe des Vainqueurs de coupe, l’Atlético se fraye un chemin entre les Sangliers sedanais et le Werder Brême pour affronter le tenant du titre, la Fiorentina. Cette Viola est magnifique. Le gardien Sarti, le Suédois Hamrim ou Aurelio Milani. Deux matchs seront nécessaires pour les départager. À Stuttgart, l’Atlético se coiffe de sa première couronne européenne, Mendonça marquant un des trois buts décisifs.

Mendonça tenant la Coupe des Coupes

L’année suivante, rebelote. Apres avoir sorti le Nuremberg du vieux lion Max Morlock, l’Atlético affronte en finale, Tottenham. Sous les coups de butoir de Greaves, Smith et Blanchflower, les madrilènes vont vivre une de leurs pires noches tristes. Un 5 à 1 net et sans bavure. Un Waterloo footballistique.

Le club devient le rival le plus acharné du Real pour les deux prochaines décennies et la consécration sonne enfin en 1966. L’équipe vient à nouveau de gagner la coupe face aux Magníficos de Saragosse et la génération des Adelardo, Aragonés ou Ufarte impulse du sang neuf et une infinie volonté. Le cinquième titre est acquis. Helenio Herrera, Marcel Domingo et Larbi ont enfin trouvé leurs successeurs. Cette même saison, Mendonça s’offre en Europe son zénith personnel. Face au redoutable Dinamo Zagreb, il réalise un triplé. Le peuple rojiblanco reconnaissant le porte sur ses épaules, torero en habits de lumières, le conduisant hors du stade jusqu’à son propre domicile !

Touché-culé!

L’idylle prend fin à l’été 1967. Blessé, Mendonça reçoit une invitation du président Vicente Calderón. Sauf que son homologue catalan, Llaudet est également présent au rendez-vous. Le deal est déjà passé, ne manque plus que la signature. 14 millions de pesetas, somme astronomique. Se sachant sur le déclin physiquement, Mendonça accepte. Il rejoint le mercato ambitieux du Barça. L’attaquant brésilien Silva Batuta est engagé sous le commandement de Salvador Artigas qui fit des Girondins une des solides mais malchanceuses équipes des années 1960.

Mendonça n’a plus son lustre d’antan mais il participe à deux grands moments de l’histoire culé. La finale de la coupe 1968, opposant le Barca au Real au Bernabéu, est tendue à l’extrême. Le foot espagnol est violent et les joueurs passent plus de temps à s’échanger des coups que des tours de passe-passe. Le public réclame un penalty oublié sur Amancio et le but libérateur pour le Barça de Zunzunegui offre aux plus exaltés des Merengues un espace d’expression. Pluie de bouteilles sur les Catalans, Zazalba finissant le crâne ouvert, cérémonie écourtée, accusation de corruption. La fameuse final de las botellas.

Sortie aérienne de Sadurní

En Coupe des Coupes 1969, Mendonça vivra son dernier périple et sa dernière désillusion. Donné pour favori face aux obscurs Slovaques du Slovan Bratislava, la Barça va recevoir une véritable leçon de réalisme. Cueilli à froid dès la 2e minute, le Barça ne refera jamais son retard, offrant un titre inespéré aux Vencel ou Capkovic. Après Berne en 1961, Bâle en 1969, Suisse ! Suisse ! morne plaine…

Mendonça finit sa carrière à Mallorca en 1970, lassé de courir littéralement après son salaire. Il n’aura jamais de sélection internationale. Ayant quitté le Portugal jeune, il craignait qu’un retour au pays l’oblige à faire son service miliaire. En pleine guerres coloniales portugaises, Jorge choisit l’exil… On ne verra donc pas le duo alléchant Eusebio-Mendonça au Mondial anglais. Aurait-il supplanté José Torres sur le front de l’attaque ? Rien n’est moins sur, tant la complicité entre Eusebio et le géant Torres semblait télépathique. Mais Mendonça est peut-être l’étincelle manquante au Portugal en cet été 1966. Celle qui aurait fait planer la Seleção au dessus du fog anglais…

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25 réflexions sur « Jorge Mendonça, le vrai »

  1. Très intéressant portrait d’un joueur que je ne connaissais pas, et aussi très intéressant coup de projecteur sur l’Atlético d’avant les salopards de 1974 et le cholismo, une période que je ne connaissais pas non plus et où le club avait visiblement une toute autre identité.

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    1. A titre personnel, cette periode de l’Atletico, qui couvre grosso modo l’intégralité du passage de Mendonça est ma préférée du club. Y a quand même des joueurs qui portent l’ADN colchonero. Hargne, combat, filouterie. Je pense à Rivilla qui est pour moi leur plus grand défenseur. Calleja, champion d’Europe 64 comme Rivilla. Griffa l’Argentin qui découvrira par la suite la plupart des pépites passées à Newell’s. Adelardo. Peiro aurait été adoré par Simeone, suffit de voir son but avec l’Inter face à Liverpool. Je le mettrais un peu plus tard dans le fil.
      Faut bien s’imaginer que le grand adversaire du Real de 61 à 77, c’est l’Atletico, pas le Barça.

      D’ailleurs, y a un parallèle à faire avec Nantes sur cette periode. En 66, 73 et 77, Nantes et l’Atletico sont champions, en essayant de contrarier la domination d’un grand adversaire. Sainte dans le cas des Nantais. Pas la même philosophie de jeu par contre.

      Quand à Mendonça, les fans de foot portugais me contrediront peut-être, mais je ne vois pas d’autres mecs ayant réussi à l’étranger avant lui.

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      1. En bon rédacteur (le noble titre d' »écrivain » arrivera bien un jour !), tu as déjà préparé la trame de la comparaison entre Atlético et Nantes : elle aura pour dénouement le duel en C1 1977-78.

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      2. Triple G
        Toujours dans ce parallèle Atletico Nantes, on peut citer l’influence espagnole sur Nantes avec Arribas et française pour l’Atletico avec Marcel Domingo, le coach lors du titre en Liga 70. Y a un truc!

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  2. Merci Khia ! Puisque tu évoques la finale d las botellas, voici quelques précisions.

    Provocations et scandales arbitraux pour un Clásico, ok, mais le must est sans doute atteint lors de la finale de la Copa del Generalísimo 1968, la finale « de las botellas » où cohabitent à peu près toutes les saloperies du football : corruption arbitrale, anti jeu sur la pelouse et violences dans les tribunes.

    Ce jour-là, le Barça s’impose 1-0 dans l’enceinte du Real sur un but contre son camp de Fernando Zunzunegui en début de rencontre. Fort de cet avantage, le Barça d’Artigas se recroqueville et utilise tous les moyens pour empêcher le Real d’égaliser avec une étonnante bienveillance arbitrale. Peu à peu la pression monte et le Bernabéu finit par exploser. Le public lance des bouteilles en verre et autres objets sur l’arbitre et les Barcelonais, la remise du trophée s’effectuant dans un chaos invraisemblable. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

    La première raison a pour nom Antonio Rigo, l’arbitre de la finale. L’analyse des rencontres arbitrées par Rigo laisse perplexe : il vient de superviser onze des trente derniers matchs de Liga du Barça et les Catalans n’ont vraiment pas à s’en plaindre. En Coupe, il est désigné pour les matches allers et retours des blaugranas en quarts de finale puis en demi-finales. Face à l’Athletic Bilbao, son arbitrage partial provoque des troubles à San Mamés. En demi-retour, il siffle un pénalty invraisemblable en faveur du Barça alors que l’Atlético de Madrid est en passe de se qualifier. Malgré les scandales et les campagnes de presse du Real, Rigo est encore désigné pour la finale de Copa. Et il est à la hauteur de sa réputation : il ferme les yeux sur des agressions de Paco Gallego (clavicule cassée pour Pirri) ou Chus Pereda, ne siffle pas un pénalty évident en faveur du Real etc… jusqu’à ce que le public craque devant un Caudillo consterné.

    La saison suivante, neuf des seize équipes de Liga récusent Antonio Rigo (à l’époque, les équipes peuvent exprimer des préférences ou à l’inverse, bannir des arbitres). Dans un premier temps, seules des suspicions de corruption sont évoquées, le train de vie de l’arbitre venu des Baléares laissant la place au doute. Puis en 1975, à l’issue d’une discrète enquête de la Fédération espagnole, trois arbitres sont radiés dont Rigo sans que les dirigeants du Barça ne soient inquiétés.

    La seconde raison justifiant l’extrême motivation des Barcelonais a pour nom Julio César Benítez, Uruguayen jouant latéral droit le plus souvent, adulé du Camp Nou pour son engagement féroce et pour ses duels épiques avec Gento. Début avril 1968, le Barça compte trois points de retard sur le Real et il peut combler une partie de son retard puisque le Clásico est prévu le 7 avril. Mais à la veille du sommet, Benítez décède à vingt-sept ans.

    La thèse officielle évoque une intoxication alimentaire liée à des fruits de mer, contredite par son épouse. Aujourd’hui encore les raisons demeurent mystérieuses même si les séquelles d’une hépatite mal soignée trois années plus tôt ou un excès de médicaments sont parfois évoqués.
    L’émotion est considérable, 150.000 spectateurs défilent dans la chapelle ardente dressée au sein du Camp Nou.
    La fédération refuse de reporter le clásico, acceptant tout juste de le décaler au mardi. Encore marqués, les joueurs du Barça concèdent un nul qui donne une option définitive au Real sur la Liga.

    Mais pour la finale de la Copa, trois mois se sont écoulés et les blaugranas jurent de ramener le trophée en souvenir de Julio César Benítez, ce qu’ils font et peu importe si l’arbitre Antonio Rigo y contribue largement.

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      1. Ah si on prend le passage joueur-coach, Aragones est le plus important, tu as raison mais sur l’unique carrière de joueur, je mettrais Collar.

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      2. Il est indiscutable que Collar est un plus grand joueur qu’Aragonés sur le plan du talent pur. Mais durant sa carrière de joueur, quelqu’un a-t-il été plus aimé qu’Aragonés ? J’ai l’impression que Collar était admiré, un objet de fierté parce qu’il pouvait regarder Gento les yeux dans les yeux, alors qu’Aragonés était aimé car il incarnait plus que quiconque les valeurs de l’Atléti. Mais je n’ai rien de précis permettant de corroborer ce que j’écris.

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      3. Quelles places laisseront Diego Simeone et Antoine Griezmann dans l’histoire des matelassiers ?

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      4. Berti
        Si on prend l’ensemble de son passage à l’Atletico,coach et joueur, c’est le seul qui peut concurrencer Aragones.
        Griezmann, il va lui manquer les titres de champion récent du club. Les 5 premières saisons sont spectaculaires, son retour moins. Mais à placer parmi les figures de l’Atletico evidemment. Je le mettrais en dessous d’un Torres ou d’un Futre. Quoi qu’il est allé plus haut en terme de niveau qu’el Niño sous le maillot de l’Atletico. Mais la symbolique Torres est importante. La remontée, un mec de la Cantera qui explose après ne pas avoir su conserver Raul..

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  3. Peut-être un des meilleurs joueurs portugais qui n’aura jamais joué en sélection. Mais je pense qu’il n’aurait jamais fait son service militaire, à mon avis il avait surtout une allergie envers le régime de Salazar. C’était un joueur assez engagé, je crois qu’il est des fondateurs de l’association des joueurs espagnols. Il s’entendait très bien avec Eusebio, je l’ai déjà lu. Il avait essayé de le faire venir au Benfica puis Mendonça a essayé de le faire venir à l’Atlético, mais faute de moyens aucun des deux n’avaient bougé.
    Au Portugal il est quasiment inconnu, on ne le cite jamais dans les plus grands joueurs et il n’a même pas de wikipedia en portugais! A la différence de l’autre Jorge Mendonça, le crack brésilien (je crois qu’il a déjà eu un article ici!)
    Pourtant il aurait été capital dans la seleçao des années 60, son association avec Eusebio voire Torres aurait permis de nombreuses options supplémentaires.

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    1. J’ai l’impression que c’était pour les Portugais de cette époque comme pour les Français d’avant Platini : bons joueurs certes, mais pas assez (ou en défaut d’image de marque, à l’inverse par exemple des Yougoslaves) pour occuper une des deux places d’étrangers dans les ligues qui le permettaient.

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      1. C’est surtout qu’avant 70, le Benfica est un des tous meilleurs clubs de la décennie, seul le Real est peut-être au-dessus. Ajouté au fait que la dictature veut garder les meilleurs joueurs au pays, il y a peu de mouvement. Sauf pour des joueurs comme Mendonça qui partent très tôt. La plupart allait en Espagne Gomes Bravo(Sociedad) CarlosFelix (Granada e Oviedo)ou Emídio Graça (Seville) dans les 40’s/50’s. Les Portugais et l’Atletico il y a une connexion, Tiago, Futre, Mendonça, Simao, Joao Felix et tant d’autres
        https://www.transfermarkt.com.br/atletico-madrid/gastarbeiterDetails/verein/13/land_id/136

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      2. Sur la décennie 1960 c’est même le meilleur club avec 2 titres et 3 finales.

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      3. J’aime bien la photo des 3 frères à Braga. Mais je connais tres, tres peu l’histoire de ce club.

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