L’hitchcockienne saison 2005 de la J-League

Le championnat japonais a enfin repris ses droits ! L’occasion de revenir sur l’une des saisons les plus serrées et mémorables de tous les temps : la saison 2005, au cours de laquelle pas moins de cinq équipes étaient en position d’être sacrée à l’occasion de la dernière journée.

C’est sa 31e bougie que souffle la J.League sous forme actuelle. Une jeunesse relative due à la professionnalisation tardive du football nippon et entamée seulement au cours de années 1990. Une entrée tardive dans ce monde qui explique probablement en partie le fait que le championnat japonais est depuis sa création l’un des plus ouverts et homogènes du monde. Chaque saison permet de constater que chacun peut battre tout le monde et que personne n’est à l’abri ou ne peut avoir de certitudes. Le suspens et l’imprévisibilité sont au cœur de la ligue nippone. Et rien n’illustre plus cette idée que l’année 2005.

A vos marques, prêts, …

Après plusieurs éditions où le champion était désigné à l’issue d’une finale aller-retour entre les deux vainqueurs de deux phases distinctes du championnat, l’année 2005 voit l’arrivée d’une forme de championnat plus proche de ce qui se fait en Europe : une phase unique, 18 équipes et 34 journées réparties au cours de l’année civile.

Bien qu’attendus en tant que tenant du titre, les Yokohama F. Marinos réaliseront une saison décevante et ne pointeront qu’à la neuvième place du classement. Les autres favoris sont les Urawa Reds Diamonds, habitués aux premiers rôles, les Kashima Antlers, déjà auréolés de quatre titres depuis 1996, et la puissance montante des dernières années : le Gamba Ôsaka. Mené par le futur sélectionneur japonais Akira Nishino et par un joueur très prometteur du nom de Yasuhito Endô, le club propriété de Panasonic vient de sortir de deux podiums en trois ans.

Cependant, le joueur qui s’avèrera vraiment marquant pour le Gamba cette saison s’appelle Clamerson Araujo de Soares, dit « Araújo » . C’est un buteur brésilien de 28 ans arrivé au Japon en 2004. Après une saison plutôt convaincante avec le Shimizu S-Pulse, l’attaquant sud-américain est transféré dans le Kansai où il va montrer la pleine étendue de son talent : habile et clinique devant le but, le natif du Pernambuco est dans tous les bons coups offensifs pour le Gamba et inscrit pas moins de 33 buts en 34 matches joués ! Il sera sacré meilleur buteur du championnat et logiquement récompensé du titre de meilleur joueur de la saison 2005.

Araújo, arrivé à Ôsaka au début de la saison

Positions intenables

D’entrée de jeu, cette saison 2005 montre une étonnante tendance des équipes engagées à l’irrégularité. Après un excellent départ et 10 points sur 12 engrenés lors des quatre premières journées, le FC Tôkyô enchaine avec rien de moins que six défaites consécutives ! Une nouvelle fois, le club de la capitale ne jouera pas les premiers rôles en championnat.

Kashima en revanche, se montre beaucoup plus prêt à viser le Graal, réalisant un superbe début d’exercice avec 10 victoires et une seule petite défaites lors des 13 premières journées. Comptant alors 10 points d’avance sur son dauphin au premier tiers de la saison. Inutile de précise que l’on pense alors le titre déjà acquis pour l’Antlers. Mais la machine semble légèrement se gripper à l’aube de l’été, où deux défaites et un nul en cinq font peu à peu perdre l’avance acquise…

Les Kashima Antlers, en tête de la J-League une bonne partie de la saison

Le Gamba Ôsaka arrive peu à peu en embuscade : 13 points sur 15 gagnés. La 25e journée est alors le théâtre d’une rencontre cruciale entre les deux leaders. Le Kashima Antlers se déplace sur le terrain du Gamba. Mais alors qu’Araújo pensait obtenir la victoire pour les locaux à la 89e minute, Kashima arrache le match nul dans la minute d’après et repart d’Ôsaka avec le point du nul acquis sur le score de 3 à 3 et conserve la tête de la J. League.

Cette bataille a semble t-il laissé des traces sur les deux géants pour la dernière ligne droite de la saison : malgré deux victoires suite à la désillusion face à l’Antlers, le Gamba semble entrer dans une terrible spirale négative avec cinq défaites sur les six matches suivants ! Kashima justement, fait encore pire : sur les huit rencontres suivant l’exploit à Ôsaka, c’est six défaites, un nul, et une toute petite victoire ! Plus la fin de la saison se rapproche, plus Kashima et le Gamba semblent fébriles et proches de tout perdre.

Car derrière, cela remonte !

Lutte pentagonale

Les Urawa Reds sont là, comme attendus en début de saison. Après un début d’exercice compliqué, le club de Saitama a remonté la pente, grapillant les points et remportant des matches clés. Et grâce à son attaque de feu portée par le Brésilien Ponte, ils pourraient bien coiffer tout le monde à l’arrivée.

Le JEF United Chiba est également de la partie, anciennement connu en tant qu’JEF United Ichihara, le club a changé de nom au début de l’année 2005. Après trois saisons à lutter pour le podium, le retrouver à ce niveau n’est en fin de compte pas vraiment une surprise. Emmené par le Yougoslave Ivan Osim, Chiba a passé l’essentiel de sa saison autour de la cinquième place au classement. Mais la victoire en Coupe de la Ligue contre le Gamba Ôsaka, le premier titre dans l’histoire du club, a eu l’effet d’un déclic : le momentum est grand et l’équipe enchaîne les matches sans défaite tout au long de la deuxième partie de saison.

Le JEF United Chiba, après leur victoire en Coupe de la Ligue.

Et enfin, le Cerezo Ôsaka. Retrouver l’autre club de la ville à ce niveau est en revanche totalement inattendu. Car si son gênant voisin du Gamba monte en puissance ces dernières années, le Cerezo est habitué à végéter dans le bas du classement, voire en deuxième division… Mais l’entraîneur Shinji Kobayashi a réussi au fur et à mesure de la saison à bâtir un collectif cohérent, permettant au club du cerisier de réaliser une seconde partie de saison quasi parfaite, d’enchaîner sept victoires d’affilées, et de passer de la douzième à la première place au classement à l’aube de la dernière journée !

Le capitaine aux 64 sélections en Equipe du Japon, Hiroaki Morishima, porte le Cerezo vers son potentiel premier sacre en championnat

Ainsi, pour la dernière journée du championnat, la situation est la suivante :

Cinq équipes peuvent donc encore s’adjuger le titre en gagnant leur dernier match. Ce ne sont d’ailleurs que des finales à distance, puisqu’aucune confrontation directe entre les cinq prétendants n’est programmée pour cette 34e journée. Cette dernière donne lieu aux affiches suivantes :

Cerzeo Ôsaka – FC Tôkyô

Kawasaki Frontale – Gamba

Kashima Antlers – Kashiwa Reysol

JEF United Chiba – Nagoya Grampus

Albirex Niigata – Urawa Reds Diamonds

Hajime !

En position favorable dans ce quintuple duel, le Cerezo sait que c’est à lui de prendre l’initiative et de ne pas se préoccuper du reste. Dans un stade Nagai plein à craquer, les hommes de Kobayashi entament parfaitement leur rencontre et ouvrent le score dès la 3e minute de jeu par Nishizawa. A cet instant, rien ne peut arriver au club du cerisier… Mais pas pour très longtemps. Bien que n’ayant plus rien à jouer dans cette fin de championnat, les Tokyoïtes vont jouer le jeu à fond et égaliser à la 20e minute : 1-1. A ce moment-là, l’évidence est de mise : le Cerezo Ôsaka devra s’arracher pour glaner son premier titre de champion.

D’autant qu’en plus de ces difficultés face au club de la capitale, le Cerezo sent le souffle de ses poursuivants… Et voit même son rival du Gamba lui passer devant, celui-ci ayant réussi à ouvrir le score dès la 12e minute grâce à l’inévitable Araújo. En tête pendant près de 20 minutes, le Gamba se voit lui aussi rattraper par son adversaire : Kawasaki égalise à la 37e minute. Un partout également. Les deux clubs d’Ôsaka sont en train de rater le coche et laissent le champs libre aux prétendants derrières eux. Kashima et Urawa font eux parfaitement le travail et mènent déjà 2-0 face à leurs adversaires respectifs. Seul le JEF United n’arrive pas à faire sauter le verrou…

Très en forme, Araújo a encore marqué. Mais c’est encore insuffisant pour le Gamba.

Ainsi, à la mi-temps de chaque rencontre, Urawa, Kashima et le Cerezo sont tous les trois en tête à égalité de points… Mais ce sont les Reds qui seraient sacrés champions grâce à une meilleure différence de buts ! Le Gamba est quatrième à une petite longueur. S’il marque, il repasserait en tête. Enfin, Chiba le plus en difficulté, une victoire ne suffirait pas en l’état actuel des choses… Mais le suspens reste total !

Fanaison précoce

Alors que la deuxième mi-temps commence, et Kashima et Urawa redémarrent tambour battant : 4 à 0 pour tous les deux ! Insuffisant pour les Antlers, toujours en raison de la différence de buts. Mais Urawa peut croire encore à un faux pas des deux clubs d’Ôsaka.

Tomislav Marić et les Urawa Reds font le travail sur la pelouse de Niigata. Victoire 4 à 0.

De sont côté, Chiba pense passer du cauchemar au miracle : à la 81e minute, Nagoya ouvre le score. On pense alors que ça en est définitivement terminé des espoirs du club jaune et vert… Mais après une égalisation sur pénalty à la 89e minute, Chiba réalise l’exploit de prendre l’avantage une minute plus tard ! 2 à 1 à la dernière minute ! Mais c’est trop tard pour le JEF United, trop dépendant des autres résultats…

Le sort de la J-League 2005 dépend donc des deux équipes d’Ôsaka : si aucune d’entre elle l’emporte, Urawa sera champion. Si le Gamba l’emporte et que son voisin échoue à l’imiter, il sera champion. Si le Cerezo l’emporte, quoiqu’il arrive, le palmarès du cerisier verra germer sa première fleur.

Et comme en première mi-temps, Nishizawa permet au Cerezo de (re)prendre rapidement l’avantage au score. Miyamoto et le Gamba les imitent quelques minutes plus tard. A l’heure de jeu, les deux clubs d’Ôaska mènent tous les deux 2 à 1. Il semble donc à ce stade que les Urawa Reds soient hors-course pour le titre.

62e minute, le Gamba concède l’égalisation ! Le titre semble plus que jamais promis au Cerezo ! Le Gamba pousse comme il peut… Et obtient un pénalty à la 78e minute. Alors qu’il avait raté le pénalty décisif en finale de la Coupe de la Ligue, la future légende du club Yasuhito Endô prend en charge la responsabilité de transformer l’occasion. Cette fois, sa tentative termine au fond des filets et le Gamba reprend l’avantage, 3 à 2. Mais cela est à ce moment là toujours insuffisant.

Yasuhito Endô transforme le pénalty. 3-2 pour le Gamba

L’horloge tourne et les minutes semblent interminables pour le Cerezo, qui touche le Graal du bout des doigts… 89e minute, le FC Tôkyô obtient un corner. Celui-ci est frappé au premier poteau à mi-hauteur et surprend la défense. Un joueur de Tôkyô se précipite pour reprendre de volée, mais cela est repoussé en catastrophe par les joueurs du Kansai. La défense ne parvient toutefois pas à se dégager et le cafouillage profite à Yasuyuki Konno qui égalise !

Choc et effroi dans le stade Nagai ! Le Cerezo vient de perdre à la dernière seconde un titre de champion qui lui tendait les bras ! Ironie du sort, au même moment, Araújo parachève sa magnifique saison d’un nouveau but, portant le score à 4 à 2 pour le Gamba sur le terrain de Kawasaki. La saison 2005 s’achève ainsi. Dans un scénario hitchcockien au cours duquel chacun des cinq prétendants a potentiellement pu être champion. Et finalement, bien qu’il était initialement en position la plus favorable, le Cerezo est la seule équipe a ne pas avoir assuré la victoire au minimum.

Après l’égalisation du FC Tôkyô, Nishizawa (numéro 20) et ses partenaires comprennent qu’ils viennent de laisser filer le titre

Cerzeo Ôsaka 2/2 FC Tôkyô

Kawasaki Frontale 2/3 Gamba Ôsaka

Kashima Antlers 4/0 Kashiwa Reysol

JEF United Chiba 2/1 Nagoya Grampus

Albirex Niigata 0/4 Urawa Reds Diamonds

C’est terminé ! Pendant que les joueurs du Cerezo s’effondrent de tristesse, ceux du Gamba se précipitent sur le terrain, célébrant le premier titre de champion du Japon de l’histoire du club. Près de 20 après, ce dénouement aussi tragique qu’extraordinaire est encore vécu comme un traumatisme pour le Cerezo, doublé sur le fil par son voisin et rival. Ce dernier, dont le palmarès était également insignifiant auparavant, amorcera avec ce premier sacre un cycle d’âge d’or, marqué par quatre autres titres jusqu’en 2015, de nombreux podiums, plusieurs coupes nationales, et même une Ligue des Champions d’Asie remportée en 2008 !

En somme, le Gamba s’est, en ce 3 décembre 2005, affirmé comme l’un des clubs majeurs du football japonais. Une mutation que n’a jamais pu entamer le Cerezo, dont les fans regardent encore aujourd’hui avec quelques larmes aux yeux cette dernière action face au FC Tôkyô. Et en se demandant dans quel sans aurait pu tourner l’histoire si le cerisier n’avait pas fané trop vite.

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Xixon

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17 réflexions sur « L’hitchcockienne saison 2005 de la J-League »

    1. Oui, sous sa forme actuelle, c’est à dire « entièrement professionnalisé », le championnat japonais n’a qu’une trentaine d’années.
      Avant, c’était la Japan Soccer League qui faisait office de championnat national. Mais les équipes participantes étaient pour la grande majorité des filiales directes des grandes entreprises japonaises. Donc pas des clubs professionnels, au sens « entités indépendantes »

      Il y avait par exemple Yomiuri, qui donnera naissance au Tokyo Verdy
      Mitsubishi, qui deviendra Urawa Reds Diamonds
      Mazda –> Sanfrecce Hiroshima
      Etc…

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      1. @Xixon,
        Désolé ça n’a rien à voir mais actuellement au Japon (de mémoire, toi aussi) je comptais aller au stade.
        Je galère à acheter des billets, tu as une idée ? Il me semblait qu’en Konbini c’était simple et pourtant…

        Je comptais notamment aller voir jouer les Urawa reds le 18 mars et idéalement me caler une petite virée à Kawasaki. Tu y es le bienvenu d’ailleurs.

        Si jamais tu avais la solution a mon souci, ce serait bien cool.
        J’ai demandé à des locaux mais visiblement pas des footeux et ils n’y arrivaient pas non plus.

        Mon mail, ce sera peut-être plus simple : hugoseksig85@gmail.com

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    2. Le Kashima Antlers est le club de Zico. La star qui avait lance la mode étrangère au Japon dans la fin des années 80 début 90. Un rôle hyper important dans le développement du foot au Japon. On pourrait même comparer cela à l’arrivée de Pele aux États-unis. Si quelqu’un a des infos sur l’arrivée au Japon de Zico…

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      1. Au sujet la connexion Japon-Brésil, j’avais été surpris d’apprendre que ces 2 pays entretiennent une relation particulière, et pas seulement au niveau footballistique (le Brésil est le pays avec la plus grosse communauté Japonaise). Ça me semble tellement improbable à première vue…

        En ce qui concerne Zico j’ai trouvé cet article qui évoque les joueurs Brésiliens passés par le Japon:

        https://www.nippon.com/en/features/h00051/

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      2. Comme l’Europe, l’Asie compte une très forte population au XIXe siècle.
        Au contraire, les Amériques sont dépeuplées et connaissent un boom économique. Il faut de la main-d’oeuvre et on en manque cruellement sur place. Alors, des millions d’Européens arrivent. Mais aussi des Asiatiques. Dont beaucoup de nikkeijin au Brésil, en effet, mais aussi au Pérou. Au Pérou, c’est notamment la conséquence d’un accord d’immigration entre les gouvernements japonais et péruvien. Au Brésil, peut-être un accord équivalent a-t-il existé.

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      3. Merci Tie Popo
        Ça me rappelle le brésilien Bismarck dans les années 90. Il s’était révélé au Vasco aux côtés de Bebeto et avait une belle côte avant de faire toute sa carriere au Japon.

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