Série sur la Coupe du monde 1982 (1/8) – Espagne – Honduras, « ce qui commence mal finit mal », Euripide

L’Espagne déçoit d’emblée alors que les Honduriens, dont ce sont les débuts en phase finale de Coupe du monde, savent qu’ils n’ont qu’une chance de faire une bonne première impression.

Le 16 juin 1982 en soirée, l’Espagne entre dans son Mundial devant 50 000 aficionados venus à Mestalla, quand le vieux stade de Valencia s’appelle encore Luis Casanova. Dans la tribune des officiels, les caméras s’attardent sur Juan Carlos, orgueil de la jeune Espagne venant de résolument tourner le dos au franquisme et ses réminiscences putschistes. La fête promet d’être belle, l’adversaire de la Roja est le Honduras, une aimable mise en bouche au goût d’inconnu puisque seul Gilberto Yearwood évolue en Espagne, au Real Valladolid.

Les Honduriens et la Liga

Avant Valladolid, Yearwood s’affirme à Elche, eldorado pour de nombreux Latino-Américains, une oasis au milieu de la palmeraie où s’épanouissent dès la fin des années 1950 les deux premiers Honduriens de la Liga, Carlos Zuazo et surtout le crack « Indio » Cardona. Puis dans les seventies, une nouvelle vague arrive de Tegucigalpa à destination d’un autre paradis, Mallorca en Segunda División : « Chinola » Matamoros, Jorge Bran et Jorge « Indio » Urquía. Au sein d’une équipe en plein désarroi financier et sportif, seul Urquía surnage. Il fait partie de la sélection hondurienne opposée au Salvador en 1969, rivalité minée par les nationalismes et connue sous le nom de  Guerra del Fútbol en référence au conflit prêt à éclater entre les deux nations. Il évolue ensuite au Deportivo Alavés aux côtés de Jorge Valdano avant de revenir au pays en compagnie de son épouse espagnole et de sa fille. Une romance familiale de courte durée, les femmes de sa vie le quittent rapidement. Rappelé avec la Bicolor, le Mundial 1982 doit être l’apothéose de sa carrière. S’il existe une vignette Panini à son nom et s’il voyage bien en Espagne, Urquía ne figure pas parmi la liste des sélectionnés en raison d’une blessure qu’il vit avec fatalisme tant elle représente peu de choses en comparaison de son échec sentimental[1].

Présent parmi le public de l’estadio Luis Casanova, Urquía doit patienter plusieurs minutes pour assister au coup d’envoi retardé par un excès de zèle du préposé aux hymnes. Sans doute perturbé par la présence royale et l’abondance de drapeaux espagnols, il décide de jouer une seconde fois la Marcha Real. La gourmandise musicale terminée, l’arbitre libère enfin les joueurs. Les Espagnols sortent d’une très longue préparation, matérialisée par une tournée en Amérique du Sud l’été précédent et conclue par une ultime concentration, une épreuve. Ils se coupent totalement du monde extérieur durant un mois, retranchés dans ce qui ressemble à un camp militaire, protégés par la Guardia Civil sans que l’on ne sache s’il s’agit de se prémunir d’un potentiel attentat de l’ETA ou des indiscrétions de journalistes à la recherche de polémiques régionalistes. Les joueurs et le staff arrivent usés mentalement et cela se voit rapidement. Les Honduriens ouvrent le score dès la septième minute et malgré une domination totale de la Roja, il faut un pénalty en seconde mi-temps pour que López Ufarte parvienne à égaliser.

L’égalisation espagnole sur pénalty.

« Pecho de Águila », à jamais le premier

Le héros hondurien s’appelle Héctor Zelaya, milieu de terrain surnommé « Pecho de Águila », « Poitrine d’Aigle », en raison de sa cage thoracique puissante. A la lutte avec Joaquín, il résiste au milieu du Sporting Gijón, trompe Arconada et entre dans l’histoire de son pays, premier buteur des Catrachos lors d’une phase finale. « Pecho de Águila » n’aurait jamais dû être là, son genou est déjà en piteux état. Quand le sélectionneur Chelato Uclés fait appel à lui pour affronter l’Espagne, il se déclare prêt à jouer alors qu’il ne l’est pas. Mais l’événement justifie de se donner un peu de mal. Il va même disputer les trois rencontres de la Bicolor. Eliminés sur le fil, les Honduriens ont montré suffisamment de qualité pour attirer l’œil des recruteurs espagnols : Arzú signe au Racing Santander, Costly à Malaga, Figueroa à Murcia (le seul à véritablement s’imposer), Maradiaga à Tenerife. Quant à Héctor Zelaya, il atterrit à La Coruña en seconde division, au sein du Depor déjà entre les mains d’Arsenio Iglesias.

« Pecho de Águila » avec le maillot de la Roja.

Héctor Zelaya n’a jamais l’occasion de démontrer quoi que ce soit : il ne le sait pas encore, sa carrière est terminée à 24 ans. Sa lésion au genou n’a fait que s’aggraver durant le Mundial et malgré une opération, la douleur ne disparaît pas. « Pecho de Águila » rentre à Tegucigalpa sans avoir disputé une seule rencontre avec le Depor.

Quant aux chroniqueurs espagnols, ils restent mesurés : ce n’est qu’un premier match. Certes, le second représentant de la zone CONCACAF, le Salvador de Mágico González, s’est liquéfié la veille face à la Hongrie 10 – 1 mais l’Algérie, considérée comme un autre petit poucet, vient de battre la RFA. Décidée à jouer l’apaisement, la presse rappelle les propos du sélectionneur José Emilio Santamaría prévenant que ce serait difficile contre le Honduras, vainqueur d’un tournoi qualificatif au Mundial dont le Mexique d’Hugo Sánchez n’est pas parvenu à s’extraire. Méthode Coué ou paix des braves, les journalistes feignent encore d’ignorer que « ce qui commence mal finit mal. »

[1] Urquía voit son ex-femme et sa petite fille sur le sol espagnol pour la dernière fois et ne s’en remet pas. Aujourd’hui, il vit dans la précarité à Tegucigalpa.

11

45 réflexions sur « Série sur la Coupe du monde 1982 (1/8) – Espagne – Honduras, « ce qui commence mal finit mal », Euripide »

  1. Quand je vois cette photo de la Roja et bien que sachant qu’elle a été ridicule dans sa compétition, je ne peux m’empecher de la préférer cent fois à la sélection actuelle qui me laisse de marbre comme jamais.

    1
    0
  2. Oh la vache, Verano
    Quel narrateur
    Que dire, sinon, pour la énième fois : quel plaisir de te lire

    Pour moi España 82, c’est la mascotte en forme d’orange, un bâtonnet d’esquimau sur la route vers le Maroc, un « a palo », les affiches publicitaires représentants des taureaux gigantesques
    Et bien plus tard, une revue des équipes de la coupe du monde 82 … Découverte sur la table basse d’attente du salon de coiffure que mon père, qui n’avait ni la bosse ni du foot, avait entrepris

    Gracias

    3
    0
  3. Sur une des photos, on peut voir les Honduriens lors de leur hymne national effectuer un « salut » (je suppose) avec la main droite sur le cœur.
    Dans mon esprit, il n’y avait que les Mexicains qui faisaient ça. Et ils ont d’ailleurs arrêté de le faire à partir des années 2010.
    J’en profite pour poser une question con qui me turlupine depuis des années :

    Est-ce que quelqu’un sait ce que ce geste signifie ? Un geste propre à l’Amérique central ?
    Et pourquoi les joueurs mexicains (et les autres du coup) ont arrêté de le faire ? Ce geste a t’il une connotation négative ?

    0
    0
  4. grande Verano!! doit on s’attendre à une série mythique vu ton amour pour ce mundial?^^ trop petit pour avoir des souvenirs précis de cette coupe du monde, j’ai du voir France Koweit et de la colère de mon oncle sur l’intervention de l’émir!! ha ha , probablement quelques souvenirs de séville et de la finale..j’ai en tête une photo d’un buteur Ecossais édenté, les joies extatiques de Giresse ( magnifique dans le générique de stade 2) et Tardelli
    très curieux de voir la suite de la série,y’a vraiment de quoi faire

    @Khiadia tu peux expliquer en quoi tu préfères cette rojà là?

    1
    0
    1. Sainte
      Il n’y a pas dans l’équipe espagnole actuelle de joueur pour qui j’ai de l’affection. Un coup de cœur. Ça viendra peut-être.
      Dans la photo de l’equipe 82, j’y vois la Real Sociedad d’Arconada, Lopez Ufarte, Satrustegui et Zamora. Le Real de Juanito et Camacho. Et simplement le plus grand joueur d’un de mes clubs, Gordillo.
      Cette Espagne 82, elle me touche au-delà de sa nullité pendant la compétition.
      L’actuelle ne parle pas. Et ce n’est pas une question de rejet du foot moderne, c’est juste le contenu.
      Apres les Pedri, Mina ou Fati sont jeunes et ont le temps de me faire changer d’avis. Mais pour les Ferran Torres, Sarabia, Unay Simon, c’est compromis.
      Busquets m’a toujours laissé indifférent.

      2
      0
      1. Dans cette Roja, j’ai toujours eu de l’affection pour Camacho. C’était un excellent latéral, incontesté, et pourtant j’ai toujours eu l’impression qu’il était en lutte contre quelque chose, à commencer par ses tendances au surpoids. Un type intransigeant qui s’est pourri l’après carrière, incapable de compromis quand il aurait fallu en faire.

        1
        0
      2. @Khidia merci de ta réponse j’ai pas d’attrait particulier pour la roja c’était donc une question de béotien^^, une réponse liée à l’enfance, une madeleine de Proust en quelque sorte?
        jusqu’au « golpe » de Guardiola sur le foot espagnol ce qui caractérisait leur football c’était plutôt une référence à la furia c’est un peu ça non?
        il me semble que dans mes souvenirs et de mes lectures la Real Sociedad avait une équipe forte à l’époque et fera un back to back en championnat (éliminée par Bordeaux en 84/85 en coupe des champions)
        j’aimais bien l’équipe de 86 au Mexique et le real de la quinta del buitre (avec l’ajout de Sanchez) qui fera doublé en sur la coupe de l’UEFA

        0
        0
      1. @Bota67 merci merci voilà c’est bien lui, ils avaient une sacrée équipe les gars des highlands ou du moins de sacrés joueurs et Archibald je ne le connais que grâce à « Trainspotting » ha ha
        Stracham Souness Leighton Daglish c’était fou quand même

        0
        0
      2. Sainte
        Le but que l’on voit dans Trainspotting est le but Archie Gemmill face aux Pays Bas en 78. Superbe but d’ailleurs!

        1
        0
    1. bien vu Khiadia mille excuses de cette erreur monumentale impardonnable shame on me^^ mais bien sur Gemmill « ho putain j’avais pas pris un tel pied depuis le but d’Archie Gemmil contre la hollande »

      0
      0
      1. C’est ce Gemmill qui aurait dû pisser dans un flacon pour un test anti-doping..mais officiellement « déshydraté », c’est donc son équipier Johnstone qui s’y colla..et positif, il traîne ça depuis lors comme un boulet. Difficile de ne pas le tenir pour bouc-émissaire (ce fut sa position, d’ailleurs).

        Je veux bien que la lutte anti-doping en était à ses (délibérés) balbutiements en football, beaucoup de mauvaise volonté à dépister aussi..mais tout de même : quelle nonchalance, lol..

        J’aurais peut-être dû placer ça lors de la série sur la WC78, mais bon : de tête le 23/06/78, la presse italienne grouilla de rumeurs selon quoi plusieurs joueurs NL avaient été testés positifs (or il est certain qu’a minima plupart d’entre eux étaient chargés) au terme de leur victoire sur la Squadra.. Et je ne sais plus quelle équipe la fédération NL accusa d’être elle aussi dopée (les Péruviens je crois), gonflé..et ambiance, lol..

        Sur le fond 74 avait été kif-kif quoique circonscrit à une poignée de nations.. 82 pas mieux.. Quand je repense à tous ces joueurs pros des 70’s-80’s qui évoquaient ouvertement le sujet (tiens, retombé hier encore sur Gerrie Mühren expliquant pépère que lui et tous ses équipiers avaient, sous prétexte d' »expérience scientifique » (!!!), été chargés comme des mules juste avant un « klassieker » de 72)…………..

        S’il y a bien un registre dans lequel le football a depuis lors progressé : c’est registre cadenassage de l’information, lol.

        1
        0
      2. Ah ah, tu évoques la rumeur concernant les Bataves en 1978. La gestion du démenti a été réalisée de main de maître par le responsable de l’info de la CM, Aldo Proietto, un journaliste argentin ayant choisi de servir le pouvoir. Il mérite un article à lui seul !

        0
        0
      3. Jamais trouvé, dans le champ NL, d’occurrence reliant ces rumeurs à Proietto, article bienvenu 😉

        0
        0
  5. Article parfait pour commencer mon trajet en TGV 😎

    La coupe du monde 82, c’est avant tout la VHS 500 buts en avalanche avec les commentaires de Christian Jean-Pierre.

    J’ai lu que l’Espagne avait été avantagée de manière grossière par l’arbitrage lors de ce tournoi. Ceux qui l’ont vu, vous confirmez ou non ?

    Merci Verano, hâte de lire la suite !

    1
    0
    1. Ah oui, on confirme ! Contre le Honduras, rien à dire. C’est face à la Yougoslavie (à peine plus fringante) que l’arbitrage touche au scandale avec un penalty inexistant, manqué dans un premier temps, mais que l’arbitre fait retirer.

      0
      0
      1. Dernière journée, quasiment la dernière minute du match : il y a ce « péno » lors de Honduras-Yougoslavie

        https://www.youtube.com/watch?v=-VUYAh7xEkg

        L’action de Sestic est splendide..et note max pour son plongeon aussi (la presse yougoslave en convint à l’époque)!

        En cas d’égalité au nombre de points, la qualif allait-elle d’abord à celui qui avait le meilleur goal-average..ou plutôt prioritairement à celui qui avait remporté le plus de victoires?

        Dans l’un des deux cas de figure (quelqu’un sait?), de tête , l’Espagne ne serait pas passée sans ce cadeau fait à la Yougoslavie face au Honduras.

        0
        0
      2. Bota, en cas d’égalité de points, les critères à l’époque étaient :

        1) différence de buts
        2) nombre de buts marqués
        3) tirage au sort

        0
        0
      3. Alors (merci!), et de tête (à vérifier) : le Honduras serait passé au second tour au détriment de l’Espagne, sans ce péno brin affligeant.

        0
        0
      4. Je viens de vérifier..et ça n’aurait rien changé selon tes critères, au temps pour moi : l’Espagne serait tout de même passée au bénéfice des buts marqués.

        0
        0
  6. Merci Verano de me replonger aussi dans mes premiers souvenirs intacts de cette coupe du monde et donc forcément ma préférée (avec celle de 86 aussi). Je me souviens de ce match Honduras-Espagne et du commentaire de Thierry Roland après le penalty de Lopez-Ufarte. Le natif de Fès avait tiré à ras terre et le gardien hondurien était sur la trajectoire. Un ouf de soulagement et il va récupérer sa balle sous le bras et sans effusion la replace sur le rond central. Comme le dit Roland “Loperz-Ufarte marque,l’Espagne respire, elle revient peut être de tres loin”. Elle n’ira pas loin ça c’est sûr. Les joueurs éteint tétanisés par l’enjeu et complètement sous pression après ce mois coupés du monde comme tu l’as écrit.
    Continue de nous régaler Verano. Merci.
    Khia j’ai le même ressenti que toi pour la Roja Gordillo Camacho Gallego Santillana Juanito quel cru exceptionnel! Ma préférée reste celle de l’epoque d’El Buitre. Mon enfance en somme.

    3
    0
  7. Merci pour ce super article (encore un), Verano82.

    Je crois me souvenir que ce sont les honduriens qui ont donné le coup d’envoi et que « Macho » Figueroa a balancé un tir de mule direct au but d’Arkonada qui a faillit être surpris. Je me suis dit, moi aussi, « ça commence pas bien ».

    Je profite pour remercier à tous les auteurs de pinte2foot pour les super articles.

    3
    0
  8. Cette première photo en noir et blanc.. : suis friand de ce genre de clichés, on y retrouve souvent toute la lie des instances 🙂 Mais aussi des gens qu’on n’aurait pas soupçonnés parfois, dont on se demande de prime abord ce qu’ils foutaient là.

    Celle-là je ne connais pas assez la société espagnole. Sur la droite on voit Blatter (qui à l’époque commençait à tenir Havelange par les couilles), je devine l’ex-SS Neuberger aussi.

    2
    0
    1. Oui, on voit Blatter au-dessus de Havelange.
      En bas à gauche, il me semble qu’il s’agit de Samaranch. Ça fait une sacrée brochette de loustics !
      Cette photo est prise le jour du match inaugural, Belgique-Argentine, au Camp Nou. Je n’en ai pas trouvé à Valence, juste une vidéo sur laquelle Juan Carlos est goguenard. Il semble bien que la reine ne soit pas présente au Luis-Casanova, peut être une explication à sa décontraction eh eh…

      0
      0
  9. En fait, Arkonada n’a aucun problème pour arrêter le tir de Figueroa (les souvenirs d’enfance, ça trompe). Voir ici : https://www.youtube.com/watch?v=aqHNe5gHzyc

    Et parmi les personnalités, en plus du reste de la famille royale (Don Juan, père de Juan Carlos, inclus), il a Leopoldo Calvo-Sotelo éphèmère président du gouvernement (entre février 1981, destitution d’Alfonso Suárez -le jour même de la tentative de coup d’état- et la victoire socialiste fin 82), Samaranch (membre du CIO et ancien franquiste notoire).

    2
    0

Laisser un commentaire